La constitution de la zone briançonnaise dans les massifs d'Escreins et de la Haute Ubaye. |
Le secteur briançonnais de la vallée
du Guil, en amont de Guillestre, est célèbre depuis
le début du XXeme siècle, époque où l'on
y a reconnu la structure en nappes empilées qui en est
le trait structural majeur. La "fenêtre du Guil", montrant
un autochtone relatif, depuis appelé "nappe inférieure
du Guil", sous une "nappe supérieure du Guil",
est rapidement devenue un exemple classique, visité à
ce titre par des milliers d'excursions de géologues.
Ce schéma continue à servir de base pour comprendre
les secteurs situés au nord-ouest et au sud-est de cette
coupe fondamentale, mais les recherches de ces dernières
décennies ont jeté sur la
structure de cette région une lumière nouvelle et
ont conduit a en compliquer sévèrement le schéma
et l'interprétation.
Ces recherches ont, pour la plupart, été menées en relation avec le lever des cartes géologiques au 1/50.000°. Il s'agit plus précisément des feuilles Guillestre (J. DEBELMAS et M. LEMOINE, 1966), Embrun (1° édition, M. GIDON, 1958 à 1969), Aiguille-de-Chambeyron (M. GIDON, 1958 à 1990, et A. MICHARD, 1990), Embrun (2° édition : M. GIDON, 1997-2000). En outre des éclairages nouveaux ont été apportés par l'analyse microtectonique (P. TRICART, 1980) et par celle des phénomènes tectoniques et sédimentaires liés à la distension antérieure au Tertiaire (M.E. CLAUDEL, 1999), ainsi bien sûr que par l'étude des zones adjacentes : flyschs de l'Embrunais (Cl. KERCKHOVE) et domaine piémontais (M. LEMOINE, P. TRICART et Cl. GOUT).
L'exposé ci-après s'intéresse aux chaînons situés au sud-est du Guil et, d'une façon plus particulière, aux massifs d'Escreins et de Chambeyron. On se reportera, pour ce qui a trait aux chaînons italiens, encore plus sud-orientaux, de la Haute Stura et de la Haute Maira, aux pages qui exposent les aspects complémentaires propres à ces deux secteurs.
A
- Aspect descriptif : Les données de l'observation de terrain |
Deux aspects complémentaires, leur constitution lithologique (stratigraphie) et leur organisation géométrique (tectonique), donnent leurs caractéristiques aux différents secteurs du Briançonnais méridional.
1 - Géométrie et constitution de l'édifice de nappes
Un trait fondamental de la structure du Briançonnais entre Guil et Ubaye est le fait que les nappes empilées y sont ployées ensemble, en anticlinaux et synclinaux "de nappes". Au niveau de la coupe du Guil on distingue un anticlinal aval et un anticlinal amont, ce dernier recoupé également par la gorge affluente du Cristillan, en aval de Ceillac. Ils donnent lieu chacun à une fenêtre et sont séparés par un synclinal qui abaisse, à La-Maison-du-Roy, la surface de charriage de la nappe supérieure jusque sous le niveau du Guil. Une zone synclinale, que suit la Durance en amont de Guillestre, sépare enfin l'anticlinal aval du bombement des massifs cristallins externes (Pelvoux au nord, Argentera-Mercantour au sud). Sur le flanc ouest de ce synclinal des nappes briançonnaises ("nappe de Champcella", "nappe de Roche Charnière") s'imbriquent sur les unités de flysch à Helminthoïdes de l'Embrunais (qui dessinent le crochon synclinal de Saint-Clément). Ces nappes représentent vraisemblablement le prolongement occidental de la nappe inférieure du Guil.
Divers autres traits viennent cependant compliquer ce schéma fondamental. Ce sont notamment les faits suivants :
a) En ce qui concerne la vallée
du Guil et les massifs qui l'encadrent, la structure du
Briançonnais met en jeu, en réalité, bien
plus de deux nappes :
Au niveau même de la fenêtre aval, la nappe appelée
initialement "nappe supérieure du Guil" doit
en effet être partagée en deux éléments,
la nappe de Peyre Haute, formant son flanc ouest, et la
nappe de la Font-Sancte, formant son flanc est. De plus
la structure se complique, au sud du Guil, par l'existence d'un
lambeau tectonique énigmatique, l'unité de Cugulet,
coincée entre le bord externe de la nappe de la Font-Sancte
et le bord interne de la nappe de Peyre Haute.
En amont de la La-Maison-du-Roy, les complexités qui avaient
été initialement attribuées à un "éventail"
de plis aigüs résultent de ce que la nappe de la Font-Sancte
y est recouverte par plusieurs autres nappes. On y rencontre d'ouest
en est, donc de bas en haut dans l'empilement : la nappe d'Assan,
la nappe de la Clapière, la zone gypseuse disloquée
de Ceillac et des Escoyères, l'unité de la
Chapelue et enfin une zone disloquée dite "des
écailles
intermédiaires", intercalée sous les
nappes d'origine piémontaise et rattachée au domaine
ultrabriançonnais. Il est à noter qu'au sud
de Ceillac, la nappe de la Clapière se fond dans un ensemble
structural appelé bande Ceillac-Chiapera, où
prédominent les affleurements de calcschistes du Crétacé
supérieur et dont la structure est de ce fait mal élucidée.
b) En ce qui concerne les autres transversales (celle de l'Ubaye puis des vallées entaillant les crêtes frontalières des abords de Larche), la constitution de l'empilement des nappes se modifie par rapport à celui du Guil. Ceci résulte en majeure partie de l'adjonction de nouveaux éléments. Ils s'intercalent en-dessous les uns des autres, du nord-ouest vers le sud-est, et viennent successivement au jour à la faveur de la montée vers le sud-est des axes des anticlinaux de nappes, tandis que les éléments plus élevés disparaissent "dans le ciel" en direction du sud-est.
Dans le massif d'Escreins, une nappe du Châtelet s'intercale, entre la nappe de Peyre Haute et la nappe inférieure du Guil. La nappe du Châtelet avait, originellement, été considérée comme une nappe majeure, dont la nappe de la Font-Sancte représenterait la partie orientale. Mais cette interprétation se heurte à de sérieuses difficultés, ce qui porte à dissocier ces deux unités.
Coupe en rive droite de la vallée de l'Ubaye (massif de la Font Sancte) Légende stratigraphique comme sur la carte géologique Aiguille-de-Chambeyron au 1/50.000°. Les couleurs, qui permettent de distinguer les unités tectoniques, sont celles du schéma d'interprétation rétrotectonique. |
Dans la coupe de l'Ubaye s'intercale en outre,
sous la nappe du Châtelet, une nappe des Aiguilles de
Chambeyron (d'ailleurs subdivisée en deux unités),
tandis que le prolongement de la nappe inférieure du Guil
(ou "unité de Marinet") est affecté par
un embryon de nappe appelé "écaille des andésites de Marinet" (="de Mary"). La klippe du Brec de Chambeyron,
qui repose en chevauchement sur la marge orientale de la nappe
du Châtelet, représente sans doute une simple digitation
de cette dernière, ou peut-être le témoin
le plus méridional de la nappe de la Font-Sancte.
D'autre part l'anticlinal aval du Guil, percé en fenêtre
par la vallée du Rif Bel dans le massif d'Escreins, réapparait
largement à la faveur de la coupe de l'Ubaye, où
il est dénommé anticlinal de Marinet
; par contre l'anticlinal amont n'est plus reconnaissable sur
cette transversale : il y est remplacé par des chevauchements
vers le NE, qui sectionnent la pile de nappes.
Au sud de l'Ubaye il apparaît, sous la nappe du Châtelet, une nappe de Sautron qui se révèle, à la latitude de Larche, reposer à son tour sur une nappe du Rouchouse. Ces deux nappes sont enroulées ensemble par un anticlinal du Rouchouse. L'axe de de pli passe nettement plus au sud-ouest que celui de Marinet (du nord au sud de la zone briançonnaise les anticlinaux post-nappes se relaient donc en échelons). Le coeur de ce pli laisse enfin voir, en Val Stura, une nappe de Rocca Peroni qui est l'unité la plus basse du systéme briançonnais, car les unités qu'elle recouvre ont un caractère subbriançonnais (absence de Trias carbonaté et développement de termes marno-calcaires au Jurassique et au Crétacé supérieur) [voir la publication n° 059].
c) De grandes cassures y interfèrent enfin avec les surfaces de charriage. Elles se répartissent en plusieurs familles qui s'avèrent être les unes anté-nappes, les autres post-nappes.
1- Des failles anté-nappes, extensives, les unes "longitudinales". c'est-à-dire orientées comme les axes de plis post-nappes (surtout connues dans la nappe de la Font-Sancte), les autres transverses (surtout connues dans la nappe du Châtelet).
2- Des failles post-nappes transversales surtout représentées par la faille de La-Maison-du-Roy, la faille de la Mourière et la faille des Pelouses, qui toutes trois traversent le nord du massif d'Escreins :
3- On connaît enfin deux groupes des
failles post-nappes longitudinales (proches de NW-SE) :
- à la marge externe du briançonnais, la faille
de la Durance se prolonge plus ou moins (en se relayant plutôt), au sud de l'Ubaye par
celle du Ruburent, qui se poursuit jusque dans l'Argentera.
Il s'agit de cassures à la fois extensives (abaissement
du compartiment oriental) et coulissantes, qui ont encore une
activité sismique.
- les failles de la marge interne du briançonnais, comme
la faille des Houerts, la faille de la Barge et
surtout la faille de Ceillac, qui ont surtout fonctionné
lors des mouvements de rétrocharriage mais semblent avoir
eu une histoire plus complexe (indices d'un jeu en extension).
2 - Variations stratigraphiques
a) la constitution de la succession triasico-liasique, notamment par la présence ou non de termes du Trias supérieur, d'une part, et du Trias inférieur, d'autre part. Dans le cas le plus fréquent la succession ne comporte que des calcaires et dolomies du Trias moyen (Anisien-Ladinien), souvent couronnés par des schistes et brèches du Carnien inférieur.
b) la constitution de la succession jurassique, principalement en ce qui concerne la présence ou la lacune du Dogger (celle-ci est essentiellement dûe à une érosion sous-marine anté-Malm, génératrice parfois de brèches localisées).
c) le niveau de profondeur atteint par l'érosion sous-marine qui est intervenue avant le dépôt des calcschistes du Crétacé supérieur-Paléocène ("marbres en plaquettes"). Celle-ci a par places supprimé tout le Jurassique et même atteint des niveaux assez anciens du Trias moyen, voire du Trias inférieur. Elle est à l'origine de niveaux de brèches parfois puissants.
Des variations plus mineures portent sur l'épaisseur
des marbres en plaquettes (particulièrement réduite
dans la nappe du Châtelet, où le flysch noir peut
reposer directement sur le Jurassique) ou sur la constitution
de la semelle siliceuse anté-triasique (présence
de volcanites permiennes (rhyolites, dacites et cinérites
liées) dans l'unité inférieure du Guil et
dans l'écaille des andésites de Marinet (= "de Mary") ; absence dans l'unité
de Marinet, où le Verrucano repose directement sur des
conglomérats houillers)
Une figure
résume les caractéristiques des principales unités
en les plaçant dans un ordre de succession horizontale
qui, bien qu'incertain, paraît vraisemblable au vu des divers
critères structuraux et paléogéographiques
de reconstitution.
B
- Les interprétations : Recherche de l'état originel et du passage à l'état actuel |
Une interprétation correcte de la constitution de l'édifice tectonique actuel du Briançonnais méridional suppose de pratiquer à la fois une reconstitution de l'état originel (paléogéographique) et des évènements (cinématique) qui ont abouti à l'état actuel.
1 - Caractéristiques cinématiques des déformations compressives.
Ce point, qui a trait à la direction,
au sens et à l'âge des déplacements des masses
rocheuses en contact tectonique, est sans doute celui qui est
le plus délicat à considérer.
Il faut en premier lieu se garder de l'illusion selon laquelle
la structuration la plus évidente, en plis orientés
parallèlement à l'allongement de la zone briançonnaise,
serait liée à celle dûe aux charriages majeurs.
En fait ces plis ne correspondent pas à des bombements
induits par l'empilement des unités lors de leur charriage
("antiformal
stacks") mais bel et bien à des plis post-nappes.
C'est ce qu'indique leur analyse géométrique et
ce que confirme l'existence d'une schistosité qui leur
est plan axiale et qui est déversée comme eux vers
le nord-est. Ils datent donc d'un épisode qui s'est caractérisé
en Briançonnais par du "rétrodéversement",
puisque ces plis sont dirigés du côté interne
de la chaîne, contrairement à la tendance générale
de l'imbrication des unités tectoniques.
En ce qui concerne la direction de déplacement des charriages, plusieurs sortes d'indications peuvent être utilisées :
a) l'agencement géométrique
des unités : le sens de leurs imbrications peut en effet
se déduire de l'ordre dans lequel elles se font place tour
à tour, les unes en disparaissant vers le haut (érosion
de leur front) les autres vers le bas ("enracinement"
sous les unités plus internes). Mais ceci n'est évidemment
valable que si l'on est dans un dispositif monophasé où
les imbrications ont eu lieu "en séquence".
L'application de ce critère aboutit à la conclusion
que, au sud de Guillestre, le dispositif fondamental semble traduire
un charriage plutôt dirigé du nord vers le sud
; en effet c'est dans ce sens que l'empilement se complète
vers le bas d'unités nouvelles et s'allège vers
le haut des unités visibles sur les transversales plus
septentrionales.
b) la disposition des rampes, qui sectionnent
localement tout ou partie de la succession charriée
S'il ne s'agit pas de failles tardives (qui sectionnent en ce
cas plusieurs nappes à la fois) il est logique de penser
qu'elles représentent les failles le long desquelles s'est
détachée la tranche de couches charriée.
On peut en ce cas distinguer des rampes proverses, à
vergence dirigée vers l'extérieur de la zone briançonnaise
(plutôt vers l'ouest) et des rampes rétroverses,
qui sectionnent les unités du côté où
les nappes devaient originellement s'enraciner (donc plutôt
vers l'est).
1. Rampes proverses :
La nappe de Peyre Haute se termine vers le sud, aux abords de
Vars, par un biseautage de bas en haut de toute sa série.
On l'observe à l'ouest, en rive gauche du Chagne, comme
à l'est, sur la crête des Couniets. La ligne joignant
ces deux points se prolonge en outre au sud des klippes du Pic
des Houerts qui représentent les affleurements les plus
méridionaux de cette nappe. Elle a une direction moyenne
WNW-ESE, ce qui suggère une mise en place vers le SSW.
La nappe d'Assan occidentale est imbriquée sur celle de
la Font-Sancte par un biseau de rampe qui passe à un palier
sous la succession jurassico-crétacée. Il est sensiblement
de même orientation, si l'on en juge sur son tracé
entre l'une et l'autre des deux rives du Guil.
La nappe du Châtelet se termine aussi, dans le versant SW
des Rochers de Saint-Ours, par un biseau de rampe frontale à
vergence vers le SW ; mais celui-ci n'est visible que sur une
trop faible longueur pour que l'on puisse en préciser l'orientation.
2. Rampes rétroverses :
Dans la coupe de l'Ubaye, toutes les unités situées
au sud-ouest de l'anticlinal de Marinet se terminent par biseautage
de leur succession, de bas en haut, vers le nord-est : le plus
bel exemple est celui de la nappe du Châtelet, qui s'effile
longuement du sud vers le nord pour disparaître sous la
crête de Vars, en rive gauche du vallon d'Escreins. L'orientation
de ce biseau semble d'ailleurs oblique (plus est-ouest) par rapport
à l'axe de l'anticlinal aval du Guil.
c) le déversement des plis associés
au charriage : Au sud du Guil on connait en fait peu de plis proverses,
déversés vers l'extérieur de la zone briançonnaise,
en dehors de ceux de la fenêtre d'Escreins, dont le coeur
triasique affleure en rive droite du vallon de ce nom et de ceux
du Trias de la Tête de Sautron, très au sud de l'Ubaye.
La plupart des plis sont rétrodéversés et
ont des axes NW-SE ; en outre plusieurs se disposent à
la façon de crochons de chevauchement associés au
biseautage des unités par des rampes rétroverses.
De tels plis s'observent en fait à la marge nord-orientale
de toutes les unités situées au sud-ouest de l'anticlinal
de Marinet, à l'exception de la nappe de Peyre Haute.
Dans la nappe de la Font-Sancte des plis aigus, déversés
vers le NE, affectent le Jurassique et le Crétacé
supérieur (mais pas le Trias moyen, ce qui implique un
décollement au niveau du Carnien schisto brèchique).
On les observe à la marge sud-ouest de l'unité,
là où elle est chevauchée par la Nappe de
Peyre Haute (nord du Pic d'Escreins, Dent de Rocher) ou par la
nappe du Châtelet (abords du col des Houerts). D'autres
se développent en bordure des failles extensives anté-charriage,
d'orientation N-S, et y ont visiblement été induits
par un emboutissage des compartiments juxtaposés, lors
des déformations compressives proverse et rétroverse.
d) les données microtectoniques
:
C'est surtout dans les marbres en plaquettes que les observations
concernant la schistosité sont fructueuses. Elle font apparaître
(TRICART 1980) la superposition de plusieurs phases de tectonique
synschisteuse.
- une première schistosité (S1), initialement pentée
vers l'intérieur et faisant un angle aigu avec les couches.
Elle est interprétée comme le résultat du
cisaillement induit au sein des nappes par leur déplacement.
En outre elle est plan-axiale vis-à-vis du grand synclinal
couché "de Maravoise", pli qui traverse, du nord
au sud, le massif de Peyre Haute et se perd vers le sud "en
l'air" dans les pentes septentrionales de la fenêtre
aval du Guil, aux Ourgières (son axe, ainsi que les linéations
S1/S0, décrivent, dans le massif de Peyre Haute, une virgation
concave vers l'est : leur direction passe en effet de NE-SW, au
nord, à NW-SE, au sud).
- une seconde schistosité (S2), qui se développe
de façon moins générale, apparaît liée
à des déformations chevauchantes secondaires. Elle
est aussi à vergence ouest. et serait liée à
une deuxième séquence d'imbrications entre les unités
briançonnaises.
- une troisième schistosité (S3), très généralisée,
est pentée vers l'ouest. Elle est plan-axiale par rapport
aux plis rétrodéversés.
e) En définitive il s'avère, sur la base de ces indices :
1- que, dans la phase des charriages proverses
et au sud du Guil, les nappes ont dû s'imbriquer par déplacement
vers le sud-ouest, sans doute selon une direction orientée
plus nord-sud que celle de l'orthogonale aux plis tardifs.
2- qu'un certain nombre d'unités ont une surface basale
qui a fonctionné en rétrodéversement (plis
rétroverses et biseautage de leur bord interne). Ceci concerne
surtout les unités situées au sud-ouest de l'anticlinal
de Marinet. Au contraire sur l'autre flanc de ce pli les surfaces
de chevauchement rétroverses ne semblent pas réutiliser
des surfaces de charriage antérieures, mais les sectionner,
comme on le voit le long de deux limites de la bande Ceillac-Chiapera.
Une telle disposition indique que ces unités ont dû
s'individualiser lors des déformations rétroverses,
par fragmentation des nappes originelles. Dans un tel contexte,
le sens des imbrications s'inversant par rapport à celui
lié aux charriages proverse, la situation originelle des
unités les plus hautes de l'édifice devait être
plus externe que celle des unités inférieures (ce
qui conduit à revoir plusieurs des premières reconstitutions
proposées).
2 - Reconstitution des relations entre les nappes avant leur charriage :
La reconstitution des rapports originels entre
les tranches de terrains charriées s'est, de prime abord,
basée sur l'analyse purement géométrique
de l'empilement en partant du principe que chaque nappe était
d'origine plus interne (c'est-à-dire plus nord-orientale)
que celle qu'elle recouvrait. Mais ceci s'est révélé
mal fondé lorsqu'il est apparu que cet empilement ne résultait
pas d'un charriage en une seule phase mais de plusieurs mouvements
de sens, voire même de direction, différents. Malheureusement,
si la réalité des "rétrocharriages"
est bien démontrée, il reste difficile d'apprécier
leur rôle dans le réaménagement de l'empilement
par rapport à sa disposition initiale lors des charriages
proverses.
On a également eu recours à des critères
stratigraphiques, classiquement utilisés pour définir
et reconnaître les nappes. Un tel essai de restitution paléogéographique
des rapports entre nappes, en se basant sur une logique d'enchaînements
horizontaux entre leurs successions pour mettre en évidence
des parentés et proximités originelles, se heurte
à plusieurs difficultés. Tout d'abord on sait maintenant
que les changements horizontaux de succession stratigraphique
peuvent être brutaux, sans transition, lorsqu'ils sont induits
par des failles synsédimentaires. D'autre part l'analyse
des données montre que la notion de "carte d'identité
stratigraphique" des nappes ne présente pas le caractère
de rigueur qui faciliterait son utilisation pour les reconstitutions
paléogéographiques en identifiant chacune à
un domaine précis. Cela se manifeste à deux égards
:
a) la position stratigraphique du niveau
où passe la surface de charriage ne peut sans doute
pas être retenue comme une caractéristique propre
à chaque unité.
À cet égard plusieurs cas se présentent :
La plupart des nappes briançonnaises ne comportent pas de terrains antérieurs au Trias moyen calcaréo-dolomitique et sont limitées par une surface de chevauchement (souvent injectée de cargneules) correspondant à la base de ces couches (surface de décollement à la limite du Trias moyen et du Trias inférieur). Certaines (comme la nappe de l'Agnelil, dans le massif de Peyre Haute) sont démunies de semelle triasique calcaréo-dolomitique dont elles ont été décollées au niveau de la base du Dogger, À l'opposé certaines nappes se distinguent par la présence d'une "semelle siliceuse" qui inclut du Permo-Trias et éventuellement du Houiller : ces terrains y sont coupés en biseau par la surface de charriage (nappes failles-inverses). Enfin il s'est avéré, à une date plus récente qu'il est des unités (comme celle de Peyre Haute) dont cette semelle est formée de Trias supérieur (avec une surface de charriage en général située au niveau des gypses carniens).
On avait ainsi cru pouvoir distinguer (M.GIDON,
1958) des "nappes de décollement" et des "nappes
- faille inverses". De nos jours il apparaît vraisemblable
que ces différences ne sont pas caractéristiques
d'un processus de charriage propre à chacune de ces nappes
: elles expriment probablement le fait que la surface de charriage
des nappes majeures devait présenter une géométrie
classique, avec alternances de paliers (décollement parallèle aux couches) et de rampes (failles inverses coupant en biais les formations) : les unités
élémentaires actuellement observables ne montrent sans doute
chacune qu'une portion de ce dispositif (leur individualisation résultant de la fragmentation
des nappes principales par une telle succession de paliers et de rampes).
Toutefois cette manière de voir n'est pas sans soulever
des difficultés lorsqu'on cherche à l'appliquer
aux exemples observés. Par exemple on ne connait aucune unité qui puisse représenter la portion la plus
interne de la nappe de Peyre Haute, où l'on devrait trouver du Trias supérieur reposant stratigraphiquement
sur du Trias moyen. L'on ne connait pas, non
plus, d'unité d'où le
Norien de Peyre Haute aurait pu se décoller en laissant un Trias moyen dépourvu de tous terrains plus récents : toutes
celles qui sembleraient pouvoir correspondre à ce cas montrent, en définitive, ici ou là, de témoins d'une couverture jurassique
ou crétacée reposant sur leur Trias moyen.
b) la constitution de la série stratigraphique
post-triasique, dont on a toujours fait le trait majeur de
la "carte d'identité" des unités distinguées,
s'avère elle-même peu fiable, d'abord parce qu'elle
se révèle souvent être variable au sein
d'une même nappe (et ce, parfois, de façon rapide
et capricieuse) ensuite parce qu'elle peut parfaitement être
identique dans deux nappes qui sont bien distinctes par
ailleurs.
Quelques exemples l'illustrent bien :
1- Les nappes de Peyre Haute et du Châtelet
avaient été considérées comme deux
imbrications au sein d'une même grande nappe. En effet,
au sud d'une même ligne est-ouest, passant à peu
près par Vars, on trouve, dans les deux, une même
variation de la séquence jurassique, avec un Dogger assez
puissant qui s'intercale entre Malm et Trias (ce qui faisait penser
à la présence selon cette ligne à un passage
transitionnel de l'une à l'autre avant imbrication).
Pourtant la mise en évidence de la différence d'âge
de leur Trias carbonaté (Norien pour la première
et Aniso-Ladinien pour la seconde) a obligé à y
voir deux unités originellement indépendantes.
2- La nappe de Peyre Haute et l'Unité
de la Clapière de Ceillac semblent apparentées
par le fait que ce sont les deux seules unités à
semelle de Norien : ceci suggère que la seconde soit la
partie interne de la première.
Mais cette conclusion n'est pas étayée : en premier
lieu il n'existe aucune connexion entre elles. D'autre part l'Unité
de la Clapière ne semble pas avoir pu s'étendre
assez loin vers l'ouest car, dans cette direction, son Norien
est vite coupé en biseau par sa surface de chevauchement.
Cette disposition correspond sans doute bien à une rampe
frontale car le Jurassique et le Crétacé sont à
cette occasion déformés en un anticlinal couché,
à vergence ouest (ce pli de la Crête des Croséras
est enroulé par le rétrodéversement et sa
schistosité de plan axial est rattachée à
la phase 1).
3- Pour la nappe de la Font-Sancte et celle
du Châtelet, les rapports de proximité originelle
envisagés initialement entre elles (GIDON, 1958) se basaient
sur leur quasi juxtaposition actuelle et sur les frappantes analogies
de leurs séquences jurassiques.
Mais l'hypothèse d'une connection originelle entre les
deux unités est contredite par le fait que le bord septentrional
de la nappe du Châtelet voit sa succession jurassique se
réduire très fortement et venir en discordance sur
des termes peu élevés du Trias moyen, dans la direction
même où elle était supposée se connecter
à la nappe de la Font-Sancte (alors que celle-ci ne manifeste
aucune disposition correspondante). Ceci suggère plutôt
une transition vers le NE entre la nappe du Châtelet et
celle des Aiguilles de Chambeyron (où la nappe de Sautron
pourrait aisément faire figure d'élément
intermédiaire).
D'autre part, dans la nappe du Châtelet, la succession se
modifie, au nord de Vars, dans un sens tel qu'elle finit par ne
plus guère différer de celle de l'unité inférieure
du Guil, et ce dans le secteur même où elle disparaît
de l'empilement, entre cette dernière et la nappe de Peyre
Haute.
En fait ces données stratigraphiques s'additionnent aux
indices structuraux pour porter à penser que l'imbrication
des unités du flanc occidental de l'anticlinal de Marinet
résulte avant tout d'un mouvement rétroverse. Ceci
porte a attribuer à la nappe du Châtelet (proprement
dite) une origine relativement externe par rapport à l'unité
inférieure du Guil (et donc beaucoup plus externe que celle
de la Font-Sancte).
c) La réévaluation, à la hausse, du rôle des rétrocharriages remet enfin en cause les rapports entre diverses unités. Deux cas au moins sont à signaler : 1- La nappe des Aiguilles de Chambeyron était considérée comme provenant d'un domaine
plus interne que l'unité de Marinet. Mais c'est essentiellement
par rétrocharriage qu'elle semble avoir chevauché
cette dernière : elle serait donc, originellement plus
externe. 2- La nappe du Châtelet et celle
de Sautron étaient considérées comme
ayant une origine très différente (la première
étant beaucoup plus interne). Mais les relations géométriques
entre ces deux unités, dans le secteur des confins entre
le bassin-versant de l'Ubaye et celui de l'Ubayette (Rochers
de Saint-Ours, Meyna, Tête de Sautron), où elles
coexistent, sont ambigües. |
En définitive l'enchaînement originel des unités, tel qu'il découle des diverses considérations ci-dessus, serait donc, pour les transversales de l'Ubaye et celles plus sud-orientales, le suivant :
Toutefois il faut bien dire le regroupement des unités en nappes majeures et la reconstitution de la disposition originelle des domaines qu'elles occupaient reste encore très conjecturale et même aléatoire (en dépit de la tentative de synthèse récemment proposée par M.-E. CLAUDEL**). Les schémas rétrotectoniques proposés ici n'ont donc qu'un caractère très hypothétique.
quelques
indications sur les zones briançonnaise et subbriançonnaise
en Val Stura (Italie,
province de Cuneo : secteur immédiatement plus méridional).
aperçu général
sur la tectonique de la région
de Briançon (secteur plus septentrional).
** M.-E. CLAUDEL (1999), "Reconstitution paléogéographique du domaine briançonnais au Mésozoïque - Ouvertures océaniques et raccourcissements croisés. Thèse polycopiée, Univ. J.FOURIER, GRENOBLE 1.