La dépression de Turriers |
Turriers, Gigors, Bréziers, La Plane, Astoin. |
La localité de Turriers est l'agglomération principale d'une dépression fermée qui s'épanouit peu au sud de la vallée de la Durance, à la même longitude que Remollon. Elle en est séparée par un alignement de fortes buttes, tranchées par deux gorges parallèles qu'ont creusé les torrents de Clapouse et de Bréziers, qui drainent cette dépression.
La dépression de Turriers se distingue très nettement de ses alentours par son relief globalement très mou, qui découle de ce qu'il n'y n'affleure pratiquement que des Terres
Noires. Les montagnes qui la cernent ont un relief beaucoup plus
vigoureux, mais sont de nature différente selon le côté considéré :
- au nord, comme à l'est et au sud, ils sont formés par l'épaisse succession des couches du Lias et du Jurassique
moyen qui appartiennent à la nappe de Digne ; leur pentes sont plus ou moins rudes mais de comportent pas de vraies falaises.
- du côté ouest les reliefs qui ferment la dépression appartiennent à la partie supérieure de la succession autochtone qui se développe sans discontinuité vers le SW en direction de Laragne : ils comportent de vraies falaises, formées par le Tithonique et le Nummulitique.
image sensible au survol et au clic
La dépression de Turriers : vue d'ensemble depuis le S-SW (de l'aplomb de Bayons). (d'après une image extraite de "google-earth")
Les contours de teinte rose correspondent aux limites entre nappe (succession jurassique épaisse) et autochtone (succession réduite). La teinte bleu pâle couvre tous les affleurements de Terres Noires de la dépression de Turriers.
a.E = anticlinal d'Espinasses ; f.gV = faille du Grand Vallon ; f.B = faille de Bréziers ; f.T = faille de Turriers ; f.S = faille des Sagnes ; f.F = faille de La Frayssinie.
ØD = chevauchement de la nappe de Digne ; ØC = chevauchement du Cerveau.
a.E = anticlinal d'Espinasses ; s.Bn = synclinal du Bois Noir ; k.A = klippe de l'Aubrespin (Crétacé moyen).
La mention "Autochtone" a un sens relatif par rapport à la nappe de Digne et correspond en fait aux écailles de Faucon (en haut à gauche) et à l'écaille de Valavoire (en bas à gauche)
figure agrandissable Schéma cartographique interprétatif de la
dépression de Turriers 1. Trias gypsifère; 2. série Trias-Dogger très réduites de la dépression occidentale de Turriers; 3. séries Trias-Dogger réduites de l'Écaille de Valavoire; 4. Terres noires basales, inférieures et moyennes (Bajocien supérieur à Callovien), 5. Terres noires supérieures et terminales (Oxfordien); 6. Tithonique, 7. Tertiaire; 8. Trias, Lias et Dogger des séries épaisses: a = limite Lias calcaire/Domérien, b = base du Toarcien inférieur, c = base du Toarcien supérieur, d = base de l'Aalénien inférieur, e = base de l'Aalénien supérieur, f = base du Bajocien g = base des Terres noires; 9. Barrémo-Aptien (klippe de l'Aubrespin) ,10. axe du synclinal des Martins; 11. antiforme de Bellafaire, 12. failles; 13. chevauchements majeurs, 14. chevauchements majeurs. |
A/ Malgré son homogénéité d'aspect morphologique et de constitution lithologique (prédominance des affleurements de Terres Noires) la dépression de Turriers s'avère structuralement composite. En effet on doit y distinguer deux parties, occidentale et orientale :
Les Terres Noires de la "dépression occidentale", qui supportent en succession stratigraphique normale le Tithonique et le Nummulitique des Plauts, appartiennent à l'autochtone par continuité de leurs affleurements, vers le SW avec ceux de la bordure de la dépression de Laragne (voir la page "Motte du Caire"). Elles y reposent sur les affleurements de Dogger et de Lias de Turriers qui sont caractérisés par leur très nette réduction stratigraphique.
Les Terres Noires de la "dépression orientale" sont dépourvues de cette partie haute de la succession et s'avèrent d'autre part représenter la simple couverture stratigraphique du Jurassique moyen des reliefs situés au nord-est de Bréziers (Montagne de la Scie). Elles semblent donc se rattacher à la nappe de Digne puisque c'est le matériel à Lias épais de cette nappe qui constitue ces reliefs. Néanmoins ces couches du substratum stratigraphique oriental des Terres Noires n'appartiennent sans doute pas, sous l'angle tectonique, à la nappe elle-même. En effet elles en sont séparées par deux failles sub-verticales, la faille de Bréziers à l'ouest et la faille de la Freyssinie à l'est, lesquelles convergent vers le nord-est à angle aigu en délimitant un rentrant, le "poinçon de Bréziers", qui s'encastre en contrebas des couches de la nappe. On peut penser que ce rentrant est resté relativement, autochtone à la faveur d'un jeu en déchirure des failles qui le délimitent : cela a permis à ses couches de n'être pas (ou moins ...) entraînées vers le SW lors de l'avancée de la nappe.
Quoi qu'il en soit il apparait que, sur cette transversale, le front d'érosion de la nappe ne se confond pas avec la limite entre Lias épais et Lias réduit : le passage de l'un à l'autre doit se produire de façon transitionnelle, entre Bréziers et Turriers, sous la couverture des Terres Noires.
B/ La limite entre ces deux parties de la dépression est jalonné par un chapelet d'affleurements de Lias mince et lacuneux ("Lias réduit"). Elle semble correspondre à un accident presque N-S que l'on peut appeler la "faille de Turriers", mais ce dernier n'est guère visible dans le paysage et s'avère même difficile à définir et à suivre sur le terrain.
Au nord de Turriers cette cassure est grossièrement suivie par le ravin de Malecombe, mais s'avère formée de tronçons décalés successivement par des accidents transverses (décrochement de la Garenne, chevauchement de la Plane).
Tout-à-fait au nord, aux abords de Bellafaire, la faille de Turriers
est injectée de gypses triasiques qui semblent se poursuivre par ceux qui affleurent
dans la partie basse du ravin de Clapouse, sous le Lias de la nappe de Digne.
Toutefois dans ce secteur les conditions d'affleurement et l'importance des glissements de terrain, qui ont assez fortement déplacé certains affleurements ne permettent cependant pas d'être certain que ces affleurements jalonnent bien la faille de Turriers.
D'autre part on pourrait envisager que la faille de Turriers se poursuive au NE du ravin de Clapouse par la faille de La Gineste car elle est le siège d'une montée diapirique de gypses qui semblent prolonger ceux de Bellafaire. Mais l'orientation de cette cassure est trop différente (N70 au lieu de N30). En fait il est plus probable que la faille de Turriers n'affecte pas le matériel liasique de la nappe et disparaisse là en s'engageant sous lui.
Au sud de Turriers elle rejoint très vraisemblablement la faille de la crête de Picouse car cette dernière se place bien dans son prolongement. Toutefois son tracé n'est guère observable car il s'inscrit au sein des Terres Noires, sans doute au revers est de l'échine de Piaure.
C/ La limite orientale de la dépression de Turriers correspond au tracé de la faille de La Frayssinie : elle a un rejet dextre et juxtapose les Terres Noires de la dépression orientale au Jurassique moyen de ses reliefs bordiers, depuis les pentes orientales de Bréziers jusqu'aux abords d'Astoin (Serre Blanc). Vers le nord, au delà de la vallée de la Durance elle semble se poursuivre dans le Dôme de Remollon par la faille de la Viste, que l'on suit jusqu'au sillon de Gap (elle l'atteint à l'ouest de Chorges, près de Montgardin).
Cette faille semble être une déchirure qui a fonctionné pendant le charriage de la nappe de Digne en permettant à son front de se partager en deux, de part et d'autre du coin autochtone de l'actuelle dépression de Turriers. Mais il faut sans doute envisager que la partie orientale de ce dernier ait subi néanmoins un déplacement vers le SW à cette occasion : la différence serait que à l'est de la faille le "lobe SE" (ou "corps principal de la nappe") est monté franchement en chevauchement sur l'autochtone du secteur de Bayons, tandis que du côté ouest la dalle rocheuse du soubassement des Terres Noires de la dépression orientale est restée en retrait et s'est au contraire plutôt affaissée. La cause en est sans doute qu'elle a buté contre les reliefs diapirs de cet autochtone et les a bousculé devant elle sans les chevaucher ; en effet la limite méridionale des Terres Noires de la dépression de Turriers y correspond à la faille des Sagnes qui est subverticale (voire renversée vers le NE) et qui se raccorde latéralement vers l'est avec celle de la Frayssinie et vers l'ouest avec celle de Turriers (comme l'arrière d'un tiroir se raccorde avec ses deux flancs).
Une particularité supplémentaire de la dépression orientale de Turriers est la présence de la klippe* de l'Aubrespin. Il s'agit d'un paquet de marnes du Crétacé moyen, qui est posé, en série renversée, sur les Terres Noires. Il faut reconnaître que l'origine de cette structure est assez énigmatique (pour plus de commentaires à son sujet se reporter à la publication n°123). L'interprétation suivant laquelle la dépressio de Turriers n'a pas été recouverte par la nappe permet d'envisager que ce lambeau allochtone soit provenu (à une étape tardive d'érosion) du dos de la nappe par collapse (voir à la page "Thoard").
D/ À l'extrémité septentrionale de la dépression de Turriers la coupe de rive droite du torrent de Clapouse montre sans ambiguïté que, à l'ouest de Bréziers, les Terres Noires des deux parties (est et ouest) de la dépression s'enfoncent vers le nord par chevauchement sous le Lias du cœur du Dôme de Remollon (qui forme notamment la montagne de Mouisset). La série liasique réduite "autochtone" de la dépression occidentale y est complètement renversée sous les terrains de la nappe qui se poursuivent en rive gauche du ravin dans les pentes de Ratier de la Cita et des crêtes de Maladrech. On se trouve alors là dans le "lobe NW" de la nappe de Digne, lequel s'est avancé vers le sud-ouest par coulissement latéral sénestre vis-à-vis de l'autochtone à la faveur d'une grande déchirure synchrone du charriage, la faille du Grand Vallon.
En définitive la dépression de Turriers s'avère résulter du partage de la nappe de Digne en deux lobes divergents. Il semble que ce partage résulte de ce que le front de la nappe s'est heurté, dans son avancée vers le sud-ouest, à un promontoire, saillant vers le nord-est, que constituait l'autochtone entre Faucon et Astoin (et dont l'extrême pointe septentrionale est constituée par le "poinçon de Bréziers"). La nappe n'a pas pu le chevaucher et il a joué vis-à-vis du front de charriage comme un môle résistant qu'elle a dû contourner en coulissant du côté NW le long de la faille du Grand Vallon et du côté est le long de la faille de la Frayssinie.
Le bord sud de la partie sud-orientale de la dépression de Turriers correspond à la limite septentrionale des affleurements gypseux de la montagne de Gautière qui correspondent sans doute à un appareil de montée diapirique oligocène. Au sud d'Astoin, aux environs de Bayons, ses reliefs gypso-cargneuliques ont été bousculés et déplacés vers le sud par l'avancée du front de la nappe jusqu'à former la "klippe du Cerveau". Mais ici, plus à l'ouest, ce matériel triasique étend ses affleurements bien plus au nord et c'est par une faille E-W sub-verticale qu'ils s'affrontent, à la latitude du col des Sagnes, avec les Terres Noires de la dépression orientale : cette faille des Sagnes représente peut-être la marge origine du dispositif diapirique, peu déformée lors du charriage de la nappe de Digne car située dans le domaine resté autochtone, plus à l'ouest que la faillle de la Frayssinie qui le limite du lobe sud-oriental de cette nappe.
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Grande Gautière |
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