Becs de la Grande Roche, Lacs et Col des Houerts |
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En amont du verrou du Châtelet, jusqu'au delà du hameau de Saint-Antoine, le cours de l'Ubaye tranche une épaisse et monotone succession de calcschistes, appartenant tous à la formation des "marbres en plaquettes" du crétacé supérieur - paléocène. Ils affleurent en continu dans les pentes escarpées dominant l'Ubaye, tant en rive droite où ils culminent avec la crête rocheuse des Becs de la Grand Roche, qu'en rive gauche, où ils forment, en rive droite du Vallon d'Aval, la crête de la Pointe Georges Debray.
image sensible au survol et au clic |
La partie aval de la rive droite des gorges de la Haute Ubaye,
vue du sud-est, depuis le Pas de la Souvagea. Le fond de la vallée de l'Ubaye n'est pas visible, masqué par le replat boisé coté 2199 du bas vallon d'Aval (pour plus de clarté la partie du paysage située en rive gauche de l'Ubaye a été couverte d'un voile grisé). n.Ch = nappe du Châtelet ; n.S = nappe de Sautron (l'attribution de la masse des marbres en plaquettes de la Grand Roche à cette nappe reste une interprétation hypothétique) ; ac.i? = accident de l'Infernetto ? ; n.aC = nappe de l'Aiguille de Chambeyron, digitation de Chauvet (corps principal de la nappe : ØaC = sa surface de chevauchement) ; u.sR = digitation du Sommet Rouge) ; n.FS = nappe de la Font-Sancte ; a.M = anticlinal de Marinet (affectant ici l'unité inférieure de Marinet). f.H = faille des Houerts : noter les rebroussements affectant les couches de ses deux lèvres, qui témoignent du sens de mouvement. Crétacé supérieur - Éocène : csn = calcschistes supérieurs argileux noirs ; cs = calcschistes très calcaires (faciès "marbres en plaquettes") ; csi = calcschistes inférieurs à rubanements plus colorés. |
Ces couches sont très déformées par de multiples microplis de taille décimétrique à centimétrique et surtout feuilletées par un clivage schisteux uniformément incliné vers le sud-ouest.
1/ La crête et les abrupts de la Grand Roche, jusqu'au niveau de l'Ubaye ne sont pratiquement constitués que par cet ensemble de couches. Mais son apparente homogénéité est certainement très illusoire car on y observe des intercalations étrangères qui ne peuvent guère s'expliquer que par la présence de contacts tectoniques internes. Il s'agit de passées de schistes noirs s'apparentant au "flysch noir", comme celle de la rive gauche du ravin du Grand Caire ainsi que de panneaux hectométriques de calcaires triasiques et de Jurassique supérieur, dans les pentes orientales du col du Grand Caire, au sud-ouest du Lac bleu des Houerts.
D'autre part on observe en rive gauche une amande, longue de quelques centaines de mètres, de calcaires du Malm et du Dogger (elle forme le piton coté 2501 sur l'arête ouest de La Souvagea). bien qu'elle paraissent comme interstratifiée elle est en fait ployée en une antiforme déversée vers l'est |
Coupe de la rive droite des gorges de l'Ubaye, entre Grande Serenne et La Barge. La légende stratigraphique est celle de la carte géologique Aiguille-de-Chambeyron au 1/50.000°. Les couleurs, qui permettent de distinguer les unités tectoniques, sont celles du schéma d'interprétation rétro-tectonique. |
En fond de vallée les affleurements de marbres en plaquettes du soubassement des Becs de la Grand Roche se poursuivent sur plus de 1 km, jusqu'au Pont-Voûté. Là on les voit reposer, en contact stratigraphique, sur les marbres du Malm qui garnissent le versant ouest de l'échine rocheuse de la Tête du Pont. Cette dernière est constituée par les termes calcaires inférieurs jurassiques et triasiques de la nappe des Aiguilles de Chambeyron, laquelle y est d'ailleurs bien reconnaissable par sa succession stratigraphique (Malm discordant sur le Trias moyen).
Mais ces couches ne se poursuivent pas plus haut que le sommet (2200 m) de la Tête du Pont : elles disparaissent au delà, sectionnées en biseau par une surface de chevauchement dont la trace s'élève en rive droite du ravin des Sainfoins.
Ce chevauchement des Sainfoins n'est qu'un accident mineur car il imbrique deux unités qui ne peuvent être considérées que comme deux "digitations" de la nappe de Chambeyron. En effet, conformément à la caractéristique majeure de cette nappe elles ont également d'épais calcschistes néo-crétacés qui reposent sur une série triasico-jurassique réduite. La supérieure, qui correspond au corps principal de la nappe, peut être nommée l'unité de Chauvet. L'unité du Sommet Rouge, inférieure se distingue d'elle par une succession encore plus lacuneuse, avec des calcschistes néo-crétacés qui reposent, seulement par l'intermédiaire d'un niveau de brèches, sur les calcaires anisiens. |
Passé le cône de déjections du torrent des Sainfoins on change brutalement de nature des roches au pont de la Blachière, où l'on rentre dans les affleurements du matériel permo-houiller de l'unité de Marinet (qui affleurent particulièrement le long du cours inférieur du torrent des Houerts). On est tenté de croire, comme cela avait d'abord été admis (M. Gidon 1962), que les calcaires triasiques de l'unité du Sommet Rouge sont simplement la couverture stratigraphique de cette succession siliceuse de Marinet. Mais en fait le contact entre les deux est affecté par une cassure presque verticale qui a été dénommé faille des Houerts car elle suit la rive droite du vallon de ce nom.
En effet, en rive droite du torrent, ces couches siliceuses sont rebroussées vers l'est, de sorte que les calcaires anisiens du Sommet Rouge sont en contact tectonique avec des grès permo-houillers disposés à l'envers. D'autre part les calcaires triasiques du Sommet Rouge sont eux-mêmes affectés par une charnière anticlinale très fermée, également déversée vers le NE : ces deux faits indiquent assez nettement de la faille des Houerts a dû fonctionner dans le sens d'un soulèvement de sa lèvre sud-occidentale, c'est-à-dire plutôt avec une vergence de rétro-déversement (voir la coupe en fin de page). |
2/ La partie haute du versant, au nord des Becs de La Grand Roche et du col du Pont, est creusée par une dépression NW-SE ouverte dans les calcschistes de la nappe des Aiguilles de Chambeyron. Elle héberge l'alignement des Lac Bleu et Lac Vert, qui sont isolés l'un de l'autre par un bourrelet pseudo-morainique du glacier rocheux qui colmate le plus creux du vallon.
Le fait structural important est que ces calcschistes affleurent jusqu'au pied de la crête du col des Houerts et disparaissent là parce qu'ils passent en tunnel sous les calcaires triasiques qui forment cette crête et se rattachent sans ambiguïté du côté ouest à la nappe du Châtelet (et y prennent, à La Mortice, un pendage vers l'ouest). Or ces calcaires se poursuivent vers l'est jusqu'à rejoindre les couches de même âge qui pendent vers l'est dans les crêtes du vallon de la Font-Sancte (voir les pages "Haut Rif Bel" et "Panestrel"). Cette disposition peut donc être interprétée comme la fermeture d'un anticlinal de nappes, plus précisément l'anticlinal aval du Guil. enroulant la nappe du Châtelet autour des calcschistes de celle de Chambeyron.
Symétriquement par rapport à la crête du col des Houerts, dans le vallon d'Escreins, on voit affleurer dans la même situation les calcschistes de l'unité inférieure du Guil, laquelle s'avère, de ce fait, constituer le prolongement septentrional probable de la nappe des Aiguilles de Chambeyron (voir la page "Haut Rif Bel"). |
Toutefois ce schéma, fondamentalement correct, n'est applicable qu'au prix de la reconnaissance d'un certain nombre de complications.
- La première est que ce n'est pas à la nappe du Châtelet qu'appartiennent les couches triasiques du flanc oriental de ce grand anticlinal, mais une nappe distincte, celle de la Font-Sancte qui, bien que d'origine plus interne, n'en constituait sans doute pas le prolongement oriental originel.
L'interprétation du rattachement de la nappe de la Font-Sancte à celle du Châtelet (M. Gidon 1962) se fondait surtout sur leurs analogies de constitution stratigraphique, qui sont assez grandes au niveau du Trias et du Jurassique (présence d'un Dogger souvent assez épais). L'une des raisons qui portent à son abandon est la différence de succession de leurs termes néo-crétacés et éocènes : les calcschistes du néo-crétacé (marbres en plaquettes) sont en effet très épais dans la nappe de la Font-Sancte, alors qu'ils sont minces, voire absents et remplacés par du flysch noir dans celle du Châtelet. |
- La seconde est que cet anticlinal est ici rompu par un faisceau de failles pentées vers le SW et à vergence générale vers le NE dont la principale est la faille des Houerts mais auquel appartiennent sans doute aussi les cassures qui affectent le matériel de la nappe de Chambeyron.
En effet, à l'ouest de la Pointe d'Escreins, sur la crête du col des Houerts, le matériel rapporté à la nappe du Châtelet se montre affecté par les écailles du col des Houerts : il s'agit d'un système tectonique où des cargneules et des calcaires triasiques appartenant à la base de la nappe du Châtelet s'intriquent avec des lames de marbres en plaquettes et de flysch noir par l'intermédiaire de cassures à pendage très redressé plutôt pentées vers l'ouest qui coupent la crête presque orthogonalement.
Géométriquement parlant, le matériel constitutif de ces écailles ne peut qu'appartenir à la nappe du Châtelet ; mais sa constitution rocheuse n'a a priori rien qui atteste particulièrement de cette appartenance. Entre autres "anomalies" stratigraphiques à cet égard on y observe, notamment au revers est du piton 2975, le contact stratigraphique direct des marbres en plaquettes (et même du flysch noir) sur les calcaires triasiques, sans la succession intercalaire du Trias supérieur - Dogger - Malm qui est habituelle dans cette nappe. |
Cette juxtaposition disparate de panneaux rocheux de nature variable concerne en fait une tranche rocheuse de la nappe du Châtelet qui chevauche vers l'est jusqu'à reposer sur un substratum appartenant à la nappe de la Font-Sancte. C'est ce que l'on le voit dans le versant NE de la Pointe d'Escreins où les dolomies triasiques qui forment ce sommet reposent sur les couches jurassiques et crétacées de cette nappe de la Font-Sancte, froissées en replis déversées vers l'est, qui forment le ressaut saillant de la Barre des Chèvres (voir la page "Panestrel").
On peut donc envisager que la fragmentation et les imbrications de ce panneau oriental de la nappe du Châtelet qui est conservé sur la crête du Col des Houerts s'explique par l'écrasement qu'il a pu subir à l'occasion de ce "rétro-charriage". Mais une autre interprétation également plausible est que les fractures qui imbriquent ces écailles sont les prolongements vers le haut de celles qui affectent le soubassement tectonique de ces écailles, c'est-à-dire la nappe de Chambeyron, à la latitude des lacs de Houerts. La jupe d'éboulis qui suit le pied méridional de la crête des Houerts et le glacier rocheux qui s'étale en contrebas rompent malheureusement la continuité verticale des affleurements ce qui empêche de savoir si cette connexion est réelle.
On pourrait ainsi envisager en particulier que l'un ou les deux chevauchements qui passent en contrebas ouest du sommet de la pointe d'Escreins puissent représenter le prolongement de la faille de Houerts (voir le cliché ci-après). Mais on ne peut exclure non plus, que la surface de cassure de cette dernière soit là assez inclinée pour que son tracé se prolonge au pied de la Pointe d'Escreins puis s'y connecter à angle aigu à la surface de base de la nappe du Châtelet, voire même la recouper au col 2979. |
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Ces écailles du col des Houerts constituent un dispositif qui se poursuit vers le nord dans la partie haute du vallon de la Selette, jusque vers l'altitude de 2500 où il disparaît, masqué par les éboulis, comme sur le versant sud. Tout indique qu'il doit également y être tranché plus bas, vers l'altitude de 2400, par la surface de chevauchement de la nappe du Châtelet (voir la page "Haut Rif Bel"). Sous elle affleurent dans le vallon de la Selette les calcschistes de l'unité inférieure du Guil, qui sont dans la même situation que ceux de la nappe de l'Aiguille de Chambeyron et en représentent donc le prolongement septentrional.
Si cette structure de la crête du Col des Houerts est d'une grande complexité de détail elle traduit, pour l'essentiel, le fait que le matériel de la nappe du Châtelet a été refoulé d'ouest en est (donc en "rétro-chevauchement"*) sur celui de la nappe de la Font-Sancte.
On peut hésiter à attribuer cette surface de chevauchement à un rejeu rétroverse de la seule nappe du Châtelet ou au jeu de la faille des Houerts, qui aurait éventuellement affecté cette nappe en même temps que son soubassement, ou aux deux combinés. Quoi qu'il en soit il est assez clair que c'est à un crochon* d'entraînement induit par ce mouvement à vergence NE qu'il faut attribuer le rebroussement du flanc ouest du synclinal des Aspaturas, qui affecte les seules couches du Jurassique et du Crétacé de la nappe de la Font-Sancte (et pas celles du Trias). |
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La Mortice |
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