Le texte qui suit était originellement une pré-version d'un article finalement paru dans le numéro de 2001 de la revue "Géologie Alpine". Par rapport au texte publié (voir la page http://www.geol-alp.com/z_publications/z01ga_charriage_mce.html), la version présentée ci-après a été adaptée à sa lecture via internet, complétée par des figures en couleurs, par des liens renvoyant à diverses autres pages du site geol-alp et par quelques remarques annexes occasionnelles (en rouge).
Je m'exprime dans cet article, au sujet d'une question qui m'échauffait (et m'échauffe encore) quelque peu l'esprit car j'y vois une des manifestations typiques d'une dérive actuelle des modes de travail scientifiques, dérive qui consiste à privilégier le schéma théorique par rapport à l'observation (le fait que les schémas interprétatifs soient désormais qualifiés de "modèles" semble d'ailleurs exprimer l'idée que la nature doit les suivre de gré ou de force !...).
J'ai voulu tenter de dire que le charriage des massifs cristallins externes et le jeu en inversion de leurs failles extensives jurassiques sont en fait de simples hypothèses, qui ont trop vite été adoptées, sans prendre en compte suffisamment la réalité du terrain. J'y rappelle que l'on dispose pourtant de nombreuses observations qui ont été accumulées et consignées par des générations de géologues. Pour n'être, en général, pas parues dans des revues internationales de haut rang, les publications de cette foule de chercheurs de terrain constituent un fond irremplaçable, qui ne devrait pas être rejeté d'un revers de main par les nouvelles générations de "géoscientistes". Cela implique un peu de recherche bibliographique , mais une bonne part de cette documentation est disponible par le simple biais de la lecture attentive des cartes géologiques et elle est répertoriée dans leurs notices.
Il m'était paru plus que probable que les remarques exprimées dans cette note n'auraient que peu d'écho : j'ai donc constaté sans surprise, que tel a bien été le cas, au moins jusqu'en 2007, date du présent commentaire . C'est sans importance pour mon égo (qui, à mon âge, en a vu d'autres). Malgré cela je me serais reproché de n'avoir pas fait mon travail de participant à la "communauté scientifique" en ne portant pas à l'attention de cette dernière les observations qui sont présentées dans cette note, afin qu'elles puissent faire l'objet de discussions. Que leur prise en compte ne semble guère être intervenue n'est donc plus mon problème, même si je déplore de voir souvent présenter, comme des données définitivement acquises, la présence de chevauchements de socle là où l'on n'en observe pas ...
Telle est la justification de ce papier, que j'ai longtemps hésité à rédiger. Qu'il soit paru dans le dernier numéro de la revue "Géologie Alpine" m'a paru revêtir, en outre, une certaine signification symbolique, car cette revue était une des rares acceptant encore des articles traitant d'observations à caractère local ...
Summary : |
Résumé :
L'hypothèse d'un charriage profond des massifs cristallins
externes est examinée sous ses divers aspects : historique,
indices directs d'un chevauchement des massifs cristallins externes,
indices indirects, tirés de la structure des chaînes
subalpines septentrionales et de la structure du socle cristallin
à son interface avec ses enveloppes sédimentaires.
La conclusion est que cette hypothèse n'est ni nécessaire
ni adaptée à l'explication des faits de terrain
tels qu'on les observe.
Un schéma de déformation alpine du socle cristallin
est proposé, sur la base de la comparaison des coupes naturelles
sur les différentes transversales. Il minimise le rôle
de l'inversion des anciennes failles extensives et donne le rôle
principal à l'association, d'une part, d'un écrasement
transversal des blocs de socle, allongés N-S, et des hémigrabens
qui les séparent, et, d'autre part, d'un cisaillement tangentiel
de la couverture vers l'extérieur de la chaîne, par
rapport au socle sous-jacent, non entraîné dans ce mouvement.
L'écrasement est antérieur au cisaillement mais
ce dernier peut s'inscrire dans un continuum de déformation
dû à une arrivée plus ou moins corrélative
de la compression dans le socle et de l'avancée, sur la
couverture, des nappe d'origine interne, responsables de l'entraînement
de cette couverture.
Un certain nombre d'implications de ce schéma sont enfin
examinées, notamment en ce qui concerne les rapports entre
la tectonique du socle et celle de sa couverture.
1. Introduction, historique
On ne peut plus lire une publication qui s'intéresse à la structure des zones externes de Alpes occidentales françaises sans y voir évoquer, comme une donnée de base reconnue et fondamentale, la notion d'un charriage du socle cristallin des massifs cristallins externes (et plus précisément des massifs de Belledonne et du Mont-Blanc) sur leur avant-pays subalpin. En effet, à force d'avoir été répétée, cette assertion semble avoir acquis le statut d'une certitude, au cours des années, dans l'esprit de la plupart des chercheurs, d'autant qu'il semble même qu'aucune voix ne se soit élevée pour rappeler que cette "vérité" n'est qu'une hypothèse. Le propos de cette note est précisément de le dire, et de montrer que si cette hypothèse présente a priori des aspects séduisants, elle soulève cependant, à l'examen, de très grandes difficultés.
L'hypothèse d'un charriage du socle cristallin du chaînon
de Belledonne a été formulée dans les années
80, au moment où se répandaient, en provenance du
nouveau monde, de nouveaux concepts - constituant dans l'ensemble
un apport très positif - relatifs aux charriages. Sous
cette influence s'est alors plus ou moins imposée, entre
autres, l'idée que toutes les déformations de la
couverture, plis et chevauchements, étaient l'écho
de charriages plus profonds et, en dernier ressort, du découpage
du socle par de grandes failles plates émergeant à
l'interface socle - couverture, à la faveur de rampes de
plus en plus externes.
Mais le point de départ même de l'hypothèse
du charriage en bloc du cristallin de Belledonne vers l'extérieur
de la chaîne alpine a été un essai d'interprétation
des données gravimétriques [Ménard, 1979].
Pour rendre compte du grand contraste entre l'altitude atteinte
par le socle dans ces massifs et la profondeur supposée
du socle à l'aplomb de Grenoble il faisait appel, sur cette
base, à la présence supposée, sous le bord
occidental de la chaîne, d'un coin de matériel sédimentaire
s'engageant vers l'est sous le socle. On peut d'ailleurs noter
que l'idée que les massifs cristallins externes s'étaient
soulevés par le jeu d'un système de lames chevauchantes
imbriquées était déjà implicitement
admise dans bien des schémas antérieurs. L'idée
était séduisante à divers égards et
notamment par le côté iconoclaste qu'il y avait a
envisager le charriage d'un ensemble si classiquement tenu pour
l'illustration même de l'autochtonie.
Les profils sismiques ECORS, réalisés peu après, n'ont pourtant révélé aucun indice d'une indentation de l'interface socle - couverture. Ils ont au contraire montré qu'à la latitude d'Albertville cette interface s'enfonçait vers l'ouest selon une courbe douce et très régulière.
Mais, comme la théorie était là et qu'elle
s'accordait avec les schémas devenus à la mode,
les interprétateurs de ces profils ont naturellement cherché,
dans le socle sismique, des indices de réflecteurs susceptibles
de représenter la surface de charriage de Belledonne, alors
qu'il y en avait bien peu. En fait l'interprétation du
réflecteur profond, dans lequel ils ont voulu voir un chevauchement
de Belledonne, est essentiellement destinée à répondre
à la "nécessité" théorique
de la présence d'un chevauchement profond.
Il est curieux que l'on ait alors négligé d'observer
que le dessin de l'interface socle - couverture ne portait pas
trace de la profonde indentation que prévoyait l'hypothèse
de départ et que celle-ci apparaissait donc gratuite dès
son premier essai de vérification. Malgré cela l'adoption
de cette hypothèse n'en a guère souffert, car elle
s'accordait trop bien avec les schémas devenus à
la mode. Cela s'est exprimé par la floraison des schémas
interprétant les plis et chevauchements des massifs subalpins
septentrionaux comme des conséquences d'un charriage profond
des massifs cristallins externes. On a même vu apparaître,
dans nombre de publications, d'articles de vulgarisation et de
manuels, outre la notion d'un prétendu charriage de Belledonne,
celle du chevauchement du massif du Mont-Blanc sur le "synclinal"
de Chamonix (ce qui consiste à ignorer délibérément
les faits de terrain qui s'opposent à cette conception).
(voir les pages Chamonix et Bionnassay)
Pourtant on avait alors déjà mis en évidence
ce trait majeur de la structure des massifs cristallins externes
qu'est leur découpage en blocs basculés datant
du Jurassique. Cela avait pour conséquence très
gênante que la plupart des fractures censées correspondre
à des chevauchements, à l'intérieur et entre
les massifs de socle, étaient fondamentalement d'anciennes
failles extensives.
Cette donnée, incontournable, a été intégrée
au schéma qui était en train de s'imposer en ayant
recours à la providentielle théorie de l"inversion".
Elle consiste à admettre que les failles extensives séparant
ces blocs ont rejoué en failles inverses, chacune
représentant l'une des branches émergentes du supposé
charriage profond de l'ensemble des massifs cristallins externes.
L'hypothèse d'une telle inversion est également
une réponse très séduisante au problème
de l'individualisation en nappes des différentes zones
paléogéographiques individualisées par l'extension
jurassique dans les domaines internes. Tout cela a conduit à
l'adopter sans plus d'examen et au mépris des contrôles
de terrain, comme on le verra plus loin,
à propos de la déformation alpine de ces massifs.
2. Discussion
La présentation qui précédé montre déjà que le charriage des massifs cristallins externes et le jeu en inversion de leurs failles extensives jurassiques sont considérées ici comme des hypothèses qui ont été trop vite adoptées, sans prise en compte suffisante de la réalité du terrain. On va voir que la géologie de surface ne confirme pas la pertinence de cette interprétation et porte à la rejeter. Cette récusation portera sur trois aspects, savoir : la réalité même des charriages de socle, la capacité qu'ils ont d'expliquer la tectonique de la couverture et enfin le rôle qu'ils semblent jouer vis-à-vis de la tectonique de l'interface socle - couverture.
2.1. Qu'est-ce qui étaye, au niveau du socle, l'idée d'un chevauchement de Belledonne ?
2.1.1. En voit-on des indices, à la limite entre les massifs cristallins et leur couverture ?
Il faut tout d'abord dire brièvement mais fortement
qu'il n'y a pas le moindre indice de surface qui porte à
supposer l'existence d'un grand chevauchement longeant la marge
ouest de l'alignement des massifs cristallins externes, quelle
que soit la profondeur d'observation permise par l'érosion
à l'interface socle - couverture, et quelle que soit la
latitude à laquelle on observe cette interface. Il s'agit
donc d'un accident totalement masqué en profondeur
(ce qui est évidemment d'une grande commodité pour
le jeu de l'imagination). On verra même, plus loin (§
2.2.1..2), qu'il est illusoire de croire (ce à quoi on
s'est beaucoup essayé) que l'un des accidents de la couverture
subalpine (ou jurassienne) puisse en représenter l'émergence
à la surface du sol.
En outre, le versant occidental du socle de la chaîne de
Belledonne au sens large (c'est-à-dire de Grenoble aux
massif des Aiguilles Rouges inclus) ne montre aucun indice d'accidents
qui puissent représenter des cassures satellites d'un tel
chevauchement. Le seul accident connu qui vienne perturber l'enfoncement
régulier de la surface du socle vers l'extérieur
de la chaîne est celui qui est à l'origine du pointement
de granite de La Motte, à l'ouest de Megève. L'interprétation
la plus plausible de cet affleurement, remonté par rapport
au sédimentaire qui affleure à son contrebas oriental,
est le jeu d'une faille extensive à compartiment oriental
abaissé, car l'alternative d'une écaille chevauchant
localement vers l'est (en rétrocharriage) est trop gratuite.
Ni l'une ni l'autre de ces interprétations ne s'inscrivent
en tous cas dans un cadre de chevauchements vers l'extérieur
de la chaîne.
D'autre part il faut renoncer à prétendre que le soulèvement actuel de la chaîne de Belledonne pourrait trahir la poursuite de la surrection de ce massif, si l'on admet que celle-ci ait résulté d'un chevauchement profond. En effet l'analyse de la séismicité des abords des massifs cristallins externes révèle un alignement de foyers, ce qui ne saurait correspondre à un plan incliné profond mais permet au contraire de définir un accident subvertical (la "faille de Belledonne" des sismologues). Par ailleurs les mécanismes aux foyers de ces séismes sont coulissants (et non compressifs). En fait la cassure actuellement sismique se rapproche beaucoup plus, par son orientation et son sens de rejet, des accidents coulissants, telle la "faille de Vizille", qui ont été mis en évidence par les études de terrain (Barféty et Gidon, 1997).
2.1.2. Les grandes failles du socle sont-elles ses chevauchements satellites ?
L'idée que les grands accidents longitudinaux, qui parcourent
du sud au nord l'intérieur des massifs cristallins externes,
aient fonctionné en chevauchements satellites, branchés
sur le chevauchement profond supposé ne repose sur aucun
fondement. D'abord ces cassures ont un pendage trop fort pour
des failles inverses. Ensuite toutes se sont avérées
être des accident extensifs jurassiques (sans doute plus
ou moins hérités de l'hercynien) dont le rejeu
ultérieur est conjectural et, au mieux, d'ampleur minime.
C'est notamment très clair pour l'accident qui limite le
socle cristallin de Belledonne du côté oriental (au
col d'Ornon), pour l'accident médian de Belledonne (à
La Mure) et pour l'accident médian des Grandes Rousses
(à la Croix de Cassini), tous points où leur cachetage
jurassique reste bien visible et ne semble guère avoir
été altéré par des déformations
plus récentes. Certes l'on observe, sur certaines
surfaces de ces cassures, des indices microtectoniques d'un mouvement
relatif, vers le haut, de la couverture qui s'appuie sur elles
(c'est notamment le cas au col d'Ornon). Cela prouve que ces surfaces
ont naturellement, du fait de la très forte discontinuité
lithologique qu'elles constituent, été le siège
de déplacement différentiels, lors des compressions
alpines. Cela ne traduit pas forcément un rejeu au niveau
plus profond des blocs cristallins et se place plus probablement
dans le cadre des déformations à la faveur desquelles
le contenu des hémigrabens a été plus ou
moins expulsé vers le haut (voir plus loin).
En ce qui concerne plus précisément le massif du
Mont-Blanc, il a été affirmé à plusieurs
reprises qu'il chevaucherait, à sa bordure ouest, le contenu
sédimentaire du "synclinal" de Chamonix (qui
a en réalité tous les caractères d'un hémigraben
jurassique). En fait les observations de terrain (travaux de J.L.
Epard et de J.C. Barféty) montrent sans ambiguïté
que le socle du Mont-Blanc ne s'avance pas sur sa bordure sédimentaire.
Les terrains du flanc oriental du synclinal de Chamonix y reposent
au contraire sur le cristallin, par un contact tout-à-fait
stratigraphique, même si ce contact est redressé
à la verticale. De plus, les plis secondaires qui affectent
ces terrains sédimentaires ont des plans axiaux subverticaux
et montrent même une tendance au déversement vers
l'est, ce qui est à l'opposé de la structuration
par entraînement qu'aurait dû créer un chevauchement.
Enfin le contenu sédimentaire du "synclinal"
de Chamonix, au sud comme au nord de cette localité, montre
un plissement serré à plans axiaux redressés.
Il ne présente d'accident cassant supprimant des termes
de sa succession que sur son bord occidental et il s'agit là,
selon toutes apparences, de la paléofaille extensive jurassique
qui limitait l'hémigraben.
À cette géométrie s'ajoute le fait que, à l'heure actuelle, le rejet final des cassures limitant les blocs de socle reste toujours très fortement extensif, ce qui porte à beaucoup minimiser leur rejeu supposé en faille inverse. Certes on ne peut totalement exclure qu'un tel rejeu soit intervenu, mais celui-ci ne saurait, en tout état de cause, avoir eu l'ampleur voulue pour expliquer le raccourcissement transversal et la surrection des massifs cristallins externes. Il est de fait, en particulier, que l'on observe, sur certaines surfaces de ces cassures, des indices microtectoniques d'un mouvement relatif vers le haut de la couverture qui s'appuie sur elles (c'est notamment le cas au col d'Ornon). Cela prouve seulement que ces surfaces de très forte discontinuité lithologique ont été ré-utilisées, lors des compressions alpines, dans le cadre des déformations à la faveur desquelles le contenu des hémigrabens a alors été en partie expulsé vers le haut (voir plus loin).
En bref l'inversion des paléofailles extensives est un processus théorique dont le terrain ne montre pas la pertinence. En réalité le rejeu alpin de ces grandes cassures semble avoir été beaucoup plus celui d'accidents coulissants. Ceci est notamment patent pour la faille de Vizille (Barféty et Gidon, 1997) et surtout pour l'accident de la limite orientale du rameau interne de Belledonne (prolongement septentrional de la faille jurassique du col d'Ornon). En effet cette dernière cassure est bordée de plis aplatis qui se redressent contre elle et s'y effilent en biseau, du sud vers le nord, ainsi que de lames de socle, qui s'en détachent et s'effilent au contraire dans la couverture du nord vers le sud. En outre elle est encore actuellement dotée d'une séismicité dextre.
2.2. La structure des chaînes subalpines septentrionales résulte-t-elle d'un chevauchement profond ?
De nombreuses données connues viennent en contradiction avec l'interprétation selon laquelle la déformation des massifs subalpins septentrionaux découlerait d'un chevauchement profond de Belledonne et en trahiraient l'existence. Les unes sont des faits concernant des structures locales, les autres ont trait à ce que la confrontation des données de terrain nous a appris sur la déformation tectonique d'ensemble dans ces chaînons.
2.2.1. Incompatibilités avec les données de terrain locales
J'énumère ci-après, parmi les assertions communément trouvées dans les publications qui admettent cette interprétation, et plus précisément dans la plus récente (Deville et Chauvière, 2000), celles dont le caractère inacceptable me paraît le plus flagrant :
2.2.1.1. Les plis jurassiens,
notamment les anticlinaux du Ratz et de l'Épine, sont supposés
correspondre (en particulier dans la note précitée)
à des chevauchements à flèche pluri-kilométrique
qui émergeraient au flanc ouest de ces plis. Or de tels
rejets sont hors de proportion avec le rejet, en réalité
mineur, des failles qui s'y observent. Mais surtout ces cassures
sont subverticales et dotées de crochons extensifs. De
plus, au moins dans un cas (celui de la faille de Montaud-La Buisse,
qui rompt le flanc ouest de l'anticlinal du Ratz), leur fonctionnement
(distensif) a été antérieur au Miocène
(éocène ou oligocène) car ce dernier y cachette
un graben rempli de Sénonien.
D'une façon plus générale il faut remarquer
que la voûte des anticlinaux jurassiens a déjà
été érodée, souvent profondément,
avant la transgression miocène (le Sénonien et l'oligocène
n'étant conservés qu'au plus creux des synclinaux).
Ceci veut dire que ces plis, dont beaucoup se prolongent dans
les chaînes subalpines, étaient fortement ébauchés
dès l'aube du Miocène. Ces plis n'ont donc pas
attendu la surrection (miocène) de Belledonne pour se former
; a fortiori on ne peut pas mettre leur formation sur le
compte de l'effet lointain d'un charriage de Belledonne, ni d'aucun
écaillage profond post-miocène.
2.2.1.2. L'importance de la flèche
de chevauchement attribuée au "chevauchement du front
subalpin" des Bauges, qui amènerait la molasse
du sillon d'Aix - Rumilly a s'enfoncer de 20 km vers l'est sous
les Bauges, est incompatible avec les faits visibles sur le terrain.
En effet ce chevauchement s'atténue vers le nord pour faire
place, au Semnoz, à un anticlinal modestement rompu. D'autre
part il existe des coupes naturelles qui permettent de mesurer
le rejet E-W de cet accident. C'est déjà le cas
en Bauges, dans la coupe
du Chéran où l'addition des rejets des deux
cassures qui le composent ne saurait excéder 4 km
et où la molasse ne s'engage en aucune manière,
vers l'est, sous l'une ni sous l'autre de ces deux cassures, contrairement
à ce qu'exige la fiction d'un chevauchement à longue
flèche.
Mais les choses sont encore plus indiscutables le long du chevauchement
de la Chartreuse orientale, qui prolonge celui du front des Bauges
vers le sud. En effet, dans les pentes qui tombent depuis le Grand
Som sur le Guiers Mort, on localise parfaitement, sur l'une et
l'autre des deux lèvres de ce chevauchement, les points
où il sectionne la base de l'Urgonien. On peut constater
que la distance qui sépare ces deux points, mesurée
transversalement au chevauchement (c'est-à-dire la flèche
de ce dernier), ne saurait dépasser 3 km (M.Gidon,
1988).
Il est donc exclu de faire "absorber" à cet accident,
certes majeur, le rejet, bien plus important, que l'on voudrait
attribuer au "charriage" de Belledonne.
2.2.2. Incompatibilités vis-à-vis des caractères d'ensemble de la tectonique des chaînes subalpines septentrionales :
Les quelques points évoqués ci-dessus ont généralement
été mieux pris en compte par les tenants de l'hypothèse
du chevauchement de Belledonne, de sorte que les essais cherchant
à retrouver la sortie du prétendu chevauchement
profond dans l'un ou l'autre des accidents de surface reconnus
se sont raréfiés.
En l'absence de toutes traces visibles d'un accident répondant
aux caractéristiques souhaitées, la plupart des
auteurs ont été contraints de le considérer
comme un "blind thrust", c'est-à-dire un accident
qui n'atteint pas la surface du sol (soit qu'il s'amortisse,
soit qu'il soit cacheté avant). La plupart des schémas
proposés sur cette base penchent désormais pour
un amortissement par diffusion du mouvement dans la couverture.
Ils répartissent donc, selon des taux variables au gré
de chaque auteur, la flèche du chevauchement entre plusieurs
chevauchements des chaînes subalpines septentrionales, voire
du Jura. En outre on envisage volontiers que ces chevauchements
sont eux-mêmes, éventuellement, amortis dans des
plis, censés être formés par la "progression"
de ces chevauchements.
Toutefois ces schémas appliquent en général
strictement une géométrie de chevauchements en paliers
et rampes. Ce faisant leurs auteurs ont été conduits
à négliger deux aspects difficilement contournables
de la déformation profonde des chaînes subalpines
septentrionales :
- Le premier est le rôle de découplement dysharmonique,
pourtant bien classique, qu'ont joué certains niveaux stratigraphiques,
tels les divers schistes du Jurassique, à l'encontre de
la transmission des déformations du bas en haut de la pile
des couches.
- Le second est le rôle capital joué par les plis
couchés étirés, dont l'existence est reconnue
de longue date, au nord des Bauges et plus spécialement
dans le Jurassique du Haut Giffre. Ceci démontre que ces
niveaux n'ont pas eu le comportement tectonique, en chevauchements
par paliers et rampes, dont les tenants du chevauchement généralisé
importent le schéma. À ce propos il faut ajouter
que les seuls accidents qui sembleraient, par leur dessin en escaliers,
répondre à ce schéma s'avèrent systématiquement
être d'anciennes failles extensives. Leur attitude actuelle
vient de ce qu'elles ont été déformées,
par un cisaillement tangentiel sub-parallèle aux couches,
dans les niveaux marneux (Pairis J.-L. et Pairis B., 1974 ; M.Gidon,
1997).
Mais surtout la chronologie des déformations ainsi que plusieurs traits importants de la géométrie structurale des chaînes subalpines septentrionales montrent, comme on va le voir, qu'une liaison causale entre les accidents subalpins et un mouvement cisaillant profond, induit par une avancée vers l'ouest du socle cristallin soulevé, plus à l'est, dans la chaîne de Belledonne ne peut être admise.
2.2.2.1 . La tectonique des chaînes subalpines septentrionales ne peut se résumer à une seule étape post-miocène
Sans rentrer dans les détails de la chronologie des déformations, il faut rappeler que celle-ci est complexe et, en tous cas, polyphasée (M.Gidon, 1981). Elle comporte en particulier la formation de structures compressives anté-oligocènes (bien étayées dans la bordure occidentale de la Chartreuse), qui sont donc nettement antérieures au soulèvement des massifs cristallins externes. Ce simple point ne s'accorde déjà pas avec l'hypothèse du chevauchement de socle, qui rapporterait tout à une seule phase tardive. (dont tous les auteurs ont implicitement admis l'âge post-Miocène).
D'autre part on observe (M.Gidon, 1997) :
- de nombreuses traces du reploiement de failles inverses (témoignant
donc d''une tectonique compressive très précoce),
par le système des plis majeurs des chaînes subalpines
septentrionales ;
- des indices de la reprise locale de ces plis majeurs par un
cisaillement rétroverse, lequel traduit plutôt un
mouvement de reflux de la couverture par dessus la voûte
de la chaîne de Belledonne ;
- une reprise de cette structuration par un plissement à
grand rayon de courbure, qui dessine essentiellement un grand
synclinal parallèle à la voûte de la chaîne
de Belledonne (mais oblique aux autres plis), le "synclinal
de Serraval" (fig. 2). Il s'agit là d'une déformation
peu pénétrative et limitée au dessin de voussures,
sans cisaillement ni déversement important vers l'extérieur
de la chaîne alpine.
Or c'est bien cette dernière étape de déformation
qui paraît raisonnablement attribuable à celle des
mouvements tectoniques qui ont occasionné la surrection
et la voussure de la chaîne de Belledonne, car elle en épouse
parfaitement la direction, le style et les effets sur les structures
antérieures.
À ce propos il est à noter que la localisation de très nombreux plis semble avoir été déterminée par la pré-existence de failles extensives qui ont fonctionné, selon les cas, depuis le Crétacé inférieur jusqu'au Nummulitique inférieur. Or ces failles semblent représenter des tassements au sein de la pile stratigraphique en cours de dépôt, bien plus vraisemblablement que l'effet d'une extension plus profonde de la croûte. On voit donc mal comment elles auraient pu, ultérieurement, guider vers la partie haute de la couverture la propagation d'accidents chevauchants issus de la profondeur.
2.2.2.2. La formation des plis majeurs des chaînes subalpines septentrionales ne peut pas s'expliquer par un froncement, qu'aurait occasionné l'avancée en chevauchement du bloc cristallin de Belledonne.
En effet ces plis, bien loin de s'engager sous la bordure des
affleurements du socle, ont des axes qui se relèvent au
flanc de de la chaîne de Belledonne, depuis son extrémité
sud jusqu'au massif des Aiguilles Rouges. Ils se prolongeaient
donc certainement par dessus, dans la couverture du cristallin
de cette chaîne, avant que l'érosion l'ait enlevée.
C'est d'ailleurs ce que l'on voit dans le secteur de Vizille,
où la voûte du socle s'enfonce vers le sud sous sa
couverture jurassique : ces plis se prolongent bien, par dessus
cette voûte, jusqu'au revers oriental du massif de Belledonne.
On note même, dans ce secteur, que certains de ces plis
sont rompus en chevauchements à vergence est (accidents
du Jurassique moyen de Romage, du Lias du Conest et du Sénépy,
du Jurassique supérieur de Gresse ; cf. fig. 5), ce qui
s'accompagne de la présence d'une schistosité tardive
à tendance rétroverse. Cette géométrie
ne s'accorde pas avec une remontée chevauchante du socle
en direction de l'ouest par rapport à sa couverture et
indique, bien plutôt, un mouvement d'enfoncement relatif
de ce socle, sous la couverture subalpine.
Enfin, toujours dans ce même secteur, il est évidemment
impossible d'expliquer les plis N-S de la Matheysine, du Beaumont
et du Dévoluy par un charriage du socle vers le nord-ouest,
car ils se placent tout à fait en arrière
du supposé front chevauchant et affectent une couverture
sous laquelle on voit partout le socle s'enfoncer par simple plongement,
sans aucune trace de contact tectonique par faille inverse.
D'autre part on sait que, dans la partie nord des Bornes et dans le Haut-Giffre, les axes des plis sont tordus par la virgation des Bornes, de telle sorte que leur direction devient E-NE - W-SW. Ils font alors, avec l'axe de la voûte des massifs cristallins externes, un angle aigu pointant vers le NE (à la différence de ce qui se passe au sud des Bornes, où ils font un angle aigu pointant vers le SE) : or, malgré tout, les axes de ces plis "grimpent" de la même façon sur le flanc du massif cristallin des Aiguilles Rouges. Il est donc indéniable que la virgation de ces plis ne saurait être liée à un mouvement de chevauchement du socle, ni a une torsion postérieure à son avancée chevauchante, puisque la surface de celui-ci montre une géométrie simple et régulière qui la fait s'enfoncer de la même manière sous les plis, quelle que soit leur direction.
Dans le même ordre d'idées, si l'on considère les variations du style tectonique dans les massifs subalpins septentrionaux, on devrait s'attendre, dans le cas d'une compression due à l'avancée d'un lame de socle chevauchante, à avoir un gradient de ductilité de la déformation et d'intensité du raccourcissement qui croisse orthogonalement aux limites du massif cristallin (du NW vers le SE), en se rapprochant de celui-ci. Or il n'en est rien, et ce gradient est fortement oblique à l'allongement du massif cristallin, puisque la pénétrativité de la déformation s'accroît du sud vers le nord, depuis le Vercors jusqu'au Haut-Giffre. Cette observation montre bien que la direction de l'axe de soulèvement des massifs cristallins externes est sans rapports avec l'orientation du système de contraintes qui a régi le plissement des chaînes subalpines septentrionales. En fait il traduit à la fois un héritage du Jurassique et l'effet d'une structuration indépendante (et, au moins en partie, tardive) par rapport à celle de leur couverture sédimentaire.
2.2.2.3. Les chevauchements subalpins ne peuvent pas se raccorder à un accident passant sous Belledonne.
Sous l'angle chronologique ce sont surtout les chevauchement les plus externes des domaines subalpin et jurassien, du moins dès lors qu'ils affectent indubitablement le Miocène, qui pourraient prétendre être l'hypothètique écho en surface d'un chevauchement profond lié à la surrection de Belledonne. Le plus susceptible de représenter un candidat valable à ce titre est sans doute le chevauchement de la Chartreuse occidentale, (ou faille de Voreppe), d'autant que son tracé est, de tous, celui dont l'azimut est le plus proche de celui de l'axe de la chaîne de Belledonne et que l'on ne voit pas (de ce fait) ce qu'il devient aux approches de cette chaîne. Par contre les chevauchements du massif des Bornes et de sa bordure externe (Mont Veyrier et fenêtre de la Fillière, sondages du sillon molassique) ne sauraient rentrer dans ce cadre car ils sont cachetés par le Néogène.
Quel que soit leur âge, les chevauchements plus orientaux, tels le chevauchement de la Chartreuse orientale (certainement post-Miocène) et, dans les Bauges, celui du Margériaz (peut-être anté-Miocène), on observe leur disparition vers le haut "dans le ciel", lorsque leur tracé débouche, à son extrémité sud, dans le sillon subalpin. En fait le second de ces accidents, qui y aboutit au sein des couches du Jurassique supérieur paraît bien se poursuivre plus bas dans la succession stratigraphique, sur l'autre rive. Il y correspond, dans les collines bordières de Belledonne (à l'est de Goncelin), à une zone de cisaillement presque parallèle aux couches, qui se localise au niveau de l'Aalénien. Cette disposition est très analogue à celle que montrent, plus au nord, les chevauchements du Dogger de la montagne de La Table. Dans les deux cas la zone de cisaillement est peu oblique aux couches, de sorte qu'elle ne s'engage pas vers le bas, vers l'intérieur du socle, mais vers le haut, tangentiellement à la surface supérieure de ce dernier.
Malheureusement, dans les cas précédents, l'érosion
a enlevé trop de couverture pour que l'on puisse suivre
avec une certitude absolue ce que deviennent les structures des
massifs subalpins septentrionaux au flanc de la voûte de
socle de la chaîne de Belledonne.
Dans les revers orientaux des massifs des Aravis (environs de
Megève, fig. 2) et de Sixt-Platé (fig. 3), par contre,
les rapports entre les chevauchements qui affectent la succession
mésozoïque subalpine et le socle de Belledonne sont bien
visibles, car il n'y a pas de hiatus d'érosion ni de masque
par le Quaternaire. Ces secteurs ont fait l'objet de nombreuses
études (notamment celles de B. Pairis,1974 ; B. Lejeune,1973
; B. Pijolat, 1978 ; S.Triboulet, 1980 ; C.Eltchaninoff, 1980
et J.L. Epard, 1986), études dont les conclusions ne divergent
que sur l'appréciation de certains détails.
De ces études il ressort que, au nord comme au sud de
la vallée de l'Arve, la couverture subalpine est affectée
de chevauchements. Mais d'une part ces chevauchements cohabitent,
dans partie inférieure (jurassique) de la série,
avec des plis de taille kilométrique, fortement déversés
vers le nord-ouest. D'autre part ces chevauchements s'avèrent
correspondre à d'anciennes failles extensives qui ont été
déformées et couchées vers l'ouest par le
cisaillement de la pile de couches (Pairis J.-L. et Pairis B.,
1974 ; M.Gidon, 1997). Quoi qu'il en soit, leur tracé suit,
dans les couches marneuses, de long paliers presque parallèles
au couches, qui se poursuivent ainsi, tangentiellement à
l'interface socle - couverture, jusque sur le flanc occidental
du massif des Aiguilles Rouges : ils n'y manifestent aucune tendance
à s'engager vers la profondeur, à l'ouest de la
voûte de ce massif. Quant aux flancs des plis, ils sont
affectés de replis mineurs. dont beaucoup se disposent
en trains successifs, avec une disposition de leurs plans axiaux
qui indique qu'il s'agit de froissements induits par un cisaillement
presque parallèle aux surfaces de couches.
Enfin la surface de charriage de la nappe de Morcles s'élève
sur le flanc ouest de ce massif, parallèlement à
l'interface socle - couverture. D'ailleurs on sait bien, car cela
se voit plus au nord, dans la vallée du Rhône, que
le pli complexe qui constitue cette nappe est couché sur
la voûte du massif des Aiguilles Rouges, et qu'il ne saurait
donc avoir été créé par un chevauchement
du socle de ce massif.
En définitive tout indique que la tectonique de la partie inférieure de la couverture des massifs subalpins septentrionaux est fondamentalement réglée par un déplacement vers l'ouest, selon des surfaces parallèles à l'interface avec le socle cristallin, qui restent au dessus de cette interface et qui plongent vers l'ouest. Cette tectonique ne montre aucun indice d'accidents qui s'engageraient en direction de l'est vers la profondeur, et qui pourraient ainsi se connecter à une cassure chevauchante du socle. Elle atteste au contraire de ce que ses structures fondamentales ont subi une déformation tardive par des ondulations de la surface du socle. Ceci porte à ne voir, dans la surrection de la chaîne de Belledonne, qu'un événement tardif et de faibles conséquences sur la tectonique de sa couverture.
3.3. Que révèle la structure des massifs cristallins
externes et de leurs enveloppes sédimentaires ?
2.3.1. Comment se manifeste la déformation à la surface du socle ?
L'étude des structures qui affectent le socle (plus exactement de l'interface socle - couverture) ne témoigne guère, non plus, d'un contexte de déformation en chevauchement par failles inverses tardives.
Certes l'on observe bien, de ci de là, des petits chevauchements
impliquant du socle. Tel est notamment le cas des "écailles
du Clos", qui débitent la crête du rameau
externe de Belledonne, en marge ouest de l'accident médian
(Barféty
et Gidon, 1996), au SE du col de Pré Long (environs
de Saint-Mury), celui du Houiller qui chevauche sur le Lias en
bordure orientale du graben des lacs de Saint-Sorlin, à
l'extrémité septentrionale des Grandes Rousses,
etc... Mais tous sont des accidents purement locaux, qui ne dénivellent
pas gravement la surface du socle et affectent la marge supérieure
des anciens hémigrabens, voire seulement la crête
des blocs de socle, sans s'engager en profondeur dans ce dernier.
Il faut sans doute ranger aussi dans ce cadre les accidents très
tangentiels qui redoublent le Lias calcaire et le Trias d'En-Paris
(fig.5), mais ne pénètrent
absolument pas dans le socle sous-jacent (qui n'y est affecté
que de failles verticales).
La plupart des nombreux autres accidents que l'on a voulu interpréter
en écaillages imbriqués ont des pendages très
redressés ; ce sont soit des micro-blocs de socle, écrasés,
soit des failles normales basculées, soit même un
simple renversement, sans faille, du cristallin du fond d'un hémigraben
sur sa couverture (le cas le plus spectaculaire est celui du "chevauchement"
du Sirac).
En fait il n'y a que très peu de chevauchements véritables, reconnaissables comme tels à ce qu'ils font un angle aigu avec l'interface socle - couverture, qui se poursuivent dans le socle et aient une ampleur notable. Tel est le cas tout particulièrement pour le chevauchement de la Meije et pour celui du Chaillol, qui affecte la partie sud du massif du Pelvoux. La plupart, et ces derniers notamment, ont un tracé plutôt E-W, donc transverse aux blocs découpés au Jurassique, et se révèlent, d'autre part avoir eu un fonctionnement anté-nummulitique. Tout ces traits excluent qu'ils puissent se connecter en profondeur à un chevauchement qui soit à vergence ouest et dont l'âge serait miocène.
Au vrai, ce qui caractérise la marge externe des blocs de socle est systématiquement un fort basculement vers l'ouest, lié à une courbure antiforme, de la surface du socle. Celle-ci plonge de plus en plus vers la profondeur, en décrivant une inflexion en large demi-voûte. Aux approches de la cassure qui limite l'hémigraben du côté externe, l'interface socle-couverture devient même sub-parallèle à cette cassure, au lieu d'y être tranchée en biseau par elle. On observe cette disposition partout, surtout si l'on dispose de coupes assez profondes, par exemple au col de la Muzelle, où l'interface est verticale et parallèle à la faille limite de l'hémigraben, ou au Sirac, où l'interface se renverse sur le contenu de l'hémigraben. Mais on l'observe aussi dans des cas comme celui des abords de Prapoutel, où l'on est pourtant proche de la voûte du bloc de socle : le Permien de la lèvre orientale, correspondant au rameau interne de Belledonne, y plonge en effet vers l'ouest jusqu'au delà de la verticale, tout le long de l'accident médian.
On peut trouver paradoxal que les chevauchements par failles
de socle soient pratiquement absents dans la tectonique post-nummulitique
des massifs cristallins externes, alors qu'ils ont été,
par contre, bien représentés, lors de la tectonique
anté-nummulitique, dans le massif du Pelvoux (Gidon
M., 1979). Ceci s'explique sans doute très simplement par
la différence de charge subie par le socle à l'occasion
de chacune de ces étapes :
- Avant la transgression par la mer nummulitique, la charge lithostatique
que supportait le massif du Pelvoux devait, en effet, être
particulièrement faible, favorisant ainsi un comportement
cassant (le socle de ce massif a d'ailleurs été
mis à nu, par l'érosion, avant le dépôt
du Nummulitique). Les chevauchements y montrent d'ailleurs des
vergences opposées, vers le NW au nord (chevauchement de
la Meije, etc...) et vers le S au sud (chevauchement du Chaillol),
et cette disposition aboutit à une sorte d'extrusion, en
"pop up" du socle dénudé avant le Nummulitique,
par rapport à ses bordures restées enfouies sous
du Mésozoïque.
- Par contre, après le Nummulitique, la charge lithostatique
s'est accrue, sur l'ensemble des massifs cristallins externes,
du poids des sédiments paléogènes et de la
surcharge des nappes d'origine interne. Cela a dû favoriser
un comportement plus ductile du socle, soumis dans le même
temps aux efforts tectoniques liés l'arrivée de
ces nappes.
2.3.2. Comment se manifeste la déformation dans les hémigrabens ?
Le trait le plus frappant de la tectonique de la couverture dans les hémigrabens est le fort redressement des structures, qui s'étirent verticalement en développant une schistosité subverticale. Cette géométrie avait déjà été finement analysée par J. Vernet, qui l'interprétait comme le résultat d'une succion vers le bas, s'opposant au bombement des blocs de socle voisins (Vernet J., 1965). Si l'on sait maintenant que l'origine première des pincées qui s'enfoncent profondément en contrebas du toit du socle est l'extension jurassique, il reste bien vrai que l'étirement vertical de la couverture sédimentaire est une règle qui se vérifie dans tous les secteurs où sont mises à nu les parties les plus profondes des anciens hémigrabens.
Fig. 4 : Coupe géologique synthétique du
"synclinal" de la Vaurze
Au nord du col, en Valjouffrey, la structure se simplifie beaucoup et se résume en un étirement subvertical d'une succession sédimentaire Trias-Aalénien, ce dernier terme s'appuyant contre le socle cristallin du Clotonnet et du Pic de Valsenestre (à la façon de ce que montre ici la partie haute de la coupe). f.DV = faille du Désert-en-Valjouffrey - Villar-Loubière
(ancienne faille limite externe de l'hémigraben). |
Un autre aspect, très significatif, du fond des anciens
hémigrabens est que l'on n'y voit jamais des plis de couverture
s'engager sous le socle du plancher interne de l'hémigraben,
comme cela devrait se produire s'il y avait eu "inversion"
du jeu de la faille qui limite l'hémigraben du côté
externe. Au contraire, lorsqu'on y observe encore des plis, ces
derniers au lieu se déverser vers l'extérieur de
la chaîne (ce qui devrait résulter d'une telle inversion)
y montrent des plans axiaux subverticaux et sont même,
souvent, plutôt déversés vers la partie plus
interne du bloc. Ce n'est que plus haut, au débouché
supérieur de l'ancien hémigraben, que l'on observe
le basculement des plans axiaux de ces plis vers l'extérieur
de la chaîne (et, éventuellement, des chevauchements,
accessoires et de faible extension).
Le passage des plis profonds légèrement déversés
vers l'est aux plis supérieurs déversés vers
l'ouest, n'est malheureusement visible, dans sa totalité,
que là où les coupes naturelles dont on dispose
à l'interface socle - couverture sont assez profondes.
C'est le cas, d'abord sur les marges du massif du Pelvoux, où
les exemples du "synclinal" de Bourg-d'Oisans (Barféty
et al., 1970 ; Gratier et al, 1973 ; Gratier & Vialon, 1980),
du "synclinal" de la Vaurze (fig. 4) et des environs
de Mizoen (fig. 5) sont particulièrement illustratifs.
Plus au nord c'est aussi le cas à l'extrémité
septentrionale des Grandes Rousses (col de la Croix de Fer) et
aux confins du Beaufortain et du massif du Mont-Blanc (en particulier
dans le secteur du col
du Joly). Mais partout ailleurs, bien que l'observation du
dispositif y soit plus partielle, les traits observables sont
conformes à ce schéma général.
3. Vues nouvelles
Les données discutées ci-dessus portent à jeter un autre regard sur les relations entre la déformation du socle cristallin et celle de sa couverture.
3.1 Présentation d'un nouveau schéma explicatif
On vient de voir que la tectonique de la surface du socle des massifs cristallins externes répond, sur toutes les transversales où on l'observe, à un dispositif général qui est le même, en coupe, pour chacun des anciens hémigrabens hérités du Jurassique. Cette géométrie porte à envisager une évolution structurale commune, dans lequel le phénomène de l'inversion n'a guère de place, contrairement à ce qui est admis communément. On peut la résumer en un schéma explicatif général, qui prend, bien sûr, pour base de départ le dispositif blocs - hémigrabens hérité du Jurassique (fig.6 croquis 1). Fondamentalement, ce schéma fait appel à l'addition des effets de deux processus de déformation tout-à-fait distincts :
- en premier lieu un écrasement E-W des blocs N-S
et des hémigrabens qui avaient été découpés
par l'extension jurassique (croquis 2).
Il s'exprime par une torsion, en voûte basculée vers
l'ouest, de l'interface socle - sédimentaire du flanc occidental
des blocs et par le basculement vers l'est, les redressant parfois
jusqu'à la verticale, des cassures extensives qui limitent
ces blocs du côté oriental. Un écrasement
corrélatif des hémigrabens qui séparaient
les blocs de socle a induit le plissement (avec des plans axiaux
subverticaux, voire déversés vers l'est) de leur
contenu.
- en second lieu un cisaillement vers l'ouest des parties hautes
de la couverture, dont toutes les structures (plis et chevauchements)
sont rabattues presque à l'horizontale (croquis 3).
Ce cisaillement ne s'exprime d'ailleurs, le plus souvent, que
par une déformation continue (sans surface de discontinuité).
Il déforme les parties hautes des cassures et des plis
qui avaient été formés par le pincement de
l'hémigraben, en les rabattant puis en les étirant
vers l'extérieur de la chaîne alpine. Il en résulte
une torsion des plans axiaux des plis, qui se voit particulièrement
bien dans le synclinal de la Vaurze
(fig. ci dessus), au flanc
ouest du plateau d'En-Paris, d'une façon générale
au nord de la Romanche (fig.), ou
(avec moins d'évidence) plus au nord, en Maurienne et en
Beaufortain (col
du Joly). Dans certains autres cas, le cisaillement se concentre
sur des surfaces le long desquelles s'injecte un coussinet de
Trias gypsifère. On voit dans plusieurs cas que ce dernier
correspond en fait au coeur d'anticlinaux préexistants,
dont la charnière a été rompue par le cisaillement
(extrémité méridionale du chevauchement de
l'unité ultradauphinoise des Aiguilles d'Arves, notamment)
C'est en outre ce cisaillement des superstructures qui a sans
doute produit un certain nombre de chevauchements mineurs et même
détaché quelques lames cristallines flottantes.
Tel pourrait être le cas de la klippe de Roselette,
à l'extrémité sud du massif du Mont-Blanc,
dont l'attitude sub-horizontale tranche franchement sur celle de
son substratum, où les blocs
de socle ("claveaux" de C.Bordet, 1957) sont limités
par des failles verticales. Cette klippe a sans doute été
arrachée à la crête d'un bloc particulièrement
saillant, par entraînement avec la couverture sédimentaire
transportée vers l'ouest par le cisaillement.
N.B. 2 : On remarquera surtout combien ce schéma est opposé à celui de l'inversion des failles extensives en failles inverses : les failles extensives ne sont pas ré-utilisées en cisaillement tangentiels mais redressées et soumises à la compression qui affecte aussi le contenu de leur hémigraben. |
3.2 Examen plus approfondi de ce schéma
Le schéma de tectogenèse proposé ci-dessus laisse en suspens certains problèmes et a des implications qui permettront, si on les examine de plus près sur le terrain, d'en mesurer la pertinence et la valeur explicative.
3.2.1 - Problèmes d'orientation et de chronologie
Ce schéma est d'abord délibérément muet sur deux points, savoir l'orientation de la coupe et l'âge des deux étapes de déformation invoquées.
L'orientation de la coupe a été omise,
car ce schéma s'applique, selon la latitude considérée,
à des hémigrabens dont l'orientation est différente
(l'hémigraben de la Vaurze s'allonge du nord-ouest vers
le sud-est). Ce fait est sans doute très significatif en
ce qui concerne l'arcuature des Alpes occidentales françaises,
mais son interprétation déborderait du cadre du
présent article.
Toujours à propos de l'orientation du dessin de ce schéma,
il faut souligner qu'il tombe dans le travers très commun,
qui est de ne considérer les déformations que dans
deux dimensions, seulement suivant un plan vertical orthogonal
aux plus grandes structures. C'est dire qu'il néglige a
priori tous les mouvements obliques à ce plan, plus ou
moins longitudinaux par rapport à ces grandes structures.
En particulier il ne prend pas en compte le rôle des coulissements
longitudinaux, plus ou moins discontinus dans la couverture
ou concentrés sur des failles du socle. Pourtant le jeu
de ces accidents est sans doute important comme le montrent de
nombreux indices.
Ceci étant dit, l'examen de la coupe naturelle exceptionnelle
qu'offre la vallée de la Romanche à la latitude
de Bourg-d'Oisans (fig. ci-après) illustre combien sa compréhension
s'éclaire dans le cadre de l'interprétation ici
proposée.
Concernant le déroulement des événements il faut remarquer que l'addition finale des effets des deux processus de déformation invoqués n'implique pas, a priori, qu'ils n'aient pu intervenir dans une même phase tectonique, de façon enchaînée voire même synchrone. On ne voit pas, cependant, que le cisaillement ait pu précéder ou induire le plissement, en raison de la torsion évidente des plans axiaux (fig.4 et 5). Par contre le développement d'une seconde schistosité, reprenant celle qui est plan-axiale des plis, est un fait qui a été signalé dans de nombreuses études sur les différentes transversales. Cette seconde schistosité, en général moins pénétrative, reprenant la première (attribuée au plissement) et affectant les deux flancs des plis déversés par le cisaillement, serait assez évidemment à coordonner avec l'étape de cisaillement.
Concernant l'âge de ces événements
on peut se demander s'il est le même dans chacun des hémigrabens
qui se succèdent, d'ouest en est et du nord au sud de la
chaîne. En effet l'on ne dispose d'aucune contrainte de
fourchette chronologique pour dater ces étapes de déformation.
De ce fait on peut même considérer comme plausible
que l'une et l'autre de ces étapes aient été
d'autant plus tardives que la position des blocs et hémigrabens
que l'on considère est plus externe.
Cette dernière hypothèse est d'ailleurs intéressante,
car elle est susceptible de porter un éclairage nouveau
sur les rapports chronologiques entre les déformations
du socle et les plissements de la couverture subalpine. En effet
il est vraisemblable que ce plissement principal des chaînes
subalpines ait été lié au déplacement,
par cisaillement, du contenu expulsé des hémigrabens
du domaine dauphinois interne. Il devient alors très logique
que la surrection de Belledonne soit plus tardive et n'ait déformé
ce système de plis que de façon minime (M.Gidon,
1981 et 1997), car il est normal que le socle de ce massif ait
été le plus tardivement atteint par la déformation
compressive, puisqu'il est le plus externe des Alpes..
3.2.2. Implications sur les rapports entre la tectonique de la couverture dauphinoise interne et celle de son socle :
Un point majeur de ce schéma explicatif est qu'il rend
compte de l'antagonisme choquant entre la tectonique "de
blocs" du socle, riche en cassures subverticales,
et celle, riche en chevauchements, des unités de matériel
sédimentaire dauphinoises et ultradauphinoises (fig. 7).
On remarquera d'abord, à ce propos, qu'il conduit à
considérer les relations socle - couverture d'une façon
qui paraîtra, de prime abord, un peu paradoxale. En effet
les surfaces de mouvement importantes (éventuellement matérialisées
par des discontinuités) y correspondent aux prolongement
vers le haut des limites "internes", orientales,
des blocs de socle (et non de leurs limites "externes",
occidentales, comme on avait traditionnellement tendance à
l'envisager). Cela amène à admettre que les unités
chevauchantes les plus importantes de ces domaines ne correspondent
pas à la couverture du bloc de socle auquel elles semblent
se connecter en profondeur (comme le voudrait le schéma
d'un anticlinal à coeur de socle étiré vers
le haut). Au contraire elles représentent le contenu de
l'hémigraben qui faisait suite à ce bloc du côté
interne. La couverture propre du bloc, adhérente au socle,
tient en effet peu de place, car elle est généralement
formée par une série réduite, et fait figure
d'écaille ou de repli secondaire, sous le premier chevauchement
important visible dans la couverture.
Dans ce contexte on est conduit à regarder avec un oeil
nouveau les raisons pour lesquelles, dans la partie de la couverture
soumise au cisaillement sub-horizontal, ce cisaillement s'exprime
de façon plus ou moins continue ou, au contraire, discontinue
(avec ou sans surface de charriage bien définie) selon
les unités considérées et suivant les points
de celles-ci. Notre schéma porte en effet à attribuer
cette variation à des différences locales, intervenues
lors de l'extension jurassique, dans les rapports sédimentaires
entre la couverture et le socle au niveau des hémigrabens.
En particulier les chevauchement qui possèdent une semelle
d'évaporites correspondent probablement à l'expulsion
de la partie basse du remplissage des seuls hémigrabens
où se sont alors déposées des évaporites
triasiques. Les chevauchements que ne soulignent pas une telle
semelle sont vraisemblablement "enracinés" dans
les nombreuses portions d'hémigrabens dont le remplissage
n'en a pas comporté.
Dès lors l'épaisseur de la semelle d'évaporites
ne peut plus être tenue pour significative de l'importance
du charriage mais apparaît seulement déterminée
par la position paléogéographique, par rapport aux
aires de sédimentation évaporitique, de la portion
d'hémigraben dont le matériel charrié est
originaire. Ce facteur ressort particulièrement de l'observation
des variations longitudinales du style tectonique au sein même
des grandes entités tectoniques issues du découpage
en blocs, car elles y apparaissent, de fait, fortement liées
à la présence ou à l'absence d'une importante
semelle d'évaporites. L'entité des unités
ultradauphinoises l'illustre assez bien par l'opposition flagrante
entre ses deux ensembles constitutifs : au nord, une importante
dalle charriée, dotée d'une puissante semelle gypseuse,
qui se développe en Maurienne, au nord des Aiguilles d'Arves,
de Saint-Sorlin au col de la Madeleine (les plis anté-nummulitiques
y sont simplement transportés) ; au sud, une multiplication
d'"écailles", en forme de plis couchés
plus ou moins rompus, qui règne sur le versant de la Romanche
dans le secteur de la Grave et du Lautaret (les plis anté-nummulitiques
y ont ont été fortement déformés par
le cisaillement interne de la série, du fait que cette
dernière n'y a pas été décollée
en bloc).
On notera que cette observation oblige à considérer
que le découpage en blocs de socle, d'orientation actuellement
sub-méridienne, n'est que l'un des aspect de la paléogéographie
du Trias et du Jurassique et qu'il se superposait à d'autres
canevas, à lignes isopiques plus ou moins transverses,
plus ou moins latitudinales donc, qui régissaient l'altitude
des voûtes de ces blocs et la profondeur des fonds d'hémigraben
pour déterminer la présence ou l'absence des évaporites.
Il n'est d'ailleurs pas invraisemblable que cette paléogéographie
à lignes isopiques E-W ait joué un rôle dans
la disposition des accidents tectoniques anté-nummulitiques,
dont l'orientation est analogue.
3.2.3. Implications sur les rapports entre la tectonique subalpine et celle de la zone dauphinoise interne :
La prise en compte du schéma explicatif proposé
ici a des conséquences en ce qui concerne la compréhension
des rapports entre les plis droits, que l'on voit pincés
dans les profondeurs des hémigrabens qui encadrent les
blocs de socle, et les plis couchés, qui sont présents,
par ailleurs, dans le soubassement des massifs subalpins septentrionaux
(nord des Aravis et du massif du Haut-Giffre).
En effet le schéma suggère fortement que ces plis,
malgré leur très grande différence d'attitude
actuelle, devaient être connectés originellement
les uns aux autres. Le raccord entre les plis droits et les plis
couchés correspondrait simplement à la torsion qui
marque la limite entre la zone profonde, d'écrasement du
socle cristallin, et la zone plus élevée, de cisaillement
sub-horizontal (fig.6). La dissociation de ces deux parties des
plis serait due, d'une part, à l'érosion qui
a supprimé le raccord et d'autre part au déplacement
des têtes anticlinales, rabattues et étirés
par le cisaillement de la couverture sédimentaire, vers
l'extérieur de la chaîne.
De fait c'est une géométrie totalement cohérente
avec ce schéma que l'on observe en Suisse, dans le secteur
où s'enracine la nappe helvétique de Morcles, au
nord de Martigny. Alors qu'en Oisans, en Maurienne et en Beaufortain
l'érosion a supprimé les termes supérieurs
au Jurassique moyen à l'aplomb des massifs cristallins,
on voit là le raccord en continu du contenu de l'hémigraben
de Chamonix avec la nappe de Morcles. Or la géométrie
de cet "enracinement" correspond bien à une torsion
du plan axial des plis (et des plis parasites de leurs flancs),
contre l'épaulement oriental du bloc cristallin des Aiguilles
Rouges. Cela conduit donc à envisager que les plis couchés
des nappes helvétiques soient la partie haute de plis
initialement droits, dus à l'écrasement de l'hémigraben,
puis rabattus vers l'extérieur de la chaîne par
le cisaillement.
Cette hypothèse ne paraît pas contradictoire avec
les résultats des études microtectoniques sur ces
secteurs, qui révèlent une évolution cinématique
complexe. Celle-ci a créé, dans la nappe de Morcles
(Dietrich D. & Durney D.W., 1986), deux générations
de linéations d'étirement, les unes précoces,
dans le flanc normal, les autres tardives, dans le flanc inverse,
et occasionné une rotation, dans le sens anti-horaire,
de la direction de transport et d'étirement du matériel
de la nappe. Les premières linéations pourraient
aisément être assimilées à celles
dues au pincement initial dans l'hémigraben de Chamonix
et les secondes à celles créées par le transport
en cisaillement au dessus du socle des Aiguilles Rouges.
Une superposition analogue de deux schistosités, l'une
associée à la formation des plis couchés,
l'autre liée à un cisaillement tangentiel a été
également mise en évidence un peu plus au sud, dans
les chaînons français de la région de Megève
(B. Lejeune,1973 ; B. Pijolat, 1978 ; S.Triboulet, 1980 ; C.Eltchaninoff,
1980 ; J.L. Epard, 1986).
3.2.4. Implications sur les modalités de la déformation alpine dans le socle :
D'innombrables observations (souvent fort anciennes) sur la tectonique de l'interface socle - couverture ont montré que cette interface avait subi des basculements et des torsions, et ce aux différentes échelles. Cette constatation implique que la tectonique alpine du socle s'est nécessairement édifiée, pour une bonne part, en dehors du simple jeu de ses fractures. C'est dire qu'une déformation continue s'est vraisemblablement produite au sein même de ce socle. En particulier cela porte à présumer qu'une partie de la foliation y est, au moins localement, d'âge alpin (et non hercynien). Mais peu d'études semblent s'être penchées sur ce sujet, en dehors de celles portant, en Suisse, sur les massifs de l'Aar et du Gottard (Marquer D. ,1990 ; Frei B. & Löw S., 2001). Ces derniers travaux ont plus précisément révélé que le socle y est débité par des couloirs de mylonite subverticaux, dont le jeu a permis des mouvements de fuite de matière vers le haut. On notera que c'est là une structuration qui ne témoigne pas en faveur d'une tectonique de type faille inverse, mais bien plutôt d'un écrasement transversal au massif, conformément aux vues soutenues ici.
En définitive l'image de la tectonique néogène du socle cristallin qui est présentée ici est donc bien loin de ressembler à celle qu'aurait produit son débitage par failles inverses et son transport, vers l'extérieur de la chaîne, en tranches imbriquées. Elle suggère au contraire que, au niveau du socle, le transport de matière vers l'extérieur de la chaîne se heurtait à une forte résistance, au point d'y induire un écrasement transversal des anciens blocs jurassiques : cette conclusion est conforme avec l'hypothèse de l'autochtonie de ce socle (c'est-à-dire de sa déformation sur place, par raccourcissement transversal à la chaîne), bien mieux qu'avec celle de son simple transport, par le jeu de failles profondes. Ces dernières pourraient d'ailleurs exister néanmoins, sans que cela contredise véritablement le modèle proposé ici : simplement leur existence supposée n'est pas nécessaire et ne semble pas fournir de processus adéquat pour expliquer la tectonique visible.
4. Conclusions
Des arguments de tous ordres portent donc à estimer que l'hypothèse du charriage profond des massifs cristallins externes est dénuée de fondements. Le schéma alternatif présenté ici cherche à respecter les contraintes imposées par la géologie de terrain. Il se borne a prendre en considération les géométries visibles sur les différentes transversales à la chaîne, en délaissant les "modèles" théoriques tout prêts.
Ce schéma ne voit pas, dans la structuration des zones
externes alpines, la conséquence d'une imbrication en profondeur
de lames de socle plus ou moins horizontales, dont rien, hormis
une pétition de principe, n'indique l'existence. Il
considère au contraire que la tectonique néogène
des domaines externes des Alpes a associé deux processus
tectoniques, savoir un écrasement horizontal des
blocs de socle hérités du Jurassique et de leurs
anciens hémigrabens et un déplacement relativement
indépendant de la couverture sur-incombante, par cisaillement
tangentiel par rapport à la surface enveloppe des voûtes
des blocs de socle. Ces deux mécanismes reflètent
sans doute, d'une part, la propagation du raccourcissement dû
à la collision des croûtes continentales et, d'autre
part, la migration corrélative des charriages issus des
domaines internes (notons que cette dernière cause de déformation,
classique en Suisse, n'a guère été évoquée
en France).
Dans cette manière de voir les choses, la déformation
la plus récente des chaînes subalpines septentrionales
n'est pas mise sur le compte de la propagation d'une nappe de
socle, mais sur celui de l'avancée du front atteint par
les nappes de couverture d'origine plus interne. Ce changement
de perspective est effectivement cohérent avec le fait
que le cisaillement de la couverture croît de bas en haut,
en s'éloignant du socle, et du sud-ouest vers le nord-est,
en se rapprochant du front d'érosion actuel des nappes
internes.
Ce schéma interprétatif a diverses implications
:
- La principale est qu'il rend enfin compte de l'antagonisme entre
la tectonique "de blocs" du socle, riche en cassures
subverticales, et celle, riche en chevauchements, des unités
de matériel sédimentaire dauphinois et ultradauphinoise.
Il conduit à lier les unités charriées à
des contenus d'hémigrabens (et non à la couverture
de blocs cristallins).
- La plus "spectaculaire" est qu'il propose un lien
causal entre l'écrasement des anciens hémigrabens
et la formation des plis couchés connus dans les chaînes
subalpines septentrionales et dans le domaine helvétique
de Suisse.
- une dernière est qu'il fournit un contexte pour comprendre
pourquoi, dans la partie de la couverture soumise au cisaillement
sub-horizontal, ce cisaillement s'exprime de façon plus
ou moins continue ou discontinue (avec ou sans surface de
charriage bien définie) selon les unités considérées,
ceci en fonction des caractères des hémigrabens
dont elles sont issues.
Enfin ce schéma accorde une importance non négligeable à une déformation intime du socle des massifs cristallins externes, déformation qui a été de longue date généralement sous-estimée, voire niée. Il pose, par contrecoup, le problème de l'ampleur et des modalités de cette déformation, alors que cette question avait été presque totalement occultée par le concept du chevauchement profond.
- sur les rapports entre la tectonique alpine du socle et celle
de sa couverture
dans les zones externes alpines (voir plus spécialement
le schéma )
- sur les rapports entre la tectonique alpine du socle et celle
de sa couverture en Beaufortain,,
en Oisans
et sur le versant occidental de
Belledonne.
- sur la surrection des massifs cristallins externes : Belledonne,
Écrins
- Pelvoux