GIDON M.
* Université scientifique technologique et médicale de Grenoble, Institut Dolomieu, 15 rue M.Gignoux, 38031 Grenoble cedex, U.A. C.N.R.S. n°69, Géologie alpine, publication n° 807.
RESUME. - L'analyse détaillée des divers secteurs offrant de bonnes conditions d'observation montre que presque nulle part l'émergence des surfaces de chevauchement ne se manifeste, dans le massif de la Chartreuse, de façon conforme à celle supposée par le schéma maintenant classique des alternances de plats et de rampes, et des imbrications basales de lames simplement décollées (horses et duplexes). Au contraire la zone cisaillée qui marque la base des chevauchements sectionne les flancs ouest de plis formés antérieurement et/ou s'engage dans ces flancs en les étirant. Ceci aboutit à une géométrie plus proche de celle anciennement classique sous le nom de "pli-faille". Ces géométries semblent être le cas général dans les chaînes subalpines.
ABSTRACT. - Contrary to the predictions of the classical model of staircase trajectory, a detailed field study of favourable areas shows that almost nowhere thrust surfaces with flats succeeding to ramps can be observed. Except one case ( Ñviz. è, the Ecaille de Canaple) there are also neither typical horses nor duplexes. Instead of that, the thrust shear zone consists of numerous fault planes which cut the short limbs of westward-verging anticlines resulting from a previous deformation stage. Most of these faults may be regarded as Riedel R with respect to the main thrust surface. They allow the short limbs of the folds to be stretched out through discontinuous deformation, with no actual overturning. Thus, the thrust movement follows these fold limbs and becomes more and more attenuated upward, where it probably fades out. Such a geometry, similar enough to what was formerly termed "pli-faille" (# stretch-thrusting), may be the general case for the whole subalpine ranges.
INTRODUCTION
Trois chevauchements majeurs traversent longitudinalement le massif de la Chartreuse selon une direction sensiblement N-S ; d'E en W ce sont (fig.1) :
- Le chevauchement de la Chartreuse orientale, qui poursuit vers le S celui du front des Bauges [GIDON,1964] et passe, au delà de la Cluse de l'Isère à celui du Moucherotte [DEBELMAS,1965 et 1966] [GIDON 1981].
- Le chevauchement de la Chartreuse médiane, qui ne s'étend apparemment pas en dehors des limites géographiques du massif et se termine sans doute, au S par branchement sur le précédent et au N par amortissement (mais ce dernier point peut éventuellement être controversé [SANTOS NARVAEZ, 1980], en raison de la discontinuité des affleurements).
- Le chevauchement de la Chartreuse occidentale, anciennement désigné du nom de "Faille de Voreppe", qui joue plutôt en décrochement dans la traversée de l'extrémité N du Vercors [GIDON et ARNAUD, 1978]. Vers le N il s'amortit dans un pli, au niveau du Guiers Vif. Vers le S,dans le massif du Vercors, il se termine sur une rampe latérale, à proximité de Saint-Martin-en-Vercors [GIDON,1964].
Le massif de la Chartreuse, comme les autres massifs subalpins septentrionaux, est entaillé par de profondes cluses transversales. Cette particularité permet d'y observer les structures à divers niveaux de profondeur, presque sur une même verticale, et de détailler ainsi - du moins quand les conditions d'observation sont suffisantes - l'"anatomie" des zones de cisaillement correspondant aux chevauchements. Ceci est particulièrement vrai pour les cluses du Guiers Mort et du Guiers Vif. Bien qu'analysées et cartographiées depuis longtemps, notamment à l'occasion du lever des cartes régulières pour le compte du BRGM [BORDET, GIDON & BARFÉTY, 1969 ; GIDON & BARFÉTY, 1969 ; GIDON, 1970 ; GIDON & ARNAUD, 1978] les zones de chevauchement du massif de la Chartreuse n'avaient pas paru, à cette époque, mériter d'être décrites dans le détail. Les faits qu'on y observe semblaient en effet sans originalité, car en accord avec le schéma, alors classique, de la rupture par étirement, des flancs courts de plis déversés. Au contraire il apparaît maintenant que ces données de terrain présentent un regain d'intérêt : en effet nous sommes à un moment où de nouvelles conceptions se sont fait jour au sujet de la notion de charriage ; elles portent à privilégier, peut-être de façon trop schématique, le rôle des géométries en escaliers de "rampes" et de è"plats" et celui des imbrications par décollement (horses et duplexes) [BOYER et ELLIOTT, 1982]. Or on verra précisément que la manière dont les "surfaces" de chevauchement se présentent réellement ici s'inscrit le plus souvent mal (ou d'une façon atypique) dans ces nouveaux schémas.
C'est donc à titre d'exemples à verser au dossier de la géométrie des charriages, que sont présentés les observations de terrain faisant l'objet de cette note. Seuls seront examinés les cas qui sont analysables dans des conditions suffisamment bonnes pour déboucher sur des conclusions peu ambigües; ils seront décrits selon un ordre arbitraire, d'W en E et du S au N.
LE CHEVAUCHEMENT OCCIDENTAL DANS LES GORGES DU GUIERS MORT
a) La coupe de détail du défilé de Fourvoirie.
L'entaille de la route D 520b fournit une coupe naturelle presque continue de la zone du chevauchement en rive gauche et offre des vues sur la coupe de la rive droite, qui est peu accessible. La synthèse des observations possibles sur ces deux rives (fig.2) fait apparaître les principaux points ci-après:
- Existence d'une succession de cassures subparallèles, espacées de quelques dizaines de mètres, toutes à pendage E. Le pendage moyen des surfaces de cassure, d'ailleurs garnies de mylonite ou non, est proche de 30° à 45°. On peut en outre relever l'abondance des stries subhorizontales, à rejet dextre sur les surfaces limitant l'Urgonien à l'entrée aval de la gorge, fait qui est en accord avec la composante de décrochement mise en évidence, plus au S [GIDON et ARNAUD, 1978], le long de cet accident.
- Débitage de la série stratigraphique, par le jeu de ces fractures, en tronçons dont l'épaisseur varie entre 10 m. et 50 m. ; si l'on progresse d'W en E, chaque tronçon est constitué par des niveaux plus anciens. L'ampleur du hiatus stratigraphique est systématiquement de l'ordre de la centaine de mètres, ce qui atteste d'un partage assez équitable du rejet total sur les diverses cassures.
- Existence, à la limite E de la zone fracturée, d'une surface majeure plus fortement inclinée, sur laquelle se "branchent" les autres cassures. Plus à l'E on rentre dans la série chevauchante, à pendage E. Cette cassure principale pend à plus de 60°E dans le lit du Guiers.
- Absence de renversement des assises affectées par le débitage en tronçons ; ces couches pendent de 30° à 50°W : ces dernières sont donc simplement tranchées, et non basculées comme on l'avait anciennement admis. A l'entrée aval du défilé les couches de la molasse miocène sont très redressées et ont même un pendage vers l'E, par basculement : il y a donc un mouvement synclinal sous le chevauchement, et ce dernier n'avance donc pas sur un "plat" qui s'engagerait dans une surface de strate.
- Enfin, existence d'un pli mineur (décamétrique), très dissymétrique et assez fermé (30°), au contact de l'accident majeur et à la base de la série chevauchante (dans les petits bancs du "Séquanien" inférieur) : il ne représente vraisemblablement qu'un crochon local, lié au cisaillement le long de la faille principale.
b) La coupe d'ensemble des versants, principalement en rive gauche (fig. 3), permet de constater quelques points complémentaires:
- L'inclinaison de la faille majeure s'atténue assez nettement vers le haut.
- A partir d'une centaine de mètres au dessus du lit du Guiers le compartiment chevauchant se montre alors affecté d'une belle voûte anticlinale, l' Anticlinal de Fourvoirie, caractérisé notamment par son dessin très arrondi et ouvert. dépourvu de déversement : il a donc une forme sensiblement différente de celle du crochon observable au niveau du Guiers (fig. 2). Il est remarquable que le flanc W de cet anticlinal, incliné à environ 50° W, à peu prés comme les couches des lames tectoniques du fond de la gorge, est simplement tranché par le chevauchement.
- Des lames intercalaires, où les couches ont toujours un pendage W, restent présentes aussi bien au niveau de la route de Curière qu'aux rochers de la Fenêtre et du Pin, entre le Jurassique chevauchant et le Miocène chevauché.
c) En définitive, deux faits surtout sont mis en évidence par ces observations :
1. la diffusion de la fracturation liée au chevauchement en une multiplicité de plans, sur une épaisseur de plusieurs centaines de mètres. Vouloir assimiler cette structure à celle d'un duplex imposerait d'inclure sous ce terme des dispositions très atypique, puisqu'obtenues en tranchant les strates sans jamais que les surfaces de mouvement suivent des plats le long de niveaux stratigraphiques. En fait les cassures élémentaires sont plus simplement à rapporter à des Riedel R, d'ailleurs à rejet important, branchées sous la surface de discontinuité tectonique principale.
2. l'indépendance probable des efforts cisaillants responsables de cette fracturation par rapport à la formation de l'anticlinal de Fourvoirie : en effet ce pli repose sur la zone du chevauchement sans que cette dernière n'y occasionne d'effet cisaillant provoquant un déversement du pli : il ne s'agit donc pas d'un pli-faille.
LE CHEVAUCHEMENT OCCIDENTAL AU NORD DU GUIERS MORT
a) La coupe du Guiers Vif (fig.4)
A l'E du village du Châtelard, la route D 520c traverse un éperon formé d'Urgonien (fig.4b) avant de pénétrer, sans autre intermédiaire, dans les calcaires du Fontanil (Berriasien supérieur - Valanginien), à pendage E modéré et en succession normale. Dans cet éperon le pendage des strates, subvertical, est peu visible, masqué par le développement de plans de friction inclinés à environ 45°E. Ceci traduit, bien sûr, le passage du chevauchement occidental, marqué par un débitage comparable, en plus serré, à celui de Fourvoirie.
Au N de l'éperon du Châtelard, la lame d'Urgonien qui le constitue est traversée par la gorge du Guiers Vif ; on y constate qu'elle appartient au flanc E d'un synclinal à coeur de Miocène. De plus elle semble se raccorder presque en continu au flanc W, subvertical, de l'anticlinal des Egaux (fig.4a). Ce dernier est cependant rompu, immédiatement en rive droite du torrent par le chevauchement qui ne lui occasionne plus qu'un décalage horizontal modeste, d'une ou deux centaines de mètres, néanmoins perceptible par la cartographie. Ce rejet s'amenuise rapidement pour devenir pratiquement nul, moins de 1 km au N de la gorge (fig.4a).
Il y a donc là un net amortissement longitudinal du chevauchement, qui se produit à peu près à mi-hauteur du flanc court (W) de l'anticlinal déjeté des Egaux (pli qui s'amortit à son tour, quelques kilomètres plus au N, dans le synclinal de Couz).
b) Rapports entre la coupe du Guiers Vif et celle du Guiers Mort (fig.4)
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'anticlinal de Fourvoirie et celui des Egaux ne sont pas le prolongement l'un de l'autre, mais au contraire se succèdent l'un à l'autre d'E en W. Vers le N, c'est à dire aux abords de la Ruchère, le premier s'atténue et s'efface progressivement (au moins au niveau de l'Urgonien). Le second disparaît vers le S par érosion.
Dans la partie frontale du chevauchement, visible dans le Guiers Vif les calcaires du Fontanil reposent à plat sur la surface de glissement. Au contraire dans la partie plus interne, visible dans le Guiers Mort à Fourvoirie (fig.4d), la surface de charriage tranche en oblique les couches du Tithonique du flanc W de l'anticlinal. Ces variations des rapports entre la surface de chevauchement et les couches traduisent clairement le passage, au toit du chevauchement, d'une disposition en "plat" à une disposition en "rampe" (fig.4c). Comme c'est précisément à cette occasion que l'anticlinal de Fourvoirie apparaît, celà incite à interpréter ce dernier comme dû à l'existence de cette rampe, conformément au schéma des plis de "rampe de toit".
Il faut toutefois remarquer qu'au mur du chevauchement il n'y a, par contre, aucun plat : la surface de déplacement tranche en oblique les couches redressées du compartiment chevauché, au lieu de s'engager dans un interface stratigraphique ; ceci constitue un aspect moins conforme au schéma d'enchaînement des plats et des rampes.
Quoi qu'il en soit on doit souligner que c'est là le seul exemple visible en Chartreuse d'une surface de chevauchement présentant un tel enchaînement rampe/plat. Il parait néanmoins probable, à la lumière de cette observation, que les multiples flexures monoclinales multiples, observables notamment à l'intérieur de l'aire anticlinale occidentale [GIDON et ARNAUD, 1978], puissent correspondre, quant à elles, à des rampes du mur du chevauchement.
En définitive l'anticlinal de Fourvoirie serait donc un pli post-Miocène greffé sur un pli plus ancien, l'anticlinal des Egaux. En effet ce dernier était déjà ébauché avant le dépôt des molasses miocènes, puisque ces dernières reposent, à sa voûte, sur un Urgonien érodé alors que dans les synclinaux qui l'encadrent le Sénonien est conservé [GIDON, 1964]. Le fait que l'anticlinal de Fourvoirie ait un axe sensiblement moins méridien que les autres pli du massif (axe N 30 déduit de la cartographie, comme des stries de friction couche sur couche) s'intègre aisément dans une telle interprétation si l'on prend en compte l'accroissement, du N vers le S, de l'amplitude du chevauchement, qui introduit un pivotement azimutal dextre [GIDON, 1964].
LE CHEVAUCHEMENT MÉDIAN DANS LES GORGES DU GUIERS MORT
En dépit d'une couverture forestière dense, les pentes de rive droite du Guiers Mort, en amont du Pic de l'Oeillette, entre le tunnel aval et les haberts de Corde et des Rochers, permettent une analyse presque continue des modification verticales du dispositif structural (fig.5). On constate surtout les faits suivants :
- Les assises chevauchantes ont une disposition globale fortement pentée vers l'W, passant progressivement à la verticale ou à un très fort pendage E. Vers le bas, aux approches du lit du Guiers, l'on ne trouve plus , entre la série chevauchée à l'W et le Tithonique de l'anticlinal médian à l'E qu'une zone de terrains broyés épaisse d'une cinquantaine de mètres (fig.5 et 6) ; elle comporte notamment une lame de matériel urgonien, à pendage E, de plus en plus faible (jusqu'à 30°E) : celle-ci a plus valeur de mylonite que de flanc inverse (fig.7). Les niveaux intercalaires entre cette lame et le Tithonique, mal reconnaissables, sont en fait représentés par des lames étroites où le matériel est mylonitisé de façon plus ou moins intense (fig.6).
- A l'W de la lame d'Urgonien (dont la structure est d'ailleurs affectée d'autres complications de détail à plusieurs niveaux), la disposition évolue de bas en haut. Vers le bas (jusqu'à 100 m. au dessus du niveau de la route), le contact avec le Sénonien inférieur du compartiment chevauché est franchement tectonique (fig.7).
Plus haut le contact devient progressivement stratigraphique, avec intercalation de la lumachelle, d'abord en lentilles discontinues puis avec son épaisseur normale (fig.8). Elle est seulement tronçonnée, avec les autres terrains, par la fracturation diffuse dont la densité décroît aussi vers le haut. En même temps on observe, plus à l'W, le développement, dans les divers niveaux du Sénonien, de plis multiples, métriques à hectométriques (fig.5 et 8). Ils décrivent un synclinorium qui raccorde, apparemment sans aucune discontinuité, les couches du flanc E de l'anticlinal occidental ("chevauché") et celles du flanc W de l'anticlinal médian ("chevauchant").
- Les niveaux compris entre l'Urgonien et le sommet du Tithonique sont affectés d'un amincissement progressif qui aboutit à leur quasi suppression, vers le bas. Ceci est principalement obtenu par la troncature des couches (à pendage subvertical) par des plans de friction pentés vers l'E d'environ 45°. Ceux-ci se font de plus en plus denses, d'E en W, sur les quelques dizaines de mètres au voisinage de l'Urgonien (fig.8). On observe également des fractures fortement pentées vers l'W, à vergence E et rejet décimétrique ou même centimétrique (fig.6 et 8); tout dans l'attitude et le sens de rejet de ces deux familles de cassures porte à les considérer comme les familles conjuguées respectivement dénommées R et R' du système des failles secondaires de Riedel (fig.6b).
En définitive, on retrouve donc un schéma fondamentalement proche de celui de Fourvoirie, bien qu'il n'y paraisse guère au premier abord en raison des différences suivantes :
- Redressement plus important des couches et entraînement d'une bande mylonitique le long du chevauchement (dans les parties basses de la coupe seulement).
- Plus grand nombre et moindre espacement des tronçons : il en résulte un effet d'étirement progressif du flanc W de l'anticlinal chevauchant, par le jeu de ce débitage en tronçons.
- "Diffusion" vers le haut de la discontinuité, nette en bas, qui correspond au chevauchement ; ceci est apparemment obtenu par le partage du rejet entre des fractures mineures, "de Riedel". Il y a même, très probablement, disparition progressive de cette discontinuité, par amortissement à la faveur de ce processus. - Enfin s'il n'y a pas de mouvement synclinal visible sous le chevauchement dans les parties basses, par contre un synclinal complet et non rompu se reconstitue dans les parties hautes de la coupe.
LE CHEVAUCHEMENT MEDIAN DANS LES GORGES DU GUIERS VIF (pentes de Corbel)
Deux sources de données se complètent pour permettre de préciser la structure dans ce secteur: La cartographie du versant N de la vallée (fig.9 et 10), surtout entre le Guiers et Corbel; l'examen de la coupe dégagée par l'entaille de la route D45 à l'W de Corbel (fig.11).
Les analogies avec les coupes précédentes sont évidentes:
- L'échine montagneuse de l'extrémité méridionale de la Crête de Thivelet, qui plonge vers le Guiers, semble , vue de la rive opposée, former une lame continue. Cette lame est en réalité formée d'une succession de tronçons décalés, chevauchant vers l'W par des cassures inclinées en moyenne à 45°E. Ce débitage s'observe à toutes échelles, depuis l'échelle hectométrique (fig.9, 10) jusqu'à celle du mètre (fig.11).
- Les failles élémentaires s'interrompent vers l'E sur une surface plus redressée : elle représente la surface principale de chevauchement car, au delà, le débitage tectonique s'interrompt pour faire place à un calme flanc W d'anticlinal, à voûte bien arrondie visible immédiatement en contrebas du village.
- A l'W de l'échine, les bancs de la molasse sont certainement tranchés en fort biseau par une discontinuité tectonique. Toutefois ils dessinent un ample synclinal dont le flanc E se redresse brutalement à la verticale sur une frange décamétrique aux approches de la lame tectonisée, ce qui représente sans doute un crochon de cisaillement.
Les conclusions à tirer de ces faits confirment celles qui découlaient de la coupe du Guiers Mort. Ici il n'est toutefois pas possible de déterminer, en raison des éboulis garnissant les hautes pentes, s'il y a amortissement du chevauchement vers le haut. Ceci parait vraisemblable car, plus au N, dès les environs de Saint-Jean-de-Couz, rien n'indique plus le passage d'une surface de chevauchement le long de la retombée urgonienne de l'anticlinal médian. C'est sans arguments autres que la présence d'une discontinuité des affleurements, masqués par des éboulis, que l'on a pu supposer [SANTOS NARVAEZ, 1980] que le chevauchement s'y prolongeait.
LE CHEVAUCHEMENT DE LA CHARTREUSE ORIENTALE DANS LE VERSANT S-E DU CHARMANT SOM
Dans ce secteur deux lames tectoniques, essentiellement constituées d'Urgonien s'intercalent (fig.12) entre les couches valanginiennes chevauchantes, disposées à l'endroit, et le flanc E (incluant jusqu'au Sénonien) de la large voûte de l'anticlinal médian, qui constitue l'essentiel de cette montagne :
1. La première lame (ou lame de Roche Penna) affleure immédiatement sous le chevauchement de la Chartreuse orientale. La cartographie montre que cette lame se dispose globalement en flanc inverse incliné à près de 45°.
L'Urgonien de cette lame, assez tectonisé, est notamment affecté d'une réduction d'épaisseur qui n'est pas dûe à un simple biseautage mais traduit également un étirement. Ce dernier est obtenu, comme dans les exemples précédents, par une déformation discontinue, à la faveur d'un débitage oblique en tronçons décamétriques, à l'intérieur desquels les couches restent subverticales ou peu basculées. On peut notamment l'observer en détail au tournant 1442 de la route forestière du Charmant Som (fig.13):
- Les tronçons sont ici délimités par des failles presque plates à vergence W, dont le rejet est décamétrique et les mouvements orientés N110, sont synthétiques de ceux du chevauchement principal.
- Ces failles se branchent sur la cassure principale, qui limite la lame urgonienne du côté E, sans la décaler: elles sont donc, en définitive, assez clairement interprétables comme les Riedels R du chevauchement.
- La cassure principale est soulignée par un couloir de mylonite à texture S/C, c'est à dire constituée d'un feuilletage vertical recoupé par des microfractures. Ces dernières sont similaires (à la différence d'échelle près) à celles qui tronçonnent la lame, ce qui conforte la conclusion précédente.
- A l'W de la lame, le Sénonien est affecté sur une dizaine de mètres par une tectonisation analogue, qui, s'ajoutant à une schistosité particulièrement serrée, masque pratiquement sa stratification. Toutefois, au delà, on y distingue une succession de plis décamétriques déjetés à 45° vers l'W par lesquels on passe en continu à la série normale située plus à l'W : cette structure évoque fortement des plissotements de coeur synclinal, comparables par exemple à ceux observables sous le habert de Corde dans le chevauchement médian.
En définitive, cette lame semble dériver de l'étirement d'un flanc E de synclinal, rebroussé et tranché par le chevauchement. En tous cas on ne peut en aucune façon l'assimiler à une imbrication basale du type "horse"[1].
2. La deuxième lame (ou écaille de Canaple [2]) s'individualise plus à l'W,, aux dépens du flanc E de la voûte anticlinale du Charmant Som, par décollement des termes supérieurs aux "couches à orbitolines". Peu tectonisée et disposée en série normale, avec un rejet de chevauchement atteignant une valeur kilométrique, elle constitue une digitation inférieure, du type "horse" d'imbrication.
En suivant sa surface de base, d'E en W, on constate deux faits notables (fig.12):
- (a) Sous l'écaille, les couches autochtones, redressées et même renversées, constituent le flanc d'un crochon synclinal hectométrique; or elles sont débitées en tronçons, comme celles de la lame de Roche Penna, par une succession de failles plates à vergence W (fig.14). Ceci constitue un argument supplémentaire en faveur de l'hypothèse avancée ci-dessus pour expliquer l'origine de la lame de Roche Penna.
- (b) La surface de base de l'écaille est presque plane et faiblement pentée: de ce fait elle tranche tour à tour les autres plis et failles secondaires hectométriques qui affectent la structure anticlinale du Charmant Som, au lieu d'être replissée avec eux. Il est donc patent que cette écaille, de même que le chevauchement principal (dont elle n'est que le horse basal), se sont détachés postérieurement à la formation des replis de l'anticlinal médian. En définitive, le seul point particulier qui singularise vraiment cette structure par rapport aux précédentes est l'existence d'une véritable imbrication inférieure au chevauchement et qui possède les caractéristiques d'un horse. Précisons immédiatement que c'est là le seul exemple (avec peut-être les imbrications de l'Urgonien des crêtes du Grand Som, dont il sera question plus loin) d'une véritable structure de ce genre qui soit connu dans tout le massif; son extension longitudinale est limitée à quelques kilomètres, entre les abords du sommet du Charmant Som et ceux de la Pinéa.
On notera également que la lame étirée qui souligne le chevauchement principal (ici celle de Roche Penna) correspond à une portion de flanc de pli qui était probablement ici plutôt en connexion avec le flanc est du synclinal chevauché.
LE CHEVAUCHEMENT DE LA CHARTREUSE ORIENTALE AU NORD DU GUIERS MORT
L'observation y est médiocre sauf dans deux secteurs :
1 . Au niveau même de la gorge, au lieu-dit Pont du Grand Logis (fig.15).
En ce point on observe sans ambiguïté, sur quelques dizaines de mètres, le ploiement synclinal de l'Urgonien du flanc E de l'anticlinal médian. Après avoir atteint un pendage de 70° à 80° W, ses couches sont sectionnées par une cassure pentée à 60° E, que souligne une zone de phyllomylonite. Au delà affleure le Valanginien chevauchant (appartenant à la Chartreuse orientale), peu penté vers l'E. Sa base est constituée par une lame tectonisée massive, disposée parallèlement à la surface de chevauchement, dont la signification est sans doute analogue à celle de la lame de Roche Penna.
Ces observations confirment, ici aussi, l'existence d'une charnière synclinale, mais aussi l'absence de vrai renversement des couches sous le chevauchement.
2 . Dans le versant W du Grand-Som (fig.15 et 16).
La structure des abords du chevauchement peut être analysée dans les pentes du Rialet, au S du col de Mauvernay, où la nappe d'éboulis alimentée par les falaises supérieures de la montagne s'interrompt assez largement.
Globalement la surface de chevauchement est soulignée par une lame d'Urgonien, étroite et presque continue, qui se voit bien, à distance, depuis le S (voir par exemple le panorama du Charmant Som, in DEBELMAS et coll.,1983). Dans le détail, on observe des dispositions très similaires à celles précédemment décrites, le fait essentiel étant le tronçonnement de cette lame, principalement à l'échelle décamétrique. On constate en outre que cette lame se biseaute totalement vers le bas, ce qui permet alors au Valanginien, à l'endroit, de chevaucher directement l'Urgonien, comme au Pont du Grand Logis ou à l'E du Charmant Som.
La particularité la plus saillante de ce secteur est de montrer sans équivoque que cette lame du Rialet se raccorde anticlinalement à l'Urgonien, à l'endroit, du compartiment chevauchant, ce dernier constituant le sommet du Grand Som (fig.16). Cela est attesté par la présence d'une charnière en genou, visible dans l'Hauterivien des hauts ravins, à l'E du point 1620, ainsi que par le raccord en continu des deux falaises d'Urgonien, autour d'un coeur de Barrémien inférieur, à l'E-NE du col de Mauvernay. En outre une assez large charnière synclinale (avec schistosité en éventail) affecte le Sénonien affleurant à l'W de la lame d'Urgonien, dans le versant S de l'arête qui s'élève du col de Mauvernay vers le sommet du Grand Som.
La taille de ce dispositif anticlinal-synclinal est trop importante pour autoriser son interprétation en simple crochon de chevauchement. Ces faits montrent donc sans ambiguïté qu'un plissement, comportant anticlinal et synclinal enchaînés (et non dû à une simple retombée antiforme comme dans un pli de rampe frontal), est intervenu avant le cisaillement chevauchant.
En outre il apparaît là que le rejet du chevauchement est fortement atténué et que l'on approche de son amortissement total. Il faut ajouter cependant que l'Urgonien des crêtes du Grand Som développe une structure d'imbrications (assimilables à des horses) [GIDON, 1954] qui contribuent certainement à absorber une part du mouvement cisaillant; ces imbrications constituent peut être un dispositif-relais entre le tracé du chevauchement au S de ce sommet et celui, sans doute situé un peu plus à l'E, qu'il emprunte au delà au N du col de Bovinant (les relations sont ici obscurcies par l'interférence des structures chevauchantes avec les décrochements transverses fort développées en ce point).
LE CHEVAUCHEMENT DE LA CHARTREUSE ORIENTALE DANS LES GORGES DU GUIERS VIF
Ici l'anatomie du contact chevauchant est mal analysable, tant en raison du couvert ébouleux et végétal que de l'interférence du dispositif décrochant qui poursuit, vers le SW, la faille de l'Alpette [GIDON, 1966].
Par contre l'intérêt de ce secteur est de montrer la disposition des couches chevauchantes immédiatement à l'E du chevauchement, ce que la route N 520c permet d'observer à l'E du Petit Frou, à partir du point 662. On y constate l'absence totale de débitage de ce compartiment chevauchant par des cassures chevauchantes secondaires. En outre les couches dessinent un anticlinal à deux charnières: une voûte très arrondie et de forte ouverture, presque pas déversée ; plus à l'W, une charnière aiguë et déversée qui bascule en quelques mètres les couches depuis un pendage W faible jusqu'à un pendage E de 80° (fig.17).
Cette structure rappelle celle observée le long du chevauchement médian dans le Guiers Mort. Elle suggère une dualité d'origine du dispositif d'association pli-chevauchement, la voûte anticlinale représentant un pli antérieur au chevauchement, dont le flanc W est cisaillé postérieurement par ce dernier.
LE CHEVAUCHEMENT DE LA CHARTREUSE ORIENTALE DANS LES GORGES DU COZON
Au N de Saint-Pierre-d'Entremont, la vallée du Cozon, bien que de tracé plutôt N-S, est amenée à traverser le chevauchement oriental, du fait du décalage dextre de ce dernier par le décrochement du col de l'Alpette [GIDON, 1966]. Malgré les complexités introduites par cette interférence de structures et la présence d'une couverture non négligeable on peut observer les caractères de la zone de chevauchement, au défilé du Boucherin (ou de Pierre-fendue) puis, vers le N, depuis le hameau du Pont du Lac jusqu'au village des Gandys (fig.18).
Les faits suivants sont à remarquer:
- La forme de l'anticlinal du Boucherin s'apparente à celle de son prolongement observé ci-dessus dans la gorge du Guiers mort : il est doté d'une voûte droite et très ouverte et, plus à l'W, d'une charnière en genou et très anguleuse. Le flanc redressé tend même, de ce fait, à devenir légèrement renversé.
- Ce débitage du flanc W en tronçons et son étirement corrélatif, par discontinuités multiples (fig.19) apparaît progressivement, en une dizaine de mètres d'E en W aux approches de la lame d'Urgonien des Gandys. Il est clairement perceptible dans toute la série, du Tithonique au Sénonien supérieur : la lame d'Urgonien des Gandys s'effile ainsi vers le bas tant au S (Le Pont du Lac) qu'au N (les Curialets).
- Un mouvement synclinal est nettement dessiné dans le Sénonien à l'W de la lame, aux Gandys. Cette disposition ne va pas cependant jusqu'à un raccord synclinal sans discontinuité mais elle en constitue l'ébauche.
En définitive, ce secteur assemble des éléments (raccord synclinal, effilement vers le bas d'une lame d'Urgonien) qui sont étroitement comparables, les uns, à ceux visibles dans le Guiers Vif le long du chevauchement médian et les autres, à ceux décrits au flanc E du Charmant Som.
DISCUSSIONS ET CONCLUSIONS
La confrontation des données d'observation présentées ci-dessus conduit à des remarques générales de trois ordres:
1. Il se dégage une indéniable unité de thème structural, qui définit clairement un style caractéristique des chevauchements de la Chartreuse et de leurs rapports avec les plis les plus voisins. On peut en résumer les caractéristiques de la façon suivante:
a - Disposition géométrique.
Les chevauchements n'émergent pas au niveau de la surface topographique à l'occasion d'une rampe accidentelle, pour repartir plus à l'W dans un "plat", le long d'un niveau stratigraphique : une telle géométrie n'est observable à aucun des niveaux de la série stratigraphique visibles entre l'Oxfordien et le Miocène. Au contraire ils s'amortissent vers le haut en s'engageant dans un flanc court, subvertical, de pli déjeté vers l'W.
Certes l'on peut envisager qu'une partie de la déformation cisaillante s'engage néanmoins dans des plans parallèles aux strates; mais si ce phénomène peut jouer il reste trop discret pour être clairement perçu et donc pour que son importance soit appréciable : elle ne saurait être, en tout état de cause, que mineure.
Le chevauchement se localise en fait sur des plis préexistants, ou en tous cas créés par un processus qui précède le sectionnement des couches. Ces plis frontaux, dans lesquels s'amortissent les chevauchements, ne résultent pas du ploiement de la série chevauchante au passage d'un changement de déclivité (rebord de rampe) de la surface de chevauchement. En d'autres termes ce ne sont donc pas des "plis de rampe" et leur géométrie est, en définitive, plus proche de celui des plis-failles (selon une variante où l'étirement du flanc court n'est pas de type ductile mais discontinu).
Le schéma classique d'enchaînement rampe-plat, avec pli de rampe associé, n'est en fait observable que dans la portion profonde du chevauchement occidental. L'anticlinal de Fourvoirie, qui en résulte est clairement distinct du pli frontal (l'anticlinal des Egaux), où s'amortit ce chevauchement.
b - Structure de détail.
Ce n'est qu'en certains points, plutôt dans les niveaux les plus profonds visibles, que les chevauchements se manifestent par une simple surface de discontinuité amenant des terrains relativement anciens sur d'autres plus récents. En règle générale le chevauchement se fait par l'intermédiaire d'une zone cisaillée, épaisse de 10 à plus de 100 m., affectée à la fois d'un basculement plus ou moins accusé des couches, d'une schistosité plus ou moins pénétrative et surtout de fractures multiples. Ces dernières, compte tenu de leurs dispositions et de leurs sens de rejet, sont assimilables aux deux familles de failles de Riedel R et et R', les Riedels R' étant naturellement moins bien représentées.
Ainsi le flanc du pli dans lequel s'engage le chevauchement est-il étiré, principalement d'une façon non ductile, par ces fractures multiples qui le tronçonnent obliquement (fig. 20b). Il est à souligner que ce tronçonnement s'effectue en fait à toutes les échelles (hectométrique à décimétrique voire centimétrique) et qu'il passe, à l'échelle microstructurale, aux textures mylonitiques dites "S/C". De ce fait on peut, d'une certaine manière, assimiler la zone de chevauchement à une bande de mylonite, plus ou moins finement broyée selon les points.
D'autre part ces zones de cisaillement s'avèrent être soit délimitées du côté interne, soit encadrées, par des failles majeures, cartographiables, où se concentrent les plus forts rejets. Ces failles majeures, d'ailleurs plus redressées, correspondent visiblement à la prédominance de la déformation par rupture dans les formations les plus compétentes (Urgonien, Calcaires du Fontanil du Berriasien supérieur - Valanginien, Tithonique), puisque c'est à la limite de ces terrains qu'elles se localisent.
En considération de cet aspect des choses, on pourrait à la rigueur tenter d'assimiler ce dispositif à celui des "duplex à pendage vers l'avant" ("forward dipping duplexes", BOYER & ELLIOTT, 1982, p.1211). Cependant cette comparaison n'est pas pertinente , sauf à la rigueur pour le chevauchement occidental, car dans les autres cas (fig. 20) il manque un trait fondamental, savoir la poursuite de la surface de chevauchement principal, au delà et à l'avant de la zone d'écaillage par tronçonne ment. En fait cette zone ne correspond pas à un débitage du bord interne du compartiment chevauché, sous le chevauchement principal et à l'arrière du front de ce dernier. Au contraire elle traduit une fracturation aux abords du front du chevauchement et correspond à une terminaison non en tip line bien définie mais sous forme d'une longue zone d'amortissement.
2. Une telle uniformité dans la géométrie de ces structures implique un processus génétique commun. Ce dernier comporte nécessairement une étape de plissement préalable à l'émergence du chevauchement dans les niveaux les plus élevés de la série, ici seuls observables.
En fait il semble bien que les plis aient été formés dans une étape réellement antérieure: c'est ce qu'indiquent le sectionnement des plis du Charmant Som par la surface basale de l'écaille de Canaple et le déversement des microplis de flanc W (fig.8). C'est aussi ce que suggère la forme même des plis, caractérisée par une voûte très ouverte, à plan axial très redressé, que recoupe le plan axial moins incliné d'une charnière du rebroussement visiblement liée au chevauchement (fig.15, 16 et 19). C'est enfin ce qui expliquerait le mieux que les diverses ondulations secondaires des plis majeurs soient coupées en oblique par les surfaces de chevauchement, ainsi qu'il apparaît bien sur les cartes [GIDON et ARNAUD, 1978; GIDON 1987, p.145]. Des indices stratigraphiques existent d'ailleurs, en outre [GIDON,1966], pour faire penser que ces plis étaient au moins ébauchés avant le Miocène.
On doit donc envisager, soit que ce plissement préalable se traduisait déjà en profondeur par une discontinuité de glissement sur un niveau stratigraphique (selon les schémas les plus couramment envisagés de nos jours), soit au contraire que le raccourcissement pouvait s'y traduire par une déformation ductile continue au sein d'un niveau profond moins compétent (par exemple les Terres Noires).
3. Quoi qu'il en soit le schéma cinématique et géométrique auquel conduisent les faits de terrain ne correspond pas à ceux généralement pris en compte, lors du dessin des coupes équilibrées, dans l'interprétation des données de surface. Pourtant il semble que les données connues permettent d'envisager sa généralisation à l'ensemble des massifs subalpins, méridionaux aussi bien que septentrionaux. Sans aborder ici l'inventaire des faits parlant en ce sens, on peut signaler par exemple que ce schéma est en particulier fort bien illustré par les dispositions de flanc inverse tronçonné en lambeaux disjoints qui jalonnent le chevauchement de la nappe de Digne [PAIRIS et GIDON, 1987].
Cette constatation peut conduire à mettre en doute, au moins dans les chaînes subalpines, la pertinence des coupes interprétatives qui ne feraient systématiquement, a priori, fonctionner les chevauchements que par des plats et des rampes, et ne connaîtraient comme plis associés que les diverses variétés de plis de rampes.
OUVRAGES CITÉS
BORDET P., GIDON M. & BARFÉTY J.C., sous la direction de DEBELMAS J. (1969). Carte géologique détaillée de la France à 1/50.000°, feuille DOMENE, 1° édition. B.R.G.M., Orléans.
BOYER S.E. & ELLIOTT D. (1982). Thrust systems. American Association of Petroleum Geologists Bulletin, V.66, n°9, p.1196-1230.
DEBELMAS J. (1965). Quelques observations nouvelles sur l'extrémité N-Orientale du massif du Vercors. Trav.Lab.Géol.Grenoble, t.42, p.275-281.
DEBELMAS J. (1966). Structure géologique du massif du Moucherotte (Vercors-Isère). Trav.Lab.Géol.Grenoble, t.41, p.109-116.
DEBELMAS J., avec la collaboration de ARNAUD H., GIDON M. & C.KERCKHOVE (1983). Alpes du Dauphiné. Guides géologiques régionaux : 198 p., 121 fig., Masson, Paris.
GIDON M. (1954). Etude géologique de la dépression de Saint-Pierre-d'Entremont. D.E.S., Grenoble, p., dactylographié.
GIDON M. (1964a). Vues nouvelles sur la Géologie de la Chartreuse septentrionale et de l'extrémité sud des Bauges. Annales du centre d'Enseignement supérieur de Chambéry, t.2, p.7-25.
GIDON M. (1964b). Nouvelle contribution à l'étude du massif de la Grande-Chartreuse et de ses relations avec les régions avoisinantes. Travaux du Laboratoire de Géologie de l'Université de Grenoble, t.39 (1964), p.187-205.
GIDON M. (1966). Sur la tectonique de l'élément chartreux oriental au Sud-Est de Saint-Pierre de Chartreuse (Isère). Travaux du Laboratoire de Géologie de l'Université de Grenoble, t.42 (1966), p.117-125.
GIDON M. & BARFÉTY J.C. (1969). Carte géologique détaillée de la France à 1/50.000°, feuille MONTMÉLIAN, 1° édition. B.R.G.M., Orléans.
GIDON M. (1970). Carte géologique détaillée de la France à 1/50.000°, feuille VOIRON, 1° édition, B.R.G.M., Orléans.
GIDON M. & ARNAUD H. (1978). Carte géologique détaillée de la France à 1/50.000°, feuille GRENOBLE, 2° édition. B.R.G.M., Orléans.
GIDON M. (1981). La structure de l'extrémité méridionale du massif de la Chartreuse aux abords de Grenoble, et son prolongement en Vercors. Géologie alpine, t.57, p.93-107.
GIDON M. (1987). Les structures tectoniques. Manuels et Méthodes n°15, Ed. du B.R.G.M., Orléans, 206 p.
PAIRIS J.L. & GIDON M., avec la collaboration de FAUCHER T. et de THOMÉ M. (1987). Le détritisme néogène et ses relations avec la tectonique, à l'extrémité NE du bassin de Valensole (Alpes externes méridionales). Géologie alpine, Mém. H.S. n°13, p.417-426.
SANTOS NARVAEZ J.M. (1980). Contribution à l'étude géologique des chaînons externes nord occidentaux du massif de Chartreuse (Savoie). Thèse 3°cycle, Univ. Paris VI, 170 p.
manuscrit déposé le 18 avril 1988
Je remercie J.L.MUGNIER pour les fructueux échanges de vues que nous avons eu, notamment sur le terrain ; ils n'ont pas été pour rien dans la rédaction de cette note.
FIGURES
Fig.1 : Schéma de situation : Ø1, Ø2, Ø3 désignent les tracés respectifs des chevauchements occidental, médian et oriental ; ces mêmes symboles sont utilisés avec la même signification dans les autres figures.
Les emplacements numérotés désignent les localités représentées par les figures de numéro correspondant.
Fig.2 : Coupe de détail du chevauchement chartreux occidental, dans les gorges du Guiers Mort, le long de la route D 520b.
Fig.3 : Coupe synthétique du chevauchement chartreux occidental , dans le versant S (rive gauche) des gorges du Guiers Mort, montrant notamment les rapports entre la zone de chevauchement ( Ø1 ) et l'anticlinal de Fourvoirie.
Fig.4 : Coupes sériées au travers du chevauchement chartreux occidental, au N du Guiers Mort, montrant les modifications des rapports du chevauchement avec les plis de l'aire anticlinale occidentale de la Chartreuse.
Les coupes se succèdent du N au S dans l'ordre A, B, C, D et sont replacées les unes par rapport aux autres de façon à montrer leur enchaînement.
A- correspond au secteur d'amortissement dans l'anticlinal des Egaux, au N du Guiers Vif.
B- fait la synthèse des données de la gorge du Guiers Vif et de celles des abords de la route N 520c. Cette coupe montre la structure au niveau de la naissance du chevauchement.
C- donne l'aspect de la structure à peu près à mi-distance des vallées du Guiers Mort et du Guiers Vif : Le chevauchement est à peu près parallèle au couches de son toit (dispositif de "plat au toit") mais sectionne le flanc E du flanc E du synclinal chevauché (synclinal de Voreppe).
D- illustre le passage du chevauchement par "plat au toit", utilisant la base des calcaires du Fontanil (Valanginien - Berriasien supérieur), à la "rampe de toit", sectionnant les couches du tithonique, qui est sans doute à l'origine de la formation de l'anticlinal de Fourvoirie.
Fig.5 : Le chevauchement chartreux médian dans les gorges du Guiers Mort : carte d'ensemble du bas versant de rive droite (entre le Pic de l'Oeillette et le Habert des Rochers).
Plusieurs failles de décrochement, dextres, décalent le flanc W, redressé à la verticale, de l'anticlinal médian (elles décalent aussi sa charnière à la sortie amont du deuxième tunnel). Leurs effets parasites n'empêchent pas de voir la continuité et la minceur globale de ce flanc.
Les nombreuses cassures d'étirement qui le sectionnent ne sont pas représentables à cette échelle : elles sont détaillées dans les figures 5, 6, et 7. Ces 3 figures sont localisées respectivement par un gros point noir, un cercle et un astérisque, sur la carte de la présente figure.
Une coupe synthétique correspondant à la surface couverte par la carte est donnée en fig.15 (partie gauche).
Fig.6 : Coupe du chevauchement chartreux médian dans les gorges du Guiers Mort : section naturelle fournie par la route D 520b, à la sortie amont du tunnel aval, 1000 m. en amont du Pic de l'Oeillette (localisation fig.5).
a. Aspect d'ensemble (schématisé). Le couloir mylonitique correspond à l'écrasement intense des marno-calcaires du Berriasien inférieur (transformés en une alternance de feuillets millimétriques d'argile et de calcite).
b. Détail de l'affleurement des calcaires bioclastiques du Valanginien - Berriasien supérieur (emplacement désigné par une étoile sur la figure a).
Noter le débitage en blocs métriques à décimétriques, par l'intense fracturation : il y a deux familles de microfailles, la première à pendage E faible et la seconde à fort pendage W ; l'une et l'autre tranchent la schistosité en la crochonnant et se disposent par rapport à elle conformément au schéma de Riedel, en dépit de valeurs angulaires un peu fortes par rapport à la direction de raccourcissement Z (on peut interpréter ceci par un pivotement, induit par l'écrasement).
Fig.7 : Détail de la base de la lame d'Urgonien du chevauchement chartreux médian, dans les gorges du Guiers Mort, immédiatement au dessus de l'ancienne route des Chartreux (50 m. en amont de la route D 520b : localisation fig.5).
Les fractures cisaillantes plates (C) qui coupent et crochonnent la schistosité (S1) du Sénonien affectent aussi la lame d'Urgonien, dont la surface basale a été ainsi découpée en escaliers; mais la surface de cisaillement principale (Ø) en a tronqué les marches qui constituent de ce fait de minuscules blocs-klippes.
Fig.8 : Détail de la coupe naturelle de la route forestière du habert des Rochers, à l'W des prairies de Chartrousette (localisation fig.5). La coupe est dessinée à partir des observations qui peuvent être faites selon la direction NE-SW, qui est celle de la route, mais avec une restitution à l'échelle selon la direction W-E.
On retrouve les thèmes microtectoniques des figures précédentes. Noter le sens de déversement du micropli affectant le Sénonien, au bord gauche de la coupe : il indique que ces plis sont congénères du plissement (plissotis de flanc W, déversés vers une charnière majeure située à l'E), et non pas du cisaillement lié au chevauchement (ils devraient alors être déversés vers l'W).
Fig.9 : Carte d'ensemble des gorges du Guiers Vif (entre Corbel et la route D 520c), montrant la structure du chevauchement chartreux médian.
Noter l'opposition entre la charnière anticlinale régulière observable à Corbel et le cou loir de tectonisation - composé de tronçons juxtaposés - qui matérialise, plus à l'W, la zone de cisaillement du chevauchement médian (Ø2).
Au delà de la limite N de la carte, à partir de la pointe de Thivelet, il est évident, malgré la médiocrité des conditions d'affleurement, qu'une succession plus complète et plus continue s'instaure dans les couches du flanc ouest de l'anticlinal médian.
Fig.10 : Coupe synthétique du versant de rive droite du Guiers Vif, entre la Pointe de Thivelet et le Guiers.
Fig.11 : Coupe de détail, à l'amont de la route D45, à l'W de Corbel, montrant la structure du flanc W de l'anticlinal médian, étiré par le chevauchement, au franchissement de l'échine montagneuse de Thivelet.
La fracturation de la lame étirée est complexe : outre les cassures principales, visiblement disposées comme des Riedels R, on en observe une multitude d'autres, dont quelques unes relativement importantes jouent plutôt à la manière des Riedels R', antithétiques.
Les hachures représentent la schistosité dans les niveaux marneux des calcaires lités du Berriasien supérieur ("calcaires du Fontanil inférieurs")
Fig.12 : Coupe d'ensemble de la montagne du Charmant Som, 2 km au S du sommet (butte de Canaple et lacets de la route forestière), montrant la géométrie et les rapports relatifs des deux lames chevauchantes sous le chevauchement chartreux oriental, au S du Guiers Mort.
Noter spécialement le sectionnement, par la surface basale de l'écaille de Canaple, des accidents secondaires de l'anticlinal médian (synclinal du Habert de Charmant Som, anticlinal du Fournel et faille du Grand Poyat).
Fig.13 : Coupe de détail de la lame de Roche Penna, au tournant coté 1442 de la route forestière, montrant les rapports entre cette lame et les couches appartenant à l'écaille de Canaple (en série à l'endroit vers l'W).
En cartouche schéma de la structure de détail de la zone de mylonite feuilletée, montrant une structure ("texture S/C") très semblable, à l'échelle près, à celle de la lame d'Urgonien.
Fig.14 : Coupe de détail sous l'écaille de Canaple, dans les derniers lacets de la route forestière, avant son débouché dans les alpages.
Le tracé de la route permet de recouper plusieurs des multiples failles plates. A l'emplacement de la coupe, l'écaille de Canaple est enlevée par l'érosion; mais immédiatement au SW du lacet occidental elle est conservée (car abaissée par une faille transverse) : on constate alors fort bien que ces failles plates se branchent sur sa surface basale de l'écaille, elle même affectée, d'ailleurs, de décalages métriques par de telles cassures.
Fig.15 : Coupe synthétique de la rive N du Guiers Mort aux abords du couvent.
La coupe montre le chevauchement chartreux oriental, entre le Pont du Grand Logis et le sommet du Grand Som et se prolonge vers l'W jusqu'au chevauchement médian (se reporter aux figures 4 à 7, pour les détails de cette dernière structure).
Fig.16 : Carte détaillée du versant W du Grand Som, montrant le raccord anticlinal de la lame d'Urgonien du Rialet avec l'Urgonien (à l'endroit) du sommet de la montagne.
La disposition anticlinale est particulièrement bien exprimée par la cartographie. Cela est dû à la fois à ce que la charnière du pli plonge vers le N et à ce que le versant SW de la montagne est plus déclive que le versant NW.
Noter aussi la charnière synclinale du Sénonien du col de Mauvernay et surtout la manière dont le chevauchement chartreux oriental (Ø3) perd son individualité en se partageant entre les multiples fractures qui débitent la lame d'Urgonien (seules les plus importantes sont représentées).
Fig.17 : Le chevauchement chartreux oriental dans les gorges du Guiers Vif.
Coupe de la route D 520c, 1 km à l'W de Saint-Pierre-d'Entremont : noter surtout les deux charnières du pli anticlinal frontal.
Fig.18 : Coupe synthétique du chevauchement chartreux oriental, entre les gorges du Cozon et le village des Gandys.
Noter l'effilement des divers niveaux du flanc W de l'anticlinal du Boucherin et le synclinal dessiné par le Sénonien des Gandys.
Fig.19 : Croquis de détail de l'affleurement du Pont du Lac, le long de la route D 912 (calcaires inférieurs du Fontanil : Berriasien supérieur).
L'intense débitage des couches par des failles inverses à faible pendage E fait que la stratification, très redressée, n'est bien visible que dans les tronçons les plus épais; elle n'est pratiquement plus perceptible dans les lames dont l'épaisseur est inférieure à un mètre. Cette structure mésoscopique relève du type dit S/C car une schistosité (S1), subparallèle à la stratification (So), est également recoupée par les fractures cisaillantes (C). Cette schistosité est d'ailleurs mieux développée dans les zones de connexion de ces fractures.
Fig. 20 : Schémas théoriques des deux "modèles" géométriques envisageables.
a : Le schéma des duplex à pendage vers l'avant, formés sous un chevauche ment majeur après dépassement du secteur soumis ultérieurement à l'écaillage.
b : Le schéma synthétique résultant des observations exposées dans le présent article: l'écaillage est plus probablement lié à la progression du front du chevauchement majeur, front qui ne dépasse pas celui de la zone écaillée.