Mont Aiguille

une sentinelle avancée au flanc oriental du Vercors

Le Mont Aiguille (2087 m) domine le Trièves occidental et son isolement attire l'attention lorsque on regarde le massif du Vercors depuis les secteurs situés plus à l'est. C'est fondamentalement une typique "butte témoin", qui a été isolée du reste de la dalle urgonienne armant les plateaux orientaux du Vercors par des ravines qui rongent les terrains plus marneux de son substratum. Elles entaillent le rebord subalpin* en y dessinant deux rentrants qui encadrent l'arête portant le Mont Aiguille, celui de la Bâtie au nord et celui de Donnière au sud.


Le Mont Aiguille vu du nord, depuis le col du Fau
Cet énorme chicot d'Urgonien (plus précisément de "calcaires du Glandasse", bioclastiques, d'âge Barrémien inférieur) est posé sur un socle pyramidal d'Hauterivien et de Barrémien inférieur marno-calcaire.
Le ravinement dans ce socle, relativement marneux, de la montagne sape son couronnement calcaire et entraîne l'effondrement de tranches successives (la zone de départ d'une tranche récemment éboulée se reconnaît à la teinte plus rose de la roche non patinée.
f.J = faille du Jasneuf


D'un point de vue strictement géographique la position du Mont Aiguille porterait à le considérer comme faisant plutôt partie du Trièves que du Vercors. En effet il est isolé entre des ravins qui descendent tous vers le sillon subalpin et qui sont drainés par l'Ébron avant de se jeter dans le Drac ...

Contrairement à ce que suggère son nom le sommet du Mont Aiguille n'est en aucune façon une pointe acérée : c'est au contraire un petit plateau plutôt herbeux de 600 m de long par 100 m de large, incliné vers le SW. Mais il est délimité de toutes parts par des falaises très verticales qui ne trouvent de répondant que du côté occidental, où elles regardent , par dessus le col de l'Aupet, vers les falaises des Rochers du Parquet (voir la page "Parquet"). Le Mont Aiguille apparaît ainsi comme le promontoire originel des plateaux orientaux du Vercors dont le rebord oriental, attaqué par l'érosion du bassin du Drac, a reculé jusqu'à être actuellement représenté par les Rochers du Parquet.

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Le versant sud-oriental du Mont Aiguille, vu d'avion, du sud, depuis l'aplomb de la Tête de Praorzel.
La falaise "urgonienne" est constitué ici par les calcaires du Glandasse, à faciès bioclastique, équivalents de la seule partie inférieure, barrémienne, de l'Urgonien des régions plus septentrionales.
Ils reposent sur d'épaisses alternances calcaréo-argileuses du Barrémien tout-à-fait inférieur et de l'Hauterivien (l'un et l'autre très épais).
Le Valanginien est presque entièrement représenté par des marnes dans lesquelles l'érosion a aménagé une combe qui détache du rebord subalpin un crêt inférieur, armé par la barre tithonique .


La terminologie des études les plus récentes (voir la page "stratigraphie") ne considére pas que l'entablement calcaire du Mont Aiguille est formé de calcaires urgoniens : la raison en est que l'analyse sédimentologique précise montre que ces calcaires ont un micro-faciès différent de celui du "véritable" urgonien : il s'agit ici de calcaires bioclastiques (c'est-à-dire formés de fins débris de coquilles) qui appartiennent à la "formation de Glandage", dont l'âge (Barrémien inférieur) est, en outre, plus ancien que celui de l'Urgonien du Vercors septentrional.

D'autre part sous les calcaires bioclastiques de Glandage une bonne partie de l'épais talus qui leur sert de socle appartient non pas à l'Hauterivien (comme en Vercors nord) mais au Barrémien tout-à-fait inférieur, qui y est déjà fort épais.

L'analyse détaillée de la succession de ces couches bioclastiques montre en outre qu'elles ne se sont pas déposées de façon continue et régulière mais avec des interruptions correspondant à des épisodes d'ablation sous-marine (voir la figure ci-après).

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Détail de la face orientale du Mont Aiguille, vue des environs occidentaux de Clelles.
On distingue, en haut de la falaise, la présence d'une surface de discontinuité (Di), oblique à la stratification (s0), correspondant donc à un "ravinement" en cours de sédimentation, qui sépare deux séquences sédimentaires successives.

Le hiatus des affleurements urgoniens aux abords du col de l'Aupet, entre le Mont Aiguille et le sommet septentrional (2004) des Rochers du Parquet, n'est nullement déterminé par une cassure qui suivrait le rebord oriental, orienté N-S, de la falaise de ces derniers. Par contre, il s'avère lié au passage d'une cassure majeure (voir la carte structurale), la faille du Jasneuf dont le tracé suit le très important retrait, en direction du SW, qui affecte là le rebord urgonien des plateaux du Vercors : il suit jusqu'au Pas de l'Aiguille le pied des falaises orientées NE-SW qui dominent tombent du nord sur le haut vallon de Blonnière.

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Le versant sud des Rochers du Parquet et du Mont Aiguille vus du sud, depuis les pentes nord-ouest de Tête Chevalière
f.J = faille du Jasneuf : dans les pentes sud du col de l'Aupet elle juxtapose le flanc ouest de l'anticlinal de la Moucherolle a.M (Rochers du Parquet) au flanc ouest du synclinal de Gresse s.G, dont le Mont Aiguille constitue le coeur (voir schéma ci-dessous).
Le vallon supérieur de Donnière est masqué derrière le rebord boisé, coupé de prairies, du plateau de Chevalière (second plan).

Cette faille, qui court le long du pied des falaises les plus méridionales des rochers du Parquet s'écarte de leur tracé notamment là où ces falaises deviennent N-S. À cet endroit elle affecte, toujours dans la même direction NE, les formations sous-jacentes, plus marneuses, du versant sud du col de l'Aupet, dont elle traverse les ravins. Son tracé détermine ensuite le ravin qui s'élève jusqu'à la crête pour atteindre le pied de l'éperon nord-ouest des falaises du Mont Aiguille.

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La face nord du Mont Aiguille et les Rochers du Parquet vus du nord, depuis le Grand Veymont
f.J = faille du Jasneuf ; f.Q = faille de la Queyrie : la ravine qui aboutit au Pas des Bachassons est creusée dans la bande de Barrémien inférieur qui s'élève jusqu'au col, entre les deux branches de la faille qui encadrent cette navette* de décrochement.
Noter la différence de pendage entre les couches du Petit Veymont et celles du Mont Aiguille.

À cet endroit, c'est-à-dire sensiblement au point de départ de la voie normale d'ascension, son tracé franchit la crête du col de l'Aup et change de versant pour longer alors le pied de sa face nord. Son quasi parallélisme avec la ligne de crête fait bien comprendre qu'elle est à l'origine des escarpements de ce versant. D'autre part les sinuosités que décrit alors son tracé, à la traversée des ravins et des échines du versant, témoignent de ce que sa surface de cassure est très proche de la verticale : ce caractère, qui se confirme sur toute la longueur de cet accident porte à lui accorder un jeu en décrochement que d'autres indices portent à considérer comme dextre.

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Le versant septentrional du Mont Aiguille, vu du nord depuis le col de l'Allimas.(cliché original obligeamment communiqué par M. Cl. Mansiot)
a.M = anticlinal de la Moucherolle (extrême prolongement méridional) ; f.JN = faille du Jasneuf.

La faille de Jasneuf se poursuit enfin dans le soubassement marno-calcaire de la montagne jusqu'au col des Pellas, pour franchir enfin la barre tithonique dans le flanc sud de la Tête de Papavet (voir la page "Saint-Michel-les-Portes")


Le Mont Aiguille vu du NE
depuis le col des Pellas
Sous cet angle on voit pratiquement l'enfilade la faille de Jasneuf : elle décale verticalement les couches du soubassement du Mont Aiguille en abaissant le compartiment qui porte le sommet par rapport à celui de droite, du vallon de La Bâtie et des Rochers du Parquet.

Le déplacement relatif des deux lèvres de cette faille aboutit, au niveau du Mont Aiguille, à un rejet vertical qui abaisse la lèvre portant ce sommet ; cela est dû à ce que, du fait du décalage horizontal, ce dernier se situe dans le synclinal de Gresse alors que les couches situées de l'autre côté de la faille (compartiment NW) sont affectées par l'anticlinal de la Moucherolle (voir le schéma ci-après).



Schéma interprétatif des déformations au sud-est et au nord-ouest de Gresse
f.Q = faille de la Queyrie ; F.J = faille du Jasneuf
a.M = anticlinal de la Moucherolle ; s.G = synclinal de Gresse.
La dalle rocheuse représentée est celle du Tithonique, qui porte les petits sommets de La Pale, du Baconnet et de l'Aubeyron (les sommets urgoniens qui sont en outre indiqués se situent donc à une certaine hauteur au-dessus de la surface supérieure de cette dalle).

Ce schéma, simplifié à l'extrême, est surtout destiné à expliquer le changement de pendage entre le Grand Veymont et le Mont Aiguille :
- le Grand Veymont appartient au compartiment septentrional de la faille de la Queyrie, son sommet étant situé sur le flanc ouest de l'anticlinal de la Moucherolle
- le Mont Aiguille appartient au compartiment méridional de la faille du Jasneuf, compartiment qui n'est presque pas affecté par l'anticlinal de la Moucherolle, fortement amorti à cette latitude ; il y est situé dans le synclinal de Gresse, fortement décalé vers l'ouest par les deux décrochements successifs.
Ce schéma montre en outre le rapport probable entre l'effacement, du nord vers le sud, de l'anticlinal de la Moucherolle et l'indépendance de déformation de 3 compartiments désolidarisés par le jeu des deux failles de coulissement : ces dernières ne sont pas de simples décrochements car le raccourcissement lié au plissement n'est pas de même ampleur lorsque l'on passe de l'un à l'autre de ces compartiments (il s'atténue par paliers vers le sud). Le compartiment le plus sud-oriental (de Chichiliannne) étant à peine plissé.


L'isolement du Mont Aiguille par rapport aux plateaux situés plus à l'ouest n'est, en définitive, pas l'effet du hasard car il assez visiblement lié à la présence de la faille du Jasneuf. En effet l'Urgonien du sommet, abaissé au coeur du synclinal de Gresse, a été exposé à l'érosion moins tôt et moins fortement que celui, surélevé par l'anticlinal de la Moucherolle, qui recouvrait originellement le vallon de de la Bâtie, situé de l'autre côté (au nord-ouest) de la faille.

En contrepartie, au sud-est de la faille, l'Urgonien surélevé par l'anticlinal de la Moucherolle (et donc plus exposé à l'érosion) affleurait au sud-ouest du Mont Aiguille, entre col de l'Aupet et Pas de l'Aiguille. Cette circonstance a sans doute entraîné son décapage précoce, induisant l'érosion à creuser dans les marno-calcaires sous-jacents le vallon de Donnière (voir les pages "Pas de l'Aiguille" et "Chichillianne") et faisant même que, par le jeu du processus de l'érosion remontante*, ses ravinements latéraux atteignent et dégagent le miroir de faille des falaises méridionales des Rochers du Parquet.

 


cartes géologiques au 1/50.000° à consulter : feuille La Chapelle en Vercors


Carte géologique très simplifiée du rebord sud-oriental du Vercors
redessinée sur la base de la carte géologique d'ensemble des Alpes occidentales, du Léman à Digne, au 1/250.000°", par M. Gidon (1977), publication n° 074
légende des couleurs


Grand Veymont

(Gresse amont)

(Serpaton)
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