La
tectonique des chaînons à l'ouest du Grand Buëch (Diois et Baronnies) |
cartes géologiques et tectoniques |
Lorsque, venant du N, on aborde la "fosse vocontienne" après avoir traversé tout ou partie du Vercors, on est frappé, au point de vue tectonique, par le changement radical de direction des structures. Aux plis et aux fractures N-S, qui affectent seuls le Vercors, succèdent en effet, en quelques kilomètres et sans qu'aucun accident vienne marquer la limite entre les deux régions, les structures E-W du Diois.
Pour important et rapide qu'il soit, ce changement d'orientation n'est toutefois pas total. A la direction E-W, qui caractérise la plupart des structures du Diois et des Baronnies, se surimposent, en effet, de façon plus ou moins nette et intense suivant les secteurs, des accidents orthogonaux correspondant soit à de grands décrochements de direction grossièrement N-S, soit à des plis de même orientation, soit encore à des brachy-anticlinaux et des brachy-synclinaux résultant de l'interférence des deux directions.
Les décrochements, bien étudiés par J.
Goguel, tronçonnent les plis E-W et présentent en
général les deux caractéristiques suivantes
:
1° - de déterminer le déplacement relatif vers
le S du compartiment oriental ;
2° - de provoquer la surélévation relative du
compartiment occidental. C'est ainsi qu'une traversée E-W
du massif recouperait successivement les trois tronçons
d'un même grand anticlinal (plus de 50 km d'E en W) qui,
fractionné par les décrochements majeurs de "Saillans
- Condorcet - Mérindol" et de "Die - Jonchères
- La Motte - Le Buis" forme du NW au SE les chaînons
de "Couspeau" de la "Montagne d'Angèle"
et de "Raton - Maraysse - Serre de Bouisse".
Les plis de direction méridienne que l'on peut observer dans la "fosse vocontienne" sont moins importants et surtout moins spectaculaires que les décrochements de même direction auxquels ils paraissent d'ailleurs associés. Ils sont à peu près localisés, d'une part dans le secteur occidental du Diois et des Baronnies, dans le voisinage du grand décrochement de "Saillans - Condorcet - Mérindol", d'autre part dans le Bochaine septentrional, à l'approche du Dévoluy (anticlinal de Grimone).
Comme exemples de brachy-anticlinaux et de brachy-synclinaux on peut citer le "dôme d'Aurel" (à 1'W de Die) et la "cuvette de La Faurie" (Au S de St Julien-en-Bochaine).
Âges
La détermination de l'âge des différents plis et fractures affectant le Diois et les Baronnies est un problème particulièrement difficile à résoudre car la plupart des accidents ont été soumis, depuis le début de leur formation, à une succession de rejeux qui, pour certains, ont pu s'échelonner depuis la fin du Crétacé moyen jusqu'à la fin du Miocène.
Aussi, ne pouvant entreprendre ici l'exposé complet
de ce problème., nous nous bornerons :
1°/ à indiquer le rôle que les phases orogéniques
anté-sénonienne, post-miocène et anté-oligocène
ont joué d'après nous dans la formation des plis
E-W de la fosse vocontienne ;
2°/ à rappeler les faits permettant de dater les grands
accidents méridiens qui recoupent ces plis.
Accidents E-W
Mouvements anté-sénoniens : dans la région de St Julien-en-Bochaine, les anticlinaux et les synclinaux E-W qui se succèdent entre le synclinal de Lus et le brachy-anticlinal de La Faurie sont surmontés en discordance angulaire totale par le Sénonien transgressif du Dévoluy occidental (massif de Durbonas), ainsi que l'indiquent excellemment les contours de P. Lory (feuille Die au 80.000e). I1 s'agit de plis véritables, et non de simples ébauches ou bombements, qui avaient subi, avant la transgression, une forte érosion puisque le Sénonien -dont la base est datée ici de l'Emschérien indéterminé- repose jusque sur le Jurassique, ce qui implique l'ablation d'environ 1000 m de sédiments.
Ces structures de la région de St Julien peuvent être suivies, malgré les accidents transversaux qui les affectent, jusqu'à la vallée de la Drôme, au niveau de l'anticlinorium de Die. On peut donc avancer avec assurance, comme l'admettait J. Goguel, que les plis E-W du Bochaine et du Diois nord-oriental ont été formés -mais pas seulement ébauchés- au cours d'une phase orogénique dont les premiers effets se seraient fait sentir au Turonien inférieur ("grès rouges", "conglomérat des Gâs") et dont le paroxysme se situerait à l'orée du Sénonien.
En dehors de cette région (et de celle s'étendant plus à l'E sous et au-delà du Dévoluy) l'absence de Sénonien ne permet pas d'affirmer que les plis E-W des autres secteurs de la fosse vocontienne résultent eux aussi, à leur origine, de cette même phase orogénique. Une telle hypothèse peut toutefois être admise avec vraisemblance car l'argument utilisé en 1947 par J. Goguel pour la repousser n'est plus valable. On sait en effet maintenant que les formations néocrétacées conservées dans les grands synclinaux du Diois et des Baronnies sont antérieures aux formations sénoniennes transgressives du Dévoluy et que, par conséquent, ces grands synclinaux - ainsi que les anticlinaux qui les encadrent- peuvent s'être formés en même temps que les plis E-W du Bochaine et du Diois nord-oriental C'est ainsi d'ailleurs que le synclinal de La Bâtie-Crémezin, qui prolonge à 1'W celui des Roumines que le Sénonien de Durbonas transgresse avec discordance de 90°, renferme en son coeur du Turonien.
Nous admettrons pour notre part que la phase orogénique anté-sénonienne, minimisée jusqu'ici dans ses effets (" ébauches de plis ", " bombements ") et limitée dans son extension (Dévoluy et ses bordures immédiates), a joué dans la genèse des chaînes subalpines méridionales un rôle nettement plus important et plus étendu qu'il n'était admis jusqu'à présent.
Mouvements post-miocènes : si l'existence de plis anté-sénoniens est certaine dans le Bochaine et très probable dans le reste du Diois et des Baronnies, la réalité de déformations post-miocènes n'est pas moins évidente. Toutefois, la phase orogénique de la fin du Miocène ne s'est réellement fait sentir -et alors de façon prépondérante- que dans le S des Baronnies et sur le front de la chaîne Lure-Ventoux.
Dans le reste de la "fosse vocontienne" ses effets
paraissent au contraire avoir été négligeables
et, là où ils ont pu exister, il est généralement
très difficile de les distinguer avec certitude de ceux
des phases antérieures. Le rôle peu important joué
par la phase orogénique de la fin du Miocène dans
la majeure partie de la "fosse vocontienne" ressort
nettement de la discordance séparant la plupart des plis
E-W du Diois et des Baronnies des formations miocènes se
trouvant à leur contact.
A l'intérieur même de la "fosse vocontienne"
cette discordance ne peut être mise en évidence qu'en
trois points, qui sont les seuls où des témoins
de Miocène soient conservés :
- à Mévouillon, où le Burdigalien repose
en discordance totale sur le Cénomanien redressé
du flanc nord du synclinal de la Méouge ;
- - à Bénivay, où le Burdigalien se montre
transgressif et discordant sur la couverture crétacée
(Cénomanien à Valanginien) de 1 ennoyage occidental
de l'anticlinal du Buis-Beauvoisin ;
- - à Montaulieu, où, entre autres contacts variés,
le Burdigalien du point 710 (feuille Nyons n°6 au 20.000e)
transgresse (avec surface perforée à la base) les
calcaires tithoniques renversés d'un petit mouvement anticlinal
de direction E-W.
A la limite occidentale du Diois et des Baronnies, l'antériorité
et l'indépendance des plis E-W par rapport au Miocène
rhodanien ressort à l'évidence de la lecture des
cartes géologiques. Tout au plus peut-on constater, comme
sur le flanc SW de l'anticlinal de La Lance, le rejeu tardif de
la bordure du bassin de Nyons.
Au N de la chaîne de Lure en revanche, dans le grand sillon
synclinal de "Jabron-Montbrun-Fontaube", l'Oligocène
et le Miocène (Burdigalien et Helvétien) sont non
seulement plissés de façon violente mais sont très
nettement engagés sous le chevauchement nord de la chaîne
Lure-Ventoux, comme l'ont reconnu de longue date tous les géologues
ayant étudié ce secteur. De plus, les effets de
l'orogenèse miocène se sont fait sentir sur
les chaînons "vocontiens" les plus méridionaux,
ceux-ci correspondant à un anticlinal complexe dont le
déversement vers le S est parfois assez prononcé
pour venir en contact avec le déversement nord de Lure
et du Ventoux et pour oblitérer localement le synclinal
du Jabron et de Fontaube.
Mouvements post-sénoniens et anté-miocènes . il est probable que les phases orogéniques anté-sénonienne et post-miocène n'ont pas été les seules à modeler les structures E-W du Diois et des Baronnies. Ces structures, qu'elles aient été formées ou seulement ébauchées durant la phase anté-sénonienne, ont très certainement rejoué à une ou plusieurs reprises entre ces deux périodes. Mais l'âge exact de ces rejeux, de même que l'intensité de leurs effets ne peuvent faire l'objet que d'hypothèses.
Étant donné le rôle important généralement joué dans le S des Alpes par la phase orogénique dite pyrénéo-provençale, ont peut penser que les laminages présentés, sur l'un ou l'autre de leurs flancs, par de nombreux anticlinaux E-W du Diois et des Baronnies ne sont pas originels (i.e. ne dateraient pas de la phase anté-sénonienne) mais résulteraient de rejeux anté-oligocènes. Ce n'est toutefois là qu'une hypothèse et un âge anté-burdigalien pourrait aussi bien être attribué à ces déformations ultimes.
Accidents N-S
Recoupant ou déformant les plis E-W, les décrochements et les plis N-S leur sont forcément postérieurs, mais cela ne signifie pas que ces accidents méridiens soient tous contemporains ni qu'ils se soient formés en un seul temps. De nombreux indices, dont l'exposé sortirait du cadre de ce texte, conduisent à penser qu'ils ont connu eux aussi des jeux et des rejeux successifs, mais ici encore l'absence ou la très grande rareté des formations tertiaires rend leur datation imprécise.
Parmi tous les décrochements et effondrements N-S affectant la "fosse vocontienne", trois seulement intéressent des sédiments tertiaires. Le premier est le grand décrochement de "Saillans-Condorcet-Mérindol" qui recoupe les formations burdigaliennes et helvétiennes de Bénivay et de Montaulieu et qui, de ce fait, peut être considéré comme post-miocène, tout au moins dans ses effets ultimes. Le second est l'étroit fossé d'effondrement de "la Beaume-Bonneval", dans le NE du Diois, où sont conservés des témoins de "molasse rouge" réputée aquitanienne. Celui-ci est certainement post-aquitanien, mais rien ne permet de dire si son âge est plus récent. Le troisième enfin est la faille NE-SW d'Eygalayes, qui affecte le Lutétien et 1'Eocène supérieur du synclinal de la Méouge, et dont l'âge est par conséquent au moins post-éocène.
Comme on le voit, la somme des faits sur lesquels peut s'appuyer la datation précise des accidents N-S du Diois et des Baronnies est bien faible.. Malgré cela, et compte-tenu des raisons indirectes qui peuvent être évoquées, nous admettrons comme nos prédécesseurs que les accidents méridiens qui affectent la "fosse vocontienne" résultent, quant à leurs déformations et déplacements ultimes, du contrecoup des derniers mouvements alpins et sont par conséquent attribuables au Miocène terminal ou au début du Pliocène.
Style
- Si, pour le géologue parcourant le Diois et les Baronnies, les calcaires du Tithonique dessinent admirablement les traits structuraux de cette région, il est certain que ces calcaires n'ont joué, en dehors des figures de détail, qu'un rôle passif dans les déformations auxquelles ont été soumises les formations de la "fosse vocontienne". Comme le montrent les coupes dessinées à l'échelle, l'épaisseur de ces calcaires est beaucoup trop faible pour avoir pu intervenir activement dans la tectonique régionale et c'est au puissant ensemble plastique des "terres noires" et de l'Argovien, ainsi qu'à 1'ensemble également déformable et épais du Crétacé inférieur (s l ), que la "fosse vocontienne" doit son style tectonique souple, si différent de celui du Vercors et de la chaîne Lure - Ventoux.
Cette plasticité des " Terres noires " s. lato explique l'existence des grands anticlinoriums (de Die, d'Aspremont, de Laragne) dans lesquels viennent se fondre les plis des zones adjacentes. C'est à elle que l'on doit également l'allure éjective et parfois presque diapirique des anticlinaux pincés et laminés qui séparent les vastes synclinaux à fond plat. Ces derniers, qui présentent parfois une structure en "blague à tabac" par suite du déversement en sens opposé de leurs flancs, contrastent absolument avec les anticlinaux et constituent l'un des traits les plus caractéristiques de la région
Le sens de déversement des anticlinaux n'est pas totalement anarchique mais il varie selon les plis et même, assez souvent, le long d'un même pli. Dans quelques cas, le déversement en sens opposé de leurs deux flancs confère à certains anticlinaux une structure "en champignon''. Statistiquement, les déversements se font surtout vers le S. dans les Baronnies méridionales tandis que dans le N des Baronnies et dans le Diois ils sont plutôt vers le N. L'amplitude de ces déversements est généralement faible : dans quelques cas cependant elle peut atteindre des valeurs de 500 m à 2.000 m. Ces fortes amplitudes s'observent parfois dans des secteurs peu étendus et correspondent alors à ce qu'on pourrait appeler des "bavures" locales. Tel est le cas par exemple de la Vanige, dans l'anticlinal de la Clavelière, au S de Verclause, où le déversement se fait vers le N, ou celui de Poet-en-Percip, dans l'anticlinal des Tunes, où le déversement se fait vers le SW. Des déversements importants peuvent également intéresser tout le flanc d'un anticlinal comme cela se produit à la Montagne d'Angèle où le chevauchement (avec rabotage basal typique) du flanc nord de la structure sur les "marnes bleues" du synclinal d'Arnayon est visible sur une profondeur de 2.000 à 2.500 m. Quels que soient le sens et l'amplitude des déversements, il semble que ceux-ci résultent pour une large part d'"écoulements" vers des zones basses plutôt que de "poussées" , certains de ces "écoulements" paraissant très récents et pouvant relever de phénomènes de "collapse" plutôt que de tectonique proprement dite. C'est enfin à de véritables phénomènes de "décoiffement" que l'on doit les "glissements rocheux en masse" qui constituent l'un des traits les plus caractéristiques des Baronnies.