Géologie Alpine, t.66, 1990, p. - .

Les anciennes carrières de Grenoble et de ses environs immédiats

par Jacques DEBELMAS*
* Laboratoire de Géologie Alpine associé au C.N.R.S. (URA 69)
Université Joseph FOURIER, INSTITUT DOLOMIEU, 15 Rue Maurice GIGNOUX, 38031 GRENOBLE CEDEX, FRANCE

Sommaire : Inventaire des anciennes carrières de pierres de taille de Grenoble et de ses environs classées par ordre stratigraphique. Pour chacune, on décrit le matériau utilisé, les époques où elle était en activité et les édifices construits avec les pierres qu'on en extrayait.

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Ancienne cité romaine, puis capitale du Dauphiné, certes implantée dans une plaine alluviale, mais au pied de reliefs montagneux surtout calcaires, Grenoble a très tôt utilisé pour ses monuments, ses maisons, ses digues, ses remparts ou ses ponts les matériaux locaux les plus proches, qui étaient par ailleurs d'excellente qualité.

Les anciennes carrières correspondantes n'ont pas fait l'objet d'une étude systématique, si l'on excepte celle de D. Jalabert, déjà ancienne (1969), incomplète et publiée dans un périodique local de faible diffusion. Il m'a donc semblé utile de reprendre cet examen. Il ne sera question ici que des pierres de taille. On laissera de côté les pierres à plâtre et à ciment. Pour faciliter l'exposé, on décrira les niveaux exploités dans l'ordre stratigraphique, c'est à dire par ordre d'ancienneté décroissante.

LE TRIAS

On ne peut le citer que par ses quelques niveaux d'albâtre qui ont été exploités à Notre Dame de Mésage en même temps et au même lieu que le gypse qui lui est associé. Cet albâtre dauphinois, à reflets vaguement bleutés, est entré dans la décoration de la chapelle mortuaire de Napoléon Ier aux Invalides.

LE JURASSIQUE INFERIEUR

A. Les moellons et les marbres

Le "calcaire de Laffrey", faciès littoral, à entroques, du Lias, a été exploité jusqu'en 1870 dans des carrières situées immédiatement au nord et à l'est du village de ce nom, ainsi qu'au sud du hameau du Peychagnard, commune de Susville, près de La Mure. De teinte grise, de texture un peu irrégulière, mais facile à tailler et de bonne tenue, il a servi comme pierre de taille pour la construction locale et, notamment, pour quelques parties du château de Vizille ( encadrements de fenêtres et chaînages de la tour notamment), du pont de Vizille sur la Romanche (arcs d'intrados), ainsi que du pont Haut, sur la Bonne, au sud-est de La Mure.

Le calcaire de Laffrey a été utilisé au XIX e siècle comme marbre de cheminée d'appartement ou de dalle avant-foyère, voire de dessus de commode, sous le nom de "Gris panaché". Il est en effet susceptible d'acquérir un beau poli et offre un aspect décoratif grâce au nombreux filets blancs de calcite qui le sillonnent.

Au Lias, appartiennent aussi d'autres marbres de la région, comme les marbres noirs homogènes de Corps et de Sainte Luce (carrières disparues); on sait seulement que celles de Corps se trouvaient au lieu dit Les Ravioles (c'est à dire dans les grands ravinements situés en rive droite du ruisseau de la Salette, au Nord de Corps). Le marbre de Sainte Luce a été employé pour le tombeau de Napoléon Ier aux Invalides ou pour le mausolée de Lesdiguières (actuellement conservé au musée de Gap). Ces marbres sont noir de jais, donc plus foncés et plus unis que celui de Laffrey. Ils proviennent d'un calcaire noir non spathique, à grain très fin, du Lias inférieur.

Tous ces marbres étaient taillés et polis soit à La Mure, soit à N.D. de Mésage où la plâtrerie possédait un atelier annexe de marbrerie.

B. Les ardoisières

Elles exploitaient le Lias supérieur schisteux et pratiquement chaque vallée entaillée dans ce terrain avait ses ardoisières. Les anciennes exploitations les plus proches de Grenoble étaient, par ordre d'importance, celles d'Ornon (encore 11 exploitations au 19e siècle), Misoën (8), Venosc et Oz en Oisans (4), Besse, Allemont (2) pour ne citer que celles où l'exploitation était quasi permanente et où les ardoises étaient suffisamment pauvres en calcaire pour résister assez longtemps aux agents atmosphériques.

LE JURASSIQUE MOYEN

La "pierre de Corenc" est un calcaire à entroques représentant un faciès littoral local du Bajocien dauphinois. Cette pierre, de couleur grise en cassure, mais brune ou gris roussâtre en patine, n'a pas été très employée à Grenoble même (sauf en remplissage dans le mur romain) mais a, par contre beaucoup servi dans les communes voisines du bas Grésivaudan (La Tronche, Corenc, Meylan, Biviers, etc.) pour la construction des murs de propriétés ou de maisons. Elle n'était pas taillée et ne servait que de moellons.

Les deux carrières (respectivement sous le tournant de la Corne d'Or et au dessus du cimetière de Corenc) existent toujours mais sont englobées dans des propriétés privées.

LE JURASSIQUE SUPERIEUR

A. Faciès tithonique

Il a été surtout exploité dans le promontoire qui forme la rive droite de l'Isère, au pied de la montagne de la Bastille.

Les carrières "extra muros".

De l'époque romaine jusqu'au 14e siècle, l'Isère léchait le pied du rocher entre le pont Marius Gontard et la Porte de France, si bien que la voie romaine de Lyon devait passer au dessus (montée Chalemont) pour redescendre ensuite vers St Martin-le-Vinoux. Les premières exploitations se situaient donc quai Perrière (d'où le nom), dans le Séquanien, dont les calcaires durs, bien lités, en bancs décimétriques à pluridécimétriques, se prêtaient bien à l'extraction de moellons. La carrière principale, dite du "Port de la Roche", se trouvait à peu près au milieu du quai, aux alentours de l'actuelle Montée Rabot (rue Maurice Gignoux). Elle figure encore sur un plan de Grenoble de 1536, bien que l'urbanisation progressive du quartier ait amené son abandon à la fin du 15e siècle.

De plus, en l385, Enguerrand Eudin, gouverneur du Dauphiné, avait fait tailler un chemin dans le rocher depuis le Port de la Roche jusqu'à Saint-Martin-le-Vinoux, évitant ainsi le passage de la route de Lyon au dessus du rocher. L'exploitation de la pierre à bâtir se fit alors tout le long de cette nouvelle voie longeant la berge de l'Isère. Ces nouvel les carrières, dites de "la Roche", prirent le nom de carrières de "la Porte de France" après l'édification de cette construction en 1620. Elles utilisaient surtout les calcaires du Tithonique moyen-inférieur, mieux lités que ceux du Tithonique supérieur (rocher de la Porte de France proprement dit). C'est donc à ce niveau stratigraphique que le front de taille a le plus reculé vers la montagne (entre l'ancien octroi et l'immeuble de la manutention militaire).

Ces carrières, dites "intra muros", étaient encore en service en 1849, mais un texte de 1852 évoquant la démolition d'un des fours à chaux, pourtant récents, installés dans la carrière, permet de dater de cette période la fin de l'exploitation qui va désormais se poursuivre dans les carrières "extra muros". Dès 1856, en effet, le bâtiment militaire évoqué plus haut est construit sur son emplacement.

Les carrières "extra muros".

Leur développement paraît contemporain de la grande extension de Grenoble qui débute vers 1750, puis des agrandissements, fortifications comprises, entrepris sous Louis-Philippe et Napoléon III. Les deux principales carrières sont encore bien visibles sur la retombée occidentale de la dalle tithonique, sous le Jardin des Dauphins:
- l'une à proximité immédiate de la Porte de France et accessible de l'ancienne route de Lyon (actuellement propriété privée);
- l'autre, plus éloignée et accessible de la route de Clémencières grâce à un petit chemin empierré qui s'en détache près des fortifications (carrière d'escalade).Elle est surmontée par la ruine de la maison de campagne du célèbre jurisconsulte dauphinois Guy Pape.

Ces deux carrières furent abandonnées en 1879, date où un éboulement important provoqué par un tir de mines dans la seconde provoqua la mort d'un ouvrier. Cette date ressort d'une lettre adressée l'année suivante au Préfet par la Société des Ciments de la Porte de France, alors propriétaires de ces carrières. En effet, c'est près d'elles que débutèrent, en 1842, l'exploitation et la fabrication des ciments, à partir des calcaires marneux du Berriasien, par la Société Arnaud et Carrière qui cèdera l'affaire aux Ciments de la Porte de France.

Dans tous ses emplois en pierre apparente, les calcaires de la Porte de France montrent une patine gris-blanchâtre et une cassure écailleuse, gris foncé, ce qui, joint à l'absence de sections de Rudistes, permet de distinguer ces calcaires de ceux de l'Urgonien. Ils étaient susceptibles de prendre un beau poli mais se prêtaient peu à la sculpture. En tout cas, ils ont fourni, pendant des siècles, une pierre de taille de bonne qualité avec laquelle ont été construites les parties nobles de nombreux monuments grenoblois. Citons par exemple :
- deux cippes funéraires des I et IIe siècles (Musée dauphinois)
- église St Laurent: base des murs, clocher, crypte, restauration de la base de l'abside
- église St André : base en pierre du clocher et des murs, façade en pierres regardant la place de même nom (mais les parties sculptées du portail sont en pierre de l'Echaillon)
- cathédrale Notre-Dame: façade (base du clocher et porches), bases des piliers carrés de la nef, en mélange avec de la pierre de Sassenage (Urgonien) et de l'Echaillon (parfois en réemploi de matériaux romains).
- maison forte (avec tour crénelée) du Rabot
- tour carrée dite de l'Île ou de la Citadelle (1390-1400) (les documents d'archives précisent qu'elle fut construite avec des pierres transportées depuis le port de la Roche)
- ancien couvent de Sainte-Marie-d'En-Haut (actuel Musée dauphinois), sauf le portail d'entrée qui est en Urgonien
- Porte de France (1620), en mélange avec de l'Urgonien, reconnaissable à sa patine plus blanche
- anciennes digues de l'Isère, pour le petit appareil à patine grise (le grand appareil et les parapets, plus blancs, sont en Urgonien)
- remparts de Grenoble (et forts de la Bastille), y compris la Porte St Laurent et les casemates voisines

Mais il faut ajouter que l'emploi de cette pierre s'est fait aussi et surtout dans les fondations et en moellons de remplissage des murs sous crépi : presque toutes les constructions du vieux Grenoble (notamment l'enceinte romaine) le montrent. Et cet emploi se prolongea jusqu'au 19e siècle alors que les pierres de taille apparentes étaient en Urgonien et Fontanil. Ce déclin, en tant que matériau noble, s'explique par le développement des moyens de transport qui faisaient préférer des pierres se taillant plus facilement. Il ne faut pas non plus négliger le fait que l'administration municipale craignait les tirs de mines au voisinage de l'agglomération et que les militaires s'opposaient à l'agrandissement des carrières qui menaçaient les fortifications.

Néanmoins, jusqu'à la fin du 19e siècle, le calcaire de la Porte de France reste la pierre la plus utilisée, sous toutes ses formes, comme le montre une enquête statistique des octrois de Grenoble en 1859. Sur un total de 1300 mètres cubes (non compris les moellons) :
Porte de France : 500
Fontanil : 400
Sassenage (Urgonien) : 200
Echaillon : 200

Et encore faut-il remarquer que les matériaux employés à la construction des édifices publics ne sont pas compris dans ces totaux car ils n'avaient pas à payer les droits d'octroi. Or les fortifications, notamment, constituèrent l'essentiel des constructions publiques de l'époque.

Signalons, pour finir avec ces calcaires tithoniques, qu'ils ont été également exploités au sud de Grenoble, à Rochefort (versant ouest du rocher), près de Pont de Claix, mais ils n'ont servi là qu'aux constructions locales, aux digues du Drac et à l'empierrement des routes. Cette exploitation a cessé en 1965 ou 1966.

2. Faciès jurassien

C'est la "pierre de l'Echaillon", qui se distingue facilement de celle de la Porte de France par sa texture plus granuleuse et son débit non écailleux. Sa couleur est blanche, tant en cassure qu'en patine, comme celle de tous les faciès coralliens, surtout à la base de la formation. Elle est plus rosée au sommet et c'est d'ailleurs cette dernière variété qui a été la plus anciennement utilisée, depuis l'époque romaine jusqu'au 17e siècle. Cet "Echaillon rose", plus dur que l"'Echaillon blanc", était exploité au niveau d'un éperon qui prolongeait vers le Nord le promontoire actuel et qui a disparu du fait même de cette exploitation. Quelques colonnes de la crypte St Laurent en proviennent, en réemploi probable de matériaux romains.

Au 18e siècle, les crues de l'Isère emportèrent à plusieurs reprises la route d'accès aux carrières si bien que l'exploitation fut abandonnée. Elle reprit temporairement en 1829, au flanc du promontoire, pour fournir les quelques blocs d'Echaillon blanc nécessaires à la construction de la chapelle centrale du cimetière St Roch.

L'exploitation régulière reprend en 1848, à ciel ouvert, sur la face nord du promontoire mais aussi en galeries souterraines à la base de la face NE, ces dernières recherchant exclusivement la variété blanche. tendre et intéressante parce que facile à travailler au départ, puis durcissant peu à peu en perdant son eau de carrière.

C'est à cette variété qu'il faut attribuer l'essentiel des constructions en Echaillon de Grenoble, par exemple les blocs du grand appareil de la façade du Muséum d'Histoire naturelle ainsi que la colonnade de ce bâtiment donnant sur le Jardin des Plantes, le portail sculpté et l'escalier du Musée de la place de Verdun, ainsi que ceux du Palais de l'Université, un des deux portails de la façade du Lycée Stendhal (ancien collège des Jésuites), la partie sculptée du portail de l'église St André donnant sur la place de même nom, la façade, l'abside de la chapelle en encorbellement et le passage voûté formant la partie la plus ancienne du Palais de Justice, la statue et le socle de la fontaine du centenaire de la Révolution française, place Notre-Dame. La réputation de ce matériau fut telle qu'il fut largement exporté hors du Dauphiné et notamment à Paris où il a été utilisé pour les parties sculptées de nombreux édifices et les colonnes de l'Opéra. L'Echaillon rose a été beaucoup moins employé. Citons, à Grenoble, les deux colonnes ornant le portail du temple protestant et quelques pierres du couvent de Ste Marie d'En-Haut (musée dauphinois).

Les carrières de l'Echaillon ont été exploitées jusqu'en 1939 (fig.1 à 6).

 

 

LE VALANGINIEN

La "Pierre du Fontanil" a été longtemps le matériau de taille le plus utilisé de la région grenobloise. Son emploi remonte aux 14e ou 15e siècles. Cette pierre était encore très employée à la fin de l'ancien régime et connut ensuite une nouvelle prospérité lors de la rénovation des vieux quartiers de Grenoble dans la première moitié du 19e siècle. Il semble que son déclin ait été dû à l'emploi excessif de la poudre qui affaiblis sait sa résistance et à l'utilisation de certaines assises qui se révélèrent gélives.

Il s'agit d'un calcaire à grain grossier, de couleur bleue en cassure fraîche mais montrant une altération brun jaune en surface et le long des fissures, ce qui lui donne un aspect bicolore tout à fait caractéristique et facile à reconnaître. En carrière, il se présente en bancs d'épaisseur variée, bien séparés les uns des autres par de petits joints marneux ce qui facilitait son extraction et son débit. Ceci, joint à sa bonne tenue à l'écrasement et aux altérations atmosphériques, explique son succès: 80% des maisons du vieux Grenoble montrent des encadrements de portes ou de fenêtres, des arcs de boutiques, des portails, en Fontanil. De nombreuses façades en pierre de taille de grand appareil peuvent être citées. Par exemple : 1 place Jean Achard, 101 rue St Laurent, 2 rue de la Paix, 2 rue Brocherie, 10 rue Lafayette, place des Tilleuls, place aux Herbes, place Claveyson, école maternelle de la rue Cornélie Gémond, arc du passage couvert et encadrement des fenêtres du Lycée Stendhal, arc du passage de l'Hôtel de ville côté place Grenette, façade Renaissance du Palais de Justice avec son passage couvert, porche du collatéral droit de la cathédrale Notre Dame avec piliers et arcatures, etc. Cette pierre a également servi pour les soubassements visibles de quelques édifices publics comme la Préfecture ou le Musée de la Place de Verdun.

On l'a également utilisé en dallage couvert (chapelle de l'église St André adossée au passage couvert de la rue Hector Berlioz, Ste Marie d'en Haut).

Cette pierre était exploitée à Piquepierre (ce dont cette localité tire son nom), dans une carrière actuellement fermée et inaccessible, mais surtout au Fontanil, où l'on peut facilement retrouver et parcourir les anciennes exploitations au niveau du premier lacet de la route de Mont-Saint-Martin, ainsi qu'en prenant un ancien chemin d'accès situé au niveau des dernières maisons du Fontanil, en amont du cimetière communal. La pierre était facilement transportée vers Grenoble par la route de Lyon toute proche, ce qui a contribué à son succès.

L'URGONIEN

C'est un calcaire blanc, dur, à pâte tantôt fine et esquilleuse, tantôt plus granuleuse, montrant souvent des sections de rudistes ce qui permet de le distinguer facilement des autres matériaux blancs (Echaillon) ou à patine blanche (Porte de France). En carrière, il se présente en bancs généralement massifs, mal stratifiés, assez difficiles à exploiter mais qui, inversement, permettent d'isoler de gros blocs.

Les principaux centres d'exploitation étaient les suivants, par ordre d'importance décroissante:

1.Sassenage. La "pierre de Sassenage" a été un excellent matériau de construction et d'ornementation qui pouvait être sculpté ou poli. De plus, parmi toutes les pierres régionales, c'est celle qui résiste le mieux aux intempéries. Il n'est donc pas étonnant qu'elle ait été utilisée depuis l'époque romaine (le musée dauphinois possède de nombreuses stèles, cippes et autels du 1e au 3e siècle en urgonien blanc). On a cessé de l'exploiter seulement à la veille de la deuxième guerre mondiale.

Les carrières étaient situées au dessus du village, aux Côtes de Sassenage, sur une sorte de replat dominant la vallée de l'Isère et encombré d'un énorme écroulement de blocs de toute taille descendus de la montagne du Loup. Ce sont ces blocs éboulés qui étaient utilisés (les carrières actuelles exploitent les "lauzes à ciment" du Crétacé supérieur qui affleurent seules ici, et qui sont ensuite transportées par télébenne jusqu'aux cimenteries de St Egrève).

Avant l'ouverture de la route d'Engins (1887), le transport des blocs ébauchés se faisait sur traîneaux ou fardiers jusqu'au port fluvial de Sassenage (lieu dit Rollandière). Ce transport était long et difficile en raison de la pente et a certainement contribué au déclin des carrières.

Parmi les édifices ou monuments grenoblois faits de "pierre de Sassenage", citons :
- l'église St Louis (façade, piliers, clocher, dallage blanc intérieur)
- une partie du portail et des façades du Lycée Stendhal
- portail, murs, balustrades et vases sculptés du Jardin de Ville
- portail et arcs aveugles de l'hôtel des Adrets (5, rue R.Blanchard)
- socles apparents de la partie du Palais de Justice construite en 1890
- soubassement et parties inférieures des immeubles ceinturant la place de Verdun (Préfecture, Cercle militaire, Musée, Hôtel de la Division)
- soubassement de l'église St Bruno
- soubassement extérieur de l'ancien évêché, place Notre Dame, et son portail à l'entrée de la rue Très-Cloîtres
- façade de la chapelle des Pénitents, 17 rue Voltaire
- portail du couvent de Ste Marie-d'en-Haut (musée dauphinois) et façade de l'ancienne église de Sainte-Marie-d'en-Bas (8 rue Très-Cloîtres)
- une partie de la façade de l'église St André (en mélange avec le calcaire de la Porte de France)
- fontaine du Lion, à l'entrée de la rue St Laurent
- fontaine Lavalette (place Grenette)
- bassin et colonne de la place de Metz.
- piles du pont suspendu (avec magnifiques sections d'Agria)

La pierre fut également très utilisée au 19e siècle pour les parapets des quais de l'Isère, les balcons ou encadrement de portes et de fenêtres de nombreux immeubles grenoblois. Plus prosaïquement, elle servit pour les rigoles et bordures de trottoirs (où l'emploi de l'Urgonien fut constant entre 1935 et 1939).

De nos jours, et dans les environs de Sassenage, les carrières Pascal de Pra-Paris, au niveau de la plaine, fournissent encore, outre la pierre à chaux, des moellons pour murettes et soubassements, ainsi que des matériaux d'empierrement des chaussées.

2. Rocheplaine. L'Urgonien y ressemble beaucoup à celui des Côtes de Sassenage mais il est un peu moins dur. Le début de l'exploitation n'est pas connu avec certitude mais on sait que c'est là qu'ont été pris les matériaux ayant servi à la construction de la fontaine monumentale de la place de Gordes, édifiée en 1817. L'emploi de cette pierre dans le bâtiment connut une période faste à la fin du 19e siècle.

3. Montagne de Ratz. La pierre ou "marbre de Ratz", analogue en tous points à celle de Sassenage avec laquelle elle a été souvent confondue, fut exploitée au 18esiècle dans le défilé du Bret (entre St Julien-de-Ratz et la Buisse). La carrière, encore visible, est connue de puis le tout début du 19esiècle. Sa production resta faible jusque vers 1890, reprit ensuite avec une certaine vigueur pour cesser en 1939 où elle ne produisait plus guère que des bordures de trottoir pour Grenoble. La pierre de Ratz a été utilisée dans divers édifices grenoblois, notamment le socle et la base du bloc central de la fontaine monumentale de la place Notre Dame (centenaire de la Révolution), ainsi que pour le monument de ce même centenaire à Vizille.

Une autre petite carrière d'Urgonien fut exploitée près de Voreppe dans les premiers lacets de la route du col de la Placette.

4. Hameau du Lignet (entre La Rivière et Saint-Gervais, en bordure ouest du Vercors nord). L'Urgonien utilisé ici se distingue des précédents par sa teinte jaunâtre. La carrière abandonnée est encore visible et accessible au Sud du hameau. Elle ne doit pas être confondue avec la nouvelle, récemment ouverte entre celle-ci et la route nationale. Elle été exploitée à partir de 1860 environ par la Société des Carrières de l'Echaillon et son produit fut ainsi vendu sous le nom d"'Echaillon jaune", ce qui a créé quelque confusion avec le véritable Echaillon qui est du Portlandien. La carrière ferma vers 1967.

D'autre part il a dû exister des exploitations plus anciennes, antérieures au 19° siècle, car cette pierre a été très utilisée pour le dallage des anciennes églises de Grenoble (St Louis, St André, etc.) et de ses environs (abbaye de St Antoine). Peut-être même est-il possible qu'on y ait sculpté les trois portails de style roman tardif de l'église St André (début du 13e siècle).

Le matériau, blanc jaunâtre, parcouru de veines irrégulières blanches ou brunes, était susceptible de prendre un très beau poli. Il forme par exemple l'essentiel des placages en marbre des entrées et halls des immeubles situés aux 10 et 12 de la rue de Belgrade ou au 7 rue Vicat, les colonnes soutènent les galeries de l'ancienne bibliothèque du musée de la place de Verdun, les gradins du maître-autel de l'église St Joseph. Il a été aussi utilisé pour le dallage du temple protestant, rue Hébert, en mélange avec la pierre de Laffrey, comme on l'a dit plus haut.

Cette pierre a également été expédiée dans de nombreuses régions de France, notamment à Paris (où elle a servi à l'Opéra, par exemple, dans les pilastres supportant les différents étages des loges d'avant-scène), à Lyon, Bordeaux, Mulhouse, Châlons-sur-Marne, Millau, etc.

Un peu au sud du Lignet, près de Rovon, une ancienne carrière, assez haut située dans le versant, vers la côte de Beigne, et toujours visible, a exploité au 19e siècle un Urgonien ressemblant beaucoup au "Lignet", bien que la couleur soit un peu plus bistre. On peut en voir dans le dallage du grand hall d'accès du Musée de la place de Verdun.

 

LE CRETACE SUPERIEUR

Il a été exploité à Fontaine, au pied de la falaise dite des Balmes. Les principales carrières étaient derrière le vieux village (la Poya) et il semble bien qu'elles soient à l'origine de l'agglomération car ces pierres ont été utilisées par les romains: les "lauzes" servaient en effet de couvercle pour de nombreux sarcophages découverts dans la région grenobloise.

Le niveau exploité à Fontaine appartient à la base du Crétacé supérieur: ce sont les "lauzes gréso-glauconieuses" du Campanien. Les couches donnant les meilleures dalles (ou "lauzes" proprement dites) ont été très utilisées comme dallages de cours intérieures (ancien évêché de la rue Très-Cloitres, par exemple), en couronnement de murs de clôture, en couverture de galeries et de canaux. Les bancs plus épais, susceptibles d'être grossièrement équarris, ont été utilisés en moellons à bâtir et pavés ("lauzes à pavés") car le "pavé de Fontaine" avait la propriété de ne pas se polir à l'usage et de conserver ainsi des aspérités évitant aux sabots des chevaux de glisser. Son emploi en dallage cesse avec celui du cheval de trait mais les moellons restent employés actuellement pour des murettes ou des soubassements de villas.

Signalons que l'exploitation de ces lauzes gréseuses entraînait, dans les carrières, l'accumulation des produits marneux non utilisés. C'est pourquoi, dès le milieu du 19e siècle, on eut l'idée d'employer ces déchets comme pierre à chaux et ciment, type d'utilisation seul actuellement en cours mais qui s'est transporté aux carrières des Côtes de Sassenage.

LE TERTIAIRE

1. L'Eocène

Les sables réfractaires de l'Eocène ont été exploités au 19esiècle au hameau de Malossane, près de Voreppe, par les verreries de Chartreuse et de Rive de Gier. Ces sables remplissaient de profondes poches karstiques dans l'Urgonien sous-jacent, poches qui ont été entièrement vidées de leur contenu du fait de l'exploitation.

D'autres carrières étaient situées près du col de la Charmette et exploitaient des sables en couches plus régulières entre le Sénonien des Rochers de Chalves et le Miocène. Les produits étaient ensuite descendus jusqu'à la gare de St Égrève.

2. Le Miocène

La "molasse" miocène de Voreppe est un grès tendre, gris verdâtre quand il est frais, jaunissant en patine. Il a surtout l'intérêt de se tailler et de se sculpter facilement, puis de durcir à l'air en perdant son eau de carrière. Mais ce matériau reste néanmoins très altérable par les agents atmosphériques qui le délitent rapidement. Il a donc surtout servi à des encadrements de portes et de fenêtres dans les étages et du côté cour des maisons du vieux Grenoble, ainsi qu'à des équipements intérieurs (placards, éviers). Cette pierre étant également réfractaire au feu a été utilisée pour la fabrication de conduits de cheminée ainsi que de soles de four de boulangers.

Avec la refonte complète des vieux quartiers de Grenoble, il devient difficile de donner des exemples de l'emploi de cette pierre. Citons ce pendant les cours de plusieurs maisons de la Grande Rue, l'ancien hôtel des Monnaies (97 rue St Laurent) et beaucoup de montées d'escalier à colonnes des vieux hôtels grenoblois.

La molasse a été utilisée en moellons taillés dans certains édifices religieux, comme l'église St Laurent (choeur, sacristie, chapelle St Nicolas, accès à la crypte). Quelques chapiteaux sculptés provenant de la cathédrale et quelques statues qui ornaient des immeubles actuellement détruits sont conservés au Musée dauphinois, comme le célèbre "homme sauvage" de la rue J.J.Rousseau.

Plus spectaculaires sont la partie sommitale de la tour ronde (14° siècle) de l'ancien Hôtel de Ville, Rue Berlioz (la base est en calcaire de la Porte de France), ou l'ancienne maison des officiers au Fort Rabot (dont la patine jaune,visible de loin, tranche avec le blanc des fortifications voisines).

A Voreppe, de nombreuses maisons anciennes et les deux églises (dont celle du cimetière, d'époque romane) montrent naturellement une utilisation quasi systématique de ce matériau.

Les dernières pierres de taille provenant de la molasse de Voreppe ont servi dans diverses écoles grenobloises pour des frontons, corniches et moulures (école maternelle Cornélie Gémond, école Reboul au Jardin de ville).

La molasse a été exploitée surtout à Voreppe, à la sortie du vallon du Rivachet, derrière le hameau de Gâchetière, d'abord à ciel ouvert, puis, à partir des 17e et 18e siècles, en galeries souterraines, ceci pour réduire les risques d'éboulement des fronts de taille. Les trois galeries les plus anciennes se trouvaient en rive gauche du ruisseau. Un éboulement important, survenu en 1844, rendit l'une d'entre elles inexploitable aussi en ouvrit-on une nouvelle en rive droite, face aux anciennes. Une autre galerie souterraine se trouvait près du hameau de Malossane mais elle s'effondra en 1872, entraînant une partie de la route du col de la Placette, et fut elle aussi abandonnée

Si la production de la molasse a été très grande autrefois, elle déclina beaucoup à partir de 1870 bien que la pierre ait alimenté non seulement Grenoble mais les régions de St Marcellin et de la Tour-du-Pin. Elle végéta ainsi jusque vers 1899 pour cesser peu après. Toutes les galeries, abandonnées, furent alors transformées en champignonnières.

 

LES FORMATIONS QUATERNAIRES

1. Les tufs

Du point de vue de leur origine géologique, ils se répartissent en trois catégories :

1-1. Les tufs situés à proximité des zones d'affleurement ou de remontée vers la surface du Trias gypseux dans lequel les eaux ont circulé et se sont minéralisées. A cette catégorie appartiennent les gisements de St Sauveur, près N.D. de Mésage, qui a servi à la construction de l'église romane voisine et du château de Vizille, ainsi que ceux de Champ-sur-Drac et des Combes (à l'Est de St Georges de Commiers) exploités pour le construction locale. Toutes les carrières ont disparu.

1-2. Les tufs situés au griffon de sources sortant d'un important massif calcaire. C'est le cas de la Buisse où la carrière, située dans la propriété de Galbert, a été exploitée jusqu'à la fin du 19e siècle. Elle a été abandonnée à la suite d'un éboulement du front de taille et n'est actuellement plus visible.
Ces tufs ont servi à la construction de nombreux bâtiments dont le clocher de la vieille église romane de Voreppe et, peut-être, de celui de St André (en partie restauré au 19e siècle avec des tufs de Meximieux, dans l'Ain).

1-3. Les tufs situés à la base de terrasses alluviales en bordure même de l'Isère, rive droite, en aval de Grenoble. Ils sont liés à l'émergence de nappes ayant baigné la molasse miocène, toujours plus ou moins calcareuse ou, plus exactement, ses produits d'érosion et d'altération. C'est le cas du gisement de Trellins, à 2,5 km au SE de Vinay, et surtout celui de la Sône, près st Marcellin, daté de l'interglaciaire Riss-Würm. Cet amas de tuf forme une croûte d'une trentaine de mètres d'épaisseur sur une longueur de l'ordre de 2 km. Il a été activement exploité jusqu'à une époque très récente dans la construction de la plupart des édifices de la région, la proximité de l'Isère facilitant évidemment son transport par bateau. Les carrières, abandonnées, sont encore bien visibles au hameau "des Carrières".

2. Les argiles à briques et à tuiles

On a longtemps exploité à Eybens, à cet effet, des argiles bleues, varvées, lacustres, de l'interglacaire Riss-Würm. Les carrières, situées en rive gauche du petit vallon, immédiatement à l'amont du village, ne sont plus visibles, ayant été remblayées pour les besoins de l'urbanisation de ce secteur. A La Tronche, des limons de lessivage du versant est du Rachais ont été également jadis exploités, ce que rappelle le nom de certaines rues de l'agglomération: chemins de la Tuilerie (actuellement chemin des Résistants) et de la Carronnerie (les "carrons" étaient des carreaux brunâtres à brun rouge qui servaient aux dallages intérieurs). Les excavations correspondantes, temporaires et modestes, ont été remblayées et ont disparu.

Les exploitations actuelles se situent principalement dans la plaine de Moirans (Balmes de Voreppe) et utilisent les limons de débordement de l'Isère.

 

 

 

Remerciements :

 

Tous les clichés des figures 1 à 6 m'ont été aimablement communiqués par M. Louis Galliard.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

GIGNOUX M. et MORET L., 1952. Géologie dauphinoise, Masson, Paris, 385 p.

GRAS A., 1853. Matériaux employés dans les monuments anciens de Grenoble. Bull.Soc.Statist. (2), t.2.

GUEYMARD E. et al., 1844. Statistique générale du Département de l'Isère, t.1. p.559-6O2.

JALABERT D. 1969. Etude sur les carrières de pierre de la Porte de France à Grenoble et autres carrières locales. Bull.Soc.Dauph.Eth nol.Arch., p.85-110.

LORY Ch., 1864. Description géologique du Dauphiné. 748 p.

 

 

Fig.1. Anciennes carrières de l'Echaillon. Vue générale des lieux en 1908

 

Fig.2. Départ de la descenderie visible sur la fig.1

 

Fig.4. Vue générale des ateliers de l'Echaillon

 

Fig.3. Entrée d'une des galeries souterraines de l'Echaillon

 

Fig.5. Atelier de taille de l'Echaillon

 

Fig.6. Transport d'un bloc de 20 tonnes en direction de Romans

 

 


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