Certains auteurs font débuter la géologie alpine avec Déodat de Dolomieu (1750-1801)[1] mais celui-ci, bien que dauphinois, s'intéressa plus aux volcans italiens qu'aux Alpes auxquelles il n'a guère apporté que la découverte de la dolomie en 1789, dont on tirera plus tard (1886) le nom des Dolomites, massif certes prestigieux mais qui n'a rien de dauphinois.
En fait Dolomieu a peu parcouru les Alpes : en dehors de ses
passages dans le Trentin, il a effectué de courts voyages
en Savoie entre 1794 et 1797, au titre d'ingénieur des
Mines, pour visiter des exploitations diverses, puis en 1801 pour
reconnaître la route stratégique du Simplon, quelques
semaines avant sa mort.
Dolomieu s'est tout de même intéressé à
la géologie des Alpes, prenant ainsi part aux discussions
sur ce thème qui s'élevèrent à la
fin du 18e siècle mais son apport reste modeste et ses
conceptions archaïques[2].
Elles sont même souvent en retard sur celles de son contemporain
et presque voisin, H. B. de Saussure, car Dolomieu était
neptuniste et catastrophiste, ce qui lui interdisait toute vision
rationnelle de la chaîne. Sa notion de " refoulement
", que lui suggérèrent les dalles verticales
des granites de Chamonix, notion dans laquelle certains ont voulu
voir une annonce des charriages, est en fait assez vague et l'on
ne sait finalement pas quelle était exactement sa pensée
à ce sujet.
L'université de Grenoble a été
créée en 1796 mais c'est seulement en 1824 qu'y
apparaît une chaire d'histoire naturelle comprenant des
enseignements de géologie. Son premier titulaire est Emile
Gueymard (1788-1869)[3],
qui prend ses fonctions en 1824. Il était ingénieur
des Mines et cumulait donc les deux fonctions ce qui, à
l'époque, était admis, voire apprécié,
afin que les enseignements ne soient pas trop spécialisés
et puissent intéresser un large public (les cours n'étaient
maintenus que si le public était suffisant).
En tant qu'ingénieur des Mines, il s'intéressa surtout
aux matériaux utiles et donc aux mines du Dauphiné
et de la Savoie qui étaient alors en activité. Il
put donc en rapporter peu à peu les éléments
d'une magnifique collection de minéraux qui fut achetée
après sa mort par la ville de Grenoble pour son muséum
d'Histoire naturelle. Par contre son apport à la compréhension
de la chaîne alpine est quasi nul, excepté les premières
coupes géologiques des environs de Grenoble et la reconnaissance
de la double discordance Houiller/Cristallin et Trias/Houiller
dans le bassin de La Mure[4]
. Il eut aussi le courage de s'opposer à la dictature des
idées structurales de L. Elie de Beaumont, mais la véritable
géologie alpine ne commence qu'avec son successeur, Charles
Lory, en 1849, justifiant ainsi le titre de cet essai.
1- Charles Lory, fondateur de la géologie
alpine à Grenoble
2- L'époque de Wilfrid Kilian et la première
révolution des Sciences de la Terre
3- L'époque de Maurice Gignoux et Léon
Moret ou l'avènement de la stratigraphie " structurale
"
4- Les années 50 et 60 : de la rue Très-Cloîtres
à l'Institut Dolomieu
5- Les années 1970-1990 ou la seconde
révolution des Sciences de la Terre (tectonique des plaques)
1. Charles Lory (1823-1889), fondateur de la géologie
alpine à Grenoble
D'origine bretonne, il passa l'agrégation de Sciences
physiques et fut nommé au lycée de Grenoble puis
à Poitiers et Besançon. Pendant son séjour
à Grenoble, il suivit les cours d'Emile Gueymard qui le
remarqua pour les qualités exceptionnelles qu'il manifestait
en géologie et lui proposa un sujet de thèse sur
les terrains crétacés des environs de Grenoble,
thèse qu'il soutint en 1848. Il succéda à
E. Gueymard l'année suivante dans une chaire désormais
baptisée " Géologie et Minéralogie ".
Le laboratoire dans lequel il s'installait était toujours
celui de son prédécesseur, qui servit de 1819 à
1879. Laboratoire était un bien grand mot. La géologie
était installée dans un ancien couvent des dominicains,
rue de la Halle (disparue de nos jours, elle se trouvait à
l'emplacement de l'actuelle rue Philis de la Charce). Les professeurs
de toutes les disciplines scientifiques ne disposaient que d'une
seule salle de cours, basse de plafond et assez obscure, complétée
par un petit laboratoire pris sur le logement du concierge et
équipé de façon plus que sommaire.
C'est seulement en 1879 que les Sciences naturelles furent transférées
dans le nouveau Palais de l'Université qui venait d'être
construit place de la Constitution (l'actuelle place de Verdun).
Les locaux de la géologie étaient certes plus vastes
mais ce n'était qu'une longue suite de mansardes situées
sous les toits, chaudes en été, froides en hiver.
On put cependant commencer à les équiper de meubles
à collections et de vitrines . De ces mansardes on accédait,
sur le toit du palais, à une petite terrasse d'où
l'on pouvait voir le panorama des montagnes du bassin grenoblois.
Charles Lory ne ressemblait guère à son prédécesseur.
Autant celui-ci était d'un abord facile et plaisant, parlant
volontiers et avec facilité de sujets variés, autant
Lory était taciturne et bougon. Il ne forma d'ailleurs
aucun élève, si ce n'est son fils, Pierre Lory,
que l'on évoquera plus loin mais dont la carrière
de géologue fut modeste.
Charles Lory avait devant lui une tâche redoutable car il aborda la chaîne à un moment où elle était pratiquement inconnue, d'accès difficile (c'était encore l'époque des diligences ) et mal cartographiée (les fonds topographiques au 80 000e, apparus à partir de 1833, n'étaient pas encore tous disponibles dans les Alpes : la feuille Grenoble, par exemple, ne fut gravée qu'en 1852). De plus, les principes de la géologie étaient à peine esquissés, la valeur des fossiles discutée et, par là même, l'échelle stratigraphique balbutiante. Quant aux figures tectoniques nécessaires pour l'interprétation des structures, Ch. Lory ne disposait que des failles et plis observés par lui dans le Jura lors de son séjour à Besançon. La tectonique tangentielle et les écaillages étaient bien évidemment ignorés.
On ne comprenait donc pas les intercalations tectoniques de couches d'âge différent, les unes dans les autres, par exemple des schistes liasiques à bélemnites dans des grès houillers à plantes. On fait allusion ici à la célèbre " affaire de Petit Coeur ", du nom d'une carrière située en Tarentaise, près de Moûtiers, et de la polémique qu'elle déclencha pendant 30 ans, de 1828 à 1858, sur la valeur stratigraphique réelle des fossiles et donc de leur utilisation en stratigraphie. Charles Lory, qui croyait à la valeur des fossiles, se heurta à des adversaires puissants et coriaces comme L. Elie de Beaumont. Un véritable schisme plana un moment sur le bien-fondé de l'outil paléontologique et Charles Lory en fut profondément troublé avant d'apporter les explications qui mettaient un terme au débat. Il put en effet observer, dans le massif du Mont Blanc et les Alpes bernoises, des intercalations de schistes liasiques et de granite, qui étaient là indéniablement tectoniques et apportaient la solution de l'affaire de Petit Coeur.
Que dire alors des formations métamorphiques si fréquentes à l'intérieur de l'arc alpin, notamment celle des " Schistes lustrés " du pays piémontais. Certes des auteurs antérieurs à Charles Lory (comme Brochant de Villiers, en 1808, professeur à l'école des mines de Peisey, en Tarentaise, alors établie à Moûtiers, ou Ami Boué en 1833) avaient eu l'intuition que ces Schistes lustrés n'étaient pas des terrains " primitifs " mais des formations mésozoïques " altérées ". Le débat restait cependant confus et Ch. Lory n'y apporta pas grand-chose si ce n'est qu'il attribuait ces schistes au Trias parce qu'il les voyaient, ici et là, pincés entre les " grès anthracifères " (Houiller briançonnais) et les vrais calcaires triasiques (soit briançonnais, soit piémontais comme on le sait maintenant).
En définitive, le principal mérite
de Ch. Lory est double. Tout d'abord, il établit, sur des
bases paléontologiques solides, l'échelle stratigraphique
des chaînes subalpines, une échelle qui servira de
base à tous les travaux ultérieurs et lui permit
de dessiner des coupes traduisant bien la structure des chaînes
subalpines aux environs de Grenoble.
Ensuite, et surtout, il a présenté un premier schéma
de l'organisation générale des Alpes en y distinguant
un certain nombre de zones parallèles, séparées
les unes des autres par de grands accidents dans lesquels il ne
voyait évidemment que des failles, mais qui, pour lui,
étaient d'origine ancienne, c'est-à-dire qu'elles
auraient séparé, dès l'origine, des domaines
de sédimentation différents, jouant en surrection
ou en affaissement suivant les points ou les époques, ce
qui annonçait les conceptions modernes. Ces domaines étaient
les suivants, d'ouest en est (fig. 1) :
|
|
Chaînes subalpines | id. |
1e zone : massifs centraux cristallins (Z. du Mt Blanc) | massifs cristallins externes |
2e zone : schistes de Tarentaise et du Valais, recouverts au Tertiaire et vers le sud, par les dépôts d'un golfe flysch de l'Embrunais marin (grès de l'Embrunais) | zone valaisanne, subbriançonnaise |
3e zone : grès anthracifères | zone houillère briançonnaise |
4e zone : zone du Briançonnais ou du Mt Rose | zones briançonnaise, piémontaise (Sch. Lustrés) |
massifs cristallins internes |
Ces résultats, tant stratigraphiques que structuraux, furent exposés dans un ouvrage qui fit date dans l'histoire de la géologie alpine , "Description géologique du Dauphiné ", paru en plusieurs livraisons entre 1860 et 1864. Elle fut ultérieurement complétée par d'autres publications synthétiques et la première carte géologique du Dauphiné[5], bientôt suivie par les feuilles régulières au 80 000e des environs de Grenoble (f . Grenoble et Vizille, dont les fonds topographiques dataient respectivement de 1852 et 1866).
Les idées de Charles Lory furent présentées à la communauté géologique de l'époque lors de la célèbre réunion extraordinaire de la Société géologique de France en 1861, à St Jean-de- Maurienne, où il apparut comme le meilleur connaisseur des Alpes françaises. Une nouvelle réunion de la Société, en 1881, lui permit de préciser quelques points mais l'essentiel était établi et confirmé.
Ce fut la dernière joie de sa carrière scientifique. Sa santé, un échec relatif d'insertion parmi les professeurs de l'Ecole Normale Supérieure de Paris, la mort de sa fille aînée après celle, bien antérieure , de sa femme, l'affectèrent profondément. Malgré un sursaut tardif d'activité où il étendit ses travaux à la Savoie, il mourut en 1899, à 66 ans et à la veille de sa retraite, d'une congestion pulmonaire[6].
2. L'époque de W. Kilian et la première révolution des Sciences de la Terre
Wilfrid Kilian succède à Charles Lory en 1899.
Wilfrid Kilian (1862-1925)[7] était d'origine alsacienne mais c'est à Paris qu'il termina sa licence sous la direction d'Ed. Hébert dont il devint le préparateur (l'assistant), puis le chef de travaux pratiques, en préparant une thèse de doctorat sur la montagne de Lure, près Sisteron, sous sa direction. Dans ce travail il s'affirme comme stratigraphe et paléontologiste et établit une échelle biostratigraphique précise pour le Jurassique terminal Crétacé inférieur subalpin, susceptible d'être étendue à l'ensemble des chaînes subalpines méridionales. C'est donc tout naturellement à lui que l'on pensa en 1899 pour la succession de Ch. Lory qui ne laissait, comme on l'a dit, aucun disciple sur place.
Avec l'arrivée de W. Kilian à
Grenoble, commence une nouvelle période de l'histoire de
la géologie alpine, qui est d'abord celle de la stratigraphie
triomphante, une nécessité absolue en vue de l'exploration
systématique de la chaîne et de sa cartographie.
Les doutes sur la méthode sont dépassés,
la terminologie trop lithologique des formations fait place à
une nomenclature stratigraphique plus rigoureuse. L'analyse peut
ainsi progresser.
Dès son arrivée, Kilian l'entreprend en se chargeant
personnellement des chaînes subalpines dauphinoises et de
la 2e zone de Ch. Lory, c'est-à-dire le front des zones
internes entre Moûtiers et la haute Ubaye, tandis que son
ami, Emile Haug, alsacien comme lui, qu'il avait connu à
Strasbourg et Paris mais qui était resté à
Paris, se charge des chaînes subalpines entre Gap et Digne.
Divers collaborateurs interviennent aussi : Victor Paquier pour
le Diois, Pierre Lory (fils de Charles) pour le Dévoluy,
Joseph Révil pour la Savoie, dont il deviendra le meilleur
connaisseur bien que simple amateur (il était pharmacien
à Chambéry), Charles Jacob et Paul Fallot, tous
deux préparateurs un certain temps à Grenoble (le
second y devint même maître de conférences
pendant un an, en 1922, à l'issue de sa thèse, juste
avant sa nomination comme professeur à l'Université
de Nancy).
Avec le recul du temps, on a parfois tendance à sous-estimer
le travail stratigraphique de W. Kilian. Depuis son étude
sur la montagne de Lure, W. Kilian savait d'expérience
que le problème stratigraphique majeur était celui
des datations et du passage latéral entre les faciès
à Céphalopodes de la mer alpine et les plates-formes
bordières, qu'elles soient à sédimentation
carbonatée et épaisse comme celle de l'Urgonien,
ou à sédimentation condensée comme celle
de l'Albien. Il lui fallut deux décennies pour résoudre
le problème en s'appuyant sur une brillante phalange d'élèves
(Victor Paquier, Charles Jacob, Paul Fallot) et de collaborateurs
divers (Gustave Sayn, Paul Reboul, Joseph Révil).
Ce fut d'abord l'intervalle Berriasien - Aptien inférieur
auquel reste attaché le nom de Victor Paquier qui, pour
la première fois, proposait une double zonation, d'une
part pour les calcaires des plates-formes néocomiennes
et urgoniennes grâce aux rudistes, et, d'autre part, pour
le bassin vocontien, notion qu'il venait de créer, grâce
aux associations d'ammonites. Ce fut ensuite l'Albien, avec Charles
Jacob, Kilian se réservant l'Aptien inférieur qu'il
décrivit dans une magistrale étude restée
jusqu'à nos jours d'un étonnant modernisme (W. Kilian
et J. Révil, 1915, cf. note infrap. 11).
Il ne faut pas oublier non plus que Kilian a publié, entre
1907 et 1913, sa célèbre Lethaea Geognostica,
superbe synthèse du Crétacé inférieur
fondée sur une observation minutieuse des coupes et un
raisonnement rigoureux. Par sa diffusion en français et
en allemand, qui étaient alors les deux langues dominantes
de l'Europe continentale, W.Kilian étendit jusqu'en Russie
et en Géorgie la renommée de l'école grenobloise.
L'outil ainsi forgé atteignit ainsi d'emblée son
plus haut niveau puisqu'il fit seulement l'objet de modifications
mineures pendant le demi-siècle suivant. Dès lors,
les recherches purent s'orienter dans d'autres domaines de la
géologie alpine et les travaux purement stratigraphiques
furent temporairement délaissés à l'exception
notable de l'étude des faunes albiennes à laquelle
reste attaché le nom de Maurice Breistroffer dès
le début des années 30.
Mais l'époque de W. Kilian ne fut pas
seulement marquée par la mise au point de la stratigraphie
alpine. Elle est également celle de découvertes
ou d'hypothèses géodynamiques sur le comportement
de l'écorce terrestre, qui donnèrent un élan
nouveau à la recherche dès leur apparition. Les
Alpes n'ont généralement pas été le
point de départ de ces découvertes ou de ces grandes
théories, probablement en raison de leur trop grande complexité,
mais c'est toujours sur elles que les idées nouvelles
ont été immédiatement testées.
Kilian va en connaître trois qui se succèdent
dans l'espace de deux décennies : la découverte
des nappes de charriage, la notion de géosynclinal et
la révélation du mobilisme continental qui apportèrent
un tel renouveau à la géologie alpine qu'on peut
les rassembler sous le nom de " première révolution
des Sciences de la Terre ", la seconde étant celle
de la tectonique des plaques, apparue cinquante ans plus tard.
La découverte des nappes de charriage
Elle est due à Marcel Bertrand, en 1884,
en Provence. Il l'applique peu après, en Suisse, pour expliquer
les Alpes de Glaris (où il n'était jamais allé),
en se servant des descriptions d'Albert Heim. En fait, la véritable
découverte des nappes alpines se fit en Chablais et est
due à Hans Schardt en 1893. Ces découvertes furent
pourtant accueillies avec beaucoup de méfiance par Kilian
et Haug[8] (il n'est que
de lire les discussions M. Bertrand -E. Haug dans les bulletins
de la Société géologique de France de l'époque).
Elles finirent cependant par être admises et servirent pour
interpréter la région de l'Embrunais-Ubaye suivant
un schéma qui inspirera les contours de la première
feuille de Gap au 80 000e, parue en 1905.
On ne peut pas évoquer cette époque du laboratoire
de Grenoble sans citer Pierre Termier qui ne lui appartenait
pas puisqu'il était professeur à l'Ecole des Mines
de Paris, mais qui était si lié à W. Kilian
que l'on ne peut parler de l'un sans l'autre, au moins sur le
plan tectonique. S'associant aux travaux de W. Kilian pour la
zone briançonnaise, P.Termier décrivit en 1899 la
structure des montagnes entre Briançon et Vallouise comme
constituée de quatre nappes et découvrit, dans la
foulée, que les Schistes lustrés piémontais
représentaient eux-mêmes une grande nappe, peut-être
la plus importante des Alpes franco-italiennes, nappe qui aurait
recouvert une grande partie du Briançonnais et que Kilian,
non sans réticence[9],
finit par adopter.
On sait que les idées allochtonistes de P. Termier trouveront
leur couronnement hors des Alpes françaises, dans les Alpes
orientales où la structure en nappes sera adoptée
non sans mal au congrès de Vienne en 1903. Par un phénomène
fréquent en géologie, ces explications " nappistes
" seront ultérieurement discréditées
par suite des excès commis dans leur application à
trop de structures. Termier lui-même n'échappera
pas à ce travers quand il développera son hypothèse
de la nappe de Suzette, charriant du matériel subalpin
jusque sur le bord du massif Central, et surtout avec sa théorie
du " traîneau écraseur " : pour lui, toutes
les nappes alpines auraient été entraînées
par une nappe gigantesque venue du sud mais que l'érosion
aurait fait disparaître. Cette nappe n'a jamais existé,
au moins sous la forme proposée par Termier.
W. Kilian, au contraire, plus prudent, s'en tenant aux faits d'observation,
se contentera à la même époque de décrire
les nappes comme des plis allongés, couchés, étirés,
mais toujours enracinés. Il tombera même, lui aussi,
dans l'excès contraire, en refusant de reconnaître
la nappe des Schistes lustrés. Fort heureusement, se critiquant
l'un l'autre, Termier et Kilian arriveront finalement à
une position moyenne, plus proche des conceptions actuelles.
L'évolution de Kilian sera également liée
aux recherches de ses collègues suisses qui, eux aussi,
adoptèrent les structures charriées malgré
les réticences des deux grands maîtres de la géologie
suisse, Arnold Escher et Albert Heim, qui se rallieront à
l'opinion générale, bientôt suivis par Rudolf
Staub, auteur, comme A. Heim, d'une grande synthèse des
Alpes suisses, malheureusement mal connue de la plupart des géologues
français parce que entièrement publiée en
allemand.
Ainsi, partout, l'apparent chaos alpin devenait-il intelligible et c'est dans ce nouveau cadre d'interprétation que W. Kilian assura à Grenoble la coordination générale de l'exploration des Alpes françaises, aidé de P. Termier (qui prit en charge les massifs cristallins externes, une bonne partie du Briançonnais et la Vanoise) et de M. Bertrand qui travailla du Mont Cenis au Petit-Saint-Bernard en ignorant, curieusement, la nappe des Schistes lustrés.
La notion de géosynclinal
On sait qu'elle a pris naissance vers 1850
dans les Appalaches mais elle ne connut son succès dans
les Alpes qu'à la suite du célèbre mémoire
d'E. Haug paru en 1900[10].
Il apportait une explication satisfaisante (mais fausse comme
on le sait maintenant) à l'énorme masse des Schistes
lustrés piémontais formant l'axe apparent de la
chaîne et dont les caractères sédimentologiques
étaient ceux de sédiments " bathyaux ",
condition indispensable pour être alors considérés
comme géosynclinaux.
Ces schistes avaient été reconnus comme mésozoïques
puisque leur base venait d'être datée du Lias à
la suite des découvertes paléontologiques du géologue
italien S. Franchi en 1898 et 1902. S. Franchi avait également
démontré que les " roches vertes " associées
aux Schistes lustrés étaient d'anciennes roches
éruptives basiques ayant subi le même métamorphisme
" géosynclinal " que les sédiments encaissants
(alors que P. Termier les pensait nées de la fusion locale
de ces sédiments, au moment du plissement alpin, sous l'effet
d'agents minéralisateurs d'origine profonde, ses "
colonnes filtrantes ").
E. Haug pensa donc que les Schistes lustrés
représentaient le remplissage d'un vaste géosynclinal
(dit " piémontais "), séparé de
la zone externe dauphinoise par le " géanticlinal
briançonnais ", puis, dans le nord des Alpes, par
le " géosynclinal valaisan " qu'il suivait de
la Tarentaise aux Grisons (et dans lequel il voyait la zone d'origine
des nappes préalpines).
Le métamorphisme des formations jalonnant le fond de ces
géosynclinaux trouvait aussi une explication logique par
le poids des sédiments sus-jacents, très épais
par définition, épaisseur qui entraînait l'augmentation
de pression et de température nécessaire à
la recristallisation. Ainsi naissait la théorie du "
métamorphisme géosynclinal " qui devait régner
longtemps et à laquelle les géologues grenoblois
adhérèrent sans réticence. La logique de
ces explications fit que les Alpes devinrent le modèle
des chaînes géosynclinales jusque vers le milieu
du 20e siècle.
Une étape importante de la géologie alpine en général, conséquence de la découverte des nappes et de la théorie géosynclinale, est la publication entre 1908 et 1911 des travaux du géologue suisse Emile Argand, de l'université de Neuchâtel, qui représentent une synthèse des données de l'époque sur les Alpes internes suisses (dites " penniques "), si remarquable qu'elle est toujours valable dans ses grandes lignes et son vocabulaire. Si le schéma argandien révolutionna la géologie suisse, il eut moins de résonance dans le milieu alpin grenoblois pour la simple raison que Kilian s'intéressait peu aux massifs cristallins internes franco-italiens et restait méfiant vis-à-vis des grandes extrapolations. La controverse qui s'éleva, de 1910 à 1929, entre E. Argand et le géologue italien S.Franchi, partisan de l'autochtonie de ces massifs, l'incitait aussi à la prudence. Enfin, sur certains points, Kilian était même en désaccord avec le schéma argandien.
L' " éventail briançonnais ", par exemple, qu'Argand expliquait, dans le socle de la chaîne, par l'encapuchonnement de la nappe du Mont Rose dans celle du Grand St Bernard, était interprété par Kilian comme l'effet d'une " poussée au vide " exercée par l'effondrement de la plaine du Pô. De même, les " cordillères en marche " d'Argand, c'est-à-dire des fronts de nappes embryonnaires se déplaçant dans le fond du géosynclinal au fur et à mesure que celui-ci se rétrécissait, avec leur cortège de séries bréchiques et réduites, passaient mal à Grenoble où Kilian pensait plutôt, avec raison, à des oscillations verticales, positives, de blocs accidentant le fond du géosynclinal alpin. Enfin, et surtout, Kilian et Haug faisaient sortir les Préalpes de leur zone de l'Embrunais, une fois de plus avec raison, tandis qu'Argand y voyait "un morceau d'Afrique charrié sur l'Europe ", une proposition qui faisait allusion à la théorie wegenérienne dont nous parlerons plus loin.
En revanche, certains termes argandiens, comme
celui de " cordillère " (relief sous-marin mobile,
jalonné de sédiments particuliers, minces et bréchiques),
passeront dans le vocabulaire courant des géologues grenoblois
mais il faudra, pour cela, attendre l'époque de Maurice
Gignoux.
La théorie de la dérive des continents
Etablie par A.Wegener en 1915, sur des arguments
non alpins, c'est dans les Alpes qu'elle trouva un de ses plus
brillants défenseurs dans la personne d'Emile Argand, professeur
à Neuchâtel, qui proposa que cette chaîne résulterait
de la collision des continents africain et européen au
terme de la migration du premier vers le nord. Pincé entre
les deux mâchoires de cet étau, le contenu du géosynclinal
alpin (y compris le matériel métamorphisé)
en aurait jailli en nappes souples, globalement déversées
vers le nord, suivant le schéma évoqué précédemment.
Cette théorie aurait dû avoir beaucoup de succès
car elle expliquait comment se ferme un géosynclinal, ce
qu'on ne trouvait pas chez E. Haug. Elle expliquait aussi que
la fermeture soit précédée de plis précoces,
les fameuses " cordillères " d'Argand. Or, dans
le milieu alpin, que ce soit en Suisse ou à Grenoble, cette
brillante théorie n'eut guère d'échos, y
compris chez Termier et à plus forte raison chez Kilian
qui refusait les hypothèses trop aventureuses, préférant
s'en tenir aux strictes données de terrain. Les nappes
étaient admises, mais l'on ne se posait guère de
questions sur les raisons du mécanisme à l'origine
du raccourcissement.
Si l'on néglige les grandes interprétations
argandiennes puisqu'elles n'eurent pas l'effet qu'on pouvait en
attendre, il est clair qu'au stade où en étaient
arrivées alors les théories explicatives de cette
première révolution des Sciences de la Terre, il
ne manquait plus qu'une chose pour aller plus loin, que ni Kilian
ni Termier ne surent dégager, à savoir dérouler
les nappes et remettre à leur place primitive, sous la
mer, les bassins ou les seuils sous-marins réglant le dépôt
des sédiments. Termier l'avouait lui-même en écrivant
cette phrase significative : " Essayez de vous représenter
la région alpine à une époque quelconque
des temps secondaires ou tertiaires. Vous verrez que c'est impossible
et, en fait, on ne l'a pas tenté pour les Alpes ".
M. Gignoux le tentera avec succès quelques années
plus tard.
W. Kilian, quant à lui, ne dépassa pas les limites
d'une extrapolation raisonnable des données de terrain
mais sut tout de même donner de la chaîne une vision
structurale assez complète[11].
En même temps il accomplissait une oeuvre cartographique
considérable : la plupart des feuilles alpines au 80 000e
furent alors dessinées par lui ou sous sa direction.
Ce développement sur les différentes facettes
de la première révolution des Sciences de la Terre
a occulté un fait important, purement matériel,
de l'histoire de la géologie alpine grenobloise. Il s'agit
en effet des locaux. Car les mansardes du palais de l'Université
qu'avaient connues Ch.Lory et que connaissait maintenant W. Kilian,
ne suffisaient plus aux géologues. Un nouveau local
leur fut attribué en 1908 dans l'ancien évêché
de Grenoble, à l'angle de la place Notre-Dame et de
la rue Très-Cloîtres, évêché
que la loi de 1905 venait de rendre à la collectivité.
Ce bâtiment historique datait, pour ses fondements et quelques
murs, des 12e et 13e siècles et avait été
bâti alors sur l'enceinte romaine. Il avait subi par la
suite bien des vicissitudes et des transformations, notamment
à l'époque du célèbre cardinal Le
Camus, sous Louis XIV, puis au 19e siècle. Il représentait
une impressionnante suite de salles où les géologues
allaient pouvoir s'étaler. Mais si les locaux étaient
vastes (au point d'être partagés entre géologues
et géographes), ils étaient vétustes et peu
adaptés aux exigences d'un laboratoire de géologie,
surtout eu égard au poids des collections.
Néanmoins, ces collections, enrichies de nombreux legs
de collectionneurs locaux (parfois très riches comme celui
d'E. Gevrey, un magistrat qui nettoyait ses fossiles de leur gangue
pendant les audiences !) trouvèrent place dans les anciens
salons des évêques, tandis que la salle de cours
occupait leur grande salle à manger et la bibliothèque
l'ancienne chapelle. Seul le bureau des évêques gardait
sa vocation en devenant celui de W. Kilian. Le charme de ce vieil
hôtel aristocratique, avec ses parquets marquetés,
son magnifique escalier orné d'une superbe rampe en fer,
forgée par les Chartreux et classée monument historique,
ses hautes fenêtres donnant sur un petit jardin et une cour
pavée, faisait oublier les gouttières de la toiture
et les inégalités du chauffage mal adapté
à la hauteur des plafonds.
Après le départ des géologues en 1961, les
locaux abritèrent les géophysiciens-glaciologues,
puis furent abandonnés et en partie détruits par
un incendie. Restaurés en 1996-1998, mais amputés
d'un bon tiers, ils participent aujourd'hui à l'extension
du musée Dauphinois sous le nom de musée de l'Ancien
Evêché.
La connaissance de la géologie alpine qu'avait acquise
W. Kilian lui fit jouer aussi un certain rôle comme expert
dans les ouvrages de Génie civil qui se multiplièrent
avec l'essor de la Houille blanche. C'est à lui que l'on
doit les premières études sur les projets des barrages
de Génissiat et de Serre Ponçon, ainsi que du tunnel
du mont Blanc (1907). Cette orientation vers la Géologie
appliquée représente une autre spécificité
grenobloise, évidemment dictée par le relief et
la morphologie glaciaire, spécialité qui ira en
s'affirmant avec ses successeurs.
W. Kilian fut également un pionnier en sismologie puisqu'il
fit construire le premier sismographe de Grenoble qui fonctionna
de 1892 à 1909. Enfin c'est sous sa direction que débuta
en 1890 la publication des " Travaux du Laboratoire de Géologie
de l'Université de Grenoble ", toujours actuels (mais
sous le nom de " Géologie alpine "), avec un
tome annuel.
Une carrière aussi remplie lui valut le prix Fontannes (1893) et le prix Gaudry (1921) de la Société géologique de France, ce dernier représentant, comme on le sait, la plus haute distinction dont elle disposait. L'Académie des Sciences lui décerna le prix Delesse avant de l'accueillir comme membre en 1919. Mais, comme son prédécesseur, Kilian ne devait pas jouir d'une retraite pourtant bien méritée car il mourut en pleine activité, à 63 ans, le 30 septembre 1925.
Ch. Lory, W. Kilian et P. Termier apparaissent ainsi comme les pionniers de la géologie alpine et c'est bien ce que l'Université et la Ville de Grenoble voulurent souligner, lors des fêtes du 8e centenaire de l'Université de Grenoble, en leur édifiant un monument au fort de la Bastille en 1938, face à cet incomparable panorama montagneux qu'ils avaient contribué à rendre intelligible[12].
3. L'époque de M. Gignoux et L. Moret ou l'avènement de la stratigraphie " structurale "
Maurice Gignoux (1881-1955) succède à Wilfrid Kilian dans la chaire de Géologie de Grenoble en 1926[13].
Né à Lyon d'une famille originaire de Suisse,
il est, comme Emile Gueymard, reçu à la fois à
l'Ecole Polytechnique et à l'Ecole Normale Supérieure.
Il choisit cette dernière et en sort major du concours
d'Agrégation des Sciences Naturelles en 1905. Charles Depéret,
alors membre du Jury, le remarque et le fait entrer comme préparateur
dans son laboratoire à Lyon avec un sujet de thèse
qui n'avait rien d'alpin puisqu'il s'agissait d'étudier
les dépôts marins du Pliocène et du Quaternaire
méditerranéens. Cette thèse, soutenue en
1913, révélait de telles qualités de stratigraphe
et un tel esprit synthétique qu'elle valut à son
auteur le prix Fontannes de la Société géologique
de France en 1915.
Entre-temps il avait été appelé à
Grenoble par Wilfrid Kilian dont il était devenu l'assistant
en 1909. Sa carrière, interrompue par la guerre 1914-1918,
reprend à Grenoble mais pour fort peu de temps car il est
nommé professeur à Strasbourg. Mais le climat ne
convenait pas à son tempérament asthmatique et,
surtout, il se sentait attiré par les Alpes où il
avait commencé quelques travaux, soit thématiques,
comme la tectonique salifère, soit de description régionale,
en Vanoise, avant d'être appelé à Grenoble.
Ainsi débuta une magnifique carrière alpine dont
nous allons évoquer les principaux résultats qui
lui vaudront tous les honneurs. L'Académie des Sciences
lui décerne le prix Cuvier en 1931 avant de l'accueillir
en son sein en 1946. La Société géologique
de France lui attribue le prix Gaudry en 1948, pour ne citer que
les principales distinctions.
Il prit sa retraite en 1953 mais n'en profita pas longtemps puisqu'il
mourut d'une crise d'asthme en 1955.
Dès son entrée en fonction à
Grenoble, Gignoux avait été attiré par les
zones internes alpines où subsistaient le plus d'inconnues,
notamment la Vanoise qu'il avait commencé à étudier
quand il était encore à Strasbourg. Il était
surtout intrigué par les conclusions de P. Termier qui
y voyait une couverture sédimentaire réduite au
seul Trias alors que lui pressentait une série complète,
de type briançonnais mais défigurée par le
métamorphisme. Il comprit très vite que la Vanoise
n'était pas le bon point de départ en raison même
de ce métamorphisme et qu'il fallait d'abord aller plus
au sud, là où la zone briançonnaise est plus
lisible. Il fut aidé par Léon Moret, son assistant
à Strasbourg dès 1919, mais qui l'avait précédé
à Grenoble en 1923 comme maître de conférences.
C'est le début de sa grande période briançonnaise
qui ne se terminera qu'à la veille de la deuxième
guerre mondiale et aboutira à un ouvrage : " Description
géologique du bassin supérieur de la Durance ",
écrit en collaboration avec L. Moret (Trav Lab. Géol.
Univ. Grenoble, 1938, t. 31, 295 p.), qui servit de guide
à la réunion extraordinaire de la Société
géologique de France en 1938 et qui va représenter
désormais l'ouvrage de base de toutes les études
ultérieures dans cette zone. On y retrouve la pensée
lumineuse et synthétique de celui qui fut certainement
le géologue le plus doué de sa génération.
Quelques années plus tard, ce sera, toujours en collaboration
avec L. Moret, sa célèbre " Géologie
dauphinoise, ou introduction à la géologie par l'étude
des environs de Grenoble " (Ed. Masson, Paris, deux éditions
: 1944, 1952).
On ne peut pas ne pas évoquer non plus son magnifique livre " Géologie stratigraphique ", rédigé à Strasbourg, et publié en 1926 aux éditions Masson, mais qui connut par la suite quatre éditions successives, la dernière en 1960, et qui fut traduit en plusieurs langues. Il reste l'ouvrage le plus remarquable de géologie publié au 20e siècle, parce que, face à un amas d'observations aussi vaste et confus, il sut repérer les faits porteurs d'un enseignement susceptible d'être généralisé et de devenir ainsi un fil conducteur. Par cet ouvrage il est réellement à l'origine d'une approche nouvelle de la stratigraphie, devenue dès lors un moyen d'accès aux structures paléogéographiques conditionnant les dépôts, d'où le terme employé au début de ce chapitre de "stratigraphie structurale ". A signaler aussi, à propos de cet ouvrage, que son chapitre " Trias " contient, en quelques pages, une synthèse des Alpes qui résume admirablement ce qu'on en savait alors, et fait figurer le schéma argandien en bonne place en citant largement les auteurs suisses de l'époque qui avaient si efficacement contribué à cette synthèse.
Pour en revenir à son oeuvre alpine,
l'un des grands mérites de M. Gignoux est d'avoir apporté,
toujours en collaboration avec L. Moret, la solution de la "
zone de l'Embrunais ", héritée de Lory et Kilian
et qui était une sorte de fourre-tout dans lequel on plaçait,
tant stratigraphiquement que tectoniquement, les ensembles intermédiaires
entre la zone briançonnaise et la zone dauphinoise. Gignoux
et Moret montrèrent qu'il s'agissait d'abord d'un domaine
particulier, qu'ils appelèrent " subbriançonnais
", particulier parce que mobile et dynamique, fonctionnant
comme un " joint " tectonique entre deux ensembles plus
massifs. Ensuite qu'il était doublé vers l'extérieur
par une " zone ultradauphinoise " (plus ou moins symétrique
de la zone " ultrahelvétique " qui venait d'être
créée en Suisse par Arnold Heim, fils d'Albert Heim),
une zone caractérisée par un flysch discordant,
le " flysch des aiguilles d'Arves ", tout à fait
différent du " flysch de l'Embrunais " d'origine
plus interne quoique encore incertaine.
A la veille de la deuxième guerre mondiale, Gignoux et
Moret furent aidés, dans cette étude du front des
zones internes, par deux élèves connus par eux à
Strasbourg, à l'Ecole Nationale Supérieure du Pétrole,
D. Schneegans dans l'Ubaye et R. Barbier en Maurienne, qui soutiendront
leurs thèses respectives en 1938 et 1945. La continuité
structurale était établie entre Dauphiné
et Savoie et la structure de la 2e zone de Charles Lory élucidée.
Mais une certaine façon d'aborder les problèmes
des zones internes était surtout instaurée, fondée
sur l'utilisation structurale des données stratigraphiques
dans la reconstitution des paléogéographies successives.
L'oeuvre de M. Gignoux dans les Alpes a eu
bien d'autres facettes. L'une fut celle de la tectonique salifère
qu'il pressentit dès son passage à Strasbourg, une
autre celle de la tectonique d'écoulement par gravité
qu'il développa à l'issue de la deuxième
guerre mondiale (une période où l'activité
sur le terrain était difficile et où il eut à
gérer la Faculté des Sciences de Grenoble en tant
que doyen). Ce sont les plis souples du flysch de l'Embrunais
qui lui donnèrent l'idée de cette dynamique déjà
entrevue, mais de façon assez confuse, par deux géologues
allemands, E. Haarmann et H .Krauss. Cette idée accompagnait
leur hypothèse des " géotumeurs " qu'il
faut brièvement évoquer.
Les idées wegenériennes avaient décliné
sous la critique des géophysiciens qui n'y trouvaient pas
l'explication du moteur de la dérive continentale. Le mobilisme
horizontal n'était plus à la mode mais il fallait
pourtant trouver ce qui permettait de déplacer les nappes
horizontalement. On supposa alors l'existence de montées
magmatiques édifiant des " géotumeurs "
sur les flancs desquelles des panneaux de l'écorce terrestre
auraient pu glisser par gravité en se plissant. C'est dans
ce cadre que M. Gignoux alla plus loin encore en proposant, dans
une série de notes qui s'échelonnent entre 1948
et 1953, que toutes les roches ou ensembles rocheux ne font pas
que glisser mais qu'ils pourraient couler comme des liquides très
visqueux pourvu qu'on leur en donne le temps, exactement comme
la glace des glaciers ou des couches de goudron. Appliquant ces
idées aux Alpes, M. Gignoux imaginait la progression des
nappes vers l'ouest, au front et sur les flancs d'une intumescence
de la croûte progressant dans le même sens, comme
une flaque de miel sur une toile cirée que l'on soulèverait
de proche en proche.
Ces idées novatrices lui vaudront la Penrose Medal de la
Société géologique des U.S.A., une distinction
rarement accordée en Europe. Mais, poussées à
l'extrême, elles aboutirent à des conclusions qui
se sont révélées inexactes, comme la notion
de " dénudation tectonique " des massifs cristallins
externes par une couverture qui, glissant vers l'extérieur
de la chaîne, aurait donné les chaînes subalpines,
le sillon subalpin représentant, quant à lui, une
" crevasse tectonique " à peine agrandie par
l'érosion au travers de cette couverture en mouvement.
La thèse de l'écoulement par gravité est
maintenant abandonnée mais la notion de tectonique gravitaire
pour la mise en place des nappes les plus superficielles est restée,
associée à la tectonique salifère qui apportait
le lubrifiant nécessaire. Certes M. Gignoux et L .Moret
ne sont pas seuls à l'origine du concept mais ils ont grandement
contribué à le familiariser.
Comme son prédécesseur, M.Gignoux
s'est également intéressé aux applications
de la géologie des barrages et autres aménagements
hydrauliques. Il est l'auteur des études de nombreux barrages
alpins, aidé par son élève R. Barbier avec
lequel il rédigea une " Géologie des barrages
" en 1955, reflet des cours qu'il donnait à l'école
des Ingénieurs hydrauliciens, et qui parut quelques semaines
avant sa mort le 20 août de la même année.
Léon Moret (1890-1972)[14]
Il est né à Annecy dans une famille de médecins,
si bien qu'il fut invité à s'inscrire à la
Faculté de Médecine de Lyon pour suivre la même
voie, qu'il mena d'ailleurs à son terme, tout en acquérant
une licence de Sciences Naturelles, discipline qui l'intéressait
beaucoup. La guerre de 1914-1918 l'appelle comme médecin
dans les tranchées (il sera même gazé au Mont
Kemmel) et lui vaut la Croix de Guerre avec citation à
l'ordre de l'Armée et du Régiment. A peine démobilisé,
il soutient sa thèse de doctorat en Médecine mais
apprend qu'un poste d'assistant de géologie est vacant
à Strasbourg auprès du premier titulaire de la chaire
de géologie, dans l'Université reconstituée
après la victoire de 1918, c'est-à-dire Maurice
Gignoux. Il choisit cette voie et restera à Strasbourg
jusqu'en 1923, année où il accepte un poste de Maître
de conférences à Grenoble, poste libéré
par Paul Fallot appelé à Nancy. Il y précède
ainsi de peu Maurice Gignoux et y est nommé professeur
sans chaire en 1928, puis titulaire en 1938. C'est le début
des dédoublements de chaires qui vont devenir la règle
peu après. Il succède à Maurice Gignoux quand
celui-ci prend sa retraite en 1953.
Ainsi sa carrière a-t-elle été étroitement
unie à celle de Maurice Gignoux, à cette seule différence
qu'il était plus paléontologiste au départ
(thèse sur les Spongiaires fossiles soutenue à Strasbourg
en 1926) mais ses travaux de géologie alpine deviendront
rapidement prépondérants, la plupart réalisés
et rédigés en collaboration avec Maurice Gignoux.
Il a publié un ouvrage fondamental : " Manuel de Paléontologie
animale " suivi de son symétrique sur le règne
végétal, puis d'un " Précis de Géologie
", tous ouvrages qui ont connu de nombreuses rééditions,
sans oublier sa participation à la " Géologie
dauphinoise ". Toute cette oeuvre fut illustrée de
sa main et démontre qu'à côté du géologue,
L. Moret était un dessinateur hors pair.
De nombreuses distinctions ont marqué cette longue et belle
carrière, notamment les prix Viquesnel et Gaudry de la
Société géologique de France, le prix Fontannes
de l'Académie des Sciences dont il fut membre en 1957.
Il fut naturellement directeur du laboratoire de Géologie
à la suite de M. Gignoux et doyen de la Faculté
des Sciences de Grenoble de 1949 à 1962, ce qui lui permit
de lancer la construction de l'Institut Dolomieu dont nous parlerons
plus loin.
Son oeuvre de géologie alpine est, comme
on l'a dit, inséparable de celle de Maurice Gignoux. C'est
ensemble qu'ils créèrent les zones subbriançonnaise
et ultradauphinoise, puis montrèrent leur analogie avec
les unités correspondantes des Préalpes, sans parler
des très nombreux autres articles qu'ils écrivirent
en collaboration, tant sur les zones externes qu'internes. Mais
c'est à L. Moret seul que l'on doit un beau mémoire
sur le massif des Bornes et les klippes préalpines des
Annes et de Sulens (Haute-Savoie), véritable thèse
de doctorat, qui annonçait le dessin de la feuille Annecy
au 80 000e. Il réalisa aussi une carte géologique
de la Savoie au 200 000e et rédigea un autre mémoire
sur ses ressources minérales.
Une oeuvre originale dont il est l'auteur est un dessin animé
sur la formation des Alpes, dont il dessina toutes les maquettes.
Ce film, réalisé en 1937 et destiné au Palais
de la Découverte à Paris, illustrait très
bien et pour la première fois, la tectonique d'écoulement
des nappes par gravité.
Un second film, plus développé et plus explicite, fut réalisé en 1959 par le Service du Film de Recherche Scientifique, toujours à partir des coupes et blocs-diagrammes de L. Moret, redessinés par J. Fauder, du Service cinématographique des Armées.
Venant après l'exposé de l'oeuvre de M. Gignoux, les lignes qui précèdent peuvent donner l'impression d'une carrière moins féconde pour la géologie alpine. Il n'en est rien : l'amitié qui le liait à M. Gignoux et l'unicité de leurs conceptions ont entraîné que leurs deux carrières n'en font pratiquement qu'une et ont représenté une étape capitale dans l'histoire de la géologie alpine.
4. Les années 50 et 60 : de la rue Très-Cloîtres à l'Institut Dolomieu
M. Gignoux prend sa retraite en 1953 et L.
Moret en 1961. C'est dire qu'entre ces deux dates une équipe
nouvelle prend peu à peu les rênes de la géologie
grenobloise.
Elle est composée de Reynold Barbier[15], à Grenoble depuis 1948,
qui est nommé professeur en 1953, Robert Michel,
arrivé en 1953 de Clermont-Ferrand comme maître de
conférences et qui fonde la pétrographie grenobloise,
Jacques Debelmas, nommé professeur en 1961 mais
qui est déjà en poste à Grenoble comme chef
de travaux pratiques agrégé depuis 1950, et enfin
Pierre Giraud qui vient en surnombre en 1962 comme professeur,
après avoir quitté Alger en raison des événements,
et renforce la pétrographie.
Trois filières se dessineront de plus en plus nettement
au fil des années. Deux prolongent les orientations antérieures,
Géologie appliquée avec R. Barbier et Stratigraphie
structurale avec J. Debelmas, une est nouvelle, la pétrographie,
avec R. Michel et P. Giraud.
Cette nouvelle structure répond d'abord
à l'augmentation du nombre des étudiants, qui se
manifeste alors dans toutes les universités françaises
mais plus spécialement à Grenoble à cause
de l'attrait de la montagne et de ses écoles de terrain.
Elle est également due à la diversification des
disciplines géologiques et au besoin d'un enseignement
de pétrographie à Grenoble.
Naturellement c'est surtout vers la géologie appliquée
que se dirigent les étudiants. Un troisième cycle
portant cet intitulé est créé à Grenoble
en 1961, que R. Barbier va diriger pendant 20 ans, mais une option
permettait d'y accueillir ceux que tentait la géologie
pure. L'intérêt de cette formation était de
se terminer par une thèse de 3e cycle, plus courte que
les thèses d'Etat et qui permettait donc une formation
plus rapide à la recherche ou à l'industrie.
D'autres faits entrent aussi en jeu dans ces années 50-60. Sur le plan cartographique, la généralisation des fonds topographiques au 20 000e, sur lesquels se font désormais les levers de terrain, va entraîner à plus ou moins brève échéance la disparition des cartes régulières au 80 000e et leur remplacement par le 50 000e, provoquant ainsi, de la part du Service de la Carte géologique de France (fondu dans le B.R.G.M.), une demande importante de minutes à laquelle vont activement répondre les géologues grenoblois. Par ailleurs, l'année 1961 voit le déménagement du vieux laboratoire de la rue Très-Cloîtres vers un nouvel institut, baptisé " Institut Dolomieu ", construit sur les flancs de la montagne de la Bastille[16], avec l'appui efficace de L. Moret, alors doyen de la Faculté des Sciences, et sous la gestion pratique de R. Michel qui en conçut l'aménagement intérieur et l'équipement technique.
Les recherches en matière de géologie alpine qui vont se développer pendant cette époque sont plus diversifiées qu'auparavant et vaudront à l'Institut Dolomieu son statut de laboratoire de Géologie alpine, associé au CNRS, fin 1968. Comme les chercheurs vont devenir de plus en plus nombreux avec les années, il sera impossible de les citer tous. C'est donc seulement l'évolution des recherches que nous allons décrire en nous bornant à quelques indications très succinctes sur leurs auteurs.
Stratigraphie-tectonique
Les recherches s'orientent d'abord vers les zones internes que les travaux de M. Gignoux et L. Moret avaient ouvertes juste avant la guerre 39-45 et qui se devaient d'être approfondies, alors que la zone externe était, dans l'ensemble, mieux connue et pouvait attendre.
Dans les zones internes du nord, les travaux de R. Barbier, commencés dès 1937, portaient sur la zone subbriançonnaise entre Arc et Isère et eurent surtout l'intérêt de séparer le Subbriançonnais classique de la " zone des Brèches de Tarentaise " qui le flanquait à l'ouest, une zone étrange, ancien domaine orogénique mobile et à sédimentation perturbée, dont R. Barbier fit le siège de sa " cordillère tarine ", reprenant ainsi le terme argandien de cordillère que l'on utilisait toujours, faute de mieux. On commençait donc à mettre le doigt sur cette zone mystérieuse et troublée que l'on pense avoir été à l'origine du grand hiatus séparant les domaines externe et interne, au moins dans les Alpes du nord. Il faudra cependant attendre deux décennies et les travaux d'un élève de R. Barbier, son futur successeur, Pierre Antoine, pour comprendre la signification réelle de cette structure, terminaison un peu particulière de l'immense zone valaisanne des géologues suisses, héritière du " géosynclinal valaisan " d'E. Haug, que l'on suit en Suisse jusqu'aux Grisons et même au delà (fenêtres de l'Engadine et des Tauern).
Pierre Antoine commença ses travaux en 1962, dès sa nomination comme assistant de R. Barbier, et soutint sa thèse en 1971. Son apport essentiel est, d'abord, d'avoir daté du Crétacé supérieur les couches de base du " flysch de Tarentaise ", jusqu'alors considéré comme uniquement tertiaire, puis d'avoir rattaché au domaine des Brèches de Tarentaise les fameux " schistes noirs à roches vertes du Versoyen ", jusqu'alors considérés comme des Schistes lustrés piémontais, mais qui se révélèrent appartenir au substratum du flysch. Certes la " cordillère tarine " était conservée mais apparaissait flanquée, vers l'intérieur de la chaîne, d'un sillon orogénique dont la signification réelle, évoquée plus haut, n'apparut que plus tard, grâce aux idées nouvelles issues de la théorie des plaques (voir plus loin).
Un autre intérêt du travail de R. Barbier et des écoles de terrain qu'il développa alors dans le cadre de son enseignement pratique, est d'avoir introduit la cartographie sur les fonds topographiques au 20 000e à une époque où elle était encore balbutiante et sans règles précises. A ce titre, on peut le considérer comme le fondateur de l'école cartographique moderne de Grenoble.
Les zones internes du sud vont, de leur côté, devenir l'apanage
de J. Debelmas. C'est d'abord sur le revers oriental du
Pelvoux qu'il prend le relais de R. Barbier pour ce qui est du
Subbriançonnais mais il entreprend aussi et surtout l'étude
du Briançonnais externe, l'ensemble représentant
sa thèse soutenue en 1953.
En dehors de la description régionale est développée
l'idée que la stratigraphie, c'est à dire la disposition
des couches et des faciès, traduit une " tectonique
embryonnaire " qu'elle doit permettre de retrouver. Les mots
de " cordillère " ou de " sillon ",
employés depuis longtemps mais de manière intuitive,
prennent un sens grâce aux progrès qu'enregistre
alors l'océanographie géologique naissante. Brèches
, discordances intraformationnelles, lacunes, hard-grounds parlent
à leur tour. Telle est l'évolution majeure qui marque
la géologie alpine dans ces années 1950. Certes,
bien d'autres géologues participent à ce renouveau,
mais, dès sa thèse, J. Debelmas , profondément
marqué par l'esprit de M. Gignoux, l'appliquait à
un secteur du Briançonnais où ces données
se révèlent lisibles.
En même temps, il faisait la jonction, vers l'est, avec Marcel Lemoine, un élève de P. Fallot et futur professeur à l'école des Mines, qui étudiait, quant à lui, le Briançonnais interne et ses rapports avec la nappe des Schistes lustrés. Cette collaboration aboutira à établir sur des bases solides la stratigraphie de la zone briançonnaise (notamment en ce qui concerne le Trias, resté jusqu'alors indéchiffré) et sa structure en nappes superposées, rétrocharriées pour les plus internes, bref la synthèse de la zone briançonnaise sur la transversale pelvousienne, synthèse que devait concrétiser un film d'enseignement supérieur réalisé par le centre audio-visuel de l'E.N.S de St Cloud : " Du Pelvoux au Viso, un survol géologique des Alpes ". Ce film obtint à sa sortie, en 1963, le premier prix international du film de recherche scientifique.
Amicale et fructueuse, cette collaboration entre J. Debelmas et M. Lemoine n'était pas sans rappeler celle qu'avaient connue en leur temps W. Kilian et P. Termier. Elle se complétait des excellents rapports établis avec F. Ellenberger (alors chercheur au CNRS, à l'E.N.S. de Paris) qui étudiait le Briançonnais de la Vanoise, et les chercheurs suisses travaillant sur les Préalpes, dans les Médianes Rigides (briançonnaises), surtout pour ce qui touchait à la stratigraphie du Trias, problème majeur de la zone.
Elle se compléta également des
travaux de Maurice Gidon, ancien élève de
Grenoble, qui rejoignit le laboratoire comme maitre-assistant
après deux ans au Service de la Carte géologique
de France, et deviendra professeur en 1979. M. Gidon travaillait
plus au sud, dans le Briançonnais de la Haute Ubaye, une
région difficile où les phénomènes
de rétrocharriage sont d'une grande complexité et
où la zone " ultrabriançonnaise " (découverte
par J. Debelmas et M. Lemoine en 1957) prend plus d'ampleur. Sa
thèse, soutenue en 1958, constitue l'une des pièces
maîtresses de la synthèse du Briançonnais
durancien et révèle un des tectoniciens les plus
doués de sa génération. M. Gidon participa
avec J. Debelmas et M. Lemoine à l'organisation de la réunion
extraordinaire de la Société Géologique de
France en Briançonnais, en 1964, réunion qui marque
un tournant dans l'histoire des études sur la zone briançonnaise.
L'individualisation de la zone ultrabriançonnaise ou zone
d'Acceglio se révéla rapidement un sujet d'importance
avec les travaux qui lui furent consacrés dans la foulée
des recherches de M. Gidon. En effet, entre 1965 et 1967, trois
thèses lui furent consacrées dont seule celle de
J. Le Guernic dépendait de Grenoble, les deux autres
(R. Lefèvre et A. Michard) étaient dirigées
par F. Ellenberger parce que la zone ultrabriançonnaise
se révélait la prolongation méridionale de
la zone Vanoise-Ambin, un ensemble effectivement plus interne
que la zone houillère briançonnaise dont le Briançonnais
classique représentait le couverture.
Si l'étude de la zone briançonnaise se développait
largement vers le sud, elle s'étendait également
vers le nord, avec l'exploration du massif de la Sétaz
(J. Debelmas) et du massif du Galibier et des Cerces (M. Lemoine).
Bref, ce travail collectif sur la zone briançonnaise aboutit en deux décennies à en donner une image restée valable jusqu'à maintenant même si, sur certains points, notamment les effets de la distension téthysienne, elle a été affinée et complétée.
En dehors de la zone briançonnaise, mais toujours dans les zones internes, J. Debelmas porta aussi son effort sur les nappes de l'Embrunais grâce à deux thèses importantes. La première, en 1961, fut celle de Michel Latreille, élève de Grenoble et futur ingénieur pétrolier, dans le massif de Piolit-Chabrières, symétrique de celui du Morgon si bien étudié par D. Schneegans entre 1935 et 1938. La seconde fut celle de Claude Kerckhove (lui aussi élève de Grenoble et ingénieur E.N.S.P.M., mais qui retourna à l'université de Grenoble comme maitre-assistant en 1961, et sera professeur en 1982). Son travail, commencé en 1961, aboutira à une thèse soutenue en 1969. Il mit en évidence la grande variabilité des unités subbriançonnaises et de leurs flyschs. L'âge néocrétacé du flysch de l'Embrunais (flysch à helminthoïdes), qui venait d'être démontré dans les Alpes Maritimes par un autre élève de P. Fallot, Marcel Lanteaume, et par Michel Latreille dans l'Embrunais nord, était étendu au reste de l'Embrunais, et la stratigraphie de ce flysch enfin établie. L'intérêt de cette étude résidait aussi dans la découverte du faciès " schistes à blocs ", une formation alimentée par les écroulements du front des nappes en progression gravitaire sous la mer, ce qui permettait des conclusions précises sur l'âge et le milieu de mise en place de ces nappes, nappes probablement issues d'un domaine ultrapiémontais (actuellement on parlerait d'océanique), avant métamorphisme, ce que Cl. Kerckhove devait démontrer aussi par la découverte d'écailles ophiolitiques traînées à leur base.
D'une façon générale,
on peut dire que les travaux de cette époque sont caractérisés,
d'abord, par une analyse plus fine de la stratigraphie et de la
tectonique, appuyée sur une cartographie rigoureuse
au 20 000e (réduite ensuite au 50 000e pour
la publication). C'est le début de la grande période
cartographique du laboratoire dont la production a pris une large
part dans la couverture complète de la chaîne.
Ensuite il faut noter un effort d'interprétation des observations
stratigraphiques en fonction des données océanographiques
que l'on commençait alors à voir apparaître
dans la littérature géologique (bathymétrie
des sédiments, action des courants, influence de la topographie
sous-marine, etc.). Enfin se manifestait un intérêt
accru pour le plissement alpin lui-même, que l'on
essaya de détailler par des méthodes diverses, classiques
(analyse plus poussée des figures de déformation
et de leurs annexes) ou moins classiques, telles que les rapports
de la déformation avec la stratigraphie des sédiments
qui la subissaient, sédiments par ailleurs de mieux en
mieux datés grâce aux progrès de la micropaléontologie.
L'idée qui fut alors à la mode était celle
d'une " onde orogénique " progressant vers l'extérieur
de la chaîne et accompagnée de sédiments syntectoniques
variés (brèches, flyschs et schistes à blocs).
Tous ces compléments à la stratigraphie
et à la tectonique traditionnelles ont introduit un esprit
nouveau dans la géologie de cette période, également
marquée par l'exploration d'autres chaînes (à
laquelle le laboratoire de Grenoble participa au Maroc, en Turquie,
en Iran et au Pérou, principalement), exploration qui permettait
une comparaison avec les Alpes. Nous verrons aussi que les premières
études sur le métamorphisme alpin qui paraissaient
alors contribuaient à renforcer le sentiment général
que le dogme géosynclinal ne répondait plus aux
observations nouvelles.
Ce qui marque aussi l'époque, tant à Grenoble que
dans les autres universités travaillant sur les chaînes
plissées, c'est l'interférence manifeste entre toutes
les facettes de la géologie : stratigraphie, sédimentologie,
tectonique, morphologie et même certaines données
pétrographiques comme le métamorphisme (ailleurs
ce pourrait être le volcanisme). C'était une nouvelle
géologie qui se mettait en place et s'intéressait
en fait à la totalité d'une structure et son évolution,
avec tous les facteurs intervenant à son niveau, forcément
plus ou moins liés entre eux. Ainsi apparut la "
géologie structurale ", succédant à
la " stratigraphie structurale " de M. Gignoux. Elle
combinait l'analyse et la synthèse et préparait
les esprits pour l'avènement de la tectonique globale qui
se fera quelques années plus tard .
La pétrographie
Elle débute à Grenoble avec l'arrivée de Robert Michel, en 1953.
R. Michel avait commencé ses étude supérieures
à Grenoble avec Gignoux et Moret, mais les poursuivit à
Clermont-Ferrand pour se spécialiser en minéralogie-pétrographie.
Nommé chef de travaux dans cette université, il
y commença une thèse sur le massif cristallin interne
du Grand-Paradis, qu'il soutint en 1953. La même année,
il était nommé maître de conférences
à Grenoble, chargé des enseignement de minéralogie,
pétrographie et métallogénie.
Quand R. Michel avait abordé son travail sur le Grand-Paradis,
dans le cadre de la zonéographie cristallophyllienne de
Jung et Roques, ce massif était toujours interprété
d'après les idées de M. Bertrand, P. Termier et
E. Argand qui, croyant que le métamorphisme croissait d'ouest
en est, voyaient dans les gneiss du Grand-Paradis l'équivalent
plus métamorphique du Permo-Houiller briançonnais
très épais (" géosynclinal ").
Et pourtant, le géologie italien G.B. Dal Piaz avait nié
dès 1939 l'existence, dans tous les massifs cristallins
internes franco-italiens, d'une pareille série compréhensive
ancienne. Il proposait déjà d'y distinguer un vieux
socle antéhouiller et un ensemble " permocarbonifère
" sus-jacent (en fait permien), ce qui ne l'empêchait
pas d'inclure ces massifs dans la " nappe du Mont-Rose "
d'Argand. R. Michel démontra l'existence de ce socle ancien
(ce que devait confirmer, en 1957, un âge radiométrique
de 340 Ma, l'une des premières mesures d'âge absolu
obtenue dans les Alpes franco-italiennes). Ce socle était
polymétamorphique car il avait été plus ou
moins rétromorphosé lors du métamorphisme
d'âge alpin mais la couverture " permocarbonifère
" n'avait été métamorphisée que
lors de l'orogenèse alpine, comme le Trias et les Schistes
lustrés sus-jacents. Le travail de R. Michel impliquait
donc un métamorphisme postérieur à l'arrivée
des nappes de Schistes lustrés. Ainsi était ouverte
la voie vers le concept de " géosynclinal de nappes
" que nous allons évoquer.
R. Michel prend ses fonctions à Grenoble
alors que, sur le plan pétrographique, se produit un grand
renouveau de l'étude des zones internes, ceci sous l'influence,
entre autres, de François Ellenberger, un chercheur C.N.R.S.
parisien qui travaillait alors dans le massif de la Vanoise et
lançait l'idée que le métamorphisme alpin
était une " tempête moléculaire "
succédant à la mise en place des nappes, que celles-ci
soient de socle ou de couverture. Cet auteur était ainsi
amené à créer, en 1952, le terme de "
géosynclinal de nappes " (C. R. Soc. Géol.
Fr. p. 318-321) pour expliquer le " géanticlinal
métamorphique " de la Vanoise, car il fallait bien
trouver une surcharge expliquant l'augmentation de pression et
de température nécessaire à son métamorphisme.
La notion de géosynclinal de nappes s'appliquait aussi
bien, voire mieux, au Grand-Paradis qui n'avait rien de géanticlinal.
Ainsi les massifs cristallins internes étaient-ils partout
repris, notamment en Suisse (Mont-Rose et Grand-Saint-Bernard)
et en Italie où, par exemple, Giulio Elter démontrait,
en 1960, l'allochtonie du Grand-Paradis, restée discutée
depuis S. Franchi. Tout ce renouveau de la pétrographie
structurale alpine poussa R. Michel à poursuivre le travail
commencé dans le Grand-Paradis en l'étendant d'abord
à son prolongement méridional, le massif de Dora-Maira.
C'est donc l'une des premières thèses qu'il confia à un élève après son arrivée à Grenoble, en l'occurrence Pierre Vialon (qui sera professeur à Grenoble vingt ans plus tard, après une thèse soutenue en 1966). P.Vialon confirma la coexistence d'un socle ancien polymétamorphique et d'une couverture volcanodétritique sus-jacente, monométamorphique, probablement permocarbonifère pour certaines unités inférieures (représentant peut-être un lointain prolongement de la nappe du Grand-St-Bernard), ou seulement permienne pour les unités sus-jacentes, plus franchement piémontaises. Cette stratigraphie relative permit de montrer la présence de nappes superposées. P.Vialon introduisit enfin dans sa thèse une analyse des déformations utilisant les méso- et microstructures qui démontrait que la mise en place des " nappes-écailles " de Dora-Maira était polyphasée et qu'il existait aussi des plis transversaux est-ouest, dont la signification ne deviendra claire que quelques années plus tard quand on comprendra que ces structures sont induites non par le raccourcissement proprement dit mais par la mise en place des unités vers l'extérieur de la chaîne.
Presque parallèlement à ces études
sur Dora-Maira, R. Michel lança deux autres recherches.
L'une concernait le socle du massif briançonnais d'Ambin.
Elle fut menée à bien par un jeune géologue
lyonnais, Marc Gay (thèse soutenue en 1970 à
Lyon) et confirma l'existence d'un vieux matériel polymétamorphique
et d'une couverture considérée comme permienne,
uniquement affectée par le métamorphisme alpin.
Il apparaîtra plus tard qu'il s'agissait du prolongement
du socle de Vanoise, de position interne par rapport à
la zone houillère briançonnaise.
L'autre concernait l'important massif de " roches vertes
" du Val de Suse, entre Dora-Maira et Grand-Paradis. Son
étude pétrographique fut confiée à
Adolphe Nicolas qui soutiendra sa thèse en 1966 et
sera plus tard professeur à l'université de Nantes,
puis de Montpellier. Dans ce massif du Val de Suse, fut mise en
évidence la trilogie désormais classique des ophiolites,
déjà reconnue par le pétrographe suisse Marc
Vuagnat, en 1952, dans le massif du Chenaillet, près du
col du Montgenèvre. Le célèbre corps péridotitique
de Lanzo fut alors interprété comme lié à
la série ophiolitique mais il faudra attendre 1972 et la
thèse de F. Boudier (1976, Nantes) pour que ce corps soit
désormais considéré comme une écaille
du manteau sous-insubrien.
Toutes ces études se firent à une époque où les idées sur le métamorphisme alpin étaient en train d'évoluer rapidement. Le métamorphisme y était désormais reconnu comme syntectonique et la zonéographie de Jung et Roques avait fait place à une vision plus moderne inspirée des travaux de Winkler (1965), avec les faciès de HP/BT caractérisant les zones géosynclinales à fond océanique. Il était donc nécessaire de reprendre ce sujet du métamorphisme alpin de façon plus générale et non plus régionale. Ce fut le travail confié en 1967 à une élève de Grenoble, Jacqueline Desmons, travail qui coïncida rapidement avec la révolution de la tectonique globale et dont nous reparlerons donc dans le chapitre suivant.
Dans un domaine différent de la pétrographie alpine, R. Michel entreprit l'étude de diverses laves alpines (Permien de la vallée du Guil, Nummulitique des aiguilles d'Arves) et, surtout, celle des spilites du Trias dauphinois qui n'avaient pas été reprise depuis Termier, et qui firent l'objet de travaux systématiques auxquels sont associés les noms de Jean-Louis Tane, Nicole Vatin-Pérignon, Georges Buffet pour ne citer que les principaux, devenus respectivement maître de conférences et chercheurs CNRS. Sous la direction de R. Michel puis à titre personnel, ils ont renouvelé nos connaissances sur ces laves triasiques, en liaison avec des spécialistes non grenoblois parmi lesquels il faut citer à nouveau Marc Vuagnat dès 1946. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans le détail des recherches. On dira seulement qu'à leur terme, il était clair que ces laves provenaient d'un magma basaltico-andésitique spilitisé en profondeur par des actions hydrothermales à partir d'eaux dont l'origine superficielle, marine, ne pouvait être écartée.
Bien entendu, l'installation de la pétrographie à Grenoble a nécessité non seulement l'acquisition du matériel de base classique mais aussi la création de plusieurs ateliers et laboratoires : atelier de lames minces (1955) et laboratoire de diffractométrie X (1957), puis, en 1961, à l'Institut Dolomieu, laboratoire d'analyse de roches et minéraux par voie humide, laboratoire de géochronologie par la méthode Pb/a-zircons (impliquant pour ces derniers un atelier de broyage, tamisage et décantation aux liqueurs denses).
En 1962, la pétrographie grenobloise
bénéficia de l'arrivée d'un professeur supplémentaire,
en la personne de Pierre Giraud, ancien élève
de Gignoux et Moret, également formé à la
pétrographie à Clermont-Ferrand, puis professeur
à Alger.
Il apportait avec lui l'expérience des vieux socles malgache
et saharien, aussi s'intéressa-t-il d'abord à la
zone d'Ivrée qui, pour E. Argand, était un fragment
d'Afrique venu s'écraser contre l'Europe. Mais cette étude
resta ponctuelle et P. Giraud s'intéressa plutôt
aux massifs cristallins externes des Grandes Rousses (où
il avait eu l'occasion de travailler en 1952) et de Belledonne,
en collaboration, bien évidemment, avec R. Michel qui travaillait
dans ce domaine depuis son arrivée à Grenoble.
Ces massifs n'avaient pas été étudiés depuis les travaux exploratoires de P.Termier effectués entre 1891 et 1910 à la demande de Kilian, pour les premières cartes géologiques au 80 000e des environs de Grenoble. Depuis 1910, il n'y avait pas eu de pétrographe à Grenoble et les fonds topographiques au 20 000e n'apparurent qu'en 1953. Dès la sortie de ces fonds, qui s'échelonna entre 1953 et 1968, deux géologues non grenoblois levèrent les massifs cristallins dauphinois, Pierre Bordet, professeur à l'Institut catholique de Paris et Francis Carme, de l'université d'Amiens. Des géologues hollandais étaient également venus y étudier des points particuliers, comme E. Den Tex qui, en 1950, découvrit le complexe basique et ultrabasique de Chamrousse.
Entre 1957 et 1970, l'accent fut mis sur des ensembles morphologiquement individualisés, comme les massifs du Rocheray (Maurienne), des Grandes-Rousses, d'Allevard, du Tabor, du Combeynot, ou des coupes transversales, soit naturelles comme la vallée de la Romanche au travers du massif de Belledonne, soit artificielles comme le tunnel du Mont-Blanc, sujets qui firent l'objet d'autant de thèses. Mais ces travaux restèrent lithologiques et aucune " stratigraphie " des formations ne se dégageait encore. Sur ce plan, les résultats ne commencèrent à prendre forme qu'après 1970. Nous en reparlerons donc plus loin.
R. Michel a également lancé la
métallogénie alpine, ceci grâce à
Henri Dabrowski, ancien géologue du BU.MI.FOM, devenu
maître-assistant à Grenoble en 1960. Une vingtaine
de thèses de troisième cycle, généralement
préparées en étroite liaison avec les laboratoires
spécialisés du C.E.N.G. et mettant en oeuvre de
nouvelles méthodes de prospection géophysique et
d'analyse, ont permis, à partir de 1966, de revoir la plupart
des anciennes mines des massifs du Mont-Blanc (versant italien),
de Belledonne et du Pelvoux, et d'étudier très finement
leurs paragenèses métallogéniques ainsi que
leur contexte pétrologique et structural, parfois même
d'évaluer leurs réserves, hélas fort réduites.
Anticipant sur le chapitre suivant, il faut ajouter l'étude
entreprise, à partir de 1970, en Val d'Aoste, par R. Michel
et H. Dabrowski, sur l'important gisement de magnétite
de Cogne, inclus dans des péridotites plus ou moins serpentinisées,
gisement qui arrivait à épuisement. Grâce
à des méthodes de prospection géophysique
nouvelles (double résonance magnétique nucléaire,
télédétection aéroportée, etc.),
plusieurs gîtes annexes ont pu être localisés
et évalués.
En 1966, l'équipe des pétrographes reçut l'appoint d'un éminent minéralogiste, Jean Girault, ingénieur C.N.R.S. Il mena à bien la révision de nos importantes collections de minéraux et, surtout, apporta une aide précieuse à de nombreux chercheurs dans la détermination de leurs espèces minérales. On lui doit la publication d'un important manuel : " Caractères optiques des minéraux transparents . Tables de détermination ", Masson éd., 1980, 200 p.
En mai 1968, la réforme de l'Université supprime toutes les chaires, remplacées par des " emplois " de professeur, mais la cadence et le style des recherches n'en est pas modifié, comme on a pu le voir, dans ce qui précède, avec les dates des travaux cités. Il faut attendre encore dix ans pour que se manifeste la seconde révolution des Sciences de la terre.
La naissance de la géologie chambérienne
et l'oeuvre de Paul Gidon
Il nous faut revenir quelques années en arrière
pour un fait important concernant l'histoire de la géologie
alpine à Grenoble, à savoir la naissance de son
annexe à Chambéry, dans le Collège scientifique
universitaire de cette ville, future université de Savoie,
car la géologie y a joué un rôle important
en la personne de son responsable, Paul Gidon, professeur
à la Faculté des Sciences de Grenoble.
Né en 1903 en Auvergne, Paul Gidon fit ses études
supérieures à Clermont-Ferrand et Grenoble. Il occupa
ensuite différents postes successifs d'enseignant du Secondaire
avant d'être nommé à Chambéry en 1945.
Comme il s'intéressait beaucoup aux Sciences de la Terre,
il fut appelé à donner un enseignement de géologie
dans le Collège scientifique universitaire de Savoie, nouvellement
créé mais dépendant, administrativement parlant,
de l'Université de Grenoble. Le volume de cet enseignement
amena son passage dans l'enseignement supérieur comme chef
de travaux de géologie, maître de conférences,
puis professeur (1963) , postes rattachés à la Faculté
des Sciences de Grenoble. Il était directeur du Collège
universitaire depuis 1960. Ce centre prit peu à peu une
importance telle qu'il fut transformé en Université
à part entière en 1979, peu avant la mort de P.
Gidon survenue en 1980.
En tant que géologue, Paul Gidon laisse une oeuvre double.
Tout d'abord une thèse soutenue en 1953, consacrée
aux rapports socle-couverture sur la façade SW du massif
du Pelvoux, rapports dans lesquel interféraient les phases
tectoniques anté et post-nummulitiques, c'est-à-dire
un sujet de " stratigraphie structurale " annonçant
la " géologie structurale " qui allait régner
sur la géologie alpine dans la décennie suivante.
Mais Paul Gidon fut aussi et peut-être surtout le géologue
des environs de Chambéry, en successeur lointain de Joseph
Révil. Il laisse de nombreuses publications dont une "
Géologie chambérienne ", bien symétrique
de la " Géologie dauphinoise " de Gignoux et
Moret, ainsi que la feuille Chambéry au 50 000e qui fut
curieusement la seule des Alpes à être publiée
à plat et en relief.
5. Les années 1970-1990 ou la seconde révolution des Sciences de la Terre (tectonique des plaques)
Comme pour la première révolution, au début du 20e siècle, la théorie n'est pas née dans les Alpes mais dans les grands fonds océaniques que le développement des techniques géophysiques et océanographiques permettait enfin d'explorer. Elle pouvait aussi s'appuyer sur des mesures d'âge absolu plus nombreuses et plus fiables.
La tectonique globale a apporté à la géologie
alpine trois concepts nouveaux : tout d'abord que les Alpes
sont une chaîne de collision entre deux plaques lithosphériques,
ce qui permettait de retrouver le mobilisme horizontal nécessaire
pour expliquer les raccourcissements orogéniques. Ensuite
l'existence d'un domaine océanique alpin, même
s'il avait été étroit et éphémère.
Les " roches vertes " des Schistes lustrés étaient
des ophiolites, seuls restes de la croûte océanique
disparue par subduction. Par ailleurs, cet océan
avait des marges continentales que l'on devait retrouver dans
les Alpes. Enfin, le métamorphisme alpin devenait
plus compréhensible dans sa variété même
: métamorphisme de faciès schistes bleus lié
à la subduction océanique, métamorphisme
de faciès schistes verts lié à la collision
des marges continentales au terme de la collision.
Dès lors les recherches alpines allaient s'orienter vers
l'océan alpin, son fond, son contenu sédimentaire
et les modalités de son apparition et de sa disparition,
puis sur la structure des marges bordières jusqu'à
leur collision. Enfin sur le déroulement de celle-ci et
le métamorphisme qui lui est lié. Ces diverses pistes
ont été explorées dans de nombreuses universités
françaises et étrangères. On se limitera
évidemment à ce qui a été fait à
Grenoble où les nouvelles idées suscitèrent
très vite l'intérêt des chercheurs[17] mais n'eurent d'influence réelle
sur la recherche qu'après le Congrès géologique
international de 1980, à Paris.
Dans ces années 1970-1980, le personnel de l'institut Dolomieu s'était encore accru. L'effectif des seuls professeurs dépassait maintenant la dizaine, ce qui s'expliquait toujours par l'augmentation du nombre des étudiants et des spécialités enseignées ou mises en oeuvre dans la recherche, celle-ci toujours coiffée par les trois " patrons " qu'étaient R. Barbier pour la géologie appliquée, J. Debelmas pour la géologie structurale des Alpes et R. Michel pour la pétrographie-minéralogie. Pour simplifier la description des recherches mises alors en oeuvre, nous dirons qu'en matière de géologie alpine à laquelle on se limite ici elle eut deux facettes.
1. La poursuite des études de terrain
Elle a été généralement dictée par la nécessité d'achever la couverture cartographique des Alpes françaises, du moins dans le secteur dévolu au laboratoire de Grenoble, puisque, à partir de 1979, l'université de Chambéry eut la responsabilité du secteur savoyard. Cependant ces recherches sur le terrain se pratiquaient désormais avec des concepts nouveaux, le plus souvent inspirés de la tectonique des plaques, et avec l'aide de méthodes nouvelles telles que l'analyse structurale, les coupes équilibrées, et, pour la pétrographie, la géochimie ou les datations radiométriques.
- Dans le domaine de la stratigraphie et de la tectonique, les recherches commencèrent à se tourner à nouveau vers les zones externes, un peu négligées jusqu'alors, mais persistèrent cependant dans les zones internes sur trois points, le déchiffrage des Schistes lustrés et des complexes ophiolitiques, la géologie de la Vanoise et la zone valaisanne.
La stratigraphie des Schistes lustrés a été élucidée par Marcel
Lemoine (arrivé à Grenoble en 1976 comme directeur
de recherche et qui y restera jusqu'en 1985). Avec divers collaborateurs
dont Pierre Tricart[18]
(qui rejoindra l'équipe grenobloise quelques années
plus tard), il déchiffre peu à peu les séries
de ces Schistes lustrés en se basant, d'une part, sur leurs
analogies avec les séries océaniques actuelles,
d'autre part, sur quelques rares microfaunes. C'est
là une des grandes découvertes de la géologie
alpine du 20e siècle. Associée à une analyse
tectonique approfondie de la structure de ces Schistes lustrés,
elle ruine définitivement la doctrine géosynclinale
de Haug et de ses successeurs en démontrant que l'énorme
épaisseur des Schistes lustrés n'était qu'apparente
et due à la répétition tectonique des séries.
Par ailleurs l'importance de la fraction néocrétacée
de ces schistes apporte des lumières nouvelles sur l'évolution
du domaine océanique (en subduction depuis le Crétacé
moyen) et l'origine du fameux flysch à helminthoïdes
plusieurs fois évoqué dans ce qui précède.
Un autre apport important de M. Lemoine et de ses collaborateurs
(dont Y. Lagabrielle, université de Brest) a été
et est encore l'étude structurale des ensembles ophiolitiques
du Queyras au travers d'une comparaison avec les dorsales lentes
des océans actuels[19].
La géologie de la Vanoise, quant à elle, avait été déjà largement éclairée, surtout sur le plan stratigraphique, par les travaux de F. Ellenberger entre 1945 et 1958, et sur le plan pétrographique (notamment les métamorphismes successifs) par ceux de Jacqueline Desmons (chercheur C.N.R.S. à Grenoble dès 1968) entre 1968 et 1974. Mais il restait beaucoup à faire sur le plan tectonique et cartographique, sans parler du nouveau cadre interprétatif dont on disposait désormais. Ce travail a été réalisé en 10 ans, de 1980 à 1990, conjointement par les laboratoires de Grenoble (J. Debelmas et ses élèves), de Chambéry (E. Deville et S. Fudral), de Lille (F. Raoult et ses élèves), ainsi que de d'autres chercheurs, notamment R. Caby (université de Montpellier). Les cinq feuilles au 50 000e correspondantes ont été dessinées puis publiées, l'image tectonique du massif mise à jour, tandis que le métamorphisme était repris par divers pétrographes dont J. Desmons (entre-temps fixée à Nancy). Le paradoxal " géanticlinal métamorphique " de F.Ellenberger, que l'on pensait dû à son enfouissement dans un " géosynclinal de nappes " contemporain du plissement tertiaire, se révélait avoir pris naissance lors de la collision paléogène, d'abord en régime de HP (faciès schistes bleus), puis en faciès schistes verts généralisé[20], celui-ci bien daté de l'Eocène supérieur (38 Ma).
Enfin la zone valaisanne a fait, de la part de Pierre Antoine (devenu professeur en 1982), l'objet de développements qui, avec la collaboration des géologues suisses (M. Burri et R. Trümpy) et à la lueur de la tectonique des plaques, ont enfin permis de comprendre la signification de l'ancienne "zone des Brèches de Tarentaise ". Ce serait l'extrémité occidentale, à valeur de simple rift, d'un sillon océanisé dès la fin du Crétacé inférieur, sillon qui, au Crétacé supérieur, prend en quelque sorte le relais du domaine téthysien, alors en cours de fermeture.
Dans la zone externe, la recherche grenobloise connaît alors, et à nouveau, une période d'activité intense dans le domaine de la géologie structurale et de la stratigraphie pure.
En matière de géologie structurale, c'est surtout l'étude des liaisons déformations-sédimentation qui, dès les années 70, fut le point de départ de la réinterprétation de la zone externe dans le cadre des nouvelles idées. En effet, entre 1971 et 1978, sont reconnues, dans la zone externe méridionale, de nombreuses paléostructures mésozoïques, notamment des paléofailles, qui rejoueront lors des déformations éocrétacées et tertiaires. Ces études ont été menées principalement dans le domaine vocontien s.l. (incluant le Dévoluy et le Vercors méridional) sous l'égide de Hubert Arnaud (maître-assistant à Grenoble dès 1971), et sur la bordure SW du massif du Pelvoux, tant dans la couverture sédimentaire que dans le socle où sont décrites les premières failles liées au basculement synsédimentaire de compartiments plus ou moins importants (M.Gidon et J.Cl. Barféty, ingénieur-géologue du B.R.G.M., détaché à Grenoble). Certes, on ne comprit pas tout de suite que ces paléofailles et ces basculements étaient hérités du rifting liasique et il fallut attendre les années 80 pour que leur interprétation devienne claire. S'ajoutant aux résultats obtenus dans d'autres secteurs externes, y compris les massifs cristallins dauphinois, et les zones internes par M. Lemoine et ses collaborateurs, ces observations permettront à ces derniers de développer brillamment les effets de la distension téthysienne sur l'ensemble de la marge continentale européenne. Nous y reviendrons.
Dans ces années 80-90, M. Gidon va également porter ses efforts sur d'autres massifs subalpins, notamment celui de la Chartreuse, où il procède à une analyse très fine des structures tectoniques lui permettant d'en montrer la déformation progressive, de la fin du Tertiaire au Quaternaire, et sa liaison avec la morphologie. Il s'intéresse également à la tectonique anté et syn-nummulitique du massif du Pelvoux, sous-estimée jusqu'alors, ainsi qu'aux linéaments et failles longitudinales qui affectent le bâti alpin, tant externe qu'interne. Leur connaissance permettra certainement de mieux comprendre la déformation générale de ce bâti en liaison avec le développement attendu des études paléomagnétiques.
Dans ce travail structural sur les zones externes,
le nom de Maurice Gidon est souvent associé à celui
de Jean-Louis Pairis (ancien élève de Grenoble,
ingénieur E.N.S.P.M., puis maître-assistant à
Grenoble). Ces deux auteurs s'intéressèrent en effet,
entre 1974 et 1989, à une structure classique, apparemment
simple, la " nappe de Digne ", mise en place au Miocène,
mais qui s'avéra beaucoup plus compliquée qu'il
n'y paraissait au premier abord car elle reprenait des structures
antérieures, représentait un charriage un peu particulier
se faisant à la fois par gravité et compression
dans un bassin sédimentaire en cours de colmatage rapide.
On retrouvait donc là les objectifs de la géologie
structurale grenobloise de cette époque, à savoir
les structures résultant de tectoniques superposées
et leur influence sur la sédimentation connexe.
J.L. Pairis reprenait aussi, dès 1970 l'étude du
Nummulitique alpin, de l'arc de Castellane à la Savoie,
marchant ainsi sur les traces de J. Boussac, et ceci en utilisant
les données de plus en plus précises de la micropaléontologie
(ce qui l'obligea à créer de toutes pièces
le laboratoire correspondant à l'Institut Dolomieu). Mais
son travail ne fut pas que stratigraphique puisqu'il s'intéressa
aussi aux déformations accompagnant la sédimentation
tertiaire, déformation qui était l'écho du
plissement paroxysmal des zones internes
J.L. Pairis révéla ainsi l'existence, sur la
bordure interne du bassin paléogène alpin, de prismes
d'accrétion à matériel subbriançonnais
jalonnant le front des nappes, nappes dont le poids provoquait
par ailleurs la flexure de la croûte continentale subalpine
en un sillon de subsidence progressant peu à peu vers l'ouest.
Peu après, il reliait cette structure distensive au volcanisme
calco-alcalin, synorogénique, des grès du type Champsaur
ou Taveyannaz, apportant ainsi un autre exemple de liaison entre
des phénomènes différents. Parti de la stratigraphie
pure, l'auteur passait à la stratigraphie structurale puis
à la géologie structurale, illustrant ainsi l'évolution
du laboratoire dans les dernières décennies.
Son oeuvre cartographique est également importante en Savoie
(feuilles Cluses et Annecy-Bonneville).
Enfin l'étude des liaisons déformation-sédimentation qui caractérise cette époque se retrouve aussi dans les travaux de Jacques Perriaux (professeur à Grenoble dès 1965), travaux consacrés à divers flyschs alpins et à la sédimentologie du Miocène périalpin qui enregistrait aussi, à sa façon, les déformations néogènes de la chaîne.
Dans le domaine de la stratigraphie pure, le renouveau date en fait de la fin des années 50, époque à laquelle les avancées dans tous les domaines de la géologie sédimentaire nécessitèrent une plus grande précision des différents outils et notamment de la biostratigraphie. Ce constat, qui devint clair lors du colloque sur le Crétacé inférieur tenu à Lyon en 1963, fut suivi d'un renouveau des études stratigraphiques dans les Alpes. Une fois encore l'apport de l'école grenobloise fut déterminant, aussi bien pour les plates-formes que pour les séries de bassin. Aux premières restent attachés les travaux de Hubert Arnaud (thèse en 1981, professeur en 1988) et Annie Arnaud-Vanneau (chercheur au C.N.R.S., thèse en 1980, directeur de recherche en 1997) qui établirent un recensement complet, niveau par niveau, des foraminifères benthiques, caractérisèrent les milieux de dépôt et proposèrent un modèle stratigraphique rénové de l'Urgonien, à un moment où les plate-formes carbonatées suscitaient un grand intérêt chez les géologues pétroliers. Aux secondes est liée l'oeuvre de Jean-Pierre Thieuloy dont la zonation d'ammonites du Valanginien et de l'Hauterivien, modèle du genre par sa rigueur et sa clarté, a été acceptée intégralement comme zonation standard internationale pour le domaine méditerranéen.
Un chercheur grenoblois représentant un cas un peu particulier doit être mentionné ici. Il s'agit de Jean-Claude Barféty, ingénieur du B.R.G.M., détaché à Grenoble depuis 1965 pour assurer la coordination des cartes alpines et accélérer la couverture complète de la chaîne. On a déjà évoqué sa participation active au déchiffrage des blocs basculés dans les massifs cristallins externes, mais son oeuvre est bien plus importante car il a assuré, seul ou en collaboration, le lever d'un nombre impressionnant de feuilles au 50 000e, acquérant de ce fait une connaissance exceptionnelle de la chaîne, surtout pour la stratigraphie et la tectonique de la couverture des massifs cristallins externes (objet de sa thèse soutenue en 1985) et pour la zone briançonnaise (dessins des feuilles Briançon et Névache). Il incarne bien la place prise à Grenoble par la cartographie alpine, sur laquelle nous reviendrons.
- Dans le domaine de la pétrographie et de la géochimie, les techniques se sont grandement améliorées grâce à l'arrivée en 1969 de G. Vivier, ingénieur C.N.R.S. Les analyses géochimiques se font désormais au spectromètre à absorption atomique (J. Amossé, chargé de recherches C.N.R.S) et au spectromètre à fluorescence X à dispersion d'énergie. Ces nouveaux appareils permettent une beaucoup plus grande précision pouvant aller, dans certains cas (éléments traces) aux p.p.m.. Les résultats obtenus, conduisant au calcul de nombreux paramètres, font même l'objet de calculs statistiques. Ces travaux permettent de déterminer l'origine de la roche métamorphique mais ne donnent pas l'âge du métamorphisme. Aussi, à côté de la méthode déjà citée (Pb/a-zircons) qui garde son utilité, G. Vivier a mis en place la méthode 40K/40Ar qui a des applications plus vastes mais nécessite un appareillage plus complexe (spectromètre de masse pour gaz).
Massifs cristallins externes. Leur étude bénéficiait désormais
de mesures radiométriques de plus en plus nombreuses, de
la comparaison avec d'autres massifs anciens français dans
lesquels les connaissances avaient beaucoup progressé,
enfin, et naturellement, des idées nouvelles en matière
de tectonique globale.
C'est ainsi que le complexe basique et ultrabasique de Chamrousse,
surtout étudié par René-Pierre Menot,
de l'université de St-Etienne, en liaison avec Michel
Piboule, récemment nommé professeur à
Grenoble, prenait la signification d'une écaille ophiolitique,
témoignant de l'existence d'un océan paléozoïque,
dont l'âge fut déterminé en 1988 (496 Ma,
soit le début de l'Ordovicien).
De leur côté, les grenoblois, sous la direction de
P. Giraud, découvraient des organismes cambriens (Reitlingérellidés)
dans les schistes d'Huez et de Vaujany (Grandes Rousses) et des
bryozoaires viséens dans ceux du Valbonnais, à l'extrémité
sud du Taillefer (Pierre Gibergy, maître-assistant),
confirmant les analogies de faciès de la série de
ce massif avec le Culm des Vosges et du massif Central, les principales
phases métamorphiques de ces massifs cristallins dauphinois
étant datées de 375 et 323 Ma avec une approximation
de l'ordre de 20 Ma. Quant aux granites recoupant toutes ces formations
paléozoïques, ils ont été datés,
à partir des années 80, de 320 à 330 Ma (Viséen
supérieur) pour l'essentiel d'entre eux, âges également
obtenus quelques années auparavant par la méthode
au Pb /a-zircons. De toutes ces précisions, se dégageait
une similitude frappante entre ces massifs cristallins et le massif
Central, c'est-à-dire leur appartenance à la chaîne
hercynienne française.
Ces travaux purement académiques ont parfois débouché sur des considérations susceptibles d'application pratique. C'est ainsi que, dans le cadre d'une convention passée par P. Giraud avec la société MINATOME, de très nombreux indices uranifères ont été découverts dans le nord de Belledonne et ont fait l'objet de plusieurs thèses.
Le massif des Ecrins fut étudié avec un peu de retard car les fonds topographiques n'y furent disponibles qu'après 1965. Ce fut l'oeuvre d'Arnaud Pêcher (thèse soutenue en 1970), futur professeur à Grenoble, et d'un chercheur C.N.R.S. de Nancy, Patrick Le Fort (thèse soutenue en 1971), mais qui rejoindra Grenoble comme directeur de recherche en 1985. Ces deux auteurs établirent l'existence d'un " noyau " d'âge paléozoïque inférieur (cambro-ordovicien), enveloppé d'un " ensemble cortical ", dévono-dinantien. Les granites intrusifs, très abondants, donnèrent des âges hercyniens classiques, de 300 à 320 Ma. Les deux feuilles au 50 000e d'Orcières et de St Christophe-en-Oisans synthétisent la connaissance d'un massif difficile où il ne fallait pas être seulement un bon géologue mais aussi un alpiniste averti.
Le métamorphisme alpin. L'intérêt d'une
étude thématique du métamorphisme alpin,
par les informations qu'elle peut apporter sur les modalités
de l'orogenèse alpine, apparut vers 1967-1968, comme on
l'a dit plus haut. Ce fut le travail de Jacqueline Desmons,
chercheur C.N.R.S. à Grenoble, déjà évoquée,
dont la thèse fut soutenue en 1974 et qui poursuivit ensuite
ses recherches à Nancy tout en gardant une liaison étroite
avec les tectoniciens de Grenoble.
Ses recherches, d'abord limitées aux Alpes françaises,
puis étendues à l'ensemble des Alpes occidentales,
aboutirent rapidement à une zonéographie des faciès
métamorphiques, à l'identification des paragenèses
métamorphiques successives, anté-alpines (notamment
dans le socle de Vanoise) et alpines, ainsi qu'aux premières
datations.
Les premières de ces paragenèses, notamment les éclogites, sont anté-tectoniques, leur distribution actuelle est dessinée par les limites des zones structurales. Sur la base des premières datations radiométriques, elles ont été attribuées au Néocrétacé, mais cet âge est maintenant remis en question. Plusieurs paragenèses de schistes verts ont suivi, de pression décroissante, les premières syntectoniques, les dernières, de pression basse, post-tectoniques par rapport aux déformations liées au paroxysme éocène daté de 38 Ma.
Ainsi sont introduits des points de repère
très sûrs à propos de la position des morceaux
de croûte au cours de l'orogenèse, montrant notamment
l'indépendance de leurs évolutions jusqu'à
la phase éocène. En même temps, ils permettent
d'étudier les processus qui ont pu les amener successivement
aux profondeurs ou sous les influences thermiques déterminées,
puis les en ont dégagés pour les amener à
la surface.
Cette utilisation de données pétrographiques "
structurales " (comme il y eut une " stratigraphie structurale
" au temps de Gignoux) reste l'un des traits majeurs de la
géologie contemporaine. Il n'est donc pas étonnant
que les pétrographes du métamorphisme alpin français,
suisses, italiens et autrichiens, aient formé un groupe
de travail placé sous la direction du géologue suisse
E. Niggli qui avait confié le dessin des Alpes occidentales
à J. Desmons. La parution en 1973 de la carte métamorphique
des Alpes au 1 000 000e, a été suivie en 1999[21] d'une nouvelle édition
redessinée à l'échelle du 500 000e, coordonnée
cette fois par M. Frey (université de Bâle).
Mécanique des déformations. Les dernières décennies du 20e siècle ont été également marquées à Grenoble, comme ailleurs, par une orientation de certaines recherches vers les processus mécaniques de la déformation et leur analyse. A Grenoble, cette orientation est due à Pierre Vialon. Sa thèse manifestait déjà, comme on l'a dit, un intérêt vers les méso- et microstructures, mais son orientation va désormais s'affirmer dans ce domaine, tout particulièrement dans la couverture des massifs cristallins externes et internes[22].
Un bon exemple est celui de la thèse " triple " J.L. Gratier, J.L. Vergne et B. Lejeune (1973), qui analysa la schistosité de cette couverture, des Aravis au dôme de Remollon, en montrant la superposition de deux phases synschisteuses, dont seule la seconde s'incurvait selon la courbure de l'arc alpin, mais toutes deux dessin avaient des inflexions sigmoïdes et diverses autres figures témoignant de pivotements et de coulissements de blocs le long de grandes failles NE-SW. Ce nouveau mode de recherche représentait évidemment l'amorce d'une analyse de la dynamique crustale de la chaîne et l'une des pistes de l'activité future du laboratoire après sa fusion avec la géophysique.
La nécessité d'introduire, dans cette analyse nouvelle des déformations, des notions de mécanique poussera d'ailleurs P. Vialon et son équipe à rejoindre l'Institut de Recherches interdisciplinaires de Géologie et de Mécanique (I.R.I.G.M.), créé à l'Université de Grenoble dans le département de mécanique en 1970 par les mécaniciens des sols, pour les besoins de la géologie appliquée (R. Barbier et P. Antoine, voir plus loin).
2 - Des travaux de synthèse[23]
Ils ont été particulièrement
utiles en cette fin d'exploration de la chaîne et d'apparition
d'un nouveau cadre explicatif.
Ce sont d'abord ceux rédigés à l'occasion
du Congrès géologique international de Paris en
1980[24] (fig. 2). Ce congrès
fut l'occasion, pour le B.R.G.M., de publier la couverture complète
du SE de la France au 250 000e, une initiative inspirée
d'une carte synthétique des Alpes au 250 000e dessinée
par M. Gidon quelques années auparavant. Trois feuilles
furent dessinées à Grenoble : Annecy (J. Debelmas),
Gap (Cl. Kerkhove) et Thonon (M. Gidon, p.p.).
Elles couronnent, en quelque sorte, une longue tradition grenobloise
de cartographie géologique, inaugurée sous W. Kilian
avec les 80 000e et qui, dès les années 50, se reporta
sur les 50 000e, avec 40 cartes levées et publiées
par les membres du laboratoire, parmi lesquels les plus "
productifs " furent J.Cl. Barféty, J. Debelmas, M.
Gidon et Cl. Kerckhove.. On ne saurait trop insister sur cette
orientation de la géologie grenobloise qui a largement
conditionné son activité pendant quatre décennies
et fait le succès de ses écoles de terrain dans
la formation des futurs géologues. Fruit du travail de
cinq générations de géologues, elle a assis,
bien plus que par des " modèles " éphémères,
la réputation du laboratoire et représente un héritage
irremplaçable de nos connaissances sur la chaîne
alpine.
C'est aussi l'époque des Guides géologiques (Alpes de Savoie en 1982, Alpes du Dauphiné en 1983, Parc national des Ecrins en 1989, Parc national de la Vanoise en 1994) ou d'ouvrages grand public (Description géologique des Alpes du Nord, 1979, et du Sud, 1982). Tous ont été rédigés par J. Debelmas, seul ou en collaboration, un effort de vulgarisation qui se termina en 1997 par un nouveau film : " Du Vercors au Viso, un survol géologique des Alpes ", réalisé avec B. Labesse, de l'Université de Paris 6. Ce film reprenait une bonne part de l'ancien film de 1963 évoqué plus haut, mais on y introduisait la notion d'océan alpin et les célèbres ophiolites du Chenaillet.
Toute cette activité déployée à Grenoble pendant trente ans dans le domaine de la géologie alpine fut reconnue par la Société géologique de France, avec les prix Gaudry et Fontannes à J. Debelmas, le prix Gosselet à R. Michel (qui reçut aussi le prix Berthault de l'Académie des Sciences), le prix Fontannes à Cl. Kerckhove, le prix Prestwich à M. Gidon, le prix Viquesnel à P. Antoine, le prix Pruvost à H. et A. Arnaud et le prix Barrabé à J. Perriaux.
Un autre aspect de ces travaux synthétiques
est celui développé par M. Lemoine dans les
années 80, d'abord à Grenoble puis à Nice-Villefranche,
à savoir sa synthèse des Alpes franco-italiennes
dans le cadre de la tectonique des plaques. Cette synthèse
part de la genèse de l'océan alpin par expansion,
au Jurassique moyen-supérieur, à l'image de l'océan
atlantique dont il ne serait qu'un satellite, et à sa fermeture
finicrétacée, par subduction. Puis il s'intéressa
à sa marge continentale nord, c'est-à-dire aux zones
piémontaise, briançonnaise et subbriançonnaise
et même dauphinoise, interprétées comme un
ensemble de blocs basculés, séparés les uns
des autres par des failles listriques, failles qu'un phénomène
d'inversion tectonique aurait fait rejouer en surfaces de chevauchement
lors du raccourcissement. On est loin des cordillères en
marche d'Argand, mais on retrouve d'une certaine manière
les blocs de Lory et de Kilian.
Une excellente présentation de ce nouveau schéma
alpin a été donnée dans l'ouvrage sur les
marges continentales françaises qu'il publia alors en collaboration[25] mais dans lequel la partie
alpine est de sa main. L'importance de ces travaux a été
considérable et l'interprétation des Alpes complètement
renouvelée, justifiant le terme de " révolution
" employé au début de ce chapitre.
La géologie appliquée. La profonde mutation
des Sciences de la Terre et son influence sur la géologie
alpine, nous a obligés à un développement
qui a occulté les travaux de géologie appliquée.
Cette orientation du laboratoire est ancienne, comme on l'a vu,
mais a connu dès 1950 un grand développement sous
la houlette de R. Barbier , ainsi qu'en 1960 avec la création
du 3e cycle de Géologie appliquée. Il faudrait ajouter
le rôle joué par R. Michel dans ce domaine, qui l'amena
à écrire, en collaboration avec J. Letourneur, une
" Géologie du Génie civil ", Armand Colin,
1971, 728 p.
Cette filière s'est beaucoup modifiée pendant les
années 90 avec la création d'un D.E.S.S. d'hydrogéologie
(professeur J. Sarrot-Reynauld) et d'un institut des Sciences
et Techniques de Grenoble, pour les futurs ingénieurs géotechniciens
(professeur P. Antoine), conséquence de la disparition
du 3e cycle de Géologie appliquée créé
en 1961. Ces études appliquées peuvent être
considérées parfois comme des travaux de géologie
alpine, notamment lorsqu'elles concernent la stabilités
des grands versants montagneux de la chaîne, ce qui fut
en effet une des orientations de P.Antoine et de ses collaborateurs.
Les dernières années du 20e
siècle ont connu un profond
renouvellement de l'équipe des chercheurs grenoblois et
une réorientation des centres d'intérêt, l'exploration
de la chaîne pouvant être considérée
comme terminée et sa couverture cartographique achevée[26]. Aussi l'intérêt
se porte-t-il maintenant, hors des Alpes, sur la géologie
himalayenne (Georges Mascle et Arnaud Pêcher)
et, dans les Alpes, sur l'affinement de divers sujets, toujours
hérités de la tectonique des plaques, notamment
l'enregistrement stratigraphique des basculements de blocs dans
la zone briançonnaise (Thierry Dumont), la paléodorsale
alpine, les rapports du domaine océanique et de ses marges
au moment de la collision éocène, l'orientation
des contraintes lors du plissement, l'évolution du relief
et la vitesse du soulèvement comme celle de l'érosion,
la structure de la croûte et du manteau supérieur
sous la chaîne, structure déjà en partie révélée
par les profils de sismique-réflexion de type ECORS-Alpes
(travaux de G. Ménard, J.L. Mugnier, P.Tricart, etc.),
les rotations de blocs décelés par le paléomagnétisme,
etc.
Cette évolution a nécessité un rapprochement
avec d'autres disciplines, notamment la géophysique, qui
est allé jusqu'à la disparition du département
de géologie et sa fusion avec elles dans le nouvel Observatoire
des Sciences de l'Univers de Grenoble. Cette décision,
un peu hâtive, s'est accompagnée de l'abandon progressif
de l'institut Dolomieu pour les nouveaux locaux de la " Maison
des Géosciences ", au Campus universitaire, où
les surfaces attribuées à la géologie sont
incompatibles avec le transfert des prestigieuses collections
et de l'importante bibliothèque résultant d'un siècle
et demi de géologie alpine. Qu'en adviendra-t-il ? On touche
là du doigt un des aspects négatifs de cette réorientation
complète de la géologie dauphinoise, peut-être
inéluctable, mais qui a fait trop brutalement table rase
du passé et de l'acquit. Il est regrettable que les disciplines
fondamentales de la géologie aient ainsi pratiquement disparu,
et, avec elles, la cartographie et les écoles de terrain
qui faisaient la renommée du laboratoire. En fait c'est
la géologie alpine, en tant que telle, qui a été
abandonnée, ce qu'illustre aussi la fin prochaine annoncée
du périodique du laboratoire : " Géologie Alpine
", ou tout au moins sa reconversion. Certes, le laboratoire
est toujours associé au C.N.R.S. sous le nom de "
Laboratoire de géodynamique des chaînes alpines ",
en association avec d'autres universités, mais les Alpes
n'en sont plus l'objet et le terrain de recherche privilégié
qu'elles ont été pendant 150 ans, de 1850 à
2000.
Légende des figures
Figure 1. Les quatre zones alpines de Charles Lory (1864).
Figure 2. Schéma structural des Alpes franco-italiennes
par Cl. Kerckhove (in " Les Alpes franco-italiennes
", J. Debelmas et Cl. Kerckhove, Géologie alpine,
Grenoble, t. 56, 1980).
Cette figure est destinée à situer les différents
massifs géographiques ou zones géologiques citées
dans le texte. Sa comparaison avec la fig. 1 permet aussi de se
rendre compte des progrès de l'analyse de la chaîne
après plus d'un siècle de recherches.
[1] F. Bourrouilh (2000)
Déodat Gratet de Dolomieu (1750-1801), vie et oeuvre d'un
géologue européen, naturaliste et lithologiste.
C .R. Acad. Sci . Paris, Sc. Terre-Planètes, 330,
p. 83-95
[2] G. Gohau (1981-1982) Dolomieu
et les idées de son temps sur la formation des montagnes.
Hist. et Nature, n°19-20, p. 83-97. Voir aussi J. Debelmas
(1997) Dolomieu était-il un géologue alpin
? Bull. Acad. Delphinale, p. 69-74.
[3] F. Raoult (1897) Eloge
d'Emile Gueymard. X. Drevet, éd., Grenoble, 16 p.
[4] Ses principaux ouvrages sont
une Statistique minéralogique et géologique du département
des Hautes-Alpes (1830) et la Statistique de l'Isère (1844),
deux précieux documents pour les ressources minérales
du Dauphiné au milieu du 19e siècle.
[5] Essai sur la structure géologique
des Alpes comprises entre le Mont Blanc et le Viso, Bull .Soc.
Géol. France. p.480-497.
Essai sur l 'orographie des Alpes occidentales et ses rapports
avec la structure géologique de ces montagnes. Bull
.Soc. Stat. Isère, 76 p .
[6] Pour plus d'informations sur
l'oeuvre et la vie de Ch. Lory, voir : M. Bertrand (1889) : Eloge
de Charles Lory, Bull .Soc. Géol. France., t.17,
3e série, p. 664-679, J.Gosselet (1890) : Etude sur les
travaux de Ch. Lory. Bull. Soc. belge de Géol.,
t.IV, p. 56-73 et W. Kilian (1912) : Trois doyens de la Faculté
des Sciences de Grenoble. Trav.Lab.Géol.Univ. Grenoble,
t.10, fasc.1.
[7] Voir : Ch. Jacob (1926)
Wilfrid Kilian (1862-1925). Bull. Soc. Géol. France,
4e s.,p.163-184. Le texte a été repris dans
les Annales de l'Univ. de Grenoble, 1927, t. IV, n°1,
p. 5-97, avec tous les discours prononcés aux obsèques
et à l'inauguration de son monument dans la cour de l'ancien
institut de géologie de Grenoble, rue Très-Cloîtres.
J. Bourcart (1925). Wilfrid Kilian. Nle Revue Scientif.,
n°20, p. 698-699
M. Gignoux (1926). Wilfrid Kilian, ancien président de
la Société Scientifique du Dauphiné. Bull.
.Soc. Sc. de l'Isère, t.XLVII, p. 253-260. Voir aussi
le rapport sur l'attribution du prix Gaudry à W. Kilian,
C .R..som. Soc..géol . France, 1921, p. 83.
[8] Voir à ce sujet : R. Trümpy
et M. Lemoine (1998) - Marcel Bertrand (1847-1907) : les nappes
de charriage et le cycle orogénique. C. R.. Acad. Sci.
Paris, sect.Terre-Planètes, t. 327, p. 211-224.
[9] Voir par exemple : W.Kilian (1904)
Les phénomènes de charriage dans les Alpes
delphino-provençales, C.R.. IXe Congrès géol.
intern. Vienne, 1903, p. 455-476.
[10] E. Haug (1900) Les géosynclinaux
et les aires continentales, contribution à l'étude
des transgressions et des régressions marines. Bull.
Soc. Géol. France , 3e série, XXVIII, p. 617-711.
[11] Il est impossible de donner
ici une bibliographie des oeuvres de W. Kilian permettant de se
rendre compte de son apport à la connaissance des Alpes.
On se contentera de citer son ouvrage synthétique publié
en collaboration avec J. Révil (Etudes géologiques
dans les Alpes occidentales, Mém. Serv .Carte Géol
.France, 1er volume : 1904 ; 2e volume, 1er fascicule : 1908,
2e fascicule : 1912).
[12] Voir la plaquette : Le monument
aux trois géologues des Alpes françaises, Charles
Lory, Pierre Termier, Wilfrid Kilian. Trav. Lab. Géol.
Univ. Grenoble, t. XXII, 1938.
[13] Ch. Jacob (1955) Notice
nécrologique sur Maurice Gignoux, membre non résident,
1881-1955. C. R. Acad. Sci. Paris, t. 241, p. 1097-1100.
L Moret (1956) Maurice Gignoux (1881-1955). Bull. Soc.
Géol. France, (6), VI, p. 289-317.
R. Michel (1955) Nota necrologica : Maurice Gignoux.
Boll. Soc. Geogr. Ital.,(8), 8, p. 46-548.
[14] M. Roubault (1973) Notice
nécrologique sur Léon Moret. C. R. .Acad. Sci.
Paris, t. 276, p. 30-34.
R. Barbier (1974) L'oeuvre scientifique de L. Moret. Bull.
Soc. Géol. France, XVI, n°1, p. 10-22.
[15] R. Barbier est décédé
à Grenoble en février 2001 pendant la rédaction
de ces lignes. Tous les autres protagonistes de cette histoire
de la géologie alpine à Grenoble sont encore vivants
et ne feront donc pas l'objet de notices biographiques.
Reynold Barbier, né à Lyon, fit ses études
supérieures à l'université de Strasbourg,
puis à l'Ecole nationale supérieure du Pétrole,
alors installée dans cette ville, où il rencontra
D. Schneegans, un jeune maître de conférences de
grande valeur, élève de M. Gignoux comme nous l'avons
dit, qui l'orienta vers la géologie des Alpes en lui proposant,
avec l'accord de ses maîtres, un sujet qui prolongeait ses
propres recherches sur le front des zones internes dans le secteur
durancien, à savoir les zones ultradauphinoise et subbriançonnaise
entre l'Arc et l'Isère.
Interrompues par la guerre de 1939-1945, ces recherches aboutirent
à une thèse soutenue à Grenoble en 1945 et
à sa nomination comme chef de travaux pratiques en 1948,
dans cette ville, où il poursuivit ses études sur
le front pennique en Savoie. Son oeuvre de géologie alpine
sera couronnée par un prix de l'Académie des Sciences
en 1945 et un autre, le prix Viquesnel, de la Société
géologique de France en 1950.
Il est nommé professeur titulaire en 1953, à la
retraite de M. Gignoux, mais dans une chaire nouvellement créée,
dite de Géologie appliquée. C'est dans ce cadre
qu'il poursuivra une carrière orientée vers les
barrages et les aménagements hydrauliques, que nous ne
détaillerons pas ici puisqu'il ne s'agit pas de géologie
proprement alpine. On ajoutera seulement que R.Barbier sera directeur
de l'Institut Dolomieu à la retraite de L. Moret et le
restera jusqu'en 1967, puis, pendant deux ans, directeur du laboratoire
de Géologie alpine, associé au C.N.R.S. L'Académie
des Sciences l'accueillit en 1981 au titre de la géologie
appliquée, discipline qui n'y était pas représentée
jusqu'alors.
[16] Cette position était évidemment remarquable par la vue qu'elle permettait sur le cadre montagneux de Grenoble, du Mont Blanc au col de Lus-la-Croix Haute, c'est-à-dire presque la moitié de l'arc des Alpes françaises. Elle avait été proposée par l'Association des Amis de l'Université de Grenoble qui voulait faire du site une sorte d'acropole intellectuelle, face à l'un des plus beaux panoramas du monde. Mais l'accès s'avéra difficile, par une ancienne route militaire étroite, coupée de virages serrés, inaccessible aux cars, si bien que les constructions universitaires se limitèrent aux instituts de géologie et de géographie. La création ultérieure d'un campus universitaire à St Martin d'Hères accentua leur isolement. Un tel état de choses devait entraîner l'abandon du site, après 40 ans de présence et à l'aube du troisième millénaire, au profit du campus et de ses annexes.
[17] J. Debelmas (1975)
Les Alpes et la théorie des plaques. Rev .Géogr
.Phys. et Géol .Dyn. (2), XVII, p.195-208, et Théorie
des plaques et genèse des chaînes de montagnes. Implications
sur la notion de " chaînes géosynclinales ",
Géologues, n°37, 1976, p. 25-44.
La thèse de J. Desmons (1974) y fait également appel,
surtout pour expliquer le métamorphisme de H.P.
[18] Celui-ci n'est arrivé
à Grenoble qu'en 1992, comme professeur, après un
début de carrière à Strasbourg, puis en Tunisie.
Son oeuvre alpine était déjà considérable
puisqu'il avait soutenu à Strasbourg une thèse sur
les tectoniques superposées dans les Alpes occidentales
au sud du Pelvoux, un travail qui allait dans le droit-fil des
études antérieures de J. Debelmas et M. Lemoine,
ce dernier étant d'ailleurs son directeur de recherche.
Par la suite, et sous l'influence de M. Lemoine, il s'intéressa
plus spécialement aux liaisons ophiolites-schistes lustrés
et à la stratigraphie de ces derniers.
[19] Voir notamment : Y. Lagabrielle
et M. Lemoine (1997) Alpine, Corsican and Apennine ophiolites
: the slow spreading ridge model. C. R. Ac. Sci. Paris,
Sc terre-Planètes, 325, p. 909-920.
[20] Ces travaux récents ont
amené J. Debelmas et J. Desmons à rédiger
un mémoire synthétique : " Géologie
de la Vanoise " (Documents du B.R.G.M., n° 226, 1997,
187 p.), qui complète et modernise celui de F. Ellenberger
(" Géologie du pays de Vanoise ", Mém.
expl. carte géol. France, 1958, 561 p.).
[21] M. Frey, J. Desmons et F. Neubauer
(1999) The new metamorphic map of the Alps. Deux feuilles
: métamorphisme anté-alpin au 1 000 000e, métamorphisme
alpin au 500 000e. Distribuées avec le vol. 79/1 des Schweiz.
Miner. petrogr. Mitt. Textes d'accompagnement dans le même
volume.
[22] Il faut citer à ce propos
l'ouvrage qu'il a rédigé en collaboration avec M.
Ruhland et J. Grolier en 1976 (Eléments de tectonique analytique,
Ed. Masson, Paris, 118 p.).
[23] Il s'agit naturellement de ceux
concernant les Alpes, mais, de même qu'on avait évoqué
la " Géologie stratigraphique " de M. Gignoux
ou les traités de Paléontologie de L. Moret, on
ne peut pas ne pas citer ici l'ouvrage de M. Gidon : " Les
Structures tectoniques ", B.R.G.M. (série Manuels
et Méthodes), 1987, 206 p., et celui de J. Debelmas et
G. Mascle : " Les grandes structures géologiques ",
Dunod, Paris, qui a connu quatre éditions entre 1991 et
2000. Ces deux ouvrages font une large part aux Alpes et à
leurs structures.
[24] Dans l'impossibilité
de les citer tous, on se contentera de : J. Debelmas et Cl. Kerkhove
(1980) Les Alpes franco-italiennes . Géologie
alpine, t.56, p.21-58, repris dans : Géologie des pays
européens, Ed. Dunod, p.277-314.
[25] G. Boillot, L. Montadert, M.
Lemoine, B. Biju-Duval (1984) Les marges continentales actuelles
et fossiles autour de la France. Ed. Masson, Paris, 342 p.
Cet ouvrage sera suivi d'un autre, plus moderne et qui reprend
les idées générales sur la tectonique des
plaques : M. Lemoine, P. Ch. de Graciansky, P. Tricart (2000)
De l'océan à la chaîne de montagnes.
Tectonique des plaques dans les Alpes. Soc. Géol. Fr. et
Gordon & Breach, éd., 207 p.
[26] Du moins considérée
comme telle, car une carte est toujours perfectible. Quelle que
soit sa fidélité, elle ne peut pas ne pas tenir
compte de l'évolution des concepts géologiques,
qui rend utilisables ou simplement visibles des données
de terrain restées jusqu'alors incomprises ou inobservées.
Arrêter le lever des cartes géologiques aboutira
inexorablement au vieillissement de la couverture disponible,
surtout dans une région aussi complexe que les Alpes. Ce
lever devra être repris un jour, mais par qui ? Cette disparition
des cartographes géologues inquiète beaucoup le
Service géologique national (BRGM) qui doit impérativement
envisager la réédition de ses cartes alpines mais
ne trouve plus les spécialistes adéquats.
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