par Maurice Gidon*.
* Rue des Edelweiss, 38500, VOIRON, France
Résumé :
De nouveaux exemples de failles synsédimentaires aptiennes sont décrits dans le massif de la Chartreuse. Il ne s'agit que de cassures mineures, à rejet décamétrique, mais leur observation confirme qu'une extension E-W est intervenue, partout dans ce massif (au moins), à la fin du dépôt de l'Urgonien.
Mots clés : Aptien, failles synsédimentaires, Chartreuse.
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NEW DATA ABOUT THE APTIAN N-S STRIKING FAULTS OF THE CHARTREUSE MASSIF (WESTERN ALPS, FRANCE).
Abstract :
New examples of N-S striking aptian synsedimentary faults are described inside the Chartreuse massif. These are located at the Alpe plateau and at the Grand Som summit and their presence proves that such faults existed probably wide over this subalpine massif.
Key Words : synsedimentary faulting, Chartreuse massif, Western Alps, France.
On a mis récemment en évidence (GIDON 1993a), dans un secteur bien précis de la Chartreuse (le Col de Bellefond), la présence de failles dont les caractéristiques prouvent qu'elles se sont formées à l'Aptien et ont fonctionné pendant la sédimentation de la formation de cet âge (traditionnellement qualifiée ici de "Lumachelle"). Le but de la présente note est de décrire quelques observations complémentaires qui confirment ces conclusions et qui montrent qu'elles peuvent effectivement être étendues vraisemblablement à toutes les failles méridiennes du massif.
Les nouvelles observations décrites ici portent d'une part sur les deux bordures, est et ouest, du plateau de l'Alpe (au nord de la faille de décrochement du col de l'Alpe) et d'autre part sur le plateau sommital du Grand Som. Dans les deux cas une recherche attentive a permis de relever en plusieurs points des indices de fonctionnement synsédimentaire similaires à ceux observés au col de Bellefond.
A/ Plateau de l'Alpe
Ce plateau, en forme de large val jurassien, correspond au fond du grand synclinal oriental de la Chartreuse, dont l'axe est sensiblement orienté N10. Il est limité, au sud et au nord, par deux cassures de décrochement majeures passant respectivement par les cols de l'Alpe et de l'Alpette. Loin d'être constitué par un bloc non déformé il est découpé, entre ces deux grandes cassures, par un réseau de fractures mineures, à rejet stratigraphique seulement métrique à décamétrique, qui sont bien visibles au niveau de l'interface Urgonien - Lumachelle (fig. 1). Elles se répartissent en 3 familles :
- les failles dextres, orientées N50 à N60, qui sont évidemment des satellites des décrochements majeurs (car elles sont de direction et de rejet similaires). Elles ont pour effet de déterminer un décrochement cumulé de l'axe synclinal qui excède 500 m et donc une déviation apparente, dans le sens horaire, de l'azimut axial du synclinal.
- les failles sénestres, d'orientation variant entre N90 et N125, constituant selon toute vraisemblance la famille conjuguée des précédentes dans le cadre d'une extension horizontale proche de N-S (la direction X déduite de leurs azimuts est comprise entre N170 et N10°E).
- les failles longitudinales, dirigées à moins de 20° près selon l'axe du synclinal, surtout observables dans la moitié sud du plateau car plus au nord l'érosion a enlevé l'interface Urgonien - Lumachelle sur leur tracé. Celles-ci se répartissent à leur tour en deux sous-familles, la première à rejet stratigraphique d'abaissement du compartiment est (à regard est), la seconde à rejet symétrique, d'abaissement du compartiment ouest (à regard ouest).
L'examen de ces diverses failles longitudinales révèle les faits suivants, qui sont significatifs de leur place dans l'histoire tectonique du massif :
a) les pendages de leurs surfaces de faille témoignent de ce qu'elles ont subi un basculement posthume lors du plissement : en effet celles à regard est pendent subverticalement (jusqu'à 80° W) dans le flanc ouest du synclinal (par exemple dans les basses pentes du Fouda Blanc) et au contraire plus faiblement (moins de 50°) dans son flanc est (ce qui est très bien illustré par la faille passant 200 m à l'ouest de la Croix de l'Alpe) ; au contraire celles à regard ouest pendent subverticalement dans le flanc est du synclinal (cas de la cassure observable au nord-est de la Croix de l'Alpe).
b) le cachetage de la surface de faille par les couches de la Lumachelle est observable aux points indiqués par les astérisques 1 et 3 sur la figure 1 : en suivant du nord vers le S le plan de cassure (subvertical et de tracé rectiligne dans les deux cas) on le perd en entrant dans une zone où les bancs de Lumachelle, visiblement continus et non perturbés, débordent sur le compartiment soulevé de la cassure (compartiment est au point 1 et ouest au point 3). Au point 1 le repos stratigraphique de ces bancs est d'ailleurs attesté par les bioturbations visibles sur ceux de l'Urgonien sous-jacent.
c) la présence d'un peu de conglomérats à ciment de Lumachelle a été notée, très ponctuellement mais indubitablement, aux points 2 et 3. Le placage conglomératique y reste toutefois peu développé (épaisseur maximale de 20 cm) avec des galets de petite taille (5 à 10 cm maximum).
En définitive ces faits sont très analogues à ceux observés dans le secteur de Bellefond : les enduits bréchiques y sont moins spectaculaires mais le cachetage des cassures y est peut-être plus clairement observables ; ils attestent aussi, en tous cas, de l'age aptien supérieur des cassures longitudinales du synclinal oriental de la Chartreuse.
En ce qui concerne la place des cassures citées ci-dessus dans le contexte régional il est intéressant de noter qu'elles appartiennent à l'une et à l'autre des deux familles conjuguées du faisceau des failles longitudinales qui affectent sur toute sa longueur le synclinal oriental. Plus précisément la faille de la Croix de l'Alpe (point 1) se rattache à la même famille que celles du Piton de Bellefond. Les failles du Fouda Blanc (points 2 et 3) constituent quant à elles le prolongement, déjà fort amorti, de la grande faille qui détermine les falaises occidentales de la Dent de Crolles. Or on peut rappeler que cette dernière, ou "faille de la Gorgette" (GIDON, 1993b & 1993c) montre un pendage constant vis à vis de couches mais variable par rapport à la verticale, selon une géométrie parfaitement adéquate avec l'hypothèse d'une torsion par le plissement synclinal qui affecte ce secteur (redressement, voire renversement au delà de la verticale, de son pendage dans le flanc ouest du synclinal).
B/ Grand Som
La structure du sommet du Grand Som se déchiffre aisément grâce à la coupe naturelle qu'en donne son versant sud (fig. 2). Elle est celle d'une dalle d'Urgonien rebroussée en un synclinal à coeur de Lumachelle, déversé vers l'ouest et dont le flanc est se rompt par apparition, et accentuation du sud vers le nord, d'un chevauchement secondaire (Ø). En outre cette dalle est affectée d'une faille normale à regard est (F1), orientée N170°E et actuellement subverticale, qui passe à peine 100 m à l'est du sommet.
Le pendage de cette faille laisse déjà supposer, compte tenu de son sens de rejet, qu'il s'agit d'une cassure antérieure au plissement. De fait, en suivant son tracé pas à pas, j'ai pu observer, entre les deux lèvres d'Urgonien, des placages décimétriques de conglomérats analogues à ceux de Bellefond. Ceux-ci affleurent le long du miroir, sous de gros éboulis, au sud du plus grand des avens (fig. 3).
De plus cette cassure est doublée, une trentaine de mètres plus à l'est, par une petite faille secondaire, de rejet opposé (F2), qui court sensiblement le long de la limite ouest des affleurements de la Lumachelle : son miroir est garni par places de lambeaux plus conséquents d'un conglomérat où j'ai pu observer en quelques points un ciment de Lumachelle.
En conclusion il se confirme que les failles méridiennes du massif de la Chartreuse sont anciennes, puisque beaucoup ont dû apparaître et fonctionner pour la première fois durant la sédimentation même de la "Lumachelle" de l'Aptien. La mise en évidence de ces mouvements n'est toutefois claire, ici encore, que sur des accidents à faible rejet, qui n'ont pas été repris par les mouvements ultérieurs, et plus précisément dans les secteurs où semblent bien s'amortir longitudinalement les fractures concernées. Bien que modestes, ces témoins de l'activité tectonique synsédimentaire aptienne montrent néanmoins que ces manifestations ne se limitaient pas au secteur du col de Bellefond puisqu'elles affectaient aussi, outre les marges orientales du massif, des secteurs plus occidentaux comme celui du Grand Som : il ne s'agit donc pas d'accidents dus à des dispositions purement locales et ils témoignent sans doute bien d'une phase d'accentuation de l'extension à l'échelle régionale.
Sans doute peut-on rapprocher ces observations du fait que c'est suivant une ligne sensiblement N-S (passant aux abords de la limite entre Chartreuse médiane et Chartreuse occidentale et se poursuivant vers le sud en Vercors) que la formation dite de la "Lumachelle" de l'Aptien cesse, en direction de l'ouest, d'être présente entre Urgonien et Sénonien. Cela conduit à envisager que cette disparition ne soit pas le résultat d'une ablation anté-sénonienne mais simplement due à une absence de sédimentation : il parait en effet probable, à la lumière de ces données tectoniques nouvelles, que cette lacune a dû être déterminée par une surrection relative du domaine jurassien par rapport au domaine subalpin, celle-ci résultant elle-même des déformations extensives des fonds marins à l'Aptien.
Références à consulter :
GIDON M. (1993a). - Présence de failles synsédimentaires aptiennes en Chartreuse (Alpes occidentales, France). Géologie alpine, t.68, p. 57-62.
GIDON M. (1993b). - Géologie de la Chartreuse - Sentiers de la Chartreuse : Circuit de la Dent de Crolles (3° édition). Association "A la découverte du Patrimoine de Chartreuse", publ. 1D, 27 p., 9 fig.
GIDON M. (1993c). - Géologie de la Chartreuse - Sentiers de la Chartreuse : De Saint-Ismier à Saint-Pierre-de-Chartreuse, par le Col du Coq et le Roc d'Arguille. Association "A la découverte du Patrimoine de Chartreuse", publ. 1M, 27 p., 12 fig.
GIDON M. & BARFÉTY J.C. (1969). - Carte géologique détaillée de la France à 1/50.000°, feuille MONTMÉLIAN, 1° édition. B.R.G.M.; Orléans, une carte avec notice explicative de 20 p.
GIDON M. & ARNAUD H. (1978). - Carte géologique détaillée de la France à 1/50.000°, feuille GRENOBLE, 2° édition. B.R.G.M., Orléans, une carte avec notice explicative de 32 p. & 4 planches hors-texte.
Fig. 1 - Carte géologique détaillée du plateau de l'Alpe (entre les failles de décrochement du col de l'Alpe et du col de l'Alpette.
Fig. 2 - Coupe observable dans le versant sud du sommet du Grand Som.
Fig. 3 - Carte géologique détaillée du plateau sommital du Grand Som. En marge droite agrandissement du secteur de la faille secondaire F2 (les astérisques correspondent aux fonds des deux avens).