Version du 21.11.90
par Maurice GIDON*
* Laboratoire de Géologie Alpine associé au C.N.R.S.
(URA 69)
Université Joseph FOURIER, INSTITUT DOLOMIEU, 15 Rue Maurice
GIGNOUX, 38031 GRENOBLE CEDEX, FRANCE
Résumé : Un examen d'ensemble des données concernant les décrochements de ce massif conduit à en souligner et à en analyser plusieurs caractéristiques remarquables : Médiocre continuité de leur extension transversale et amortissement d'E en W par diffusion de leur rejet sur de multiples plans. Existence et signification de la composante verticale de leur rejet. Manque de rectilinéarité de leur traçé, qui présente diverses réfractions, tant à l'échelle du massif que dans le détail (une attention particulière est portée sur l'interprétation de ce dernier point).
On s'interroge enfin sur les relations de ces structures avec les plis et chevauchements présents dans le massif. La conclusion est que le jeu des décrochements a suffisamment interféré avec l'édification des autres structures pour que l'on doive les considérer, à tout le moins, comme contemporains des ultimes étapes de la formation de ces dernières.
Le massif de la Chartreuse est sans doute le chaînon subalpin dans lequel le rôle des décrochements parait le plus important (Goguel, 1948). Ces failles y décalent, dans le sens dextre pour la plupart, les plis et chevauchements de ce massif, de sorte qu'elles apparaissent, en première analyse, comme des accidents rapportables à une phase tectonique tardive par rapport à la structuration majeure du massif.
Plusieurs aspects de la géométrie de ces décrochements, et tout spécialement ceux ayant trait à leurs rapports avec les plis et les chevauchements, sont intéressants à préciser. Il semble bien que certains fournissent des indications significatives en ce qui concerne la genèse de ces structures dans le cadre de l'évolution tectonique du massif. C'est en soulignant tout particulièrement les contraintes que l'analyse des observations de terrain impose aux essais d'interprétation qu'ils seront présentés et discutés ici.
Elle est assez homogène dans le sens N-S mais par contre beaucoup plus inéquitable dans le sens E-W, c'est-à-dire en fonction de la position par rapport aux trois bandes structurales, limitées par 3 surfaces de chevauchement [Gidon, 1964 et 1988 ; Mugnier et al, 1987], qui se partagent le massif selon sa longueur (fig.1). Un survol d'ensemble des données de terrain conduit à distinguer, à ce point de vue, 3 secteurs dont les limites sont décalées par rapport à celles de ces trois bandes structurales :
Le secteur occidental correspond à la Chartreuse occidentale et la marge W de la Chartreuse médiane, c'est à dire aux deux flancs du synclinal de La Monta-Proveyzieux : Les décrochements y sont présents, mais aucun, à l'exception de celui de La Ruchère, n'est doté d'un rejet supérieur à une centaine de mètres. Ils y sont répartis d'une façon assez régulière sur toute la longueur de cette bande.
Le secteur intermédiaire couvre une bande qui englobe la partie E de la Chartreuse médiane et la marge W de la Chartreuse orientale, c'est à dire les abords du grand chevauchement de la Chartreuse orientale : Les décrochements sont aussi nombreux mais quatre d'entre eux montrent un rejet horizontal particulièrement important. Ce sont, du S au N : celui de l'Oursière (qui détermine le Collet, immédiatement au N du Charmant Som), celui de Roche May (qui passe peu au S du sommet du Grand Som), celui de Bovinant (entre Grand Som et Dent de l'Ours), celui de la Fracette (qui traverse les gorges du Guiers Vif peu au NW du Petit Frou).
Le secteur oriental se limite à la partie E de la Chartreuse orientale : il correspond plus précisément au grand synclinal oriental qui court de la Dent de Crolles au Granier. L'Urgonien, qui y affleure largement et les formations qui l'encadrent offrent de bons repères pour apprécier le décalage stratigraphique : On constate là le rôle très prédominant de 3 grandes failles qui sont (du S au N) : le décrochement de Bellefond, celui du col de l'Alpe et celui de l'Alpette. Ces dernières ont d'ailleurs fait l'objet d'analyses microtectoniques relativement récentes (Robert, 1976 ; Grillot, 1979). Les multiples autres fractures de ce secteur sont bien visibles, notamment sur photos aériennes, mais sont d'importance extrèmement mineure. Ce secteur montre donc une hiérarchisation beaucoup plus poussée de la fracturation que ceux plus occidentaux.
En définitive on voit que la répartition de ces failles est caractérisée par le passage d'un régime de "concentration" du cisaillement latéral sur quelques grands décrochements, dans le secteur E, à un régime de "dilution" de cette déformation entre un plus grand nombre d'accidents plus modestes, dans les secteurs intermédiaire et occidental, avant leur disparition presque totale au front W du massif. Il y a donc, d'E en W, un net amortissement de la fracturation par cisaillement horizontal et cela indique que ce cisaillement s'est propagé d'E en W.
On trouve en Chartreuse au moins trois autres familles de failles dont les relations avec les décrochements dextres méritent d'être rapidement examinées :
- une famille de cassures à rejet sénestre, dont l'orientation varie autour d'un azimut N150° : il s'agit à l'évidence de la famille conjuguée de celle des décrochements dextres. Elle n'est, en fait, jamais représentée que par des accidents en nombre plus restreint et surtout à rejet bien plus modeste que les décrochements dextres.
- une famille de fractures d'azimut très méridien (de N180° à N25°) dont le rejet stratigraphique correspond le plus souvent à un abaissement du compartiment E mais dont le déplacement réel (failles normales ou décrochements) est mal déterminé. Etant nettement tranchées et décalées par les décrochements dextres elles sont vraisemblablement attribuables à une extension E-W antéoligocène [Gidon P., 1949]. Les plus notables sont la faille du Grand Poyat (versant W du Charmant Som) [Gidon, 1988] et celles du chaînon du Corbelet - Outheran (notamment celle qui passe à l'W du col de la Cluse et aux granges du Désert d'Entremont). On peut aussi envisager de ranger dans cette famille les failles longitudinales de l'anticlinal de Perquelin ("faille de la Scia" [Gidon, 1982]) et du synclinal oriental, en raison de leur azimut similaire.
- une dernière famille, d'azimut N25° à N45°, correspond à des failles sur lesquelles les données sont fragmentaires en raison de conditions d'affleurement défavorables mais qui semblent avoir une importance non négliogeable car elles semblent bien se brancher latéralement sur les décrochements dextres et jouer ainsi un rôle d'intermédiaire dans leurs connections. La plus septentrionale est la Faille du Joigny, qui se suit vers le S depuis ce dernier sommet jusqu'aux abords d'Entremont-le-Vieux (fig.1). Il faut surtout ranger dans cette famille une faille dont la continuité est probable, au vu de la cartographie, entre le col du Cucheron et la Diat et qui sera désignée ici du nom d"'accident de la Diat''. Elle semble en outre pouvoir se prolonger vers le S par la faille du versant SE de la Pinéa et connecter au passage le décrochement de L'Alpe avec ceux de Roche May et de l'Oursière (fig.1).
La composante horizontale du rejet est hectométrique à kilométrique dans les cassures suffisamment importantes pour avoir été répertoriées ci-dessus.
Une particularité remarquable de ce rejet est qu'il possède une notable composante verticale. Cette dernière se manifeste par un abaissement systématique du compartiment SE [Gidon, 1964], ce qui a par ailleurs pour effet de compenser l'effet d'un plongement axial des plis vers le N. Ce dernier aspect est particulièrement évident en ce qui concerne les décrochements les plus orientaux à la traversée de l'anticlinal de Perquelin et du synclinal oriental.
La combinaison de ces deux mouvements antithétiques suggère qu'ils résultent l'un comme l'autre d'une seule cause, savoir le basculement de chacun des compartiments intercalaires, autour d'un axe NE-SW. Cela porte donc à expliquer cette géométrie par le schéma classique de la formation des "blocs basculés" et, par conséquent, à considérer ces cassures comme des décrochements en transtension [Mugnier & Gidon, 1988] qui s'inscriraient dans une déformation globale à composante d'extension N-S.
Cette interprétation séduisante suppose toutefois des surfaces de fracture courbes ("listriques"), dont le pendage, vers le S, devrait prendre une valeur de plus en plus modeste de haut en bas. Or, en dépit de la profondeur déjà importante atteinte par les coupes naturelles, on ne peut pas considérer que les observations fournissent des indications allant clairement dans ce sens. D'autre part le plongement axial des plis n'est pas nécessairement lié au jeu des décrochements. On doit observer au contraire qu'il s'agit d'un phénomène plus largement régional, qui intéresse toute la bordure subalpine, de l'extrémité NE du Vercors aux Bornes et s'accentue surtout en bordure du sillon subalpin. En fait le simple examen d'une carte (fig.2) montre que les axes des plis subalpins sont obliques à l'axe d'allongement et de culmination du massif de Belledonne et qu'ils font avec lui un angle ouvert s'environ 20° vers le N. Ils s'inscrivent donc en biais, à flanc de pente, de l'interface socle couverture et leur plongement axial découle simplement de cette géométrie (fig.3). Ces plongements d'axes traduisent donc avant tout un basculement de la tranche sédimentaire plissée, disposée de façon globalement parallèle au flanc du massif de Belledonne. Leur origine est donc à rechercher dans le soulèvement de ce massif, comme il l'a déjà été avançé antérieurement [Gidon, 1981b].
En fait, compte tenu des considérations précédentes, la façon la plus satisfaisante de rendre compte du rejet vertical sur les décrochements est sans doute d'y voir principalement la conséquence de l'inclinaison vers le SW du vecteur déplacement. Deux groupes de faits viennent corroborer cette manière de voir : en premier lieu l'inclinaison, en moyenne de l'ordre de 20 à 30° vers le SW, des stries de frictions observables sur les miroirs de faille ; d'autre part la modestie du rejet stratigraphique enregistré lorsque les décrochements affectent des couches possèdant un pendage de cet ordre. C'est ce que l'on observe notamment sur le versant du Grésivaudan, dans l'Urgonien et le Tithonique du Rebord subalpin : cela se comprend aisément dans l'hypothèse d'un déplacement plongeant vers le SW puisque ce dernier est alors parallèle aux surfaces de couches (fig.3).
On remarquera que ce déplacement est donc, lui aussi, grossièrement incliné comme la pente du toit du cristallin de Belledonne. Ce fait peut s'interpréter aussi bien par un basculement tardif, lors de la surrection de ce massif, que par un glissement postérieur à cette surrection, parallèlement à sa surface. Ceci, joint au fait qu'il y a amortissement progressif des décrochements vers l'W, porte à ne pas rejeter l'hypothèse de leur déclenchement par glissement gravitaire (à l'opposé de ce que l'on est amené à conclure relativement à la formation des plis [Gidon, 1981b]).
Un premier point, tout à fait patent, est qu'aucun des décrochements ne se poursuit au delà du chevauchement frontal de la Chartreuse (c'est à dire de la "faille de Voreppe"). Les rares cassures que l'on trouve au delà, comme la faille des Balmes qui traverse la montagne du Ratz (fig.1), ne présentent aucune continuité directe avec celles de la Chartreuse occidentale.
On peut ensuite observer qu'il n'y a aucune base solide pour considérer que les décrochements majeurs de la Chartreuse orientale se poursuivent vers le NE, au delà du Grésivaudan, dans la couverture des massifs cristallins (aucun décalage significatif des limites stratigraphiques ni de la surface du cristallin n'apparait sur les cartes). Cette disparition ne peut pas être attribuée à un amortissement horizontal d'W en E puisque c'est dans le sens opposé, d'E en W, que l'on observe un tel amortissement dans le massif chartreux. Il est donc plus vraisemblable que les décrochements n'intéressent que les niveaux stratigraphiques les plus élevés, représentés dans les massifs subalpins, et non ceux présents sur le flanc de Belledonne, en rive gauche du Grésivaudan. C'est dire qu'ils subissent probablement un amortissement vertical au sein des Terres Noires. Compte tenu de l'inclinaison vers l'W du vecteur de leur déplacement, il est donc à présumer que leur terminaison à ce niveau corresponde à la transformation de leur mouvement latéral en un déplacement tangentiel sur des surfaces de glissement grossièrement parallèles aux couches et à l'interface socle / couverture (fig.3).
Les relations entre les accidents de l'une des trois bandes définies ci-dessus et ceux de sa voisine sont souvent assez ambigües (et c'est d'ailleurs une des raisons de ce découpage). En effet dans la zone déprimée qui parcourt longitudinalement la Chartreuse orientale, à mi-distance entre son synclinal oriental et son chevauchement frontal, ce sont les niveaux marneux du Néocomien qui prédominent à l'affleurement : l'observation des traçés de failles y est gênée tant par le couvert végétal que par la médiocre précision du repérage stratigraphique. Il en va de même, quoique à un moindre degré, dans le coeur de l'anticlinal de la Chartreuse médiane.
Dans ces deux cas il n'est pas possible, le plus souvent, de suivre le traçé des cassures et de savoir si celles que l'on observe de part et d'autre sont ou non connectées. Il n'est guère que le raccordement (d'ailleurs complexe) entre les décrochements de la Fracette et de La Ruchère qui soit pratiquement observable en continu, ce qui a conduit, dès les premières études, à y voir, abusivement, une seule et même faille.
a) En ce qui concerne les grandes cassures leur interconnexion peut sembler probable dans un certain nombre de cas parce que leurs tracés se placent dans le prolongement l'un de l'autre. Il en est surtout ainsi pour les décrochements de l'Alpette et de la Fracette. Toutefois, même dans cet exemple, la discussion reste permise puisque la partie hypothétique du tracé de connection, entre les Rigauds et La Plagne, mesure tout de même plus de 2 km.
Le plus souvent les connections sont peu évidentes, soit que les accidents en question ne se placent pas exactement dans le prolongement l'un de l'autre, soit même que plusieurs puissent prétendre représenter le prolongement d'un seul. Ce cas est bien illustré par les rapports entre le décrochement du col de l'Alpe et celui de la Roche May (lui-même d'ailleurs constitué en réalité de deux cassures parallèles, la première passant au N de ce sommet et la seconde par le col du Bachais).
Enfin certaines cassures majeures semblent bien ne pas se continuer du tout, d'une bande à l'autre, et s'interrompre au sein de la zone masquée limitrophe. C'est surtout le cas du décrochement de Bellefond, que l'on perd avant d'atteindre les pentes de Chamechaude : il s'y amortit, selon toutes apparences, après s'être fortement incurvé vers le S. C'est aussi le cas pour ceux de Bovinant et de l'Oursière, pour lesquels on ne voit, en direction de l'E, aucune possibilité de connexion avec un autre décrochement, sauf au prix d'un important changement d'azimut et par l'intermédiaire de l'hypothétique accident de la Diat.
En fait il apparait donc que les conditions d'observation défavorables qui règnent à la limite entre les secteurs oriental et intermédiaire ne sont pas seules en cause dans la disjonction, croissante du N vers le S, qui semble caractériser les rapports entre les décrochements de ces deux secteurs et que la continuité de ces décrochements y est réellement perturbée selon ce couloir longitudinal au massif.
b) Si l'on considère les failles mineures, à l'intérieur de chacun des trois secteurs, c'est presque une règle que d'observer leur interruption à chaque changement de compétence des roches. Ainsi lorsqu'une faille, bien repérable dans des formations compétentes (calcaires), débouche dans des terrains moins compétents (marnes), on cesse rapidement de pouvoir la suivre.
Or cela ne peut être mis sur le seul compte d'une qualité d'affleurements insuffisante ou du manque de repères stratigraphiques : en effet on constate le plus souvent qu'au delà, dans la bande de terrains compétents suivante, les failles équivalentes observables ne sont pas en correspondance : leur nombre, la position de leur traçé et l'ampleur de leur rejet sont nettement différents. Un exemple typique est fourni par les petites failles observables dans l'Urgonien du versant W du Charmant Som, de part et d'autre de la bande de Sénonien qui le parcourt du N au S (fig.4).
En définitive on doit donc totalement abandonner l'image d'un massif coupé en trois ou quatre tronçons par des failles qui le traverseraient sur toute sa largeur. Il faut lui préférer celle d'une déformation globale, moins discontinue et s'exprimant d'une façon plus diffuse, par le jeu d'une multitude de fractures d'extension plurikilométrique, dont seules les plus importantes tendent réellement à se connecter entre elles, et ce d'ailleurs d'autant plus médiocrement que l'on se déplace plus vers le S.
Il est malheureusement peu commun, dans le massif de la Chartreuse, de pouvoir analyser clairement ce qu'il advient des plis lorsque des décrochements les traversent. On peut cependant le faire sur quelques exemples.
Le synclinal oriental montre un beau crochonnement dextre de ses deux flancs par le décrochement de l'Alpette (fig.5). C'est là une géométrie qui témoigne clairement de l'existence d'une structure plissée avant le jeu du décrochement. Toutefois il est finalement rare d'observer des cas analogues, même si l'on peut citer encore le crochonnement, en touches de piano, dessiné par l'Urgonien du compartiment N du décrochement de la Fracette au NW de cette localité (Gidon, 1956) et celui observable le long du décrochement de l'Oursière dans le versant W du Charmant Som (fig. 4).
Dans d'autres cas, au contraire, le passage du décrochement se traduit plutôt par une différence dans la forme ou même le nombre des plis, d'un compartiment à l'autre, ce qui conduit plutôt à leur attribuer un fonctionnement en déchirures synchrones du plissement.
C'est notamment ce que l'on observe le long du décrochement de La Fracette : ici, dans la partie frontale, chevauchante, de la Chartreuse orientale les plis sont plus fermés et plus nombreux au N qu'au S [Gidon, 1956]. Un autre exemple est celui de l'anticlinal de Perquelin qui adopte un déversement vers l'E et se rompt en chevauchement, au S du décrochement de Bellefond [Gidon, 1982].
On constate d'autre part que le rejet du décrochement peut subir un amortissement presque total dans le coeur d'un pli (ce qui implique que son jeu ait contribué à l'édification de ce pli) : c'est notamment le cas pour le décrochement de Bellefond à la traversée de l'anticlinal de Perquelin.
Enfin il est assez net que les plis de la Chartreuse orientale sont sensiblement plus fermés au N qu'au S des décrochements (ce qui traduit donc un raccourcissement plus important dans le premier cas). Par exemple les tronçons de l'anticlinal de Perquelin, tous plongeants vers le N, ont une voûte plus ample au N qu'au S (ce fait apparaît particulièrement patent si l'on compare la voûte du pli au N de la Scia et celle du Colleret). Dans le synclinal oriental l'accroissement de la fermeture du pli, du N vers le S, s'accompagne même d'une fracturation longitudinale au voisinage de la charnière.
En définitive on doit conclure de ces données que la plupart des plis devaient exister avant l'apparition des décrochements mais qu'ils ont continué à se déformer pendant le jeu de ces derniers. Il est par contre difficile de savoir si les plis prééxistants ont été créés dans la même phase, post-miocène, que les décrochements ou s'ils étaient hérités (tous ou seulement certains d'entre eux...) d'un plissement anté-miocène, dont on connait des indices probants (Gidon, 1964).
Il est clair dans certains cas, notamment dans celui du décrochement de La Ruchère, que le rejet s'amortit complètement au moment où la faille atteint le front de chevauchement. D'une façon générale on constate assez bien que le rejet des décrochements s'atténue à l'occasion du franchissement des chevauchements et que, d'autre part, ces derniers sont d'autant moins décalés qu'ils sont plus occidentaux et que l'on va plus vers le S.
Cet amortissement peut être attribué pour une part à l'engagement d'une partie du mouvement coulissant dans les plans de chevauchement. En effet deux groupes de faits indiquent que ceux-ci ont acquis une telle composante de mouvement coulissant (c'est à dire oblique et non perpendiculaire à leur traçé) :
- d'une part l'abondance des stries horizontales, qui se remarque particulièrement sur les surfaces de fracture des bancs de l'entrée de la gorge de Fourvoirie, au passage du chevauchement de la Chartreuse occidentale. On sait d'ailleurs que plus au S, au front du Vercors, cet accident se connecte sur un décrochement (Gidon et al., 1978).
- d'autre part le crochonnement azimutal des traces axiales des plis de la Chartreuse orientale aux approches de la surface de chevauchement, surface qu'ils abordent d'ailleurs obliquement, à la façon de plis en échelons qui seraient greffés dessus. Cette disposition s'observe avec une particulière évidence entre Saint-Pierre-de-Chartreuse et la cluse de l'Isère (fig.1).
Il est donc probable que le jeu des décrochements ait été contemporain, au moins en partie, de celui des chevauchements et que, vis-à-vis de ces derniers, ils aient un peu fonctionné comme des rampes latérales.
Elle est globalement comprise entre N40° et N90°, ce qui représente une dispersion assez importante. Mais les valeurs les plus fréquemment rencontrées, si l'on reste à l'intérieur de chacun des trois secteurs distingués ci-dessus, sont moins dispersées : de l'ordre de 70° dans le secteur le plus occidental, de 75 à 80° dans le secteur intermédiaire et de 50 à 55° dans le secteur oriental (fig.6). Toutefois, quel que soit le secteur considéré, l'azimut des décrochements reste tel que les directions de raccourcissement impliquées par le jeu des failles et celles indiquées par les azimuts des axes de plis ne soient pas sensiblement différentes dans l'ensemble (fig.1).
Il n'y a donc pas lieu, du moins sur cette seule base, d'envisager que la formation des décrochements et celle des plis relèvent de plusieurs phases distinctes : au contraire cette observation conforte l'idée que les plis et les décrochements sont génétiquement liés.
Cette conclusion doit cependant être nuançée en ce qui concerne le grand synclinal oriental (qui court de la Dent de Crolles au Granier) car les décrochements y sont orientés à peu près N50° à N55°, alors que le pli est orienté N15° à N20° : cela correspond donc à une direction de raccourcissement respectivement N80° à N85° pour les failles et N105° à N110° pour le pli, soit un écart de 30°, suffisant donc pour pouvoir être considéré comme significatif. Il faut en outre remarquer que l'anticlinal de Perquelin, immédiatement plus occidental, est doté, quant à lui, d'un azimut proche de N180° qui est très cohérent avec ceux des décrochements qui le traversent. On peut se demander si cette particularité du synclinal oriental ne serait pas l'indice d'une relative indépendance génétique de ce dernier (qui ne serait donc pas tout à fait contemporain des autres structures de la Chartreuse orientale, mais plutôt antérieur) ou si elle traduit des déformations posthumes différentes selon que l'on se trouve plus ou moins près de la marge E du massif.
La continuité du tracé des cassures fait souvent place à des relais, éventuellement par l'intermédiaire de cassures secondaires parallèles aux branches principales. De tels dispositifs s'observent particulièrement bien en ce qui concerne le décrochement de la Fracette, aussi bien aux abords N de Saint-Pierre d'Entremont (fig.1 ; voir aussi fig.3 in Gidon, 1964) que dans ses relations avec celui de la Ruchère, où l'on a visiblement affaire, dans les deux cas, à une bande fracturée en échelons. On peut également analyser en grand détail ce genre de traçé en baïonnette le long du décrochement de l'Oursière à l'W du Pré Batard (fig.7) et le long de celui de Bovinant près du col de même nom (fig.8).
Dans certains cas (notamment dans les deux exemples précédents) certaines de ces cassures viennent se connecter entre elles par un tronçon faiblement oblique, dont le branchement évoque des Riedels R. Celà peut délimiter des compartiments intermédiaires plus effondrés, selon le schéma du "pull apart", dont on peut observer un bel exemple sous forme d'un petit graben losangique, rempli par le Sénonien, au SW du Col de l'Alpe.
On peut aussi envisager qu'une connection de ce type, par branchement oblique, assure le raccord entre le décrochement de l'Alpe d'une part et d'autre part celui de Roche May, sa fracture satellite parallèle (qui passe entre Roche May et Roche Curt), et celui de l'Oursière (fig.1): en effet la cartographie suggère que ces différents accidents se branchent tous sur un "accident de La Diat", plus méridien et faisant avec eux un angle aigu orienté dans le sens convenable (le traçé précis de ce dernier accident est toutefois difficile à déterminer, faute d'affleurements suffisants).
Le traçé cartographique des décrochements dextres présente diverses variations d'azimut, variations que l'on peut qualifier, d'une façon purement descriptive, de réfractions. Elles se manifestent en fait à deux échelles :
a) A l'échelle du massif tout entier, essentiellement selon une zone longitudinale correspondant à celle du raccordement entre les décrochements orientaux et ceux du secteur intermédiaire, sensiblement à l'E du front du chevauchement de la Chartreuse orientale par conséquent.
En effet l'azimut moyen des décrochements, qui est de N 55° à l'E de cette zone, passe à N 75°, en moyenne, plus à l'W (fig.1 et 6). Cela correspond à un angle de rotation de l'ordre de 20°, dans le sens horaire. En fait la valeur de la réfraction semble même s'accroître vers le S : en effet l'azimut des cassures atteint en particulier N 85° pour le décrochement de l'Oursière, au N du Charmant Som et seulement N 46° puis même N26°, à la même latitude, pour le décrochement de Bellefond au point le plus proche où ce dernier soit reconnu (fig.6).
b) Dans le traçé de détail des cassures, notamment de celles du secteur oriental et de celles du flanc W de l'anticlinal médian (dans le secteur occidental). Un effet purement cartographique, induit par l'inclinaison des surfaces de fracture et créant des "V topographiques", suffit bien sûr, à expliquer dans beaucoup de cas ces réfractions mineures (c'est typiquement vrai pour l'angle accentué que dessine le traçé du décrochement de l'Alpe en traversant le torrent de Malissard, au SW du Colleret).
Néanmoins ce facteur ne suffit pas à rendre compte de toutes les brisures, voire des incurvations progressives du traçé, comme celles de la faille des Pincherins, au Granier et celle de l'extrémité S du décrochement de Bellefond près du Roc d'Arguille. De plus il est beaucoup d'exemples dans lesquels l'occurrence de cette réfraction apparaît liée à la situation de la faille vis-à-vis des divers traits structuraux du secteur traversé.
c) Parmi les diverses hypothèses que l'on peut avançer pour expliquer ces diverses réfractions, les suivantes sont, a priori, les plus envisageables.
a) Pour la plupart des variations passagères d'orientation que l'on observe dans les portions continues du traçé des failles l'angle de réfraction est en général d'une valeur assez faible, de l'ordre de 5° à 15°. Cette valeur, finalement proche de celle que font les Riedels R par rapport à une faille principale, peut suggèrer que la réfraction est dûe, selon un schéma bien classique, au raccord de deux de deux branches majeures par une faille de Riedel R, dextre.
La pertinence de cette explication est cependant peu étayée dans les secteurs occidentaux, où l'on observe au contraire clairement des relais par failles secondaires parallèles. Elle pourrait être envisagée pour les parties des failles de l'Alpe et de Bellefond situées immédiatement à l'W des limites d'affleurement de l'Urgonien du Synclinal oriental. Malheureusement il n'est pas possible, là, d'analyser les modalités précises du raccord entre les tronçons, pour voir si les moins méridiens se prolongent bien quelque peu au delà du branchement de celui qui serait censé les raccorder.
b) Concernant la réfraction générale qui caractérise la limite entre le secteur intermédiaire et le secteur oriental il est envisageable, comme dit plus haut, que les décrochements de Roche May, voire de l'Oursière se connectent à l'extrémité W de celui de l'Alpe par branchement latéral, du côté N, sur une cassure d'orientation un peu plus méridienne, à la façon des Riedels "R". Mais ce n'est qu'une hypothèse et les conditions d'affleurement ne permettent pas de préciser les conditions de cet éventuel branchement. En ce qui concerne le décrochement de la Fracette et celui de Bovinant on est encore plus en droit de douter de l'existence d'une connection par branchement oblique sur le décrochement de l'Alpette (suggérée en tiretés sur la fig.1) car on ne dispose d'aucune donnée de terrain qui permette de l'étayer.
Quoi qu'il en soit, dans les cas qui nous intéressent ici, la valeur du changement d'azimut dépasse en général largement 20° (fig.6) : c'est là une valeur un peu forte pour envisager que les failles du secteur intermédiaire aient valeur de Riedels vis-à-vis de celles du secteur oriental, en dépit du fait que leur sens de branchement soit bien celui à attendre de Riedels "R". Enfin si tel était cependant le cas on s'explique mal que les failles N50 à N60 du secteur oriental ne se prolongent pas du tout dans le secteur intermédiaire et que la totalité du cisaillement latéral soit tranféré sur des failles N70 à N80.
Cette interprétation semble donc, au total, insuffisamment étayée et d'une valeur explicative insuffisante pour être retenue, au moins dans l'état actuel des connaissances.
Une réactivation des plis après ou pendant leur décalage par les décrochements est d'autant moins à écarter, a priori, qu'elle est suggérée par les différences de géométrie existant entre les plis des compartiments N et S des décrochements.
Il est évident qu'une accentuation de la flèche des plis s'accompagne d'un raccourcissement susceptible d'induire une réorientation du tracé cartographique des décrochements, leur azimut se rapprochant alors de celui de l'axe des plis (fig.9, schéma 2a). Ici, les plis étant subméridiens, le traçé deviendrait d'autant plus proche de N-S que le raccourcissement aurait été plus important.
C'est précisément dans ce sens que joue la différence d'orientation qui caractérise la Chartreuse orientale par rapport aux deux secteurs plus occidentaux. La réfraction générale de ses décrochements pourrait donc être attribuée à l'intervention d'un raccourcissement E-W tardif notablement plus important que dans les autres secteurs. En fait il ne semble pas que des différences suffisantes de taux de raccourcissement puissent être mises en évidence entre les différents secteurs du massif.
D'autre part on doit s'attendre, en cas de rejeu des plis, à rencontrer, au niveau de chaque pli, des variations d'azimut liées à celles du pendage, l'azimut devenant d'autant plus méridien que les flancs de plis sont plus redressés (fig.9, schéma 2b). Cela ne se vérifie guère dans le synclinal oriental où le traçé reste très rectiligne d'un flanc à l'autre. Par contre cela peut s'accorder avec ce qui s'observe dans d'autres exemples, particulièrement lors de la traversée de l'anticlinal de Perquelin par le décrochement de l'Alpe et surtout par le décrochement de Bellefond ou pour le décrochement de l'Oursière à la traversée de l'anticlinal de la Chartreuse médiane.
Au total cette explication n'est peut-être pas à écarter mais elle reste, malgré tout, médiocrement convaincante.
Il est remarquable que les plis des deux bandes les plus occidentales de la Chartreuse ont des azimuts axiaux qui convergent vers le N par rapport à ceux, plus méridiens, des plis de la partie W de la Chartreuse orientale. D'autre part il est clair que l'ensemble chartreux occidental a nécessairement subi un pivotement dans le sens horaire autour d'un point situé aux abords du col de Couz. En effet c'est à partir de là que s'accroît, du N vers le S, la flèche du chevauchement de la faille de Voreppe qui y prend naissance [Gidon, 1964]. Ce pivotement a peut-être été aggravé par mouvement analogue expliquant la torsion, également dans le sens horaire, des plis jurassiens au niveau des Echelles [Gidon et al., 1978].
Sur la base de cette constatation on peut envisager d'imputer le changement d'ensemble de l'azimut moyen des failles, de part et d'autre de la surface de chevauchement de la Chartreuse orientale, à ce pivotement dextre, à condition qu'il n'ait affecté que les éléments chevauchants de la Chartreuse médiane et occidentale et épargné celui de la Chartreuse orientale (fig.10). Cette hypothèse implique donc une désolidarisation de la Chartreuse orientale, cette dernière n'ayant subi, lors de ces mouvements, qu'une simple translation. Son mouvement devait donc être de plus en plus oblique par rapport aux plis plus occidentaux, ce qui est en bon accord avec le fait que les plis de la Chartreuse orientale, plus méridiens que la surface de chevauchement frontale de cette dernière, se biseautent et se crochonnent à tour de rôle contre elle, du S vers le N.
Cette hypothèse est d'autant plus séduisante qu'elle porte à prévoir la mise en jeu de mouvements cisaillants associés, notamment aux limites des bandes longitudinales qui se partagent le massif. Or cet aspect est, comme on va le voir, susceptible d'expliquer les réfractions de détail.
L'intervention de cisaillements obliques au traçé des cassures et affectant le traçé de ces dernières, est, de fait, une hypothèse particulièrement séduisante à envisager. On peut en concevoir les modalités de trois façons éventuellement complémentaires :
a) Cisaillement sénestre, généralisé, de la Chartreuse orientale.
Le fait que l'azimut des failles de la Chartreuse orientale soit globalement plus méridien pourrait être mis sur le compte d'un cisaillement global sénestre plus ou moins homogène (fig.10). Ce dernier expliquerait également que l'azimut des plis de la plus grande partie de ce secteur soit proche de N180°, c'est à dire plus méridien que celui des axes des autres plis. En fait le synclinal oriental n'apparait pas concerné par une telle déformation puisque son axe est orienté N15° à N20° et pourtant les failles qui l'affectent ne présentent aucune réduction d'azimut à sa traversée : on aboutit donc à une incohérence qui rend peu plausible cette explication.
Toutefois un tel cisaillement reste envisageable pour expliquer les dispositions que la cartographie suggère dans la zone de raccord entre le secteur oriental et le secteur intermédiaire (c'est à dire dans la dépression axiale de la Chartreuse orientale, où les conditions d'affleurement sont médiocres). Ici en effet les connections hypothétiques que l'on est amené à envisager entre les failles des deux secteurs voisins supposent des tronçons intermédiaires, tels l'accident de la Diat (fig.1), dont l'orientation, encore plus méridienne, pourrait être mise sur le compte d'une telle distorsion.
b) Cisaillement hétérogène, variant selon la nature des roches.
Il est remarquable qu'il y ait une coïncidence approximative mais fréquente entre la position des points de changement d'azimut des cassures et des intersections de ces dernières par une ligne de changement lithologique. De plus les azimuts les plus méridiens se rencontrent presque systématiquement lorsque les terrains traversés sont plus marneux, les tronçons traversant des formations calcaires étant inversement plus E-W. Ce fait est notamment assez net en ce qui concerne le décrochement de Bellefond (fig.11).
Ces variations angulaires sont susceptibles d'être expliquées par un cisaillement sénestre dont l'angle varierait en fonction de la compétence des roches. Celui-ci est logiquement plus important au sein des formations marneuses, les plus incompétentes, et doit se réduire dans les formations plus calcaires (fig.12). Cette variation, qui consiste en une diminution du pendage de la faille dans les terrains plus marneux, doit effectivement s'exprimer cartographiquement par un pivotement azimutal alternativement dextre et sénestre.
Cette explication est donc plausible mais le sens du cisaillement qu'elle suppose n'est guère probable dans le contexte de cisaillement dextre qui est celui du massif. Toutefois un effet de distorsion sénestre découlant de la rotation des chaînons occidentaux est probable à la marge occidentale de la Chartreuse orientale, de sorte que ce processus pourrait avoir joué un certain rôle dans ce secteur.
c) Rotations à l'intérieur de chaque compartiment
Un certain nombre de réfractions, et notamment celles des fractures du flanc W de l'anticlinal médian dans le secteur situé au NW du couvent (Billon, Arpison), ne peuvent s'expliquer par le processus précédent parce que la réfraction y atteint des valeurs aboutissant à un véritable rebroussement dextre du traçé (passage à des azimuts supérieurs à N90° : fig.13, schéma A).
Il parait donc nécessaire de faire appel, en ce qui les concerne au moins, à une véritable pivotement des panneaux les plus compétents, dans le sens horaire, autour d'unaxe vertical (fig.13, schémas B). Une telle rotation est d'ailleurs tout à fait cohérente avec le sens du cisaillement général exprimé par les décrochements et a donc pu être facilement induit par ce dernier. De plus il est logique que son efficacité soit d'autant plus grande que les panneaux rocheux affectés sont plus verticaux, ce qui est précisément le cas dans les exemples les plus nets.
Au terme de cette analyse il appert que la réfraction majeure, qui intervient à la limite des secteurs oriental et intermédiaire, semble attribuable avant tout à une rotation globale, indépendante, des chaînons chartreux occidentaux. Quant aux réfractions locales, elles semblent être surtout l'expression de cisaillements et pivotements différentiels intervenus entre les différents termes de la série stratigraphique dans chacun des compartiments délimités par l'entrecroisement des chevauchements et des décrochements.
Enfin ces deux aspects des réfractions des traçés des décrochements ne sont sans doute pas sans relations entre eux. En particulier le pivotement des chaînons plus occidentaux a certainement retenti tout spécialement sur la déformation de la Chartreuse orientale. C'est à lui sans doute que l'on doit imputer le cisaillement sénestre (fig.10) qui semble se manifester particulièrement dans la partie W de ce domaine, à la limite orientale des domaines affectés par le pivotement, et s'amortir vers l'E. Parmi les faits témoignant de son intervention le plus marquant est sans doute l'écart antihoraire d'azimut, de l'ordre de 10 à 20°, qui caractérise les plis les plus occidentaux de la Chartreuse orientale par rapport aux autres plis du massif. Un autre effet imputable à ce cisaillement secondaire est la la disjonction, d'ailleurs de plus en plus nette du N vers le S (comme le veut le schéma), entre les failles du secteur intermédiaire et celles du secteur oriental. En effet ces dernières montrent soit un amortissement vers l'W, concomitant avec une inflexion portant leur azimut jusqu'à des valeurs inférieures à N30° (décrochement de Bellefond au SW du Roc d'Arguille), soit une connection avec les décrochements plus occidentaux par l'intermédiaire de cassures plus ou moins mal définies (accident de la Diat, entre le décrochement de l'Alpe et celui de l'Oursière) d'un azimut aussi méridien, voire même peut-être d'une simple zone cisaillée.
Quoi qu'il en soit de la validité de ces différentes hypothèses, ces géométries de réfraction ne peuvent sans doute pas être comprises autrement qu'en les considérant aussi comme des témoignages de la poursuite de l'évolution des autres structures durant le jeu des décrochements.
a) Les faits saillants découlant des données présentées ci-dessus peuvent en définitive être résumés comme suit :
- Les décrochements intéressent avant tout la tranche de série stratigraphique située au dessus des Terres Noires.
- Leur mouvement n'était pas horizontal mais incliné vers l'W, approximativement selon le pendage moyen du flanc W de l'intumescence du socle cristallin du massif de Belledonne.
- Ils sont discontinus, souvent disposés en relais, et le mouvement cisaillant qu'ils expriment s'amortit d'E en W, en se diffusant sur des plans de cassures en nombre croissant avant d'atteindre le bord W du massif (synclinal de Voreppe).
- Ils ne se contentent pas de décaler les plis et les chevauchements mais ont aussi interféré sur leur mise en place (sauf peut-être en ce qui concerne le grand synclinal oriental de la Chartreuse, qui pourrait avoir été de formation relativement précoce).
- Ils ont des traçés dont l'orientation est plus méridienne en Chartreuse orientale que dans les secteurs plus occidentaux et qui montrent en outre des "réfractions" de détail, sans doute dûs à des cisaillements et pivotements localisés sur les surfaces de changement lithologique. L'origine première et principale semble en être un mouvement pivotant des chaînons occidentaux de la Chartreuse, intervenu pendant le jeu des décrochements.
b) Plusieurs implications concernant l'age et les modalités de l'intervention des décrochements dans la structuration du massif découlent de ces données :
- En premier lieu les décrochements sont plutôt liés à une déformation propre à la tranche de couverture qui constitue les massifs subalpins. Ils ne semblent pas pouvoir être considérés comme les émergences d'accidents transversaux du socle.
- Leurs relations avec les autres structures suggèrent assez nettement que les décrochements ont du jouer en association avec une activité de plissement et de mouvement sur les grands chevauchements, mais ne sont sans doute apparus qu'après que les plis aient été au moins largement ébauchés.
- Ils sont associés à une étape de déplacement de la couverture vers l'W, par glissement sur des surfaces parallèles à son interface avec le socle, c'est à dire vraisemblablement sur les plans de strates. L'inclinaison vers l'W de ce mouvement n'autorise guère à les corréler, au moins directement, avec un éventuel chevauchement profond du socle de Belledonne (celui-ci aurait induit un mouvement ascendant vers l'W).
- Du point de vue chronologique les particularités de la géométrie observable et le contexte structural du massif portent en définitive à privilégier un scénario de détail qui est le suivant :
. Les décrochements sont postérieurs à une première étape de plissement du massif, mais il est difficile de savoir quelle est la part des plissements antémiocènes (dont on a de sérieux indices par ailleurs) dans cette structuration précoce (il faut peut-être lui rapporter l'essentiel de la formation du grand synclinal oriental).
. Ils ont joué lors d'une reprise du plissement, qui est sans doute celle associée au développement des grands chevauchements du massif (Gidon & Mugnier, 1968).
. Ils ont très vite été déformés (et en particulier partiellement soumis à une torsion azimutale) à l'occasion d'un pivotement de sens horaire intervenu dans les chaînons occidentaux de la Chartreuse.
- La composante de coulissement vers le S de la couverture subalpine, dont ils sont l'expression, peut évidemment s'inscrire dans le cadre d'un déplacement oblique de deux môles de socle, comme il a été envisagé par ailleurs [Mugnier & Gidon, 1988], à condition que ce mouvement se soit effectué en sous-charriage sous la couverture.
Le fait que le caractère discontinu de ce coulissement s'accroisse vers le bord oriental du massif tout en se limitant apparemment à la tranche supérieure de la série stratigraphique incite cependant à lui chercher une cause plus superficielle. Mais le champ des hypothèses est large et ce pourrait être un simple glissement gravitaire tardif de la couverture subalpine, aussi bien que la poussée de masses chevauchantes d'origine plus interne.
Quoi qu'il en soit, l'intensité particulière de ce coulissement dans le massif de la Chartreuse semble bien dûe au fait que la couverture subalpine y a été obligée de contourner par le côté S un obstacle qui s'opposait à son avançée vers l'W. Il est assez clair que ce rôle d'obstacle a dû être joué par les chaînons jurassiens méridionaux, qui viennent précisément mourir à la latitude du massif chartreux et dont on constate qu'il ont été bousculés vers l'W au front de ce dernier.
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Références citées
GIDON M. (1964). - Nouvelle contribution à l'étude du massif de la Grande-Chartreuse et de ses relations avec les régions avoisinantes. Travaux du Laboratoire de Géologie de l'Université de Grenoble, t.39 (1964), p.187-205.
GIDON M. (1981a). - La structure de l'extrémité méridionale du massif de la Chartreuse aux abords de Grenoble, et son prolongement en Vercors. Géologie alpine, t.57, p.93-1O7.
GIDON M. (1981b). - Les déformations de la couverture des Alpes occidentales externes dans la région de Grenoble; leurs rapports avec celles du socle. C. R. Acad. Sc. Paris, t.292, série II, p.1O57-1O6O.
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GIDON M. (1988).- L'anatomie des zones de chevauchement du massif de la Chartreuse Chaînes subalpines septentrionales, Isère, France). Géologie alpine, t.64, p.27_48.
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GIDON M. et MUGNIER J.L. (1988) Relations entre chevauchements et plissement : l'exemple du massif de la Chartreuse (chaînes subalpines, Alpes occidentales françaises). C.R.Acad.Sc.Paris, t.307, Série II, p.185-190.
GIDON P. (1949). - Une faille d'effondrement dans l'anticlinal du Corbeley, en Chartreuse septentrionale. C.R.S.S.G.F.,
GOGUEL J. (1948). - Sur le rôle des failles de décrochement en Chartreuse. Bull. Soc. Géol. France, 5° s., t.18,
GRILLOT J.C. (1979). - Structure des systèmes aquifères en milieu fissuré. Thèse d'Etat, Univ. du Languedoc, Montpellier.
MUGNIER J.L., ARPIN R. & THOUVENOT F. (1987). - Coupes équilibrées à travers le massif subalpin de la Chartreuse. Geodinamica Acta 1987, 1, 2, p.125-137.
MUGNIER J.L. et GIDON M. (1988).- Décrochements en transtension dans la couverture des massifs subalpins septentrionaux : relations avec la tectonique du socle. C.R.Acad.Sc.Paris, t.307, Série II, p.1669-1674.
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