Tectonique/Tectonics
Maurice GIDON & Jean Louis PAIRIS
Laboratoire de Géologie Alpine associé au CNRS (URA
69), UNIVERSITÉ Joseph FOURIER, INSTITUT DOLOMIEU, 15 Rue
Maurice Gignoux, 38031 GRENOBLE CEDEX, FRANCE. (contribution n°901)
Résumé - Un exemple remarquable d'avancée d'un charriage dans un bassin sédimentaire en cours de colmatage rapide est fourni par la région de Digne. La géométrie résultante, partiellement fossilisée par la sédimentation, peut y être analysée : elle se caractérise par une interface nappe/autochtone sinueuse, inclinée tantôt de façon proverse, tantôt de façon rétroverse, ce qui s'appa rente donc à un encapuchonnement frontal. Ces sinuosités traduisent les effets combinés d'un sous-charriage dans les parties les plus frontales de la nappe et d'une reprise du chevauchement en arrière de son front.
Under-thrusting and back-thrusting at a basin's margin : An examplary case from the Southern Subalpine Ranges (SE France).
Abstract - A prominent example of a thrust sheet, whose leading edge part is underthrusted by, and back-folded with its foreland, is described. The resulting structure is somewhat similar to that of the "encapuchonnements" and basically to that of the "triangle zones". As it occurs in the synsedimentary context of a rapidly filling basin, inside which the thrust moved, the foreland is here, constituted by an overlapping sedimentary wedge. This, which gives rise to these peculiar complexities, throws also some light on the processes involved.
Abridged English Version - This paper describes the deformations which occured at the leading edge of the Digne nappe thrust sheet, through its sliding inside the rapidly filling Valensole sedimentary basin.
1. STRUCTURAL FRAMEWORK. - N of Digne, the Digne nappe moved southward and was parted into two lobes, a western one (the La Robine lobe) and an eastern one (the Cousson Lobe), by a right lateral ramp, namely the Bès Fault (fig.1). It has been shown [1] that the Cousson lobe is the only one to overlie its Autochtonous whereas the La Robine lobe was overlapped by Neogene deposits (the Valensole formation). But, W of the Bléone valley, late refolding and secondary faulting by the "accident de Courbons" (fig.1 and 3) allowed its inner part slightly to run over the margin of the Valensole basin.
2. NEW FIELD DATA. - W of the Bléone valley the La Robine lobe folds are refolded by a SW-verging shear and become overturned upon the Neogene basin. On the contrary, E of the Bléone valley (fig.2), the Valensole formation sedimentarily lies upon the Mesozoic beds of the the La Robine lobe and the folds shown by these beds undergo secondary overturning to the NE while the Valensole formation itself exhibits similarly E-verging folds [2].
3. IMPLICATIONS AND DISCUSSION. - These data indicate that the La Robine lobe moved on south-westward under Neogene deposits after the latter began to overlap the thrust front. This is a case of so-called underthrusting which is proved by back-folding. Some other details of this structure are of interest :
(a) Comparing the two slopes of the Bléone valley shows an inversion of vergence in the late distortion affecting the folds of the La Robine lobe. An idealized cross-section (fig.3) shows that this comes from an eastward relative motion of the sedimentary wedge of the upper Valensole beds. This motion created, through folding of the thrust sheet a bulge, whose upper part (W of the valley) is overturned to the SW, while its lower part (E of the valley) is overturned to the NE.
(b) As the lateral ramp of the Cousson lobe, the Bès fault allowed the former to move southward, both downward and obliquely with respect to the La Robine folded bulge. The latter was thus overturned upon the Cousson lobe which behaved as another, more internal, indenter (fig.3 and 4).
(c) Some outcrops of a pebbly formation, rather similar to the Valensole conglomerates, lie E of the erosion edge of the Digne nappe [3][4] ("cailloutis des Fontaines", fig.2). The various features of that formation lead to conclude that it constitutes the upper, easternmost part of the Valensole basin's filling, when the latter overflowed the top of the La Robine folded bulge to rest on the still moving western margin of the Cousson lobe (fig.4).
4. CONCLUSIONS. - This analysis shows that, as it could logically be expected, the thrust motion does not stop immediatly when a thrust sheet front is overlapped by sedimentary deposits. It gives an example of the complex geometry which results from such an evolution where several concomitant sedimentary and tectonic processes interact (fig.4). In the present case the observed structural patterns are : (1) "crushing" folding, creating a bulge inside the part of the thrust sheet which underwent frontal immobilization (and is separated by lateral shear from the main part of the thrust sheet) ; (2) underthrusting of the outermost part of the thrust sheet inside the autochtonous formations still being deposited. The latter, acting indenterlike against the nappe, created a structure basically similar to that of the so-called "encapuchonnement". However, here, it is the Autochtonous, not the nappe, which behaves as an indenter. By this feature it looks more similar to the "triangle-zones"[5], through which are often obtained the final attenuation of the thrust motion at the front edge of a system of imbricates [6].
L'amortissement définitif d'un charriage par un rétrochevauchement au front d'une zone d'imbrications et les encapuchonnements de fronts de nappes dans des unités sous-jacentes sont des schémas interprétatifs classiques qui ont été souvent invoqués. Il ne semble pas, cependant, qu'ils aient été souvent observés et/ou décrits dans les cas des charriages synsédimentaires, en dépit de l'intérèt que peuvent offrir de telles conditions pour l'analyse de la genèse de ces dispositifs. Or la nappe de Digne, l'un des éléments structuraux majeurs des chaînes subalpines méridionales, précisément connue pour s'être avancée dans le bassin néogène de Valensole, s'avère affectée par un dispositif exemplaire de ce genre.
1. CADRE STRUCTURAL. - À Digne même, les terrains jurassiques et triasiques se rattachent au lobe de La Robine, portion de la nappe séparée du corps principal (ou lobe de Cousson) par la faille du Bès (fig.1 et 3). En fait ce n'est qu'à l'E de cet accident, à partir d'un point situé 2 km au SE de la ville de Digne, que le Mésozoïque (appartenant au lobe de Cousson) repose par charriage à plat, vers le S, sur le remplissage tertiaire du bassin de Valensole. A l'W de la déchirure de la faille du Bès, au contraire, la surface de charriage basale du lobe de La Robine s'enfonce en profondeur dans le remplissage autochtone du bassin de Valensole [1]. ? l'W de la Bléone et de la ville de Digne une faille à fort pendage (l'"accident de Courbons", fig.1 et 3) sépare le Mésozoïque charrié du Tertiaire autochtone, mais ce n'est qu'un accident secondaire qui a joué après le bloquage du front de la nappe. C'est l'écrasement des parties émergentes du lobe de La Robine contre cet accident qui explique la formation de plis serrés qui sont l'apanage de cette partie de la nappe [1].
2. NOUVELLES DONNÉES DE TERRAIN. - À l'W de la Bléone ces plis sont affectés par une torsion de leur plan axial (de plus en plus déversé du bas vers le haut) qui leur donne tendance à se coucher sur la surface de colmatage du bassin de Valensole (fig.3). Au contraire à l'E de la Bléone, le synclinal de Caramantran se renverse, vers 800 m d'altitude, en dessinant une synforme ouverte au N-NE (fig.2), ce qui traduit un cisaillement rétroverse par rapport à celui qui affecte le même pli à l'W de la Bléone.
D'autre part, jusqu'à 2 km au SE de Digne, le matériel de la nappe s'enfonce franchement vers le SW, avec un plongement croissant du haut vers le bas, sous la formation de Valensole. Or plusieurs faits significatifs caractérisent cette interface (fig.2) :
(a) Le contact y est sédimentaire, ce que démontrent notamment des inter stratifications de lits de galets et de matériel cargneulique. - (b) les lits conglomératiques, d'abord subhorizontaux lorsqu'ils s'appuient en discordance sédimentaire sur le Mésozoïque (notamment vers l'altitude de 750 m, où ils s'agit de gypses verticaux) se rebroussent fortement et se renversent vers le NE, en une dizaine de mètres, pour plonger à 75° vers le SW. - (c) Selon une ligne passant environ 100 m au SW du tracé de cette interface, diverses lames hectométriques à décamétriques de terrains liasiques et triasiques sont inter stratifiées en chapelet dans la formation de Valensole et représentent probab lement des olistolites (compte tenu du peu de continuité et du désordre strati graphique des affleurements). Or ces lames sont renversés de la même façon que les bancs de conglomérats. Encore plus au SE les conglomérats de Valensole dessinent enfin plusieurs plis à plans axiaux très redressés [2].
3. IMPLICATIONS ET DISCUSSION. - Deux constatations découlent immédiatement de ces faits : d'une part qu'à l'E de la Bléone il y a indubitablement repos sédi mentaire du Valensole sur le Mésozoïque charrié de La Robine ; d'autre part qu'un mouvement de rebroussement par cisaillement à vergence NE, s'est manifesté au voisinage de l'interface nappe / autochtone.
Ceci implique qu'il s'est produit, dans le secteur de Digne, un enfoncement de l'allochtone sous l'autochtone et, par conséquent, un véritable sous-charriage du front de la nappe sous cet autochtone. Ce fait ne saurait surprendre car il est bien vraisemblable que le mouvement de la nappe ne s'est bloqué que progres sivement lorsque son front a commençé à être recouvert par la sédimentation.
Au delà de ces constatations locales divers aspects plus régionaux retiennent l'attention :
(a) Géométrie d'ensemble de la limite nappe/autochtone : L'opposition qui se manifeste entre les deux rives de la Bléone, en ce qui concerne la vergence des torsions tardives affectant les plis du lobe de La Robine, aussi bien que l'attitude et les caractéristiques de l'interface nappe / autochtone, se résoud sur une coupe synthétique (fig.3). Ces changements y apparaissent liés au niveau atteint par l'érosion dans un dispositif plongeant axialement vers le NW. Ce dernier traduit à l'évidence un poinçonnement horizontal, emboutissant sous la bordure actuellement visible du lobe de La Robine le prisme alluvial conglomé ratique qui en masque le véritable front. La poursuite en sous-charriage du mouvement des parties distales du lobe de La Robine, les premières à avoir été recouvertes par le Néogène, est bien compatible, dans ce schéma, avec une remise en chevauchement de ses parties plus internes et donc plus élevées.
(b) Rôle joué par la faille du Bès : La faille du Bès possède, dans son ensemble, un tracé subméridien, un fort pendage E et un rejet à composante chevauchante. Or, au S d'un point situé environ 2 km au N de Digne (Molière, fig.1), là même où elle s'engage dans le Trias gypsifère du coeur d'un anticli nal qui passe à Digne, l'attitude de cette faille se modifie. Elle subit alors une torsion antihoraire de son tracé, un basculement du plan de faille vers l'E, suivant en celà le plan axial de l'anticlinal qu'elle affecte, et une inversion de son sens de rejet (qui devient plutôt chevauchant vers l'E). En d'autres termes la surface de cette faille dessine une synforme ouverte à l'E-NE et plongeant vers le SE (fig.4) qui se moule d'ailleurs assez précisément sur le grand synclinal N120 de Marcoux (fig.1).
Cette disposition est certainement en rapport avec le changement du sens de vergence des déformations tardives du lobe de La Robine (que la faille du Bès délimite du côté E). En effet c'est du côté N, là où la faille du Bès possède une composante de chevauchement vers l'W que les plis de la nappe sont déversés vers le SW. Par contre au S, lorsque la faille du Bès plonge vers l'W, les mêmes plis se renversent vers le NE. Ce déversement implique qu'une zone basse de l'allochtone, propre à susciter un basculement d'origine morphotectonique vers elle, se dessinait alors à l'emplacement du synclinal de Marcoux (fig.1). Ceci est en accord avec le fait que la nappe subissait initialement un glissement d'ensemble vers l'aval, dans le bassin de Valensole, avant que s'érige en ce point le bourrelet des plis du lobe de La Robine : ainsi le lobe de Cousson, qui descendait progressivement vers le SSW en coulissant en oblique, selon une direction N30 (fig.1), contre la faille du Bès, plus méridienne, s'est-il rebroussé contre ce bourrelet et embouti sous lui en cherchant à le contourner (fig.4). En définitive ce bourrelet de plis était donc pris en tenaille entre le poinçon du prisme supérieur des conglomérats de Valensole qui en repoussait les parties hautes vers le NE et celui dû au lobe de Cousson, poussant au contraire ses parties basses vers le SW (fig.3).
(c) Place des cailloutis des Fontaines : Les collines qui s'élèvent depuis Digne vers le SE, et qui appartiennent au lobe de La Robine, recèlent, sur leur revers E et donc en arrière du front d'érosion de la nappe, des affleurements de cailloutis dont la position a déjà été discutée à plusieurs reprises [3][4]. Ces cailloutis ont (à l'exception de leurs niveaux superficiels) des analogies sédi mentologiques étroites avec la formation de Valensole. Ils se sont en outre mis en place d'W en E sur une pente inclinée vers le NE et ont enfin été tectonique ment déformés, pendant leur dépôt, par le jeu de la faille du Bès, contre laquelle ils s'appuient [4]. Ces caractéristiques leur assignent une place évidente dans le schéma tectonique proposé ici : il faut y voir des termes relativement tardifs du comblement du bassin de Valensole qui ont débordé par dessus le bourrelet rétrodéversé de l'extrémité S du lobe de La Robine (fig.4) et, parvenus dans la dépression même vers laquelle les plis de ce bourrelet basculaient, se sont appuyés sur la rampe latérale du lobe de Cousson encore en mouvement (c'est à dire sur la faille du Bès). En fait ils témoignent qu'il s'est bien formé une dépression créée sur le revers NE du bourrelet de plis de l'extrémité S du Lobe de La Robine, et confirment ainsi la vraisemblance du scénario cinématique proposé ici.
4. CONCLUSIONS. - L'analyse du contact nappe / autochtone dans la région de Digne met donc en évidence de façon exemplaire les modalités complexes de l'interaction des deux phénomènes opposés que sont l'avancée d'une nappe dans un bassin sédimentaire et le comblement - ici particulièrement rapide - de ce dernier. Comme prévisible il n'y a pas blocage immédiat du charriage au moment où la sédimentation gagne sur le front de l'unité allochtone et le mouvement se poursuit à la fois sous le bord du prisme sédimentaire et à son arrière, indui sant divers processus de déformation qui jouent conjointement. Dans l'exemple analysé ici ce sont : (a) Un froncement, par des "plis d'écrasement", de l'unité allochtone contre le bord du prisme sédimentaire progradant. Ceci induit la formation d'un bourrelet saillant à la marge du bassin - (b) Un sous-charriage de la partie la plus frontale de l'allochtone sous le prisme sédimentaire autochtone qui scelle le front véritable du charriage, ce qui se traduit à l'interface par des structures de cisaillement rétroverse. Une telle structure peut être comparée à celle des "Triangle-zones" [5], liées au rétrochevauchement d'une écaille de l'avant-pays autochtone sur le front d'amortissement de cer taines zones d'imbrications de chevauchements [6]. Ce sous-charriage s'amortis sait sans doute progressivement, par suite de l'accroissement du freinage frontal, ce qui favorisait la reprise de chevauchements par l'arrière. - (c) Un poinçonnement par ce même prisme sédimentaire, qui s'enfonce vers l'arrière dans le bourrelet plissés des parties plus internes, surélevées, de la nappe. Ce bourrelet tend alors à basculer vers l'avant, sur le prisme sédimentaire progradant : au total la géométrie résultante s'apparente à un encapuchonnement, à ceci près que ce n'est pas la nappe qui joue ici le rôle du poinçon. - (d) Un débordement final des alluvions par dessus le bourrelet frontal, avec appui de ces dernières sur la partie de nappe encore en déplacement, (désolidarisée par une déchirure coulissante de celle soumise au blocage frontal).
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
[1] M. GIDON & J.L. PAIRIS, C.R. Acad. Sci. Paris, 307, série II, ,1988, p.1283-1288.
[2] P.C. de GRACIANSKY, Carte géologique de la France à 1/50.000°, feuille Digne, 1982, B.R.G.M. Orléans.
[3] P. GIGOT, C.R. Acad.Sc. Paris, 276, série D, 1973, p.1123-1126
[4] M. JORDA, P.ROIRON & J.-L.VERNET, Géol. Alpine, t. 64, 1988, p. 49-60.
[5] D. ELLIOTT, Eos, 62, 1981, p.397.
[6] C.K. MORLEY, American Ass. of Petroleum geologists Bull., 70, n°1, 1986, p.12-25.
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