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129 - C. R. Acad. Sci. Paris, t. 306, Série II, p. 227-230,1988 227

Tectonique/ Tectonics

Note présentée par Reynold BARBIER.

Directions de transport au front de la nappe de Digne (Chaînes subalpines méridionales)

Thierry FAUCHER, Maurice GIDON, Jean-Louis PAIRIS et Georges MASCLE

Résumé - La microtectonique permet de distinguer deux étapes de déformation caractérisées respectivement par une direction de raccourcissement orientée N30 et N80. Ceci est en bon accord avec l'hypothèse d'une évolution continue du charriage, d'abord par poussée arrière puis par glissement gravitaire épiglyptique, durant le Néogène.

Directions of transport of the Digne thrust (SE France)

Abstract-A microtectonic study allows to distinguish two successive events with a shortening direction oriented respectively N30 and NXO. This is in good agreement with the hypothesis of a continuous evolution of the deformation which started with a push on the back and continued with gravitational sliding.


 

La nappe de Digne constitue le bord occidental du vaste Poinçon d'Aspres-Rouaine [I] qui est un élément fondamental de la tectonique des chaînes subalpines sud-orientales. On sait que l'étude des structures développées dans son avant-pays suggère que le déplacement principal de la nappe s'est fait selon une direction probablement unique, estimée à N30, mais qu'il a dû s'accommoder, au front du charriage, avec des déplacements divergents plus E-W [2]. De plus on a mis en évidence l'intervention de deux processus de mise en place: une poussée par l'arrière [3] et un glissement gravitaire épiglyptique [4].

Pour éprouver ces interprétations l'un de nous (T.F.) a effectué une étude microtectonique des abords du front de la nappe, en vue de déterminer les orientations des axes déformations et, à partir de là, les directions de mouvement de la nappe. On doit rappeler à ce propos que, dans une nappe, la direction du déplacement est, selon l'endroit et le mode de charriage, voisine de l'un ou l'autre des axes principaux X ou Z (fg. 1) [5]. Dans l'exemple étudié on peut l'assimiler le plus souvent à l'axe Z puisqu'on s'est limité à l'étude de la partie frontale d'un charriage reconnu comme épiglyptique.

 

RÉSULTATS DES MESURES. - La détermination des axes principaux de la déformation a été obtenue en mesurant les surfaces de schistosité et celles des plans striés dans 44 stations réparties le long du front de la nappe et sélectionnées en fonction de la seule qualité des observations qui y étaient praticables ( fg. 2). Les plans de fracture ont été analyses par la méthode classique des <· Diédres droits » [6].

Plusieurs stations montrent des superpositions de déformations; parmi ces dernières on a donc effectué un tri et laissé de côté celles que leurs caractéristiques d'orientation et d'ancienneté relative portent à mettre en relation avec les structurations déjà reconnues comme antérieures à la mise en place de la nappe [2]. Les déformations restantes se répartissent alors en deux familles, caractérisables par leur direction de raccourcissement maximal ( fg. 2): dans la première (A) Z est proche de N20 à N30; dans la seconde (B) Z est proche de N80. A priori les familles ainsi individualisées peuvent réunir artificiellement des déformations d'âge différent. Toutefois l'homogénéité de chaque famille incite à considérer qu'elles caractérisent chacune un processus de mise en place propre.

L'analyse des stations montrant des plans polystriés révèle, chaque fois qu'une chronologie est possible, que la déformation B est tardive par rapport à la déformation A; ceci est particulièrement net pour les stations CHI31, CAI40 et LAR42, pourtant échelonnées sur une bonne longueur du front de la nappe. D'autre part il est important de noter que les deux familles de déformations affectent l'une et l'autre les couches de la formation mio-quaternaire de Valensole.

 

DISCUSSIONS ET INTERPRÉTATIONS. - La famille des déformations A, où Z est orienté N30, se traduit selon les points par une compression ou un coulissement. Ceci paraît relever d'une interprétation déjà envisagée [2] qui met en jeu des déchirures obliques au front de la nappe dans cette dernière et dans l'avant-pays. Par suite de sa précocité et de son caractère en aucun cas distensif elle paraît devoir être rapportée à la phase de mise en place initiale, sans doute par poussée arrière, envisagée par les auteurs antérieurs [3].

La famille B est représentée de façon plus ubiquiste (sans doute du fait de son âge plus récent). Elle se singularise en outre par un passage, en certains points, non seulement au régime coulissant, mais meme au régime extensif: ceci va en faveur de son attribution à un processus de mise en place gravitaire et à son identification avec l'étape de glissement épiglyptique reconnue par les divers auteurs [4]. De plus elle montre des variations de direction sensibles: on peut penser que celles-ci traduisent, comme on l'avait effectivement proposé [2], I'intervention d'influences locales et notamment d'effets morphotectoniques.

L'âge précis de ces deux familles de déformations reste discutable pour la majorité des points: Une hypothèse séduisante serait de considérer qu'elles s'inscrivent dans les variations plus générales de l'orientation du champ de contraintes, mises par ailleurs en évidence pour le Néogène [7]; en effet les directions mesurées au front de la nappe de Digne sont en bon accord avec celles de la contrainte principale maximale proposée respectivement pour le Miocène inférieur et pour le Miocène tardif-Actuel.

Toutefois des déformations de la famille A ont été observées jusque dans le sommet de la formation de Valensole: elles sont donc intervenues bien plus tard que le Miocène supérieur. Ceci est à rapprocher de la présence de structures tectoniques et sédimentaires attribuables à ce contexte de déformation dans toute la formation miopliocène de Valensole [8].

Ces faits impliquent donc plutôt que le déplacement N30 s'est exercé pendant un laps de temps considérable et qu'il représente bien le phénomène le plus fondamental puisque le plus permanent dans la mise en place de la nappe. Ceci porte à penser que les mouvements d'E en W représentent plutôt une conséquence secondaire du déplacement vers le SSW que l'effet d'une phase indépendante tardive: ces mouvements sont sans doute attribuables à un échappement latéral, par glissement vers le bassin de Valensole en cours de subsidence et de comblement sédimentaire [2]. Par ailleurs diverses structures ([2], [8]) témoignent de la reprise par un raccourcissement plutôt N-S de dispositions obtenues antérieurement par du raccourcissement plutôt E-W. De fait si l'avancée de la nappe comporte une composante de coulissement le long de son front, les déplacements secondaires, générateurs des déformations B, se sont probablement déclenchés successivement, et non de facon synchrone, d'un point à l'autre de ce front, et ont pu ainsi être repris par la suite.

 

CONCLUSIONS.-L'analyse microtectonique confirme donc qu'en chaque point du front de la nappe de Digne deux étapes de mise en place au moins sont bien intervenues: A. Un déplacement du N vers le S (azimut N30), sans doute par poussée arrière. B. Des déplacements d'E en W, apparus tardivement dans tous les cas où, lors des mesures microtectoniques, une datation relative a été possible. Ces derniers sont plus ou moins divergents d'un point à l'autre et attribuables à un glissement épiglyptique, parfois gravitaire.

Ces deux étapes sont intervenues à l'intérieur du créneau chronologique mioquaternaire. Elles ne correspondent probablement pas à deux phases de déformation distinctes, mais plutôt à deux processus successivement mis en uvre en chaque point du front de la nappe, sans doute de façon diachrone, au fur et à mesure de sa progression. Ceci semble en bon accord avec l'importance du coulissement reconnu [2] le long du bord occidental de la nappe.

 

Note recue le 18 novemhre 1987, acceptée le 23 novemhre 1987.

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

 

[I] J.-L PAIRIS, M. GIDON, P. FABRE et A. LAMI, C. R. Acad. Sci. Paris, 303· série ll, 1986· p. 87-92. [2] M. GIDON et J.-L. PAIRIS, C. R. Acad. Sci. Paris, 303· série ll, 1986, p. 981-984. [3] W. B. SIDDANS, Journ. struct. Geol., 1, n° 2· 1979, p.117-126. [4] P. GIGOT, C. GRANDJACQUET et D. HACCARD, Bull. Soc. Géol. Fr., 7· nc 16· 1974, p. 128-139. [5] O. MERLE, Thèse 3e cycle, Rennes, 1982, 147 p. [6] J. ANGELIER, Bull. Soc. Géol. Fr., 19, n° 6, 1977, p. 1309-1318. [7] F. BERGERAT, Rev. Géogr. Phys. Géol. Dyn., 23, f. 5, 1987, p. 329-343. [8] J. L. PAIRIS et M. GIDON, Géol. alpine, H.S. 13, 1987, p. 417-426.

 

Université scientifique, technologique et médicale de Grenoble, Institut Dolomieu, 15, rue ·.-Gignoux, 3·3031 Grenoble Cede·; U.A. C.N.R.S. n° 69, Géologie alpine, publication n' 780.

 

 

 

 

Fig. 1. - Tableau montrant la relation entre l'axe principal de déformation et la direction de déplacement

d'une nappe selon la nature du moteur et le mode de transport (d'après [5]).

 

Fig. 1. - Table showing how the axis of ·he deformation characterlzing the displacement direction is function of

the nature of the driving mechanism and the transport modality (from [5]).

Fig. 2. -Cartes des directions de déformation aux alentours du front d'érosion de la nappe de Digne: Carte A=famille A; carte B=Jamille B. Noter que lorsque la direction de Z est seule représentée celà traduit un régime en compression, à l'exception des stations LAR42, PIE39, FCA38, SBA37, ROB2 et PBL29, pour lesquelles X et Y restent indéterminés (mesures de schistosités sans linéations d'étirement).

 

Fig. 2. -Maps of the deformation directions, along the erosion front of the Digne thrust: Map A: A deformation; Map B: · deformation.