Maurice Gidon ('), Jean-Louis Pairis (l)
Géologie de la France, n° 4 1986, p.417-432, 9 fig. Manuscrit déposé le 27 mars 1985.
Résumé
Le redent autochtone de Turriers n'est pas dû à une érosion en demi-fenêtre de la nappe de Digne mais à des déchirures ouvrant un hiatus dans le front de celle-ci et jouant dans une certaine mesure le rôle de « rampes latérales ·; les lobes ainsi séparés ont divergé de telle sorte que la région de Turriers n'a jamais été recouverte par le charriage: seules ses bordures présentent des structures dues à un écaillage par entraînement sous la nappe. L'unique témoin d'une véritable unité allochtone dans la cuvette de Turriers est une klippe de Crétacé inférieur, passée totalement inaperçue jusqu'ici et qui appartient à une unité supérieure à la nappe de Digne. Ces observations conduisent à modifier considérablement les schémas structuraux proposés jusqu'alors pour cette région, et en particulier, celui de la carte géologique de Seyne à 1/50 000 récemment parue.
Abstract
The Digne Thrust is a major structural patttern of the framework of the Southern Subalpine ranges. South of the Dôme de Remollon it is divided into two main lobes which moved westward through lateral faulting on both sides of an autochtonous district llere named the « Redent de Turriers ». Thus this district was not subjected to the thrusting induced by the movement of the Digne thrust in the adjoining areas. In some respects this looks like a structure resulting from lateral ramps; lhe differel!ce lies in the occurence of tearhlg through the thrust sheet an lack of overthrusting between lateral faults. This probably results from a pull-apart coming from a former N-S-trending expansion and wrench-faulting. This pull-apart caused rifting and diapirism to the North, inside the Dôme de Remollon, and to the South along the lineament de Clamensane. It is therefore a good example of a false half-fenster born from a local gap in a thrust.
I - INTRODUCTION
On sait que la tectonique des chaînes subalpines méridionales est fortement marquée au sud de Gap, par l'apparition de la nappe de pigne; les terrains de cette nappe participent, entre Gap et la vallée de la Durance, à un vaste pli anticlinal d'ampleur décakilométrique, le dôme de Remollon. La région de Turriers, que nous allons examiner ici, se place aux confins méridionaux de ce dôme, où le front de la nappe dessine un grand redent cartographique (Fig. 1 ) .
Les complications structurales de ce secteur ont suscité des interprétations divergentes, particulièrement sur l'appréciation du degré d'autochtonie ou d'allochtonie des divers ensembles litho-structuraux qui y apparaissent. En dehors de ces points d'interprétation, nos observations sont par ailleurs souvent en désaccord avec les indications de la feuille Seyne (carte géologique de la France à 1/50 000 n° 894), récemment publiée. Le but de la présente note est de réexaminer la structure de la région de Turriers à la lumière de données de terrain nouvelles, en particulier de celles - trop négligées jusqu'à présent qu'apporte l'étude stratigraphique détaillée des Terres noires.
II - LES DONNÉES FONDAMENTALES
11.1 - Le cadre paléogéographique du Lias et du Dogger
Nombre des raisonnements structuraux qui ont été faits dans cette région sont basés sur la paléogéographie du Lias et du Dogger. En effet cette partie de la série stratigraphique varie fortement, à la fois par le jeu des changements d'épaisseur et de faciès des couches, et par l'existence locale de lacunes plus ou moins importantes. Ces variations conduisent · distinguer, quatre types de succession stratigraphique (Fig. 1):
- des séries épaisses, puissantes de 1000 m et plus, où prédominent les faciès hémipélagiques, souvent marneux; le type en est celle du dôme de Remollon, que l'on rencontre dans la nappe de Digne jusqu'au-delà de Barles, en direction du S;
- des séries intermédiaires dont la puissance totale est égale à la moitié ou au tiers de celle des précédentes, sans cependant que l'on puisse y relever de modifications notables des faciès et des épaisseurs relatives des niveaux; elles apparaissent dans la région frontale du lobe de la nappe de Digne (La Saulce), ainsi que dans l'écaille de Barcillonnette;
- des séries réduites, surtout caractérisées par des condensations et des lacunes dans l'intervalle Lias moyen/Aalénien, ainsi que par l'apparition de faciès plus néritiques et/ou à silex. De telles successions intéressent plus précisément l'écaille de Valavoire - dont les affleurements les plus septentrionaux se rencontrent entre Turriers et Bayons;
- des séries très réduites, d'épaisseur seulement décamétrique à hectométrique, à Lias inférieur très aminci; les lacunes y sont très importantes de sorte que le Bajocien calcaire, souvent réduit à quelques mètres, repose directement sur le Lias inférieur - représenté parfois par le seul Hettangien. Ce sont précisément de telles séries qui caractérisent les affleurements du secteur de Turriers.
Bien que les unités tectoniques s'opposent souvent par les caractères de leur série liasique, il existe des passages latéraux, d'un type à l'autre, au sein d'une même unité, par exemple dans les Écailles de Faucon (M. Ehtechamzadeh-Afchar et al., 1973) et dans la nappe de Digne elle-même: il n'est donc pas justifié de chercher à caractériser - et partant à reconnaître - une unité tectonique par son type de série, non plus que d'intégrer dans une unité unique toutes les séries présentant le même degré de réduction; c'est pourtant sur de telles bases qu'ont été étayées plusieurs des interprétations que nous réfuterons dans cette note.
11.2 - La stratigraphie des Terres noires
Un des traits remarquables de la région de Turriers est la grande superficie qu'y occupent les Terres noires. Au sein de ces marnes du Jurassique moyen et supérieur, épaisses et monotones, l'organisation tectonique ne peut être déchiffrée qu'à l'aide d'une analyse stratigraphique suffisamment fine - à laquelle aucun auteur ne s'était livré jusqu'à ce jour (et qui n'existe pas sur la feuille Seyne). D'autre part, la connaissance du détail des faciès de ces Terres Noires est nécessaire pour bien les distinguer des autres formations marneuses de la région (du Domérien, du Toarcien supérieur et de l'Aalénien inférieur, du Crétacé inférieur ou du Nummulitique) ; de fait, leur confusion avec ces différents niveaux a été à l'origine d'erreurs d'interprétation structurale:
Le découpage en différents termes est fondé sur l'existence de niveaux repères, à limites d'ailleurs floues, qui sont relativement isolés au sein de marnes mal différenciées : aussi est-il parfois difficile de dire, sur un affleurement restreint. à quel membre de la formation il se rapporte. La succession de ces termes peut s'analyser dans des conditions particulièrement favorables à l'W de Turriers, le long des ravins affluents du torrent de Très Pébes (Fig. 3 et 4); elle est comparable, à des variations de détail près à celle du bassin de Laragne (P. Artru, 1972 ; M. Gidon, in Moullade et al., sous presse).
Si l'on néglige les détails de la succession qui sont susceptibles de varier ou de n'être plus observables en cas de conditions d'affleurement médiocres, on peut retenir un découpage en cinq membres, soit de bas en haut:
- Terres noires basales, recouvrant transitionnellement les calcaires alternés de marnes du Bajocien inférieur et moyen: il s'agit d'abord de calcaires très argileux, feuilletés, formant des bancs mal individualisés de 0,5 m à 1 m, parmi lesquels se rencontrent quelques bancs isolés plus franchement calcaires, à patine claire ou brunâtre, épais de 0,5 m à 2 m; plus haut (et sur une épaisseur variable) on passe à des marnes à patine finement nervurée par des lits millimétriques orangés ou, plus rarement, bruns. Ce terme est attribuable au Bajocien supérieur et peut-être à la base du Bathonien: son épaisseur oscille entre 200 m et 400 m;
- Terres noires inférieures, caractérisées par l'apparition de plaquettes calcarénitiques bioturbées roussâtres; ces plaquettes, d'épaisseur au moins centimétriques, se groupent en bancs de 0,1 à 0, 3 m, eux-mêmes rassemblés en une dizaine de faisceaux de 5 à 20 m d'épaisseur chacun ; la datation par encadrement permet d'attribuer ce terme, pour l'essentiel au moins, au Bathonien ; son épaisseur avoisine 300 m;
- Terres noires moyennes, peu différenciées, souvent feuilletées de fines plaquettes bioclastiques millimétriques voire centimétriques qui ne sont jamais groupées en bancs. On y trouve, avec un espacement pluridécamétrique, des amas de miches grises méandriformes de 20 à 50 cm de diamètre, ainsi que des bancs isolés décimétriques (0,1 m à 0,3 m), plus calcaires et plus clairs (qui nous ont par ailleurs livré des Reineckeia, plus au SW, près de Clamensane). Ce terme représente l'essentiel du Callovien; il atteint une épaisseur moyenne de 500 m;
- Terres noires supérieures, individualisées par la présence de miches discoïdes. A la base, et sur 10 à 30 m en général, les miches ne dépassent pas 1 à 2 cm d'épaisseur pour un diamètre de 5 cm; leur teinte (en patine et en cassure) est brun sombre: ce sont les « nodules chocolat » ; les fossiles indiquent le Callovien supérieur (zones à Athleta et à Lamberti). Plus haut les miches sont plus grosses (5 cm x 15 cm), et de teinte grise; il s'agit alors de l'Oxfordien inférieur (zones à Mariae et à Cordatum), en général peu épais (10 à 30 m, et parfois moins). En effet dans cette région une partie de cette assise peut manquer et se retrouver, remaniée, dans la base du membre sus-jacent;
- Terres noires terminales, caractérisées par la présence de bancs décimétriques (5 à 15 cm) de calcaires durs à grain fin, à patine pourpre ou ocreuse; ces bancs, sont espacés irrégulièrement en moyenne de quelques mètres; par ailleurs de rares bancs métriques de calcarénites argileuses jaunâtres, qui se débitent en plaquettes centimétriques assez analogues à celles des Terres noires inférieures, s'y intercalent. Ce membre se situe vers la limite Oxfordien inférieur/Oxfordien moyen (zones à Plicatilis et Transversarium); il atteint une épaisseur moyenne de 200 m et passe, progressivement vers le haut, aux marno-calcaires de l'Oxfordien moyen à supérieur de faciès Argovien.
Il faut bien remarquer qu'il y a dans l'ensemble de la formation des Terres noires, dont l'épaisseur dépasse globalement 1000 m partout, des variations assez notables des caractères de détail et de l'importance des divers termes: on note ainsi par exemple, dans la partie orientale de la cuvette de Turriers, au N de La Frayssinie:
- une interstratification régulière de bancs calcaréo-argileux plus nombreux, dans les Terres noires basales;
- un grand développement des niveaux de plaquettes dans les Terres noires h1férieures (sans d'ailleurs que l'épaisseur de ce membre soit beaucoup modifiée);
une diminution d'épaisseur (jusqu'à moins de 10 m), des Terres noires moyennes (il n'est pas possible de préciser, en l'absence de données paléontologiques suffisantes, si ce phénomène est dû à une variation latérale de faciès ou à une condensation du Callovien);
- une relative raréfaction des bancs de calcaires pourpres des Terres noires terminales, au profit des plaquettes jaunâtres .
II.3. Le cadre structural
On sait que la nappe de Digne, charriée vers le SW à la fin du Néogène, possède une individualité bien soulignée tant par l'opposition entre sa série et celles de son avant-pays que par la présence d'une semelle de Trias qui souligne son chevauchen1ent, de sorte que son front se suit aisément. Toutefois dans le secteur de Turriers, à partir d'Astoin du côté S et jusqu'à Faucon du côté NW (Fig. 1 et 2), le Trias et le Lias calcaire de la base de la nappe cessent d'affleurer tandis que les termes les plus élevés de sa série se poursuivent latéralement sans discontinuité, formant en particulier le dôme de Remollon. Sur la bordure W de ce dernier le dispositif habituel se reconstitue avec le chevauchement de La Saulce: tout indique donc que la nappe se poursuit, bien au NW de Turriers, jusqu'au-delà de la vallée de la Durance (Fig. 1). Dans tout le secteur d'interruption de la semelle triasico-liasique de la nappe, la limite W des terrains charriés dessine un redent vers le NE - le Redent de Turriers - et ceinture ainsi une dépression - la Cuvette de Turriers - presque entièrement ouverte dans les Terres noires.
Ces Terres noires affleurent systématiquement en contrebas de terrains plus anciens constituant les reliefs qui enserrent la cuvette, à l'E comme au N. D'autre part le Lias et le Dogger qui affleurent localement dans cette cuvette appartiennent à une série très réduite et s'apparentent évidemment en cela, à l'autochtone habituel de la nappe. Ces deux faits convergent pour étayer l'idée, exposée pour la première fois par P. Petiteville et R. Rivoirard (1959), que la cuvette de Turriers représente une demi-fenêtre montrant le soubassement de la nappe de Digne. Cette conception qui n'a été remise fondamentalement en question par aucun auteur, mérite, comme nous le verrons. d'être sensiblement nuancée.
La situation tectonique des pointements de Lias et de Bajocien calcaire réduits qui affleurent dans la moitié occidentale de la cuvette de Turriers a, au contraire, été différemment appréciée par les auteurs; si tous considèrent que ces couches appartiennent à l'autochtone relatif de la nappe de Digne, ils envisagent par contre, à l'exception de P. Petiteville et R. Rivoirard, leur appartenance à un système d'écailles développé au sein de cet autochtone, et ne s'accordent plus alors ni sur la géométrie, ni sur le sens et la cause du déplacement de ces unités. Les nouvelles précisions apportées par notre étude permettent d'éclairer ce problème d'un jour nouveau.
III - STRUCTURE DE LA CUVETTE DE TURRIERS
Notre cartographie - notamment celle des différents termes des Terres noires - donne désormais une idée précise de la structure de la cuvette de Turriers en dépit de quelques ambiguïtés dues à l'importance du Quaternaire.
Dans cette cuvette deux ensembles naturels peuvent être distingués (Fig. 2). Le premier, situé à l'E de l'alignement subméridien de reliefs qui court de Turriers à Bellaffaire sera appelé Dépression orientale de 'Turriers: il a été considéré très généralement comme autochtone. L.e second, ou Dépression occidentale de Turriers inclut ces reliefs et les secteurs situés plus à l'W; c'est lui qui a fait l'objet d'hypothèses allochtonistes.
III.1 - La dépression orientale (Fig. 2 et 6)
Elle est particulièrement encombrée par le Quaternaire (surtout morainique) et par les glissements de terrain. Sous ces formations n'affleurent que des marnes attribuées en totalité. jusque là, à des Terres noires indifférenciées. En fait une partie de ces marnes n'est pas de cet âge et appartient à une unité allochtone nouvelle que nous étudierons plus loin (§ 5). Les véritables Terres noires, qui forment néanmoins l'essentiel des affleurements, ont une disposition tectonique fort simple, comportant seulement deux structures notables.
111.l.1 - Le synclinal des Martins
Ce pli, d'axe subméridien, très ouvert, montre un coeur de Terres noires sommitales aux abords du village des Martins. Il constitue la structure majeure du secteur qui se partage ainsi entre son flanc oriental et son flanc occidental, Ce dernier, plus large, s'étend jusqu'à Turriers, où réapparaissent les Terres noires moyennes, inférieures et basales, ces dernières formant l'échine de Piaure, au S du village .
111.1.2 - I,e chevauchement des Sarces
Cet accident - mineur - redouble la série du flanc W du synclinal des Martins. Il s'agit d'une faille pentée de 300 environ vers le SE (et non pas verticale, comme indiqué sur la feuille Seyne), qui fait chevaucher des Terres noires moyennes sur les Terres noires terminales, au Rocher des Sarces, quelques bancs :l'Argovien sont même présents SOIIS les niveaux chevauchants représentés ici par les marnes à nodules chocolat de la base des Terres noires supérieures. Au-delà de ce point en direction du NE, on perd la trace de cet accident - qui ne saurait se prolonger sans subir une torsion vers le N car il n'affecte pas les Terres noires du flanc E de la structure des Martins. Une telle inflexion de son tracé, pour indémontrable qu'elle soit eu égard à la pauvreté des affleurements et des repères stratigraphiques, ne serait pas invraisemblable car elle serait alors analogue à la torsion que manifestent à la fois l'axe du synclinal et la faille qui tronque ce dernier vers le S en limitant dans cette direction la dépression orientale de Turriers (Faille des Sagnes, Fig. 2).
111.2 - La dépression occidentale, et la question de sa série réduite
Nous avons vu que la dépression occidentale de Turriers se caractérise par la présence d'affleurements liasiques que l'on doit tous rapporter aux séries très réduites. La répartition assez discontinue de ces affleurements, leurs rapports parfois brutaux avec les Terres noires et leur disposition souvent renversée ont pu les faire attribuer à des unités allochtones conçues selon plusieurs schémas distincts:
- allochtonie du seul Lias par rapport aux Terres noires, en une unité dite « parallochtone » (C. Rousset, 1976 et 1983);
- allochtonie d'une « Unité de Turriers »" formée de Lias et de Terres noires par-dessus le Nummulitique de Faucon-Gigors (P. Gigot e· al., 1974);
- allochtonie de l'ensemble des terrains de la dépression occidentale par rapport à ceux de la dépression orientale (M. Ehtechamzadeh-Afchar et al., 1973).
En fait, aucune de ces hypothèses ne rend compte de façon satisfaisante des relations réelles entre les assises; nous avons pu le constater aussi bien au N qu'au S du vallon de Gigors-Bellafaire:
111.2.1 - Le secteur septentrional (au N de Gigors et de Bellafaire):
Il n'y a pas ici de terrains plus récents que les Terres noires; c'est par erreur que la feuille Seyne indique comme affleurements nummulitiques les gros blocs d'un éboulement ancien descendu du revers N de la Tête de la Plane et fortement disséqué par l'érosion.
Les Terres noires qui affleurent dans les pentes de la montagne de la Tête du Pape et dans la gorge du torrent de Clapouse représentent la couverture stratigraphique d'une succession liasique très réduite. Elles ne sont séparées du Lias par aucun contact tectonique contrairement aux indications de la feuille Seyne: en effet leur semelle de Bajocien calcaire est directement transgressive sur ce Lias (la plupart du temps sur l'Hettangien) et son épaisseur ne varie qu'en raison de l'existence de biseaux stratigraphiques .
Les affleurements liasiques appartiennent à deux ensembles superposés que sépare une surface de dislocation presque horizontale dont on peut suivre la trace à flanc de versant depuis les abords de Gigors jusque dans le versant N de la Tête du Pape. Cet accident, déjà signalé antérieurement (M. Ehtechamzadeh-Afchar et al., 1974) mais non représenté sur la feuille Seyne, peut être appelé le Chevauchement du Pape. De part et d'autre de ce clivage s'observent deux dispositions structurales bien différentes:
111.2.1.I -- L'anticlinal de la Tête du Pape est le trait fondamental de l'ensemble supérieur. C'est un pli à coeur liasique dont l'axe. presque horizontal, est orienté SW-NE (environ N 45 à la Tête du Pape, il s'infléchit pour se rapprocher de N 90, vers le SW aux abords de Gigors). L'ensemble du pli, avec ses replis secondaires de toutes tailles - de même que la schistosité développée dans ses Terres noires - est nettement déversé vers le SE. Enfin ce pli est tronqué de deux façons sur les limites de la montagne de la Tête du Pape: au NE par le chevauchement du Pape (qui tranche à la fois ses deux flancs pour les faire reposer par troncature basale sur les Terres noires de l'unité inférieure) et au NW par la faille du Grand Vallon (M. Ehtechamzadeh-Afchar et al., 1974) qui biseaute longuement son coeur liasique.
111.2.1.2 - L'antiforme de Bellafaire commande la disposition de l'ensemble inférieur. Il s'agit d'un vaste pli. bien visible dans les Terres noires au N de Bellafaire et qui est également indiqué par les variations de pendages de cette formation au S de ce village (Fig. 3); son axe, faiblement plongeant vers le N est lui aussi orienté SW-NE. Une schistosité d'azimut moyen N 45, plus ou moins fortement inclinée vers le NW, y est bien développée; elle y est reprise par crénulation dans les schistosités d'azimuts plus méridiens (N 100 à N 16()) que l'on rencontre plus habituellement dans ce secteur (de tels rapports sont bien visibles dans les Terres noires de la butte de Bellafaire - d'ailleurs attribuées inexactement au Domérien de la nappe sur la feuille Seyne).
Les Terres noires qui forment l'essentiel de ce pli appartiennent surtout au membre basal de la formation; elles sont renversées, de sorte que les Terres noires inférieures à plaquettes roussâtres du coeur synclinal pointent un peu plus au S, le long de la route Bellafaire-Turriers (au S du sommet 910, fig. 3) et que sur la voûte de antiforme on trouve successivement vers le haut le Bajocien calcaire (souvent mince) puis le Lias, et enfin le Trias, en série continue.
La série renversée s'étend vers le S jusqu'à un accident chevauchant, orienté presque E-W, penté vers le N, observable dans le ravin de Très Pébes. et par lequel elle repose sur la série normale qui, des Terres noires au Nummulitique, monte à la Tête de La Plane (Fig. 4). Notons tout de suite ici que la cartographie suggère que cet accident pourrait n'être que le prolongement, dans les parties basses de l'édifice, du chevauchement de la Tête de La Plane (Fig. 3): ce dernier se manifeste de façon très visible à l'E de ce sommet en y rebroussant le Nummulitique en crochon, sous l'avancée d'une épaisse lame de Terres noires (non représentée sur la feuille Seyne). La vergence SW de ce dispositif permet de l'assimiler à un repli d'entraînement lié au chevauchement de la nappe de Digne (M. Ehtechamzadeh-Afchar et al., 1974): c'est en tout cas une structure effectivement tardive, car associée aux schistosités N 100 à N 160 qui reprennent celles, plus proches de N 4(1, de l'antiforme de Bellafaire.
111.2. I .3 - Conclusion
En définitive, dans tout ce secteur, il y a prédominance de structures allongées dans le sens SW-NE. qui ne s'accordent pas du tout avec la direction plutôt SE-NW des plis qu'aurait pu induire la nappe de Digne dans son avancée vers le SSW; par contre. de telles directions, très peu courantes dans les chaînons subalpins méridionaux se rencontrent précisément non loin de là. dans les écailles de Faucon: ceci a conduit à considérer que la Tête du Pape appartiendrait à ce dispositif (M. Ehtechamzadeh-Afchar et al., 1974), en dépit du déversement actuellement opposé (vers le SE) de son unité supérieure. En fait ce modeste déversement et le sectionnement du pli par le chevauchement du Pape doivent être vraisemblablement attribués à un effet de compression lors de l'avancée vers le SSW du rebord de la nappe (§ 3.3.).
111.2.2- Le secteur méridional (environs de Turriers, fig.- 3):
111.2.2.1 - Le Lias forme ici des affleurements discontinus et de dimensions très inégales. Ce morcellement a pu suggérer qu'ils représentent autant de klippes découpées par l'érosion (C. Rousset, 1976 et 1983). Pourtant cette explication n'est adéquate dans aucun cas puisque. loin de reposer sur les Terres noires de tous côtés, le Lias s'enfonce toujours sous ces dernières, en général d'ailleurs sur la limite E de ses affleurements. En fait, deux cas sont à distinguer -
- Les affleurements de Turriers et de La Garenne (à l'W de Turriers). Le Lias, simplement décalé par le décrochement dextre de la faille de La Garenne, y forme une grande dalle subméridienne, verticale dans sa partie basse mais qui se renverse rapidement par-dessus les Terres noires dans sa partie haute. Le sommet de la succession liasique (4ui se trouve du côté W), passe en continuité stratigraphique au Bajocien, puis aux Terres noires (sans contact anormal, contrairement à ce 4u'indique la feuille Seyne à La Garenne). Il s'agit donc sans aucun doute de la base de la série stratigraphique qui culmine avec le Nummulitique à la Tête de La Plane (Fig. 4) et il est par conséquent impossible d'envisager ici une allochtonie du Lias par rapport au Tertiaire.
- Les affleurements au NE de Turriers (le long de l'échine qui depuis l'oratoire des Vignes se dirige vers Bellafaire): ici le Lias et le Bajocien calcaire ont une disposition effectivement discontinue et même plutôt désordonnée (Fig. S), évoquant des fragments de série stratigraphique juxtaposés dans le désordre. Aucune structuration tectonique par plis, failles ou écaillage n'est susceptible de rendre compte de ce dispositif: nous l'attribuons donc · une inclusion synsédimentaire d'olistolites dans les Terres noires. Plusieurs données complémentaires appuient cette manière de voir:
- il existe effectivement des lambeaux de Lias et de Bajocien calcaire totalement isolés dans des Terres noires apparemment non perturbées: le plus net est un bloc d'Hettangien un peu arrondi, de quelques mètres de diamètre, qui affleure dans de parfaites conditions à une cinquantaine de mètres au NNW de l'oratoire des Vignes; le plus volumineux, situé aux abords du point coté 892 (1800 m au NNE de Turriers) est un bloc de Domérien qui mesure environ 30 m sur 100; à sa périphérie, ses bancs se fragmentent en blocs métriques et en galets décimétriques qui se disséminent dans les Terres noires encaissantes;
- la présence de Domérien est inexplicable par la seule tectonique, car dans tous les autres affleurements de la cuvette de Turriers, le Bajocien repose directement sur le Sinémurien ou l'Hettangien; ce n'est que dans des séries moins réduites (que l'on ne connaît qu'au SW d'Astoin et dans la région de Clamensane, dans l'écaille de Valavoire), que l'on trouve du Domérien sous le même faciès: il ne peut donc s'agit que d'un olistolite provenant de ce domaine relativement lointain;
- les inclusions de blocs exotiques au sein des Terres noires ne se localisent pas seulement entre Les Vignes et Bellafaire: nous en connaissons pour l'heure deux autres exemples, au SW de Turriers. Le premier, constitué de Bajocien calcaire, est situé au N de la ferme Gourdinot. L'autre, observable 200 m plus à l'W, dans le ravin de la ferme de l'Aco de Mélet, est constitué de Bajocien et de Sinémurien(la feuille Seyne n'indique en ce point qu'un affleurement de gypse triasiq1le - que nous n'avons pas retrouvé) .
111.2.2.2 - quelques autres particularités relevées à l'W de Turriers sont à signaler car elles attestent de déformations qui ne peuvent en aucune façon être attribuées à des effets d'entraînement par le déplacement vers le SSW de la nappe de Digne. Il s'agit:
- du développement d'une schistosité très redressée, orientée SW-NE très comparable à celle de l'antiforme de Bellafaire. Nous l'avons observée notamment dans le versant S de la butte de La Garenne où elle se dispose en plan axial par rapport au pli provoquant le renversement de la dalle liasique; elle témoigne d'un épisode de serrage SE-NW;
- de la présence d'une famille de failles plates, bien visibles dans les ravins du versant S de la Tête de I.a Plane, et encore mieux dans la rive droite du ravin de Très Pébes (versant W de la butte de La Garenne, Fig. 4). Les crochons qu'on y rencontre indiquent sans ambiguïté un déplacement vers le SE du compartiment supérieur, ce que confirment les rejets - dont la valeur, assez modeste (5 à 10 m), permet de retrouver les repères stratigraphiques de détail observables dans les Terres noires. I à encore, les mouvements traduisent un serrage SE-NW et un sens de cisaillement en chevauchement vers le SE, qui est comparable à celui manifesté par l'anticlinal de la Tête du Pape.
111.2.2.3 - Conclusion. En définitive, le secteur de Turriers, comme celui plus septentrional de Gigors-Bellafaire, se caractérise par des plis d'axe SW-NE, principalement déversés vers le NW, et secondairement repris en chevauchement vers le SE. Il ne montre aucune désolidarisation tectonique du Lias par rapport aux autres termes de la série stratigraphique; seuls les chevauchements mineurs et marginaux de La Plane et du Pape peuvent être rapportés à un début d'écaillage induit par l'avancée du lobe NW de la nappe; rien hormis cela, ne peut étayer l'hypothèse de déformations liées. par quelque processus que ce soit, à la mise en place de la nappe de Digne.
III.3 - RELATIONS STRUCTURALES ENTRE LES DÉPRESSIONS ORIENTALE ET OCCIDENTALE DE TURRIERS
Nous avons déjà signalé par ailleurs le problème d'interprétation posé par l'affrontement des Terres noires de la dépression orientale avec la base de série stratigraphique (Rhétien, et même dolomies du Trias) de la dépression occidentale, par l'intermédiaire de la faille de Turriers. Deux hypothèses avaient été retenues (H. Arnaud et al., 1977, p. 31, fig. 16): ou cette fracture abaisse simplement le compartiment de la dépression orientale, ou bien elle marque la trace d'un chevauchement de la série occidentale sur la série orientale ( on pourrait d'ailleurs, a priori, envisager aussi un chevauchement de la série orientale sur la série occidentale. Les données recueillies au N et au S de Turriers permettent désormais de répondre à ces interrogations:
- Vers le S (Fig. 4) la faille de Turriers met à tour de rôle en contact avec les Terres noires de la dépression orientale le Lias de La Garenne, puis le Bajocien et les Terres noires de la dépression occidentale: ces dernières forment à la butte de Piaure un anticlinal déversé vers le NW par lequel se raccordent les couches des deux dépressions; son coeur de Lias et de Trias s'observe un peu plus au S où il a été nommé Anticlinal de Picouse (H. Arnaud e· al., 1977); il y est: également rompu par une faille - la Faille de Bois Lardat- en tous points comparable à celle de Turriers. Ainsi le compartiment E de la faille de Turriers correspond donc au flanc SE, abaissé de l'anticlinal de Picouse tandis que le Lias de son compartiment W appartient au flanc inverse, surélevé, de ce pli; la charnière manque. du fait de l'érosion, à Turriers (Fig. 6).
- Au N de Turriers cette interprétation se confirme: en effet la faille de Turriers, fortement pentée vers l'E et orientée N-S sectionne une charnière anticlinale visible aux abords de la ferme du Luc (Fig. 3). C'est au coeur de cet Anticlinal du Luc, prolongement vraisemblable de l'anticlinal de Picouse, qu'apparaissent les dolomies triasiques que la faille de Turriers met directement en contact, dans le quartier des Vignes, avec les Terres noires de la dépression orientale.
Plus au NE enfin, le tracé de la faille de Turriers semble bien se prolonger par l'accident visible dans les Terres noires du ravin du Lavavour, à 500 m au NE de la ferme du Luc. Au-delà de ce point, on atteint le secteur où doit passer le prolongement oriental du chevauchement de La Plane. Sans doute la faille est-elle décalée par cet accident car on constate clairement qu'elle ne se prolonge pas plus loin en direction du N.
Par contre à la même latitude mais, plus à l'E. apparaît une importante fracture, identiquement orientée N-S, que nous appellerons Faille de M·71ecorr1be, du nom du ravin qui l'emprunte (Fig. 3). Cet accident est injecté par du gypse qui forme une bande à épontes subverticales, large de quelques dizaines de mètres. que l'on suit sur plus d'un kilomètre vers le N jusqu'aux abords de la ferme de Pont de Pierre (le Trias n'est indiqué qu'en ce dernier point sur la feuille Seyne). Plus au N, cette lame de gypse, jalonnée seulement par quelques pointements au travers du Quaternaire. va rejoindre les larges affleurements gypseux du torrent de Clapouse. On trouve là une disposition tectonique identique à celle des abords de Turriers, les Terres noires de la dépression orientale butant contre le Lias renversé de la base de la série occidentale: ces similitudes entre la faille de Turriers et celle de Malecombe constituent Un argument important pour n y voit qu'un accident unique.
- En définitive, la limite entre les dépressions orientale et occidentale de la cuvette de Turriers est constituée par un anticlinal rompu tardivement par des failles subverticales. Il s'agit là d'une structure parfaitement autochtone. Cet anticlinal de Picouse est, en outre, de formation précoce par rapport au charriage de la nappe de Digne, puisque lié au système (syn-oligocène: H. Arnaud et al., 1977) des écailles de Faucon. Le faisceau des failles de Bois Lardat, de Turriers et de Malecombe est par contre relativement plus tardif; il pourrait résulter de mouvements coulissants N-S à NE-SW, éventuellement induits par le déplacement de la nappe, en raison de son orientation et de la torsion dextre que présente la schistosité, à son voisinage A Bellafaire. Quoi qu'il en soit c'est par le jeu de ces failles que le Lias du flanc E de l'anticlinal est abaissé et masqué sous les Terres noires dans la dépression orientale, alors que la charnière du pli, soulevée dans la dépression occidentale est largement disséquée par l'érosion (Fig. 6).
IV- LES RAPPORTS ENTRE LA NAPPE DE DIGNE ET SON AVANT-PAYS
IV.1 - Dans la cuvette de Turriers
On sait qu'entre Le Caire et Gigors, la limite méridionale de la nappe de Digne est constituée par la faille du Grand Vallon ( M. Ehtechamzadeh-Afchar et al., 1974). On voit à l'E, dans le torrent de Clapouse que celle-ci passe à une faille subverticale orientée environ N 20, qui tranche en biseau les couches de la nappe et contre laquelle bute l'autochtone. Au contraire, sur l'autre rive du torrent de Clapouse, un chevauchement par troncature fait reposer les différents termes du Lias de la nappe sur l'autochtone. D'autre part, dans ce secteur, deux accidents, la Faille de La Gineste et la Faille de Bréziers (Fig. 2) affectent la nappe et se raccordent à cette surface de troncature.
C'est par une telle disposition que l'on aurait pu expliquer l'absence plus au S, sur 8 km entre Bréziers et Astoin, de la semelle triasico-liasique de la nappe. De fait on trouve bien, aux abords du village de l a Frayssinie un contact tectonique des Terres noires de la cuvette de Turriers contre l'Aalénien de la nappe. Mais cet accident (qui est reporté I km trop à l'W sur la feuille Seyne, du fait de la confusion entre Aalénien supérieur et Oxfordien), ne peut être un chevauchement qui se raccorderait, en passant à l'W de Bréziers, à celui du torrent de Clapouse; il s'agit au contraire d'une faille subverticale, la Faille de La Frayssinie, qui se prolonge vers le N et s'engage, en passant par Champdarène et les Achards à l'intérieur même de l'ensemble à Lias épais. Elle y rejoint la faille de Bréziers, moins méridienne, de sorte que se trouve délimité entre ces deux fractures un secteur fermé en pointe vers le NE, le Triangle de Bréziers. Contrairement à l'interprétation jusque là retenue, ce secteur n'est pas formé par le Lias de la nappe ni séparé des Terres noires autochtones par le chevauchement de celle-ci (supposé passer à l'W de Bréziers). En effet, il y a continuité stratigraphique des assises, toutes à pendage W, depuis le Toarcien supérieur des Achards jusqu'aux Terres noires terminales des Martins et donc jusqu'au coeur de la cuvette de Turriers (le Bajocien calcaire affleure en une bande subméridienne, axée sur Bréziers même, qui n'avait pas été reconnue jusqu'alors). La série du triangle de Bréziers appartient en fait à l'autochtone - plus précisément au flanc oriental du synclinal des Martins - bien que les faciès y soient ceux, épais, de la série ordinairement charriée: la limite entre la nappe et l'autochtone contourne donc le triangle de Bréziers en empruntant les failles subverticales qui le limitent et ne correspond à aucun chevauchement; soulignons bien en outre qu'elle ne coïncide pas ici avec la limite de faciès entre séries épaisses et très réduites: ce point est crucial pour la compréhension de la structure régionale .
Plus au Sud la faille de la Frayssinie s'infléchit vers l'W pour rejoindre le Serre Blanc (Fig. 2) selon un tracé souvent masqué mais néanmoins bien localisable par les décalages stratigraphiques qu'il provoque, avant d'être soulignée à son extrémité SW par une lame de gypse. Elle se poursuit au-delà par 2 accidents divergents: l'un qui se dirige vers le SW est la faille d'Astoin (M. Ehtechamzadeh- Afchar et al, 1974), qui n'affecte pas l'autochtone sous la surface de charriage de la nappe de Digne; l'autre (faille des Sagnes) s'infléchit progressivement pour devenir finalement WNW-ESE et tranche verticalement la succession des Terres noires de la dépression orientale de Turriers - qu'elle limite ainsi vers le S - pour en faire buter les différents termes contre la masse des gypses et dolomies triasiques de la montagne du Haut Soleil. Elle rejoint ainsi, à la crête de Picouse, le dispositif structural complexe du soubassement de la Grande Gautière dont nous reparlerons plus loin (§ 6.1.3).
En définitive, les limites du redent de Turriers sont presque partout constituées par des failles très redressées le long desquelles s'affrontent l'autochtone et la nappe. Le seul secteur où cet affrontement prend un caractère franchement cheva1lcllant est celui de la rive droit du ravin de Clapouse, en aval de la ferme du Moulin. Toutefois il y a une nette différence entre la troncature de la nappe qui s'observe ici et la surface de décollement qui caractérise habituellement sa base: cette disposition évoque assez bien une « rampe latérale » de la surface de charriage.
IV.2 - AU SUD DE LA CUVETTE DE TURRIERS
Au S de la faille des Sagnes et à partir d'Astoin, la nappe chevauche de nouveau son avant-pays. Corrélativement on constate que celui-ci, qui se distingue déjà de la cuvette de Turriers par sa série moins réduite (Fig. 1) est affecté par des structures d'écaillage tangentiel qui sont interprétables, contrairement à celles que l'on observe dans la cuvette de Turriers, comme des effets secondaires du charriage de la nappe.
Sans reprendre l'analyse de détail de ce dispositif, nous en soulignerons quelques aspects qui illustrent notre propos. Pour ce faire nous distinguerons deux ensembles qui sont séparés par l'entaille d'érosion de la vallée de Bayons.
IV.2.1 - Les écailles de Combovin
Elles affleurent au S de la vallée, dans le versant N de la crête de la Colle et se développent aux dépens du flanc N du synclinal d'Esparron; leurs surfaces de chevauchement, un peu plus plongeantes vers le SSW que celle, subhorizontale, de la nappe viennent se connecter a cette dernière. Elles tranchent en outre obliquement les replis couchés vers le S que dessinent le Tithonique et les Terres noires. Ceci indique sans ambiguïté que cet écaillage est d'une part lié à la mise en place de la nappe et d'autre part postérieur au plissement de l'autochtone. On observe en outre que ces surfaces de chevauchement sont recoupées par un système complexe de cassures extensives et coulissantes combinées; certaines de ces dernières se connectent aux surfaces de chevauchement pour former des rampes latérales très redressées et d'azimuts voisins de N 70 : ainsi se dessinent de véritables mégacannelures, profondes d'une centaine de mètres et orientées presque E-W (la plus belle s'observe au N du point 1394 du ravin de Combovin). Cette structure représente à l'évidence un véritable modèle réduit des rapports de coulissement latéral existant entre la nappe et son avant-pays dans le redent de Turriers.
IV.2.2 - La klippe du Cerveau (Fig. 7 et 8)
Elle culmine à la montagne portant ce nom et forme les reliefs qui dominent Bayons du côté N (Fig. 2). Elle est constituée en majeure partie de Trias gypsifère, bordé au N par un croissant de terrains jurassiques montrant une série de type réduit (nettement différente de celle des abords de Turriers), qui comporte du Bajocien et même des Terres noires. Ces derniers terrains ne sont pas indiqués sur la feuille Seyne, non plus que les replis serrés qui affectent le Jurassique: cette carte attribue notamment les couches du sommet du Cerveau à du Domérien à l'endroit, au lieu d'Hettangien à l'envers. Cette méconnaissance des données réelles a des conséquences au niveau de l'interprétation structurale: en effet il n'est pas envisageable de séparer en deux sous-unités le Jurassique et le Trias de cette klippe en rattachant ce dernier à la nappe de Digne, comme l'indique le schéma structural de la carte. La continuité stratigraphique entre Trias et Lias. L'un comme l'autre renversés, qui s'observe particulièrement bien au Cerveau même (Fig. 8), s'y oppose formellement. D'autre part, ce Trias n'appartient pas à la nappe de Digne - qui d'ailleurs ne montre pas à cette latitude pareil développement des niveaux gypsifères- mais à la succession autochtone: en effet il se raccorde à celui qui vient en continuité stratigraphique sous le Lias dans le versant N de la Pointe d'Eyrolle.
La zone de dislocation qui sépare la dalle régulière du Lias formant ce sommet (rattachable d'ailleurs au même type de série que celui du Cerveau) des couches plus déformées de la klippe s'observe à Coste Reynaude, à l'extrémité E de la crête (Fig. 7). Elle montre une torsion dextre et une dilacération des couches par des cassures subverticales E-W. Ce dispositif. dans lequel on reconnaît néanmoins des vestiges de plis étirés latéralement, correspond assez clairement à une zone de cisaillement dextre, d'orientation E-W, que l'on peut appeler Décrochement de Coste-Reynaude.
Tout indique donc bien que la klippe du Cerveau est un élément secondairement détaché de l'autochtone relatif de la nappe, totalement étranger à cette dernière en ce qui concerne ses constituants. Cependant plusieurs caractères montrent que sa mise en place a été vraisemblablement induite par le charriage de la nappe de Digne:
- la partie subhorizontale du chevauchement de la klippe est disposée dans le prolongement exact du chevauchement de la nappe et le décrochement de Coste-Reynaude auquel elle se raccorde s'aligne de même avec la faille d'Astoin; ainsi la géométrie de la klippe prolonge en tous points celle qui caractérise la nappe dans ce secteur;
- on y trouve des plis transportés et tordus, ce qui indique une mise en place tardive par rapport aux principales étapes plicatives de la région;
- il existe en plusieurs points, sous le chevauchement de la klippe des lambeaux de terrasses fluviatiles caillouteuses (non indiquées sur la feuille Seyne); ceci atteste du caractère très tardif et épiglyptique de la mise en place de cette klippe et l'apparente en cela à la nappe de Digne (C. Grandjacquet et al., 1973).
Ainsi se confirme l'interprétation antérieurement proposée (M. Ehtechamzadeh-Afchar et al., 1974) qui voit dans la klippe du Cerveau le résultat de la décapitation, par l'avancée de la nappe de Digne, du relief structural de la crête liasique de la Pointe d'Eyrolle. I.a partie de celle-ci qui se prolongeait alors en direction d'Astoin a été entraînée, au front de la nappe, jusque dans la dépression de Bayons, déjà dégagée par l'érosion et garnie d'alluvions fluviatiles; elle y a fini sa mise en place en glissant latéralement, vers l'W, le long des reliefs plus septentrionaux de la pointe d'Eyrolle, dans un mouvement divergent par rapport à celui de la nappe.
IV.3 - Au NW de la cuvette de Turriers
Le front de la nappe de Digne ne réapparaît, au N de Turriers, que loin vers l'W, aux abords du Caire, où se développe aussi un dispositif d'écailles traînées tangentiellement, tout a fait comparable à celui dont il vient d'être question (M. Ehtechamzadeh-Afchar et al., 1974). On peut y reconnaître les divers éléments structuraux rencontrés dans l'autochtone de Turriers, déformés par sectionnement et écrasement, ce qui confirme si besoin était, que la nappe n'a pas recouvert le redent de Turriers, car les structures qui s'y développent auraient en ce cas subi un sort analogue. Au contraire, les seules déformations attribuables à une influence de l'avancée de la nappe sont des chevauchements mineurs, notamment ceux de la Plane et du Pape. Ce dernier prolonge presque exactement la surface de troncature qui tranche, dans le ravin de Clapouse, la partie profonde de la nappe, et à cet égard il se dispose comme le chevauchement de la klippe du Cerveau vis-à-vis du chevauchement de la nappe a Astoin Il trahit une composante de mouvement vers le SE, due au serrage de l'autochtone le long de l'accident du grand Vallon
V - LA KLIPPE DE L'AUBRESPIN
Les marnes affleurant dans la butte de l'Aubrespin, sur la marge SE de la dépression orientale de Turriers (Fig. 2 et 6), attirent l'attention par leur faciès qui diffère de tous ceux connus dans les Terres noires. Ce sont en effet des marnes à patine verdâtre et à petits bancs un peu plus calcaires espacés de plusieurs mètres: on y trouve en abondance par place (notamment au point 1 364), des boules décimétriques à surface verruqueuse, riches en sulfures métalliques. Ce faciès, par ailleurs caractéristique des marnes albo-aptiennes, a effectivement livré ici une microfaune albienne: Spiroplectinata complanatu cornplanata (Reuss, 1860); Dorotflia oxycona (Reuss, 1860); Pleuroslortlella sp. aff. gr. subnoclosa Reuss,1860: Globorotalites sp. aff. aptiensis Betténstaedt, 1952; Hedbergell· ·lelrioensis (Carsey, 1926); fle,dbér·ella sp. aff. infracretacea (Glaessner, 1937); 7'icinella cf. I oberti (Gandolfi , 1942).
Ces marnes, disposées avec une inclinaison d'environ 30 vers le NW sont en outre en série inverse; de ce fait, elles supportent une butte-témoin de calcaires barrémiens (au faciès bien caractéristique, mais qui ne nous ont livré que des fragments d'ammonites et de bélemnites indéterminables). Ces calcaires forment un chapeau d'une centaine de mètres de diamètre, exactement au lieu-dit l'Aubrespin sur la carte topographique de Seyne; ils reposent en partie, par troncature basale oblique, sur les Terres noires supérieures ou terminales suivant les points.
11 y a donc là une klippe incontestable - la Klippe de l'Aubrespin- qui n'avait jamais été signalée jusqu'alors bien qu'elle atteigne 1 km de longueur sur 500 m de large. Du fait de sa position culminante sur le rebord S de la cuvette de Turriers, elle a été le point de départ de nombreuses coulées de marnes dans lesquelles on retrouve les éléments albo-aptiens mêlés de Terres noires, emballant des fragments de calcaires barrémiens, fort loin en contrebas vers le N jusqu'a1l-delà du hameau des Martins.
La présence de cette klippe, ainsi que la nature et la disposition du matériel qui la constitue, posent un certain nombre de problèmes structuraux. Soulignons tout d'abord que l'absence de tout témoin de Nummulitique, de Crétacé et de Tithonique entre la klippe et les Terres noires de son soubassement implique une ablation tectonique de ces couches ou une érosion. antérieure au charriage; une telle disposition n'est connue aux alentours que sous la nappe de Digne. Par ailleurs, il est difficile de dire, faute d'affleurements suffisants, si cette klippe est logée dans le coeur du synclinal des Martins (dont la trace axiale passe sensiblement par l'Aubrespin), ou si son contact basal est sécant par rapport à ce pli. L'absence apparente de torsion synforme des couches de la klippe porte toutefois à penser qu'elle s'est mise en place après ce plissement et indépendamment de lui: tout ceci suggère donc un charriage très tardif.
Cette klippe de l'Aubrespin est surtout un témoin d'une unité allochtone inconnue et énigmatique. En effet, il ne peut s'agir d'un fragment de la nappe de Digne car, d'une part elle repose sur la série épaisse et d'autre part elle est constituée par des terrains beaucoup plus récents que ceux que l'on trouve au voisinage, dans cette unité. Par ailleurs, elle ne peut être attribuée à une écaille intercalaire traînée sous la nappe, tout d'abord parce que cette dernière n'a pas chevauché ce secteur mais a seulement coulissé sur ses bordures, et ensuite parce que les niveaux barrémo-albiens qui la constituent sont absents, du fait de l'érosion anténummulitique. dans cette partie de l'autochtone. On ne rencontre ces couches en avant du front d'érosion de la nappe de Digne, que 10 km plus au SW, dans les synclinaux du Caire et d'Esparron. Le seul secteur d'où puisse provenir le matériel de cette klippe est donc celui du revers de la nappe de Digne, à l'Est de Seyne-les-Alpes, où des terrains de cet âge sont actuellement encore conservés sous le Nummulitique.
VI - CONSÉQUENCES RÉGIONALES
Les données nouvelles exposées ci-dessus ont des conséquences importantes pour la compréhension de l'organisation structurale de la nappe et de son avant-pays.
Vl.l - Dans l'avant pays
Le comportement de la nappe a individualisé deux secteurs qui ont été différemment déformés:
Vl.l.l - Le redent de Turriers
Du point de vue tectonique, il faut bien voir que l'autochtone de 7urriers ne représente absolument pas une demi-fenêtre au sens habituel du terme, c'est-à-dire une zone où l'autochtone a été mis à nu par l'érosion de la nappe qui l'aurait recouvert. Bien au contraire, il s'agit d'un domaine épargné par le charriage, où la série épaisse est restée en continuité avec la série réduite et n'a pas été entraîné par le décollement qui est partout ailleurs à l'origine de la mise en mouvement de la nappe de Digne. Ceci explique d'ailleurs l'absence - mis à part les chevauchements mineurs et marginaux de la Plane et du Pape - de structures tangentielles résultant d'un mouvement analogue à celui de la nappe (en dépit du fait que les reliefs y dépassent souvent largement l'altitude de la surface de charriage de cette dernière): ici la masse charriée a contourné un relief, le Môle de Turriers - résultant de la structuration oligocène (H. Arnaud et al., 1977) - sans le chevaucher. Ce domaine d'interruption du charriage est limité par des failles qui ne se poursuivent pas dans l'autochtone sous le chevauchement et évoquent donc des rampes latérales. Le long de ces accidents, les terrains de la nappe sont affrontés avec ceux, non charriés, de la cuvette de Turriers; la nappe se partage ainsi en deux lobes principaux de part et d'autre du poinçon aigu pointé vers le NE, dont l'extrémité est constituée par le Triangle de Bréziers. Cette disposition, déjà reconnue dans ses grandes lignes (M. Ehtechamzadeh-Afchar et al., 1974) mais considérée alors comme secondaire, est au contraire la clé de la structure de ce secteur.
Du point de vue paléogéographique, il s'ensuit que la limite W de la série à Lias et Dogger épais passe à l'intérieur de l'autochtone de la cuvette de Turriers. En effet, il faut la localiser entre Bréziers où affleure la série épaisse et Turriers même où la série a un caractère très réduit. Ce passage d'une série à l'autre, masqué sous les Terres noires de la dépression orientale de Turriers est donc très rapide puisqu'il s'effectue en moins de 3 km. Une telle variation stratigraphique peut être attribuée pour une part au jeu de failles de distension synsédimentaires. De fait nous avons relevé des indices d'une telle activité tectonique durant le Jurassique: les olistolites interstratifiés dans la partie inférieure des Terres noires autour de Turriers s'expliquent en effet si de tels mouvements synsédimentaires se sont prolongés jusqu'au cours du Bajocien. Mais la brutalité de ce passage ne laisse pas place, à la latitude de Turriers pour l'intercalation de séries moins réduites (du type Valavoire) ou intermédiaires (du type La Saulce) entre les domaines des séries très réduites et épaisses: Cela peut être dû à ce que le schéma paléogéographique du Lias n'était pas uniquement dirigé par une zonation méridienne, mais comportait des lignes de différenciation obliques, comme le linéament de Clamensane. Il est probable, toutefois, que cela résulte aussi, pour une bonne part, d'un décalage des lignes isopiques que l'on peut mettre sur le compte d'un coulissage dextre le long de la faille de Turriers (Fig. 9).
Vl.1.2 - Le véritable autochtone de la nappe de Digne
Le véritable autochtone relatif de la nappe de Digne, dégagé de l'emprise des assises chevauchantes par l'érosion, est représenté, au NW de l'accident du Grand Vallon, sous le chevauchement de La Saulce, par un secteur où se développe aussi un système d'écailles tardives (M. Ehtechamzadeh-Afchar et al., 1974). Un tel système s'observe encore mieux sous le lobe SE de la nappe, dans la région de Bayons, où se développent également des écailles qui correspondent à des chevauchements satellites de celui de la nappe de Digne et ne peuvent en aucun cas être confondues avec les structures du domaine de Turriers (écailles de Faucon. anticlinal de Picouse, klippe de l'Aubrespin).
Vl.1.3 - Relations entre ces deux domaines
La limite entre le domaine non charrié de Turriers et l'autochtone relatif du lobe SE de la nappe se confond avec la limite occidentale des séries réduites (moins amincies que celles de Turriers) caractéristiques de l'écaille de Valavoire (Fig. 1). Cette limite suit une zone de dislocations complexes qui confère certainement à ces deux ensembles une certaine indépendance. Nous l'avions interprétée comme relevant surtout d'une imbrication d'écailles faisant chevaucher l'écaille de Valavoire (dont dépend la Grande Gautière, fig. 2) sur les écailles de Faucon qui se développent plus à l'W. En fait7 cet aspect est moins important que nous l'avions admis car, sous la Grande Gautière, il n'y a pas lieu de distinguer (comme nous y avait porté une confusion stratigraphique) des « Écailles des Casses », séparant le Lias de l'écaille de Valavoire du Trias de son soubassement: l'essentiel des dislocations consiste plutôt en un relais de fractures subverticales tardives, qui traversent du NW au SE le versant occidental de la Grande Gautière et dans lesquelles s'intègre notamment la faille de Bois Lardat (Fig. 2). En définitive, cet enchaînement de fractures assure la jonction des extrémités méridionales des failles de La Frayssinie (limite W du lobe SE de la nappe) et de Turriers avec le secteur où s'individualise, beaucoup plus au SW7 sous le sommet du Bramefan7 dans le vallon de Vermeil7 le véritable chevauchement de l'écaille de Valavoire (H. Arnaud et al., 1977). On peut envisager que la localisation de ces fractures le long de la zone des changements de faciès, découle d'un rejeu tardif de cette ligne structurale majeure, déjà active au jurassique, que nous avons appelée le linéament de Clamensane. Quoi qu'il en soit, l'indépendance du môle de Turriers par rapport au domaine de l'écaille de Valavoire se manifeste encore lors de l'étape des plissements d'axe N 1007 post-oligocènes. En effet ces plis (·1. Arnaud et al.7 1977) ne se prolongent pas de part et d7autre de la zone de fractures séparant ces deux domaines.
2. Formation du redent de Turriers par déchirure de ta nappe en plusieurs lobes divergents.
N.B. les mouvements coulissants dextres le long de la faille de Turriers (entre Turriers et Bréziers) ont pu être plus importants que suggéré ici et intervenir dès l'étape 1.
VI.2 - Dans la nappe de Digne
Le fait fondamental7 déjà signalé plus haut (§ Vl.1.1)7 est le partage de la nappe en lobes qui lui a permis le contournement du môle de Turriers, lors du charriage. Il faut d'ailleurs préciser qu'à l'extrémité NE du redent de Turriers s'individualise, entre les deux lobes principaux, un petit lobe médian (Fig. 9), limité par la faille du Grand Vallon au NW et celle de Bréziers au SE.
Les failles 4ui limitent l'extension des lobes de la nappe de Digne jouent un rôle comparable à celui des rampes latérales de chevauchement. En fait, elles appartiennent à plusieurs familles d'accidents qui sont bien représentées dans le dôme de Remollon (M. Gidon, 1985)7 où elles s'entrecroisent (Fig. 1). Les fractures d'orientation subméridienne y ont un rejet cartographique qui se traduit par un décalage dextre; d'autre part7 les cassures SW-NE s'y caractérisent par un rejet normal traduisant une extension SE-NW. Ces deux familles de fractures déterminent le dispositif de graben SW-NE de la vallée de 17Avance7 associé aux montées diapiriques de Notre-Dame-du-Laus.
Or il y a connexion évidente, par l intermédiaire d'un grand accident N ]60 qui passe à Remollon même (Faille de Remollon) entre ce dispositif et celui des fractures qui limitent le redent de Turriers (fig. 1). Cette configuration suggère l existence d'une liaison génétique avec le partage de la nappe en deux lobes principaux: le lobe SE étant décalé vers le S par rapport au lobe NW, la déchirure de la nappe résulterait d'un mouvement dextre précoce le long des failles subméridiennes. On aboutit ainsi à Un Schéma d'ouverture en « pull-apart » (Fig. 9). L'héritage de ce dispositif aurait ensuite favorisé, au cours du charriage, I apparition du phénomène de poinçonnement qui a accentué l'individualisation structurale du redent de Turriers (secteur déjà érigé en môle à l'Oligocène). Ce schéma d évolution rend bien compte des faits observés lors de l'étude des limites du redent de Turriers; en effet, il y a bien coulissement du lobe SE, majeur, de la nappe le long de la faille subméridienne de La Frayssinie et tendance au chevauchement vers le SE du lobe NW et du lobe médian (celle-ci est indiquée par Ia troncature basale des couches de la nappe. Ia reprise en déversement vers le SE de l anticlinal de la Tête du Pape et les chevauchements mineurs de même sens observés à l'W de Turriers).
A l'appui de cette interprétation, on doit remarquer en outre que le développement de l'importante masse diapirique du Trias du Haut Soleil, à l'extrémité S du coulissement de La Frayssinie peut aussi être considéré comme un dispositif en « pull-apart », symétrique de celui de la vallée de l'Avance: la déchirure de distension correspondante s'identifierait au linéament de- Clamensane, zone de faiblesse des séries s'il en fut, et pourrait se poursuivre vers l'W jusqu'au niveau des montées diapiriques de La Gypière aux abords de Clamensane.
Dès lors, l'essentiel du dispositif régional peut se ramener à un schéma en deux temps, dans lequel un prédécoupage individualise déjà les différents blocs qui joueront indépendamment dans les étapes de déformation ultérieures (Fig. 9). Ce ne serait donc que tardivement par rapport à ces premiers déplacements à peu près N-S· que seraient intervenus les mouvements de la nappe vers l'WSW qui sont notamment bien attestés par le coulissement NE-SW le long de l'accident du Grand Vallon (et le chevauchement de La Saulce qui lui est associé) et par l'incurvation progressive, vers l'W, de la faille de La Frayssinie. Une telle déformation est susceptible d'expliquer à la fois le raccordement en continu de cette dernière à la faille des Sagnes, l'apparition du chevauchement des Sarces et une partie des mouvements coulissants qui se manifestent à la limite des domaines de Turriers et de l'écaille de Valavoire (Fig. 2).
VII - CONCLUSIONS
Les faits présentés ci-dessus donnent de la structure de la région de Turriers une vue sensiblement différente de la plupart des schémas antérieurement proposés, et notamment de celui de la feuille Seyne.
Ils prouvent d'abord l'inexistence, dans la cuvette de Turriers, des prétendues unités allochtones - qui seraient caractérisées par des faciès très réduits du Lias et du Dogger. Le Lias de Turriers ne flotte pas sur les Terres noires, mais en représente la base stratigraphique. Son morcellement cartographique résulte d'une tectonique par failles normales et décrochements entrecroisés, voire localement de son inclusion en olistolites dans les Terres noires .
Par ailleurs, il faut renoncer définitivement à la notion d'une demi-fenêtre de Turriers mise d nu par érosion de la nappe de Digne. Ce redent d'autochtone a simplement été ménagé tectoniquement par la nappe de Digne qui, dans sa mise en place, n'a jamais recouvert l'actuelle cuvette de Turriers. Elle s'est en fait déchirée en deux lobes principaux qui ont divergé de part et d'autre du môle formé alors par cette région. Les failles limitant ces lobes et le long desquelles ils ont coulissé peuvent, en un certain sens être comparées à des rampes latérales du chevauchement de la nappe. Toutefois elles représentent plutôt des déchirures utilisant une fracturation formée antérieurement au charriage, par distension, et ne sont donc pas de véritables rampes.
Bien mieux, la manière dont s'est faite cette déchirure laisse pour compte dans l'autochtone une portion de la série épaisse, restée ainsi solidaire de la série à Lias très réduit du domaine occidental de la cuvette de Turriers. On admettait jusqu'alors que la zone de passage de la série réduite de l'autochtone à celle épaisse de la nappe constituait la ligne de rupture qui avait permis l'individualisation de la masse charriée et que les éventuels témoins de cette zone étaient partout masqués sous le chevauchement; il s'avère que ce n'est pas toujours le cas et que nous sommes en mesure de localiser ici cette limite paléogéographique sous les Terres noires, entre Turriers et Bréziers.
Il faut ajouter enfin à la liste des unités tectoniques de ce secteur la klippe de l'Aubrespin, posée sur les Terres noires de la série épaisse autochtone. Il est surprenant de constater que l'on ne peut rattacher cette klippe à aucune unité connue, bien que son origine soit à rechercher dans le domaine subalpin à l'Est du front du chevauchement de la nappe de Digne.
La région de Turriers offre donc un exemple assez original de relations entre une nappe et son avant-pays; elle illustre bien la manière dont l'intervention de déchirures antérieures, jouant en coulissement lors du charriage, peut ouvrir un hiatus dans le front de la nappe.
Remerciements
M.M. J. Debelmas et G. Mascle ont bien voulu lire notre texte: nous les remercions pour leurs suggestions.
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