Note (*) de Jean-Claude Barféty et Maurice Gidon, transmise par Jean Aubouin.
La reconnaissance d'une extension accrue des affleurements de Malm conduit a mettre en évidence une importante lacune et la réduction progressive de la série anté-Malm du massif du Rochail-Lauvitel, qui représente l'un des blocs basculés crées par la distension jurassique dans les Alpes occidentales.
GEOLOGY. - Upper Jurassic Age of a Part of the Sedimentary Cover in the Western Pelvoux Massif, its Paleographic Implications.
New fossil discoveries in the mesozoic cover of the Rochail Lauvitel unit in the western Pelvoux massif allow us to characterize an important gap in the sedimentation and a progressive decrease in the thickness of the pre malm series. This unit represent one of the tilted blocks belonging to the Jurassic tensional tectonic in the Western Alps.
(*) Les déterminations paléontologiques des fossiles, dont certains récoltés en compagnie de J. Debelmas, ont été faites par R. Mouterde (Lias-Dogger), F. Atrops et R. Enay (Malm).
1. PRÉSENCE DU MALM DANS LES VERSANTS SUD ET OUEST DU SIGNAL DU LAUVITEL. - Les terrains sédimentaires affleurent là dans un synclinal orienté N-S à NW-SE et dont le flanc oriental est chevauché par le socle (fg. 2).
(a) La coupe du lac Labarre montre, sur le Sinémurien-Lotharingien (Echioceras de la zone à Raricostatum), un niveau de calcaires à entroques et de calcaires noduleux massifs et clairs (un Phylloceras sp. de l'Oxfordien?); suivent 100m au moins de schistes noirs, à petits bancs brunâtres souvent boudinés et nodules noirs, datés de l'Oxfordien inférieur par Perisphinctes (Otosphinctes) sp. gr. moeschi De Lor. et Perisphinctes (Prososphinctes) sp. de la zone à Cordatum; ils sont surmontés par des marno-calcaires ocreux en bancs de 30 cm à délits schisteux noirs avec Perisphinctes (Dichotomosphinctes) gr. rotoides antecedens (zone à Plicatilis) de l'Oxfordien moyen (20-30 m); viennent ensuite des bancs gris qui s'épaississent (50-80 cm) et contiennent localement des silex (Oxfordien supérieur à Kimméridgien?); ils passent à des calcaires plus massifs parfois noduleux comparables aux calcaires tithoniques du Pic du Grand-Renaud.
(b) La coupe des Rochers du Paletas, plus au Nord (entre le Lac Labarre et le Neyrarel) (fg. 2), montre une série assez proche mais où les conditions d'affleurement permettent de constater la discordance de l'Oxfordien et des calcaires du Malm sur les calcaires à entroques et les calcaires noduleux sous-jacents, eux-mêmes discordants sur le Sinémurien; tandis que du côté ouest (vers Confolens), la série comporte encore des marnes du Bajocien supérieur (zone à Garantiana), transgressives sur un Toarcien (zone à Thouarcense) et un Domérien déjà très minces, on voit vers l'Est les schistes oxfordiens devenir de moins en moins épais. Cette réduction témoigne de l'existence d'une paléopente inclinée grosso modo vers l'Ouest.
(c) Dans les versants ouest et sud du Signal du Lauvitel, au flanc est de la structure synclinale, les variations sont encore plus nettes (en dépit de replis, liés au chevauchement du socle, qui rendent difficile la coordination entre les coupes) (fg. 2). Des Rochers de la Grande Église à la Brèche du Lauvitel, les niveaux calcaires du Malm supérieur (et du Néocomien?) reposent directement sur le Sinémurien, qu'ils ravinent de plus en plus du NW vers le SE, puis sur un Trias réduit ou même sur le socle. Le contact de ces calcaires sur le Sinémurien se fait soit par un niveau de calcaires à entroques et de calcaires noduleux (10-15 m) non datés, soit banc sur banc avec localement un ravinement ou une bréchification du dernier banc sinémurien (avec une matrice argilo-siliceuse noire qui, bien que peu volumineuse, évoque les schistes oxfordiens). Lorsque le Sinémurien a été complètement érodé, on trouve entre ces calvaires clairs et le Trias (réduit à quelques mètres de dolomies brunes) une mince brèche à éléments dolomitiques et cristallins avec ciment calvaire; celle-ci peut s'épaissir et contenir alors des blocs de grande taille, de dolomies et spilites du Trias, cimentés par des calcaires à débris (ceci sur 15 à 20 m d'épaisseur). Au voisinage des secteurs offrant ce type de coupes, on remarque de minces lames de calcaires fins blancs étroitement imbriqués dans le Cristallin, évoquant bien des remplissages de fissures (et non des écaillages tectoniques). Outre les coupes où l'Oxfordien est épais et celles où il y a repos direct du Malm supérieur (ou le Néocomien?) sur le socle, d'autres se caractérisent au niveau de l'Oxfordien inférieur-Argovien par des faciès différents et une épaisseur réduite: les schistes noirs, épais de quelques mètres passent à des bancs rubannés ocreux à lits siliceux et silexites bien développés, puis à des calcaires parfois franchement noduleux et avec des passées encrinitiques et bréchiques (à dolomies); ces.calcaires noduleux recèlent des Ammonites, trop mal conservées pour permettre leur détermination.
2. COMPARAISON AVEC LA COUPE DU PIC DU GRAND-RENAUD (fig. 2). - Au Pic du Grand-Renaud, la succession, considérée antérieurement ([1], [2]) comme complète jusqu'au Néocomien bien que réduite en épaisseur est, en fait, très proche des précédentes:
- le Lias, raviné jusqu'au Carixien inférieur ou au Lotharingien est recouvert par des calcaires à entroques et des calcaires noduleux (5-15 m);
- des schistes oxfordiens ou des marnes argoviennes, paléontologiquement datés reposent directement sur ces calcaires à entroques, leur épaisseur passe de 100 m au Pic du Grand-Renaud à quelques mètres au Pic du col d'Ornon, I km plus au Sud-Est;
- Domérien, Toarcien, Aalénien, Bajocien et Bathonien manquent donc totalement, I'Ammonite récoltée dans des éboulis en 1947 par Cherret, alors attribuée à un Procerites du Bathonien inférieur, s'est avérée en fait un Progeronia du Kimméridgien s. 1.;
- de brutales variations d'épaisseur des schistes oxfordiens paraissent en outre être dues au jeu de failles synsédimentaires, cachetées par le Kimméridgien, daté paléontologiquement, de la base de la falaise du Grand-Renaud.
3. EN DÉFINITIVE, il ressort de la comparaison de ces différentes coupes que la sédimentation de ce secteur est caractérisée par les faits suivants:
1° lacune sédimentaire totale, et générale dans tous les affleurements situés entre le Pic du Grand-Renaud et Valsenestre, du Lias moyen et supérieur et du Dogger (dont l'existence était admise jusqu'à présent); 2° transgressivité marquée des couches, du Dogger au Malm: d'Ouest en Est, approximativement, ce sont des termes de plus en plus récents qui reposent d'abord sur le Lias puis sur le Trias et enfin sur le socle: cela témoigne de l'existence d'une surface inclinée vers l'Ouest qui recoupe des couches antérieurement basculées avec le socle; 3° présence effective de discordances angulaires et de biseaux stratigraphiques multiples en plusieurs points (Grand-Renaud, Paletas, Rochers de l'Église, rive droite du vallon de Valsenestre): ils attestent du basculement progressif du fond marin avant et pendant le Malm; 4° présence de plusieurs niveaux de calcaires noduleux clairs, indices d'un faible taux de sédimentation, témoignant aussi de pentes sous-marines ou d'un haut-fond: le niveau inférieur, particulièrement continu et accompagné de calcaires à entroques, se situe à la base des schistes noirs oxfordiens; d'autres niveaux ont été observés au sommet de l'Oxfordien marneux (Argovien) et dans les calcaires du Kimméridgien-Tithonique; 5° indices d'une activité distensive des fonds marins (fissures de socle remplies de vases attribuables au Malm calcaire, jeu probable de failles synsédimentaires, mise en place de brèches à gros éléments).
4. EN CONCLUSION, le massif du Rochail-Lauvitel, prolongeant le massif des Grandes Rousses vers le Sud, constituait, au Malm, un haut-fond créé par le basculement progressif vers l'Ouest d'un bloc de Socle [3]. Il était grossièrement allongé NS entre le demi-graben du col d'Ornon et de Bourg-d'Oisans [4], qui le borde à l'Ouest, et le bassin plus subsident, de Venosc, où le Lias et le Dogger, qui y sont seuls connus, ont des épaisseurs fortes et recevaient des brèches et des olistolithes [5].
Tant par l'importance de la lacune qui s'y manifeste avant le Malm que par les faciès noduleux qui y apparaissent, la succession décrite tend à se rapprocher de façon notable de celle de la zone briançonnaise, voire de la zone d'Acceglio où le Malm (probable) est transgressif sur le socle.
En fait ces nouvelles données confirment que la zone dauphinoise présentait sur toute sa longueur, des domaines à caractères « pseudo-briançonnais », comme cela ressortait déjà de diverses observations: olistolithes de quartzites supposés triasiques avec encroûtements de Malm calcaire au Nord de l'Arc ([6], [7]), transgressivité de l'Oxfordien et/ou du Kimméridgien-Tithonique sur des séries très réduites du Lias-Dogger, sur le Trias ou sur le socle en Maurienne, en Beaufortain, à l'Est du massif du Mont-Blanc ou sur le massif des Aiguilles Rouges [8].
Enfin, on doit souligner que la tectonique en extension considérée comme caractéristique de la période de « rifting » ne se limite pas au Lias-Dogger mais se manifeste encore au Malm au moins dans les rares secteurs de la zone dauphinoise où les terrains de cet âge ont été conservés. A ce titre, la région du haut Valsenestre est particulièrement intéressante car elle permet d'observer les relations entre la disposition du socle et les dépôts du Malm, ce qui est exceptionnel.
(*) Remise le 22 avril 1982.