par Maurice GIDON *
* Institut Dolomieu. rue Maurice-Gignoux, 38031 Grenoble cedex.
Laboratoire associé au C.N.R.S. (L.A. 69).
RÉSUMÉ. - La structure des assises jurassiques, étudiée principalement dans le chaînon du Rachais, associe deux types de failles chevauchantes, de direction et de pendage différents. et quatre types de plis, hectométriques à décamétriques. déversés de façon différente. Leurs caractères, leurs relations génétiques et leurs rapports chronologiques sont analysés et replaces dans le contexte structural régional. On en conclut que ces diverses structures résultent de trois étapes successives de déformation (chevauchement vers l'Ouest, plissement d'axe N-S et chevauchements vers le Sud-Ouest) qui ont été suivies par un basculement d'ensemble responsable du plongement vers le Nord des axes des plis. Les chevauchements précoces vers l'Ouest se prolongent dans le massif du Vercors par le chevauchement du Moucherotte.
SUMMARY. - This structure is mostly studied in the jurassic beds of the Rachais mountain. Two kinds of overthrusting faults, differing both in dip and in strike, and four kinds of decameterto hectometer-size folds, differently overturned, are prese,nt. Their features, their relationships. both in thier genesis and in time, are analysed and fitted in the regional structural context. It is concluded that these various structures originated through three successive deformation stages (viz. Westwards overthrusting, N-S trending folding and SW overthrustings) followed by overall tilting, causing northwards dipping of the fold axes. It is shown that the early (but postmiocene) westwards overthrustings extend in the northeastern part of the Vercors Massif.
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Le massif de la Chartreuse se termine vers le Sud par le promontoire du chainon du Mont Rachais, du Mont Jalla et de la Bastille qui s'abaisse jusqu'à l'Isère à la Porte de France. Cette échine rocheuse, dont l'ossature est constituée par la barre des calcaires tithoniques, plonge, monoclinalement dans son ensemble, en moyenne de 45° vers l'W-NW; elle représente le flanc ouest d'un pli de dimensions plurikilométriques, orienté sensiblement N-S et nettement plongeant vers le Nord, l'anticlinal de l'Écoutoux (fig. 1 et 2).
Dans ce pli les couches de lithologie favorable (calcaires argileux) sont affectées par une schistosité de crénulation (« schistosité de fracture ») d'extension régionale (*); elle est, suivant les niveaux, plus ou moins dense et d'inclinaison variable au gré des réfractions. Dans les lits les plus marneux du coeur du pli elle est subverticale, orientée entre N10 et N20 et elle donne presque en tous points, une linéation d'intersection avec les couches parallèle à l'axe du pli de l'Écoutoux: il ne fait donc aucun doute qu'elle s'est développée lors de la formation de ce pli.
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(*) Elle sera qualifiée ici de schistosité régionale; certains auteurs [I] la nomment S 2 mais cette notation ne s'impose pas puisque aucune déformation synschisteuse antérieure n'a jamais été mise en évidence ici.
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Les diverses assises de la montagne du Rachais présentent des complications structurales qui ont été remarquées de longue date: elles furent d'abord considérées comme des failles en escalier [2], puis comme de simples torsions des couches [3], enfin comme des chevauchements [4] [5] avant d'être attribuées à des décrochements [6]. Un nouvel examen du terrain occasionné en particulier par la rédaction de la 2° édition de la feuille Grenoble de la carte géologique [7] a montre toutefois qu'aucun des schémas explicatifs proposes à ce jour n'était pleinement satisfaisant, chaque interprétation ne rendant compte que d'un seul aspect de l'organisation mais en méconnaissant la diversité: en effet différents types de dislocations s'y combinent et il convient de les distinguer clairement avant d'envisager leurs rapports mutuels et leur rôle dans l'architecture d'ensemble.
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On a distingué les principaux ensembles lithostratigraphiques et les accidents majeurs (plis méridiens et chevauchements); la direction des pointes de flèches des axes anticlinaux indique leur sens de plongement.
Un cadre délimite le secteur Bastille-Jalla. représenté
plus en détail sur la carte de la figure 3.
Le tracé des trois coupes de la figure 13 est indiqué
par des numéros cerclés.
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Fig. 2 - Trois coupes sériées, étagées du Nord au Sud, montrant la structure d'ensemble de l'extrémité méridionale du massif de la Chartreuse. au Nord de Grenoble.( figure agrandissable)
Les replis d'entraînement associés au chevauchement Corenc - Jalla (Ø) ont été symbolisés en trait gras.
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1. LES FAILLES
Elles appartiennent à trois familles principales qui se recoupent mutuellement et sont orientées différemment par rapport aux couches et à l'axe du pli de l'Écoutoux (fig. 3 et 4).
A. Failles longitudinales chevauchantes.
L'élément majeur de cette famille de cassures est la Faille du Jalla [3]; orientée N 40 au Jalla et fortement inclinée (environ 45° au Jalla) vers l'W-NW, elle est à la fois peu oblique aux couches et de pendage à peine plus fort (son tracé se confond aisément, à l'affleurement avec les joints stratigraphiques lorsqu'aucun crochon ne le souligne). En l'absence de marqueurs suffisants la direction de déplacement ne peut être précisée mais son sens, indiqué par le rejet stratigraphique et par des crochons, correspond à un chevauchement, grossièrement d'Est en Ouest, redoublant la succession. En raison du pendage ouest de la faille ce mouvement va dans le sens descendant, ce qui permet de parler de « chevauchement plongeant » du compartiment supérieur. On remarque immédiatement qu'une telle disposition ne peut être obtenue par une seule phase de déformation et, en particulier, que ce mouvement est opposé à celui qu'aurait pu induire dans ses bancs le seul ploiement de l'anticlinal de l'Écoutoux (fig. 2).
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Fig. 3. - Schéma structural de l'éperon rocheux du Jalla, montrant les relations entre les principaux accidents.( figure agrandissable)
a : trace des plans axiaux des plis synclinaux S' ; b : trace des plans axiaux des plis anticlinaux S'; c: trace des plans de chevauchement des failles longitudinales et transversales; d: limite inférieure des couches berriasiennes; Tii = calcaires massifs de la barre inférieure tithonique (Kimméridgien supérieur, zone a Hybonoticeras Beckeri pro parte).
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Fig. 4. - Coupes de détail, étagées du Nord au Sud, dans l'éperon du Jalla.
Le niveau repère du banc massif « tithonique inférieur » = Kimméridgien supérieur, zone à Beckeri) est indiqué par un hachuré perpendiculaire à ses limites. La structure du puits de Saint-Martin et de la Galerie de la Saucisse résulte de l'interprétation des données de BLANCHET et CHAGNY [3].
X' = situation des plis de la plate-forme de la Bastille (voir fig. 8);
X'' = situation des plis du lacet oriental de la route militaire de la Bastille.
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Cartographiquement la trace de la faille du Jalla se suit, vers le Nord-Est, a travers les ravins du Rachais, jusqu'au hameau de Chantemerle. Au delà on ne trouve aucune cassure à même pendage ouest qui puisse la prolonger. Par contre c'est précisément ici que se perd également le tracé de la faille, à pendage est, qui fait chevaucher les Bajocien de Corenc sur les Terres Noires. Si un malheureux hiatus d'observation dû à la couverture superficielle ne permet pas de contrôler visuellement que ces deux accidents se raccordent, au prix d'un changement de pendage antiforme, diverses données viennent étayer cette interprétation:
1. - Les deux chevauchements en question ont un rejet de même sens, vers l'Ouest; ils sont en outre accompagnés l'un et l'autre, comme nous le verrons, par des replis d'entraînement, décamétriques, déversés vers l'Ouest la seule différence est que le plan axial de ces plis pend en sens opposé, ainsi que le font les plans de faille (fig. 2).
2. - L'inversion du pendage, d'une faille à l'autre, s'explique aisément si ces failles sont antérieures au ploiement de l'anticlinal de l'Écoutoux: en effet le raccord antiforme proposé se situe exactement au passage de l'axe de cet anticlinal; il est de fait, en outre, que ce mouvement antiforme de la surface de cassure est annoncé, depuis le Jalla jusqu'à Chantemerle par une diminution progressive de son pendage vers l'Ouest.
3. - D'autres failles chevauchantes, que l'on doit rapporter à la même famille en raison de l'angle également modeste qu'elles font avec les couches sont visibles dans les falaises tithoniques (fig. 2) à l'Écoutoux (contre-bas ouest du sommet) et au Saint-Eynard (Pas Guiguet): leur pendage est variable mais suit les variations de celui des couches, ce qui est un bon indice du ploiement posthume de cette famille de cassures .
Il faut donc considérer que les chevauchements du Jalla et de Corenc sont deux tronçons d'une même cassure postérieurement tordue avec l'anticlinal de I 'Écoutoux.
En fait le chevauchement principal du Jalla est doublé en contrebas (fig. 3 et 4), dans les pentes dominant la plate-forme de la Bastille, par une faille en tous points comparable si ce n'est que son rejet horizontal n'excède pas 40 m; nous verrons plus loin que cette cassure, qui se perd quelque peu vers l'Est, sous la couverture superficielle, a pu être retrouvée, au niveau du Séquanien, dans les ravins du Mont Rachais .
B. Failles transverses chevauchantes.
Leur direction moyenne est N 140°. de sorte que leur trace traverse l'échine de la montagne en spirale (fig. 3).D'un point à un autre elle peut osciller entre N 100° et N 150°. Ces failles sont, du fait de leur pendage de 30 à 50° vers le NE, presque perpendiculaires aux couches.
La mieux individualisée, et celle qui semble avoir le rejet le plus important, est la faille de la Bastille. Elle ne coïncide dans son tracé qu'avec la partie la plus méridionale de l'accident décrit sous ce nom par les auteurs précédents [6] et, vers le Nord, s'identifie avec leur « décrochement du Jalla » à partir de la plate-forme de la Bastille; le raccord entre ces deux tronçons découle clairement de la cartographie mais se trouve toutefois masqué, sur 200 m de long par les fortifications et la gare du téléphérique.
La valeur précise du rejet de cette faille est délicate à apprécier par manque de niveaux repères suffisants dans les secteurs de bon affleurement; il ne saurait excéder toutefois une centaine de mètres; le rejet de l'ordre de 500 m qui avait été retenu pour sa partie septentrionale [6], en se basant sur le décalage du sommet du Tithonique entre les Combes et La Saucisse est illusoire: il additionne en réalité au rejet de la faille de la Bastille le rejet stratigraphique, par redoublement, des chevauchements du Jalla.
Le sens du mouvement est indiqué tantôt par des stries (orientées en moyenne N 60°) tantôt par la schistosité (orientée en moyenne N 130°) des amas locaux, amygdalaires, de phyllomylonites que l'on y rencontre; les unes et les autres indiquent un chevauchement vers le SW, donc dirigé sensiblement suivant l'inclinaison du plan de fracture: en dépit du sens sénestre du rejet horizontal cartographique cette faille ne peut donc être considérée comme un décrochement.
Tous ces caractères se retrouvent, à de faibles variations près, dans les autres failles de cette famille. En particulier ils permettent de rattacher à cette dernière un grand nombre de plans de cassure à rejet métrique ou même seulement décimétrique. Beaucoup se groupent au voisinage d'un certain nombre de plans principaux de fracture, définissant ainsi avec eux une bande fracturée large d'une dizaine de mètres où les cassures élémentaires peuvent se relayer les unes les autres(*). En outre un bon nombre des cassures de ce type se rencontrent dispersées en dehors de ces zones. Quelle que soit la valeur de leur rejet elles tordent en crochon la schistosité régionale et ont donc joué après l'apparition de cette dernière.
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(*) Sur toutes les figures de la présente note les zones de fractures sont évidemment représentées par un trait unique.
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Les rapports des failles transverses avec les failles longitudinales sont fort mal observables en raison du couvert végétal et des éboulis; c'est malheureusement le cas pour le secteur de La Saucisse où se rencontrent les traces des chevauchements du Jalla et de la faille de la Bastille: il paraît clair toutefois que c'est cette dernière qui sectionne le tracé des premières et qui est donc postérieure (fig. 3 et 4). Cette disposition est en accord avec le fait que le puits de Saint-Martin (creusé jadis pour les exploitations de pierre à ciment) a rencontré le Berriasien sous la barre tithonique descendant du Jalla; mais elle fournit surtout une explication de la coupe de la galerie de La Saucisse, qui raccorde horizontalement la base de ce puits à la surface topographique (fig. 4); en effet BLANCHET et CHAGNY [3] disent y avoir rencontré, sur 15 à 20 m entre deux masses de couches berriasiennes bien caractérisées, une « lentille de Berrias présentant l'aspect du Tithonique » et « à pendage 75° est »: il s'agit, selon toute vraisemblance, de l'extrémité frontale de l'écaille tithonique du Jalla, chevauchant sur le Berriasien en renversée par crochon sous la faille de la Bastille (fig. 4).
C. Failles verticales.
Bien que leur rejet soit modeste, au maximum décamétrique, on ne peut passer sous silence les failles orientées N0° à N 20°, à plan subvertical, qui occasionnent un soulèvement de leur compartiment ouest. Le miroir de l'une d'entre elles, montrant des stries fortement inclinées (70°) vers le Sud, a été dégagé par l'excavation pratiquée a l'extrémité nord-ouest de la plate-forme de la Bastille; on y constate en outre que cette faille est tardive par rapport aux chevauchements transverses (dont les plans sont tordus en rebroussement vers le haut).
D'autres cassures verticales, également de rejet modeste, ont des directions plus transverses: c'est le cas de la faille qui décale cartographiquement d'une dizaine de mètres le Tithonique, dans le sens dextre, vers 420 m d'altitude dans les remparts occidentaux descendant de la Bastille (* ).
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(*) Ni sa direction ni son pendage ne sont compatibles avec l'interprétation qui consiste à y voir l'extrémité sud de la faille de la Saucisse [3]; cette dernière, mal observable à vrai dire, appartient à la famille des chevauchements transverses et son tracé passe peu en amont du Fort du Rabot et des Instituts de Géologie et de Géographie (= faille du Rabot in [6]).
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Les représentations de la colonne de droite montrent que des plis ouverts qui se succèdent donnent une image très analogue qu'ils soient de type S ou Z.
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Il. LES PLIS
On rencontre des plis de taille hectométrique, qui apparaissent en cartographie et affectent le Tithonique au même titre que les autres assises, et des plis décamétriques à métriques, d'observation plus ponctuelle, qui caractérisent les formations à alternances de bancs calcaires et de lits marneux (Kimméridgien inférieur: couches de la galerie du Saint-Eynard) ou simplement en petits bancs (« Séquanien » = Kimméridgien basal - Oxfordien terminal).
Tous ces plis ne sont que des ondulations mineures du flanc ouest de l'anticlinal de l'Écoutoux (fig. 2) et, à ce titre, sont fréquemment peu accusés. Leurs axes sont tous subméridiens (N 160° à N 20°) et plongent nettement vers le Nord. Par contre leur forme, plus ou moins fermée, et la disposition dans l'espace de leur plan axial conduisent à y distinguer plusieurs types (fig. 5):
- les plis les plus accusés (fermés à près de 90° ou même aigus) ont un flanc court penté en sens opposé du reste des assises de la montagne. Par rapport à ces dernières le plan axial peut être déversé vers l'aval (type S) ou vers l'amont (type Z); il peut, de plus avoir des azimuts assez différents (types S' et S") et une inclinaison variable (types Z' et Z");
- ceux qui sont moins accusés se limitent à de simples ondulations à charnière plus ou moins obtuse où le flanc court pend dans le même sens que le flanc long: ils ne permettent en général pas de distinguer sans ambiguïté leur appartenance aux types S ou Z, notamment lorsqu'ils se succèdent d'assez près pour que la distinction entre flancs courts et flancs longs ne soit plus possible (fig. 5, 2).
Nous nous limiterons donc surtout à l'étude des plis dont la charnière est suffisamment fermée pour permettre les distinctions ci-dessus (fig. 6).
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En grisé les plans axiaux des plis (leurs axes sont tous proches de N.-S.).
En hachuré les surfaces de chevauchement des failles (les hachures sont orientées à peu près selon la direction des mouvements).
Les demi-flèches notées F.L. et F.T. indiquent les sens de mouvement liés respectivement au jeu des failles longitudinales (par exemple le chevauchement du Jalla) et au jeu des failles transversales (par exemple la faille de la Bastille).
L'évolution qui a conduit à ces dispositions est envisagée figure 12.
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A. Plis S'.
Les charnières y sont déversées vers l'aval des couches (anticlinaux à flanc ouest court) et le plan axial pente vers le NE ; ils sont surtout représentés par des plis hectométriques, et notamment par ceux reconnus par BLANCHET et CHAGNY [3]: ces deux auteurs désignaient du nom de « torsions » les quatre charnières majeures, alternativement anticlinales et synclinales dont les traces axiales traversent la montagne, en diagonale descendante vers le Sud, entre le Jalla et le niveau de l'Isère. L'axe, N-S, plonge d'environ 30° vers le Nord et le plan axial, orienté environ N 130°, pend d'environ 45° vers le NE. En fait ces plis délimitent, entre une charnière synclinale bien dessinée et la charnière anticlinale, toujours plus ou moins rompue, qui lui fait suite vers le haut, des bandes basculées, de largeur hectométrique, où le pendage est subvertical, voire renversé. On peut en fait dénombrer cinq de ces kink-bands hectométriques, étagées entre l'Isère et le sommet du Rachais, au flanc ouest de l'anticlinal de l'Écoutoux (fig. 2); elles correspondent en outre aux principales zones de fracturation transverse, de sorte que l'on peut dire aussi que les charnières de ces plis sont les crochons des principaux chevauchements vers le SW. Quoi qu'il en soit l'association des plis S' avec les chevauchements transverses indique clairement que les uns et les autres matérialisent les effets d'un cisaillement identique, de chevauchement vers le SW, qui déforme le flanc ouest de l'anticlinal de l'Écoutoux (*).
(*) Cette déformation a déjà été signalée brièvement par d'autres auteurs [8] qui l'ont attribuée aux effets d'une deuxième phase de plissement. Rien ne permet ici de séparer aussi nettement dans le temps ce cisaillement chevauchant de la formation des plis méridiens.
A l'échelle décamétrique et métrique peu de plis de ce type ont été rencontrés; ceci est sans doute dû à ce qu'ils interfèrent alors avec les autres types de plis en donnant des zones d'ondulations mal analysables: tel semble être le cas dans le soubassement des remparts SE de la Bastille où s'associent effectivement plis en S et plis en Z (fig. 7).
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Fig. 7 - Disposition des assises séquaniennes dans le soubassement des remparts, au Sud-Est de la Bastille, (croquis d'après photo, annoté et complété sur le terrain).
La coupe naturelle est orientée SW-NE elle est donc très oblique aux couches (dont elle donne une image affaiblie du pendage) et aux axes de plis. Elle est par contre à peu près perpendiculaire au plan de la faille de la Bastille.
On note le mélange de types différents de plis et leur appartenance souvent incertaine aux types reconnus dans l'article; les plis attribuables à un type donné ont été désignés par le symbole correspondant.
Quelques mesures de pendage ont également été indiquées elles concernent soit des strates (s) soit des pans axiaux de plis (P) soit encore la surface de chevauchement de la faille de la Bastille (F). L'ensemble des couches pend fortement et se renverse même dans la partie masquée par les remparts (bancs sud-ouest de l'anticlinal de la Bastille).
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B. Plis S".
Les charnières, toujours déversées vers l'aval des couches, se distinguent par leur plan axial orienté vers le N-NW (azimut N 90° à N 50°). Ces plis, que l'on ne rencontre pas dans le Tithonique. affectent par contre aussi bien le Kimméridgien inférieur (plate-forme de la Bastille), le Séquanien (pentes du Rachais) que l'Argovien (square de départ de la Montée Chalemont). Cette répartition stratigraphique trahit certainement le rôle d'un certain taux de glissement couche sur couche lors de leur formation, ce qui est également à mettre en relation avec leur amortissement relativement rapide (qui intervient, d'une façon ou d'une autre en quelques dizaines de mètres).
L'étude des exemples les plus représentatifs met en évidence deux aspects importants de ces plis (fig. 8, 9 et 10) :
1. - Ils sont génétiquement (et souvent aussi spatialement) associés (**) aux failles longitudinales chevauchantes et résultent du même mouvement de cisaillement vers l'Ouest qui a créé ces dernières (ceci est particulièrement net dans le cas des plis des ravins de Pierre Mode, à l'Ouest de Chantemerle. qui sont disposés en crochons le long de la surface de chevauchement du Jalla) ; de ce fait on est conduit à les considérer comme précoces par rapport au ploiement de l'anticlinal de l'Écoutoux, ce qui explique leur déversement vers le bas (basculement posthume).
2. - Ils déforment la schistosité régionale en la basculant vers l'Ouest (au point parfois de la renverser au-delà de l'horizontale) mais l'utilisent comme schistosité de plan axial. ce qui porte à les considérer comme synschisteux. En fait le comportement de détail de la schistosité tend à indiquer qu'elle a dû apparaître avant la formation des plis S", car dans leurs flancs elle subit un basculement à peu près identique à celui des couches; sa disposition plan axiale et la densité accrue qu'elle manifeste dans les charnières amènent à considérer que sa formation s'est continuée en même temps que celle des plis S" intervenait.
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Fig. 8. - Les plis de la plate-forme de la Bastille (croquis d'après nature; A = coupe d'ensemble; B = détail du pli S du secteur désigné par un astérisque).
L`affleurement représenté est offert par l'entaille de l'extrémité NE de la plate-forme. Il est constitué par des calcaires argileux en petits bancs, disposés en faisceaux de bancs plus calcaires à joints marneux minces alternant avec des faisceaux où prédominent les lits plus marneux, qui appartiennent à la partie inférieure des couches de la galerie du Saint-Eynard >> (Kimméridgien inférieur).
La coupe naturelle donnée par cet affleurement est à peu près perpendiculaire aux couches et aux axes de plis. Elle permet de constater que les plis S" sont associés et cogénétiques d'une fracturation longitudinale mineure qui est parallèle a leur plan axial aussi bien qu'identique, à la différence de rejet près, aux failles du Jalla. En outre la schistosité s'y montre tordue et vient s y disposer à peu près parallèlement au plan axial et à ces failles.
On notera plus précisément:
1. à la partie droite des affleurements figurés en A l'amortissement du pli représenté en B; cet amortissement est obtenu à la faveur des petites failles (FL.) dont la disposition est indiquée schématiquement.
2. la disposition de la schistosité, au voisinage de ces failles et du plan axial des charnières : il n'y a pas superposition mais torsion par rapport à la schistosité exprimée dans la partie supérieure gauche de l'affleurement représenté en B.
3. dans la partie droite de B le très net « enroulement » de la schistosité, dont le pendage varie pratiquement de la même façon que celui des couches. pour prendre une attitude proche de celle du plan axial du pli anticlinal.
De plus on remarquera la présence d'un niveau relativement marneux (repéré par un X au centre du croquis A), où la schistosité prend localement la même disposition qu'au voisinage du plan axial des plis S": ce niveau a sans doute été le siège d'un cisaillement selon le sens indiqué par les demi flèches.
Enfin l'extrémité gauche du croquis A localise le passage d une petite faille transversale (affectant le secteur plan axial de l'anticlinal de la Bastille). dont la disposition est résumée par un schéma: un synclinal de type S' en constitue le crochon.
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C. Plis Z'.
Ce sont des plis à peu près droits (plan axial proche de la verticale). On en rencontre un bel exemple vers 650 m d'altitude dans le ravin situé 250 m au NE du Bec du Corbeau; la schistosité s'y organise suivant le double éventail de charnière des plis synschisteux (convergent vers la voûte dans les lits marneux et divergent dans les bancs plus calcaires).
Ces plis présentent toutes les caractéristiques voulues, et notamment le sens du déversement, pour être considérés comme des plis parasites induits par le déplacement relatif vers la voûte, des assises externes du pli de l'Écoutoux, lors de sa fermeture progressive. Ils restent néanmoins relativement rares, ce qui porte à se demander si leur développement n'a pas été contrarié par celui des plis S" (de déversement opposé): cela impliquerait une certaine contemporanéité dans leur formation qui n'est pas absolument inconcevable pourvu que chaque type de pli se forme en des lieux bien distincts (fig. Il). Mais il est plus probable qu'ils soient apparus dans un stade ultérieur correspondant non a la naissance mais à l'accentuation du dessin de l'anticlinal de l'Écoutoux: une observation plaidant en ce sens a été faite dans un pli Z' voisin des plis S de la Pinotte: la schistosité, ici orientée parallèlement au plan axial de ces derniers, y est apparemment tordue (« enroulée ») dans la charnière Z' (fig. 9, A 3).
D. Plis Z".
Ce type de pli peut être confondu avec les plis en S' si l'observation ne porte que sur une seule charnière car leur plan axial est incliné vers l'E-NE d'environ 40 à 50°. Le contexte environnant montrant la position (du côté est de la charnière anticlinale) des flancs courts lève l'ambigüité. Divers exemples. peu nombreux au demeurant, ont été relevés, dans le Kimméridgien supérieur le long du sentier du parc Guy Pape, et dans le Séquanien au lacet le plus oriental de l'ancienne route militaire, sous la Bastille. Dans les deux cas ils se développent au sein d'un flanc est, redresse, de pli S et peuvent pour cette raison être comparés à des plis Z basculés vers l'W ou le SW. De fait ils présentent bien l'aspect de ces plis (avec les éventails de schistosité de charnière) à cette différence que leurs flancs subissent une incurvation qui affecte aussi la schistosité (le pendage de celle-ci varie de la même valeur que celui des couches) (fig. 6).
111. CONCLUSIONS
De l'analyse qui précède découlent plusieurs conclusions:
A. - Trois processus principaux seulement sont à l'origine des structures observées:
1 ) Le cisaillement de flanc induit par la fermeture progressive des grands anticlinaux méridiens ne paraît responsable que des rares plis en Z.
2) Un cisaillement tangentiel très peu oblique aux couches est intervenu précocement, peu après le début de l'apparition de la schistosité: il a créé les chevauchements longitudinaux et les plis S".
3) Un cisaillement plus oblique aux couches est à l'origine des failles chevauchantes transverses et des plis S'; il semble responsable également de la création des plis Z" par déformation des Z'. C'est une déformation plus tardive que les deux autres.
B. - Le scénario des événements tectoniques serait donc le suivant (fig. 12):
1 ) Un serrage à peu près Est-Ouest fait apparaître un début de schistosité; en même temps il déclenche un cisaillement plus ou moins diffus dans la pile des couches, ce qui tend à en déplacer les plus élevées vers l'Ouest par rapport aux plus basses. Ce cisaillement se concentre le long de couloirs où naissent, selon que la roche se plie ou se rompt (et donc en fonction des caractères lithologiques de chaque niveau), des plis (type S") ou des chevauchements (longitudinaux).
2) Un stade ultérieur du serrage amène la fermeture progressive des plis d'ampleur kilométrique et s'accompagne de la formation, sur leurs flancs, de plis parasites (type Z'); les structures antérieurement formées sont donc tordues (ou basculées, dans le cas des petits plis).
3) Plus tard encore apparaissent les chevauchements vers le Sud-Ouest, grossièrement transversaux aux flancs des grands plis, et les torsions qu'ils induisent (plis S').
4) Enfin se produit un basculement d'ensemble, grossièrement vers le Nord: en effet le plongement nord, général, de tous les axes de plis ne peut guère résulter de l'acquisition par les couches, antérieurement à tout plissement, d'un pendage dans ce sens. Il est donc tardif et représente probablement [9] le résultat du soulèvement, selon un axe NE-SW, du massif de Belledonne.
Un autre effet de ce basculement a été de transformer les changements de pendage de la schistosité (introduits par la torsion autour d'axes horizontaux, lors de la formation des plis S" et S', et par sa réfraction) en torsions azimutales. En outre les linéations de mouvement liées aux chevauchements ont dû être également basculées, ce qui amène en particulier celles des chevauchements longitudinaux à être actuellement plongeantes vers le SW (4, fig. 12).
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C - La place de ces déformations dans le contexte régional n'est évidente que pour une seule catégorie, celle des plis majeurs, qui correspondent au trait le plus visible de la structure des massifs subalpins de la Chartreuse et du Vercors.
En ce qui concerne les chevauchements actuellement transverses, tardifs, on ne peut pas les assimiler exactement aux autres chevauchements bien connus dans ces massifs car leur disposition spatiale est trop différente; pourtant ils traduisent une même tendance à la rupture des flancs de plis par déversement vers l'Ouest. Par ailleurs on sait [7] que ces grands chevauchements subalpins ont été associés à des décrochements, les uns dextres NE-SW, les autres sénestres NW-SE. La nette prédominance des mouvements le long des premiers a pour effet que cette étape de déformation se caractérise par une composante de transport des masses rocheuses vers le SW: il est donc séduisant d'envisager que les failles transversales du chainon du Rachais sont des cassures de la famille décrochante sénestre, basculées vers le SW dans cet ensemble de mouvements à la fois chevauchants et latéraux.
Quant aux chevauchements longitudinaux ils appartiennent a une catégorie de déformations précoces qui n'avait été mise en évidence nulle part aux environs de Grenoble. Certes le mouvement de cisaillement résultant du jeu de chacun des accidents décrits dans le chaînon du Rachais est modeste mais, compte tenu de leur multiplicité probable, leur rejet cumulé doit être non négligeable. Tout indique d'ailleurs que les chevauchements du Jalla se poursuivent, au Sud-ouest de Grenoble et de sa plaine alluviale (fig. 1 et 13), par le grand chevauchement du massif du Moucherotte, à la bordure orientale du massif du Vercors [10]. De fait la surface de charriage de ce dernier, également peu oblique par rapport aux couches(*), dessine de larges ondulations dues à sa torsion par les plis méridiens que traverse la Cluse de l'Isère. Il s'agit donc bien d'un chevauchement précoce par rapport à ces plis, encore que (comme cela est évident dans le secteur de Saint-Nizier [10]) ce soit là un accident apparu postérieurement au dépôt des molasses miocènes.
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(*) Ceci est en fait souvent masqué par le développement, parfois considérable (dans l'Urgonien notamment). des crochons de rebroussement accompagnant la surface de chevauchement (coupe 3, fig. 13).
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D. - En définitive les dispositions structurales montrées par le chaînon du Rachais, bien qu'elles puissent n'apparaître que comme des détails locaux, apportent en fait un éclairage nouveau sur la tectonique des chaînes subalpines des environs de Grenoble. La mise en évidence de la nécessaire distinction entre des chevauchements précoces, replissés, et des chevauchements tardifs (tous cependant post-miocènes) est un apport non négligeable à la connaissance de l'évolution tectogénétique de ce secteur des Alpes externes françaises.
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OUVRAGES CITÉS
[I] VIALON P. (1974). - Les déformations synschisteuses superposées en Dauphiné. Bull. suisse de Minéralogie et de Pétrographie, vol. 54, 2/3, p.663-690.
[2] KILIAN W. (1904). - Les dislocations de la montagne de la Bastille. C.R. de l'Ass. Fr pour l'avancement des Sciences. congrès de Grenoble.
[3] BLANCHET F. et CHAGNY E. (1922). - Le promontoire de la Porte de France près de Grenoble. Bull. Serv. Carte Géol. France, n° 149. t. XXVI, p.255-266.
[4] PUSSENOT Ch. (1923). - Sur la structure des montagnes entre la Vence et le Moucherotte. C.R. Som. Soc. Géol. France, n° 13, 25 juin, p.143-145.
[5] GIGNOUX M. et MORET L. (1944). - Géologie dauphinoise, Arthaud, Grenoble.
[6] BARBlER R. et DEBELMAS J (1960). - La structure du chaînon Bastille-Jalla - Mont Rachais, près de Grenoble. C.R.A.S., séance du 28 mars, p.2593-2595.
[7] GIDON M., ARNAUD H. et MONJUVENT G. (1978). - Carte Géologique de la France à 1/ 50 000'', feuille Grenoble, 2° édition, B.R.G.M.
[8] GRATIER J.P., LEJEUNE B, VERGNE J.L. et VIALON P. (1975). - Les rotations et glissements des plis synschisteux anciens de la bordure du sillon subalpin. C.R. 3' Réunion des Sc. de la Terre, Montpellier, p.174.
[9] GIDON M (1981). - Les déformations de la couverture des Alpes occidentales externes dans la région de Grenoble; leurs rapports avec celles du socle. C.R.A.S., t.292, s. II, p.1057-1060.
[10] DEBELMAS J. (1966). - Structure géologique du massif du Moucherotte. Trav. Lab géol. Grenoble, t.42, p.109-116.
Manuscrit déposé le 20 avril 1981.