Note (*) de MM. Maurice Gidon et Jean-Claude Barféty, transmise par M. Maurice Collignon.
On sait que la zone briançonnaise orientale, à l'Est de la vallée de la Guisane, est constituée par un ensemble d'unités empilées se renversant vers l'Est, sous l'effet d'un rétrocharriage tardif. Sans mettre en cause, pour l'essentiel, ce schéma, nos levés détaillés sur les feuilles Briançon et Névache à 1/50 000e montrent qu'il est insuffisant pour rendre compte des structures réelles (fig. 1).
Ainsi qu'il apparaît sur les coupes que nous présentons (fig. 2):
-Les unités superposées ne se ploient pas autour d'une zone de renversement unique et l'on observe plusieurs charnières de "rétrodéversement" se succédant d'Ouest en Est.
-Les rapports de contact entre les unités ne relèvent pas toujours de chevauchements tangentiels et bon nombre d'entre eux doivent être considérés comme des contacts par failles longitudinales.
Ces fractures longitudinales, souvent soulignées par des masses importantes de gypses et cargneules, sont nombreuses et s'anastomosent entre elles en délimitant des compartiments losangiques allongés. Leur étude, notamment celle de la cassure majeure, que nous appellerons " faille de la Clarée " (car elle emprunte le talweg de cette rivière à l'aval de Névache), et dont nous avons reconnu la continuité du col de l'Izoard jusqu'aux abords de Modane (sur plus de 50 km), montre qu'elles présentent les caractères suivants:
- a. Elles recoupent les plis affectant les unités chevauchantes et notamment les plis déversés vers l'Est: elles sont donc tardives non seulement par rapport au charriage principal, mais aussi par rapport à la phase de rétrocharriage.
- b. Leur rejet est difficile à évaluer avec précision; il est certain qu'il dépasse, le plus souvent, des valeurs kilométriques et il est probable qu'il possède une composante de coulissement (sans doute dextre), en raison des dissemblances profondes entre les compartiments juxtaposés.
- c. Les plans de cassure possèdent en général un pendage qui varie suivant le niveau auquel on l'observe: ces variations traduisent une torsion liée à un rétrocharriage (rabattement vers l'Est des parties hautes); d'autre part, la trace cartographique de ce faisceau d'accidents s'infléchit nettement du Nord au Sud, en suivant la courbure de l'arc alpin. Ces cassures ont donc été déformées par les phases tectoniques ultimes.
- d. Les failles subméridiennes de ce faisceau coexistent avec un double système de fractures transverses dont les orientations et les sens de rejets sont tels que l'on puisse y voir deux familles conjuguées (N 40 à N 60 avec rejets dextres et N 130 avec rejets senestres) créées par un même serrage N 90. Nous n'avons pas constaté que ces failles, en particulier celle séparant le Janus du Gondran, antérieurement reconnue par M. Lemoine (1), traversent et affectent notre faisceau méridien. Au contraire, elles nous ont toutes paru s'interrompre contre les cassures subméridiennes ou n'en décaler le tracé que médiocrement (fig. 1). Ces failles transverses sont donc, par rapport aux failles subméridiennes, soit antérieures (et affectées d'un léger rejeu), soit cogénétiques et synchrones, avec interaction des deux réseaux l'un sur l'autre.
- e. En plusieurs points on trouve, au passage de la faille, des lambeaux amygdalaires d'épaisseur décamétrique ou hectométrique qui sont à rapporter aux " écailles intermédiaires " de M. Lemoine (2), ce sont les copeaux de micaschistes chloriteux ou de quartzites associés à des schistes noirs de la crête des Oules à l'Ouest de Rochebrune [M. Lemoine (2)], du Laus-Alpe de Guian à l'Ouest de Cervières (coupe n° 7, fig. 2), des pentes ouest du Gondran et des rives de la Clarée au-dessus de Val des Prés et de Plampinet (coupe 4, fig. 2). La situation de ces terrains, originaires de la zone d'Acceglio, ne peut s'expliquer, dans les cas cités ici, par une simple imbrication tangentielle. Une mise en place par entraînement horizontal lors d'un coulissement nous paraît plus aisée à concevoir.
A notre connaissance, et dans les limites de la présente étude, aucun des contacts entre les unités briançonnaises calcaires et la zone du Gondran ne peut être considéré avec certitude comme résultant d'un chevauchement ; dans la plupart des cas, il s'agit clairement au contraire de failles longitudinales. Ces faits de terrain inciteraient l'un de nous (M. G.) à remettre en question l'interprétation de M. Lemoine, suivant laquelle la zone du Gondran s'enracinerait entre Briançonnais et Schistes lustrés (hypothèse de l'enracinement de Rochebrune) (fig. 2, dernière coupe). Puisque dans la plupart des cas le Trias calcaréo-dolomitique de la série du Gondran est en repos tectonique direct (plus ou moins complexe) sur les schistes lustrés, la position paléogéographique initiale de la zone du Gondran ne serait pas obligatoirement intermédiaire entre Briançonnais et Piémontais. Une origine très interne (" ultrapiémontaise ") de cette zone ne doit pas être écartée, surtout si l'on considère les nettes affinités austroalpines de sa succession stratigraphique.
Il est impossible de ne pas remarquer enfin que notre zone de fracture de la Clarée se poursuit vers le Nord par l'accident complexe du Val de Chavière, qui sépare la Vanoise occidentale de la Vanoise orientale et, vers le Sud, par les zones fracturées du Col de Bramousse, du Col Tronchet et du Col Mary jusqu'en Val Maira, constituant ainsi un linéament majeur dans la tectonique des zones internes des Alpes occidentales.
En conclusion, nous pensons que le caractère très fracturé de la bordure orientale de la zone briançonnaise, qui conduit finalement à la décrire comme une juxtaposition de compartiments oblongs, en lanières, allongés du Nord au Sud, est une notion importante et tectogénétiquement significative.
Si, comme nous l'avons indiqué déjà [J.-C. Barféty, M. Gidon, C1. Kerckhove (3), et M. Gidon (4)], ce caractère se retrouve dans d'autres portions de la zone briançonnaise, ainsi que dans d'autres régions, plus externes (en particulier dans la zone subbriançonnaise), c'est toutefois, semble-t-il, dans le secteur frontière entre domaine briançonnais et domaine piémontais, qu'il est le plus accusé.
Cela souligne et éclaire d'un jour nouveau le caractère de joint structural que revêt sur toute sa longueur la zone briançonnaise, étirée en une étroite bande axiale le long de l'arc alpin.
(*) Séance du 20 octobre 1975.
(I) M. LEMOINE, Comptes rendus, 259,1964, P. 845-847.
(2) M. LEMOINE, Trav. Lab. Géol. Grenoble, 37,1961, P. 97-119.
(3) J.-C. BARFÉTY, M. GIDON et Cl. KERCKHOVE Comptes rendus, 267, Série D,1968, P. 394-397.
(4) M. GIDON, Géologie Alpine, 48, 1972, P. 87-120.
Laboratoire de Géologie Alpine associé au CNRS,
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