Note (*) de MM. Maurice Gidon et Jean-Louis Pairis, transmise par M. Léon Moret.
À leur terminaison sud les chevauchements de Digne semblent avoir été en liaison génétique, comme plus au Nord, avec des fractures de décrochement subméridiennes avant de subir la phase de compression transversale ponto-pliocène. L'importance et la généralité de la phase précoce de serrages longitudinaux dans les Alpes occidentales méridionales sont de nouveau soulignées.
L'étude du Dévoluy méridional nous a montré que les chevauchements de Digne y naissent aux dépens d'une zone de fractures coulissantes subméridiennes; ceci nous a incité à reprendre l'étude de la terminaison méridionale de ces chevauchements (fig. 1): les données de terrain ainsi recueillies dans la branche nord-occidentale de l'Arc de Castellane (environs de Barrême) nous ont convaincus que la meilleure interprétation des déformations de ce secteur est fournie par un schéma du déroulement des événements tectoniques comportant les étapes suivantes:
1. PLIS PRÉCOCES, grossièrement est-ouest, antépriaboniens (première ébauche anticlinale Norante-Sommet de Saint-Martin). Après plissement et avant le Priabonien, une période d'érosion n'a laissé subsister le Crétacé supérieur qu'à l'Est d'une ligne Clumanc-Senez. Cette disparition du Néocrétacé est très rapide, ce qui indique que le Priabonien s'est déposé sur une surface très fortement oblique par rapport aux couches antérieures ; cela est confirmé d'ailleurs par les valeurs de discordance angulaire observables: à :moins d'un basculement d'axe nord-ouest - sud-est d'une valeur invraisemblablement forte, il faut que le rebord du Sénonien ait constitué alors une véritable cuesta à regard ouest. L'existence de ce paléorelief est en outre attestée par la transgressivité, d'Ouest en Est, du comblement tertiaire du bassin de Clumanc-Senez dont il constituait la bordure.
2. PLISSEMENT PRINCIPAL.-Les plis les plus marqués sont clairement datés par le fait qu'ils affectent énergiquement le Priabonien et s'amortissent synsédimentairement dans la molasse rouge stampienne. La disposition de ces plis ne nous parait clairement explicable qu'en tenant compte de la disposition topographique décrite ci-dessus. En effet, on observe deux types de plis: d'une part de vastes voûtes d'axe est-ouest (synclinaux de Pied-Gros et de Barrême, anticlinaux de Saint-Martin, du Saut du Loup et de La Barre) ont une extension d'ordre régional et traduisent un serrage nord-sud; d'autre part des plis parfois accusés mais de volume et d'extension restreints, d'axe au contraire subméridien, restent par contre remarquablement localisés au voisinage de la &laqno; paléocuesta » du Sénonien. Il est extrêmement probable que cette incohérence des directions structurales n'est qu'apparente et s'explique par un phénomène morphotectonique: à l'occasion du serrage nord-sud, la cuesta sénonienne (orientée Nord-Nord-Ouest - Sud-Sud-Est) a du subir une translation vers le Sud - Sud-Ouest (facilitée par la plasticité de son soubassement marneux médiocrétacé); par un &laqno; effet de raclette » le rebord de cuesta a accumulé devant lui un train de froncements locaux qui ont épousé sa direction subméridienne (fig. 2 a).
3. CISAILLEMENTS LONGITUDINAUX (fig. 2b).-Un certain nombre d'accidents cassants subméridiens avaient été méconnus et considérés comme des chevauchements satellites de celui de Digne; nous n'hésitons pas à y voir des fractures originellement subverticales et dotées d'un rejet coulissant horizontal. En effet cette interprétation explique remarquablement les sinuosités brutales des lignes isopiques ainsi que les torsions et les décalages des axes de plis dans ces zones de cassures (fig. 1); on distingue:
-le faisceau du Poil, dextre, Nord 170°, qui s'associe à Chabrières à des cassures sénestres Nord 50° anté-miocènes (Beynes);
-le faisceau de Gévaudan, dextre, Nord 170°, qui s'anastomose, dans le secteur de Castellane, avec l'extrémité sud-ouest du faisceau de fractures sénestres Nord 45° de Rouaine. Entre Gévaudan et le rebord ouest du synclinal de Taulanne une zone de fractures injectée de Trias est également dotée de mouvements sénestres.
Cette association de fractures dessine un système de dièdres verticaux assez conforme à celui qui doit théoriquement se créer dans un système de contraintes à serrage maximal Nord 30°. Ce système de contraintes rend également compte des ruptures tangentielles affectant les flancs sud des plis est-ouest: leurs plans listriques ont en effet une trace orientée sensiblement Nord 120°. Le plissement a donc cédé le pas à une déformation cassante qui s'est vraisemblablement propagée des assises profondes aux couches plus superficielles ; en effet le faisceau principal (du Poil) coïncide si bien avec la dorsale du Lias réduit que sa localisation a été certainement déterminée tant par les variations lithologiques qui s'y produisent que par le rejeu de l'accident de socle qui est vraisemblablement responsable de ce trait paléogéographique. Ces mouvements de secteur nord-sud se sont poursuivis après l'Oligocène; en effet, le long de l'accident Gévaudan - Taulanne se développent des plis en échelon [synclinal de Taulanne, anticlinal du Vabre (au Sud de Lioux), synclinal transverse du versant Nord du Bois de Lieye], d'axe proche de Nord 65°, qui peuvent être considérés comme résultant d'un entraînement dans un mouvement sénestre suivant le Nord 50°. Au Bois de Lieye ils s'accompagnent d'ailleurs d'un chevauchement synsédimentaire vers le Nord-Ouest au sein des molasses gréso-glauconieuses du début du Néogène. De plus, à l'Ouest de Chabrières le Mésozoïque et le Néogène sont reployés par la grande voûte anticlinale de Mallemoisson-Châteauredon qui est orientée Nord 120° (serrage Nord 30°).
4. SERRAGE TRANSVERSE FINAL (fig. 2 c). - Les mouvements est-ouest de la phase ponto-pliocène sont spécialement développés au Nord de Digne. A Barrême on peut leur attribuer le plissement en grandes cuvettes synclinales Nord 160° qui affecte toutes les assises jusqu'au Tertiaire le plus récent (Aquitanien - Burdigalien ?); le basculement de ces couches, qui atteint sur les deux flancs une valeur voisine de 45°, permet d'apprécier les modifications subies par les structures plus anciennes: sur le flanc ouest du synclinal de Clumanc - Barrême les axes des plis est-ouest sont devenus fortement plongeants, leurs surfaces de chevauchement très redressées dans leurs parties profondes, et les décrochements du faisceau du Poil renversés jusqu'à prendre localement un pendage ouest marqué; sur le flanc est par contre, les surfaces de décrochement sont devenues chevauchantes vers l'Ouest et les zones de marnes et de gypse (abondantes respectivement surtout au Nord et au Sud de Gévaudan) ont été écrasées et se sont déversées vers l'ouest, transformant en chevauchement dans leur partie haute des cassures subverticales en profondeur (accident de Gévaudan - Taulanne notamment). Au Nord-Ouest de Barrême le développement vers le Nord du chevauchement de Digne semble avoir les mêmes relations avec le grand faisceau de décrochements du Poil qui disparaît en tunnel précisément sous le chevauchement naissant, au nord-est de Chabrières: ceci n'est pas une coïncidence puisque de toute façon la limite entre la masse chevauchante et son autochtone se situe exactement comme celle des deux compartiments décrochés le long de la ligne de faiblesse paléogéographique de la limite orientale de la &laqno; dorsale du Lias réduit ».
CONCLUSIONS.-Comme en Dévoluy méridional nous obtenons un schéma évolutif qui repousse à une étape tardive les mouvements est-ouest et qui porte à voir dans les accidents méridiens actuellement chevauchants l'effet de la déformation d'un ancien système de fractures coulissantes. Il s'avère notamment que les chevauchements de Digne correspondent à une sorte de vaste collapse formé tardivement par plissement vers l'Ouest des parties les plus hautes de la lèvre orientale du dispositif de fractures du Poil, qui constitue leur enracinement. La célèbre charnière anticlinale de Norante que l'on présente classiquement comme l'accident par lequel s'amortit ce chevauchement vers le Sud peut difficilement avoir joué ce rôle car elle est trop transverse aux déplacements et s'intègre en réalité à une famille de plis d'age antérieur.
Nous soulignons de nouveau combien l'importance des mouvements liés à un serrage nord-sud précoce nous semble avoir été sous-estimée dans les Alpes occidentales méridionales: en particulier la genèse de l'Arc de Castellane (et sans doute aussi celle des Arcs de Nice et des Baronnies) doit correspondre non à une inflexion de plis (entre deux moles résistants) au cours d'un déplacement d'ensemble avec serrage d'Est en Ouest, mais à un processus au moins en deux temps: une première déformation fondamentale, anté-pontienne, a produit, dans un mouvement nord-nord-est sud-sud-ouest, des plis de serrage direct (branche sud des arcs) et des décrochements dextres subméridiens avec plis obliques d'entraînement (branches ouest). Les distorsions par mouvements est-ouest sont seulement responsables d'effets surajoutés de chevauchements vers l'Ouest et de larges plissements d'axe nord-sud. Les premières déformations sont prédominantes dans la large bande nord-ouest - sud-est qui va de Die à Nice, au contraire les compressions est-ouest ne sont énergiquement ressenties qu'au nord-est de la ligne Die - Gap - Argentera (où elles ont déterminé des décrochements dextres Nord 45°). cette interprétation s'accorde bien avec les vues suivant lesquelles l'Arc des Alpes occidentales résulterait de la superposition des effets de mouvements successifs de sens différents.
(·) Séance du 26 avril 1971.
(Laboratoire de Géologie Alpine associé au C. N. R. S., Institut Dolomieu, Université Scientifique et Médicale, 38-Grenoble, Isère.)
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