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039 - Annales du Centre d'Enseignement supérieur de Chambéry, n°5, t. 2 (1967), p. 79-102


Nouvelles observations géologiques sur le secteur chambérien du massif de la Grande Chartreuse (Savoie)

par Maurice Gidon (1), avec la collaboration de G. LE HEGARAT (2) et J. REMANE (3).
(1) Institut Dolomieu, Laboratoire de Géologie-Minéralogie-Pétrographie de la Faculté des Sciences de Grenoble; Laboratoire de Géologie alpine, associé au C.N.R.S.
(2) Département des Sciences de la terre de Lyon; Centre de Paléontologie des invertébrés, associé au C.N.R.S.
(3) Geologisch-Palaeontologisches Institut der Georg-August Universitat, Gottingen (Allemagne fédérale).


La région faisant l'objet de la présente note [Fig.1] correspond à la zone montagneuse comprise entre le vallon de Lélia à l'ouest, les Abîmes de Myans à l'est et Entremont-le-Vieux au sud. Les résultats qui vont être exposés ont été obtenus au cours d'une étude dont le but initial était la rédaction de la feuille Montmélian de la carte géologique de la France au 1/50 000. Il s'est vite avéré au cours de ce travail que, si l'on pouvait assez facilement distinguer, dans ce groupe montagneux du Joigny, plusieurs ensembles lithologiques superposés et cartographiables, par contre l'âge relatif de ces terrains et leur disposition tectonique pouvaient prêter encore à de larges discussions.
Sur ce dernier point, I'hypothèse qui prévalait [1] consistait à interpréter la succession lithologique de la façon suivante (de bas en haut) :
- à la base, des calcaires à ciment, exploités par les établissements Chiron, se terminant par un niveau de calcaires spathiques ou oolithiques désignés (depuis J. Revil) du nom de " calcaire grossier de Montagnole " représenteraient le Berriasien;
- au-dessus, un ensemble essentiellement marneux, formant talus au pied des crêtes du Pas de la Coche, du Pas de la Fosse, de la Gorgeat et de la Drière, serait attribuable au Valanginien;
- la corniche calcaire dominant ce talus (" Gros bancs du Pas de la Fosse "), qui se repère aisément dans le paysage, depuis Chambéry même, a été reconnue de longue date comme berriasienne; du fait de son pendage conforme à celui des marnes sous-jacentes (attribuées au Valanginien), on ne peut l'interpréter que comme le cur d'un pli-couché (carte Chambéry au 1/80 000e, deuxième édition) ou éventuellement comme une lame tectonique chevauchante. Remarquons que le faciès de ces calcaires berriasiens est notablement différent de celui des couches berriasiennes des exploitations Chiron, ce qui peut se comprendre en admettant que le chevauchement de cette lame tectonique est d'une ampleur suffisante pour avoir permis un changement latéral de faciès;
- la série monotone, essentiellement calcaire, qui surmonte les gros bancs du Pas de la Fosse et forme principalement la partie haute de la montagne de la Gorgeat (antécime nord du mont Joigny) a vu son âge varier suivant les auteurs : J. Revil l'attribuait au Valanginien en se basant sur des fossiles récoltés à Charcosse et sur les pentes du Joigny. P. Gidon a montré que, à peu de distance du sommet de la Lentille, elle livrait encore des faunes d'âge berriasien : I'explication proposée pour la récurrence berriasienne du Pas de la Fosse semblait donc pouvoir être appliquée ici encore, d'autant que ce dernier auteur observait et décrivait pour la première fois, à l'intérieur de cette série de la Gorgeat, des troncatures et biseautages de couches accompagnés de bancs bréchoïdes; la 2e édition de la carte géologique Chambéry au 1/80 000 traduit cette conception, dans laquelle on voit des lames tectoniques, berriasiennes à leur base, valanginiennes à leur sommet, se recouvrir à plusieurs reprises.
Au début de mes recherches, qui remontent à un diplôme d'études supérieures (Grenoble, inédit) effectué en 1954, et qui abordaient ce secteur par son versant sud, à partir de Saint-Pierre-d'Entremont, j'avais émis quelques doutes sur la prolongation méridionale de cette structure en écailles, car je n'étais pas parvenu à la déceler au sud du col du Granier. Par la suite, mes nouveaux levés cartographiques m'amenèrent, d'abord dans la haute vallée du Cozon, puis sur le versant septentrional même du mont Joigny, à me demander si la succession des couches que l'on y rencontrait ne correspondait pas tout simplement à une séquence stratigraphique normale, malgré la hauteur, à première vue invraisemblable (plus de 700 m de dénivellation), à laquelle on rencontrait encore des fossiles berriasiens au-dessus des couches à ciment bien datées de cet étage.
Il fallait donc reprendre l'étude stratigraphique de ces assises, en dépit de la grande difficulté d'y rencontrer des faunes suffisantes (ce qui ressortait des recherches déjà entreprises) : une tentative d'utilisation des microfaunes fut faite en pratiquant des lavages dans les marnes sous-incombantes aux gros bancs du Pas de la Fosse; elles livrèrent des faunes néritiques peu utilisables à des fins stratigraphiques puisque l'examen que voulut bien en faire M. Sigal concluait, sur la considération essentielle des Trocholines incluses, à un âge probablement hauterivien, qui paraissait tout de même inacceptable. Délaissant donc l'étude des niveaux marneux dont le caractère néritique et finement graveleux paraît à peu près général, je mis tous mes efforts à recueillir les plus médiocres débris d'Ammonites et à prélever, aussi systématiquement que compatible avec la forte épaisseur de la série à étudier, des échantillons des faciès calcaires les plus fins, dans l'espoir d'y rencontrer des microfaunes utilisables : effectivement, de nombreuses lames minces révélèrent, malgré la nature très généralement calcarénitique ou pseudo-oolithique de leur pâte, que ces calcaires contenaient, outre les Miliolidés, Algues, Bryozoaires et autres organismes néritiques nettement prédominants, une quantité non négligeable de Tintinnoidiens.
Les récoltes ainsi recueillies permettaient déjà de donner au problème stratigraphique posé par le Joigny une solution que j'ai brièvement exposée ailleurs [2]; il faut dire que ce résultat n'aurait pas pu être atteint il y a seulement une dizaine d'années. En effet, nos connaissances sur les Ammonites et les Tintinnoïdiens du Tithonique au Valanginien se sont beaucoup accrues, notamment dans le sens biostratigraphique, grâce surtout aux travaux effectués ces dernières années par MM. J. Remane sur les Calpionelles [3] et G. Le Hégarat [4] sur les Ammonites. Ces deux auteurs ont eu l'extrême amabilité de bien vouloir examiner mes échantillons et de me communiquer les précisions stratigraphiques (beaucoup plus fines que celles auxquelles j'avais pu aboutir moi-même) que ces faunes permettent de donner.
Ce sont les résultats nouveaux apportés par le fructueux concours de ces deux spécialistes que je veux maintenant exposer. Afin de donner aussi objectivement que possible les " pièces du dossier " et compte tenu du fait que ce secteur est fort proche de Chambéry (ce qui rend les précisions topographiques plus intéressantes), je décrirai d'abord sommairement les coupes les plus riches en renseignements que j 'ai pu y parcourir (en situant au mieux les récoltes dont je donne le résultat) [on trouvera plus loin, en figure 8, un tableau de coordination des faits stratigraphiques (établi sur la base des renseignements fournis par J. Remane et G. Le Hégarat) qui m'évitera le recours à trop de périphrases au cours de ces descriptions].

Coupe A : RAVIN DE LA GRANDE MONTAGNE (face nord de la Gorgeat).

[Fig. 2. Dans cette figure, comme dans les suivantes, les " gros bancs " sont marqués de hachures; les bancs organo-détritiques grossiers d'une ligne de points.]
De bas en haut :
1. Marno-calcaires bleutés évoquant de très près les couches à ciment de Montagnole et englobant, sur 10 m de haut, 3 bancs métriques d'un calcaire grossier gris roussâtre à débris d'Huîtres.
2. Calcaires un peu marneux gris, lités, en bancs de 20 à 50 cm. Les bancs sont plutôt plus épais au sommet et quelques-uns y montrent une pâte d'aspect sublithographique : ils ont fourni une association de la zone B supérieure (éch. 333).
3. Marnes franches à patine jaune, englobant, plutôt vers la base, un banc de calcaire roux largement spathique à débris d ' Huîtres.
4. Alternances de marnes et de bancs calcaires. Les bancs calcaires inférieurs, assez massifs et durs, atteignent une puissance de 1 à 3 m et ont une disposition lenticulaire avec discordances d'un banc à l'autre : ils ont fourni également une association de la zone B supérieure (éch. 336); quelques mètres plus haut (éch. 335) les Calpionelles sont les mêmes et on trouve en outre Neocomites aff. subalpinus et des Berriasella spécifiquement indéterminables : le cachet de cette macrofaune situerait ces bancs aux alentours des niveaux 147 du stratotype.
Plus haut, les bancs calcaires deviennent minces, graveleux et friables, isolés dans les marnes. Ils n'ont pas livré de Calpionelles mais une Berriasella indiquant toujours un Berriasien inférieur, ainsi que des Brachiopodes, Radioles d'Oursins, Bryozoaires, petits Polypiers, etc. (éch. 339).
Encore plus haut, les bancs calcaires alternent plus équitablement avec les zones marneuses et atteignent par endroits 0,5 à 1 m; ils sont le plus souvent un peu grenus, gris bleuté en profondeur et roussâtres en surface. Ils ont livré dans leur partie haute (éch. 337) des Calpionelles indiquant la limite zone B/zone C, ainsi que Berriasella subcallisto et B. berthei (forme évoluée aff. Obtusenodosa) nous situant effectivement aux abords des bancs 150 du stratotype.
5. Sans aucune surface dé discontinuité et par l'intermédiaire de bancs calcaires et marneux de 20 cm environ, régulièrement alternés sur 10 m, on passe aux gros bancs du Pas de la Fosse, au-delà desquels on ne peut plus suivre la coupe sans courir des dangers excessifs (falaises de la Gorgeat).

Coupe B : FALAISE DU PAS DE LA FOSSE.

Cette coupe, effectuée sur une dénivellation stratigraphique d'une trentaine de mètres environ, le long de la route N 512, m'a permis de constater que les calcaires massifs des gros bancs du Pas de la Fosse sont, au microscope, finement organo-détritiques (avec Milioles, plaquettes d'Échinodermes etc.) dans la plupart des cas, et qu'ils hébergent des Calpionelles indiquant, à la base (éch. 330) comme au sommet (éch. 329), la zone C. Tous les autres prélèvements effectués dans ces bancs, y compris dans la vallée du Cozon, ont indiqué le même âge.
Il faut noter également :
- que l'on n'y observe nulle apparence de charnière anticlinale couchée;
- que les bancs basaux ne paraissent pas pouvoir représenter la répétition renversée des bancs sommitaux, car tout au long de la falaise on trouve une succession de niveaux reconnaissables par leur morphologie, caractéristique à distance, comme par leurs successions lithologiques fines, observées marteau en main, sans qu'aucune symétrie de ces couches puisse être décelée entre la base et le sommet de la falaise;
- que je n'ai pu, ni en ce point ni en aucun autre, trouver la moindre trace de surface de chevauchement à la base de la falaise.

Coupe C : ÉCHINE POINTE DE L'ESSOR ­ PELLEYER - POINTE DE LA GORGEAT.

La coupe, bien qu'assez couverte par la végétation, est plus facile à parcourir sans hiatus d'observation que celle du ravin de Charcosse (très abrupt). Elle débute au pied est du pylône électrique du Pas de la Fosse et est en ce point interrompue en direction du nord par le passage, sous l'appui sud-est du pylône, d'une des " Failles du Pas de la Fosse " [5].
[Fig. 3.]
De bas en haut :
1. Petits lits de marnocalcaires gris passant à des marno-calcaires bleus feuilletés tendres et formant talus sur quelques dizaines de mètres.
2. Ressaut de 5 à 10 m de bancs calcaréo-marneux gris clair peu compacts, formant la " Pointe de l'Essor ". Ce niveau semble être assez précisément celui qui a livré le long de la route, à Charcosse, un nucleus de Neocosmoceras sp.
3. Bancs calcaires gris grenus, finement organo-détritiques, devenant roussâtres et passant vers le haut à un banc de calcaire spathique roux : les Calpionelles, rares (éch. 376 a), indiquent la zone C ou la zone D (?).
Ce niveau est assez visible et constant et peut constituer un niveau repère, situé environ 70 à 80 m au-dessus du sommet des gros bancs du Pas de la Fosse; il semble bien que c'est exactement ce niveau qui se retrouve, dénivelé par les failles, sur l'échine entre le Pas de la Fosse et la Pas de la Coche (points cotés 894 et 857 I G N, notamment).
4. Marnes bleues à patine blanche, puissantes d'une dizaine de mètres; rares Calpionelles indiquant (éch. 376 c) la zone C ou la zone D (?).
5. Série monotone de calcaires gris en bancs plus ou moins épais, avec ou sans passées marneuses (la plus importante vers 1 180 m d'altitude). Tous les échantillons (377, 378, 379, 380, 381), jusqu'à l'échine subhorizontale de la Lentille, indiquent le milieu de la zone D (la zone D inférieure n'est pas représentée avec certitude dans mes documents, mais il n'est pas certain que cela indique une lacune).
6. Après une petite passée marneuse affleurant mal (sauf dans la face nord-ouest de la Gorgeat, très abrupte) on trouve une succession régulière de bancs de 0,5 à 1 m de calcaire plus ou moins finement spathique ou grenu, toujours assez franchement organo-détritique à Milioles, etc. Les Calpionelles (éch. 382) y indiquent toujours la zone D moyenne et ce sont ces bancs qui ont fourni à P. Gidon : Neocosmoceras aff. curelense et plusieurs Berriasella aff. boissieri (formes évoluées intermédiaires avec B. rarefurcata), ces dernières nous situant au sommet de la " faune principale " de Berrias.
Les derniers affleurements montrent des bancs calcaires grenus et friables encore organo-détritiques (pseudo-oolitiques) qui semblent alterner avec des marnes; les Calpionelles (éch. 383) indiquent la zone D très vraisemblablement supérieure. La coupe est alors interrompue et ne reprend qu'aux calcaires bicolores massifs (type Fontanil) du sommet du Joigny.
Des coupes montrant des successions lithologiques très analogues peuvent également être relevées sur l'arête Gorgeat-col du Midi et dans le versant ouest du mont Joigny.

Coupe D : PENTES DU SEVERT, A L'EST DU PAS DE LA FOSSE .

Le point de départ de cette coupe est stratigraphiquement au même niveau que pour la précédente car il correspond au sommet des abrupts franchis par le torrent du Rousselet au " Saut de l'Ane ", abrupts dans lesquels on reconnaît sans peine les gros bancs du Pas de la Fosse.
[fig. 4].
x - x' indique l'emplacement de la coupe représentée.]
1. Les premiers bancs, au sud des maisons du Sévert, appartiennent encore (éch. 327) à la zone C. Ils sont suivis par une zone montrant surtout des marnes à petits bancs marno-calcaires.
2. Entre le hameau nord du Sévert et celui des Arêtes, se développe une série de bancs calcaires de 50 cm de moyenne, parfois de 1 à 3 m, avec entre-bancs plus ou moins marneux. Ils ont livré des Calpionelles indiquant la zone C (éch. 438 et 439) puis le passage C/D (éch. 449).
3. Au-dessus du hameau des Arêtes, on trouve presque uniquement des alternances de marno-calcaires et de marnes datées à la base de la zone D inférieure (éch. 440) et au sommet, de façon imprécise, de la zone D (éch. 441).
4. Les derniers bancs observables avant que la coupe soit interrompue par une faille consistent en une dalle de calcaires spathiques bicolores bleu et roux qui repose sur des marnes et marno-calcaires par un niveau localement disloqué (de façon comparable à ce que l'on observe dans des slumpings très évolués). Le calcaire roux a fourni (éch. 319) des microfaunes de la zone D moyenne alors que les marno-calcaires sous-jacents (éch. 448) sont à rapporter au passage C/D, comme le sommet de la formation 2; il y a donc lacune de la zone D inférieure alors que celle-ci était représentée dans la même coupe 500 m plus au sud-est. Il semble raisonnable d'expliquer ces faits par une érosion ayant précédé ou accompagné le dépôt de l'horizon organo-détritique n° 4.

Coupe E : RAVIN SUPÉRIEUR DU TORRENT DES FAVIERES.

Cette coupe, la seule qui donne une observation claire du sommet de la série, va du pont des Favières, sur la route N 512, aux ressauts orientaux du sommet du mont Joigny.
[fig. 5].
On trouve de bas en haut :
1. Calcaires marneux gris, finement grenus et régulièrement lités en bancs de 30 cm. Cette formation se poursuit vers le bas
jusqu'en contrebas de la traversée du torrent par la route Charcosse-Apremont.
2. Calcaires à pâte plus fine, en bancs métriques, ayant livré à leur sommet (éch. 387) une Berriasella sp. ind. et des Calpionelles indiquant la zone D moyenne.
4. Au-delà et sur une petite centaine de mètres se succèdent régulièrement des marnes litées avec rares petits bancs un peu plus calcaires.
5. Enfin (alt. 1200), les marnes font place par un contact assez brutal à des calcaires bicolores organo-détritiques grenus ou spathiques qui représentent indubitablement la base de la formation des " calcaires du Fontanil ".
Il semble probable que le niveau 3 de cette coupe soit celui qui héberge, au nord-ouest du col du Granier, une grosse lentille de calcaire organo-détritique graveleux qui n'a pas fourni de Calpionelles mais dans lequel j'ai récolté un gros échantillon de Thurmanniceras (?) sp. ind. et Nautilus (Pseudocenoceras) berriasensis, Pictet (Détermination de Mme M. CAPDEPON, Institut Dolomieu, Grenoble).

Coupe F : RAVIN INFÉRIEUR DU TORRENT DES FAVIERES (APREMONT).

Les coupes naturelles de ce secteur permettent de situer dans la série plusieurs gisements fossilifères à Ammonites.
[Fig. 6. Z-Z indique l'emplacement de la coupe représentée.]
On observe de bas en haut et du sud-ouest au nord-est :
a) dans le lit du torrent et sur sa rive gauche :
1. Alternances assez régulières de marnes et de calcaires marneux en lits de 20 à 30 cm.
2. Calcaires assez durs à pâte gris-roussâtre, en bancs de 0,5 à 1 m; au microscope, ils sont organo-détritiques avec des Calpionelles qui indiquent la zone D inférieure vers leurs base (éch. 434).
3. Alternances décimétriques de marno-calcaires et marnes avec Berriasella sp. ind.
4. Bancs de calcaire dur, finement organodétritique, bicolore, épais de 30 cm et puissants au total d'environ 5 m; ils m'ont livré, outre des Calpionelles de la limite supérieure de la zone D inférieure : Negreliceras subnegreli, Berriasella cf. discrepans et Pecten euthymi, formes qui se trouvent aux alentours des bancs 170 du stratotype;
b) en rive droite, le sommet des calcaires 2 contient des Calpionelles de la zone D moyenne (éch. 431 et 433) : il apparaît donc que ces couches correspondent à des niveaux plus élevés que 3 et 4 et que ces derniers n'y sont pas observables sur cette rive, soit par suite de leur suppression ou de leur non différenciation lithologique, soit plus simplement du fait de conditions d'affleurement moins favorables. Au-dessus, on trouve, de part et d'autre d'une faille méridienne :
5. Lits décimétriques alternés de marno-calcaires graveleux et de marnes rappelant beaucoup 3; ils ont livré Berriasella sp. ind. cf. privasensis et des Calpionelles de la zone D moyenne (éch. 432) ainsi que B. aff. rarefurcata (éch. 320).
6. Marnes franches hébergeant des bancs isolés, de 15 à 30 cm d'épaisseur, d'un calcaire finement organo-détritique, roussâtre et à cassure prismatique; il contient des Calpionelles de la zone D moyenne et a livré surtout une belle faune d'Ammonites (éch. 322). J'ai recueilli une trentaine d'individus bien conservés parmi lesquels prédominent les Berriasella aff. boissieri, formes évoluées intermédiaires avec B. rarefurcata, avec en outre : B. callisto, B. latecostata, B. aff. rouvillei, B. aff. callisto et privasensis, B. sp. nov., Leptotetragonites honnoratianus, Ptychophylloceras ptychoïchum. Les bancs les plus élevés (éch. 325) ont fourni les mêmes associations de Calpionelles avec, en outre, un Neocomites sp. ind. Il s'agit là, sans aucun doute, pour la première fois localisée et trouvée en place, de la faune du gisement d'Apremont de Revil et de Mazenot [6]. Cette faune comparée à celle du stratotype de Berrias nous placerait dans la partie haute de la " faune principale " c'est-à-dire aux abords des bancs 195.
Une succession très comparable peut s'observer dans les ravins abrupts qui descendent, plus au sud, du bois des Traverses sur le ruisseau des Gargarottes. P. Gidon y avait recueilli de mauvais exemplaires de Berriasella du groupe de privasensis (déterminées malheureusement comme Thurmanniceras, d'où attribution au Valanginien de ces affleurements sur la carte géologique Chambéry au 1/80 000); j'y ai ramassé dans la partie sommitale, outre Holcophylloceras berriasense et Berriasella du groupe de privasensis, des échantillons (n° 386) qui indiquent encore la zone D moyenne.

Coupe G : THALWEGS DU COZON ET DU RUISSEAU DES PINS.

Cette dernière coupe est prise au flanc sud de la montagne du Joigny, entre le village supérieur d'Entremont-le-Vieux (Plan Martin) et les prairies du col du Granier. C'est sans doute la plus continue et la plus complète qui puisse être observée mais, par suite essentiellement de conditions peu favorables, elle ne m'a guère 1ivre de macrofaunes.
[Fig. 7.]
De bas en haut :
1. Calcaires sublithographiques rosés (Tithonique).
2. Marno-calcaires " à ciment " se terminant par quelques bancs mieux lités, sectionnés en biseau.
3. Reposant en discordance angulaire sur les précédents, bancs bien marqués de calcaires organodétritiques, en prédominance spathiques et roux mais s'effilant et devenant graveleux vers le sud (deux niveaux séparés par un niveau marno-calcaire; épaisseur totale de 20 à 30 m). Cet affleurement a déjà été étudié en détail (M. Gidon, D.E.S.; J. P. Thieuloy [7]) et le biseau des couches qui en marque la base doit être interprété comme résultant non d'un phénomène tectonique mais d'un ravinement sous-marin lors du dépôt.
4. Série homogène de marnocalcaires schistoïdes bleus, à patine grise (jusqu'à la route Plan Martin-La Réduire). Ces couches sont surmontées par 2 ou 3 bancs métriques de calcaire brunâtre sublithographique, que l'on peut désigner du nom de " bancs blonds pseudotithoniques ". Ils contiennent des Calpionelles (éch. 457) qui indiquent la zone B supérieure et reposent sur des bancs assez disloqués sur une épaisseur de l'ordre du mètre (slumping ?).
5. Marnes bleues à patine claire avec rares passées de petits bancs marnocalcaires mal délimités ayant fourni (éch. 458) des Calpionelles de la zone B supérieure également.
Les " bancs blonds pseudotithoniques " sont marqués de hachures serrées.
6. Marnes fortement interstratifiées de passées formées, sur plusieurs mètres, de successions de petits bancs (20 à 40 cm) de calcaires gris marneux à débit prismatique; la passée la plus basse (éch. 459) a fourni des microfaunes indiquant le passage de la zone B à la zone C.
7. Calcaire gris-bleu, finement grenu, lité en bancs de 0,3 à 1 m, assez mal délimités et formant un ressaut assez marqué; au microscope, il est finement organodétritique et montre des Calpionnelles de la zone C (éch. 460).
8. Alternances régulières de petits bancs calcaires décimétriques à patine jaune et de petits lits marneux.
9. Reposant sur le précédent par un contact très franc : banc massif de calcaire roux, fortement spathique.
10. Série monotone de bancs de calcaire marneux grenu gris, épais de 20 à 30 cm, avec entre-bancs décimétriques de marnes ou marnocalcaires feuilletés. Des échantillons pris à différents niveaux inférieurs montrent des faunes de Calpionelles de la zone C supérieure (éch. 462) à la base et de la zone D inférieure au milieu (éch. 463).
Vers le haut de la formation (niveau du village des Pins) on trouve un niveau de bancs disloqués recouverts par des alternances décimétriques de marnes graveleuses et de calcaire finement spathique roussâtre; les Calpionelles (éch. 464) indiquent la zone D probablement moyenne.
Au sommet (alt. 970) et sur 10 à 15 m s'observent des bancs calcaires métriques, soit spathiques, soit à pâte fine d'aspect sublithographique, qui forment un niveau-repère pouvant se suivre dans toutes les pentes du versant de Tencovaz. Ce nouveau niveau de " bancs blonds pseudotithoniques " a fourni des Calpionelles (éch. 465) de la zone D moyenne.
11. Calcaires marneux lités en petits bancs, d'aspect peu ou pas distinct de 10; une vingtaine de mètres au-dessus du chemin allant de la Coche à la Ménardière, on rencontre un dernier " banc blond " à pâte fine, atteignant une puissance de 2 m et isolé au milieu de bancs déjà plus marnocalcaires. Les Calpionelles (éch. 468), comme celles de tous les autres échantillons, appartiennent à la zone D moyenne.
12. La lithologie se modifie en atteignant les prairies de Pra-Prin et les marnes deviennent progressivement prédominantes; elles contiennent cependant des bancs, espacés de plusieurs mètres et puissants de 20 à 50 cm, d'un calcaire le plus souvent roux et à cassure prismatique; ils ont livré des Calpionelles qui appartiennent toujours à la zone D moyenne jusque très haut (éch. 469 à 472).
Les bancs les plus élevés (éch. 473 et 391), bien que peu riches en Calpionelles, sont cependant vraisemblablement à dater de la zone D supérieure. Ils m'ont livré des Neocomites aff. neocomiensis et diverses autres formes de cachet nettement valanginien.
Les faunes recueillies par W. Kilian et P. Reboul [8] proviennent indubitablement de cette dernière formation mais ont sans doute été récoltées à des niveaux variés : une lame effectuée dans la gangue d'une Kilianella déterminée K. retrocostata par ces auteurs (éch. 391 b, n° VN 202 de la collection Kilian) indique par exemple la zone D moyenne. L'examen des diverses formes recueillies et décrites par ces auteurs fait d'ailleurs apparaître une proportion notable de Berriaselles évoluées que l'on rencontre au voisinage du niveau des bancs 198 du stratotype et que les auteurs avaient attribuées soit à Neocomites soit encore à Thurmanniceras. Encore que la révision de cette faune soit en cours de la part de MM. Le Hegarat et Thieuloy, on peut dès maintenant avancer qu'elle correspond à un ensemble prélevé dans une succession lithologique faisant transition entre le Berriasien supérieur et le Valanginien basal. Ceci peut laisser espérer des précisions biostratigraphiques très intéressantes sur la limite entre ces deux étages, si de nouvelles récoltes, suffisamment abondantes, permettent de mieux situer sur une succession verticale les formes recueillies par les anciens auteurs.
La coupe se termine alors sous les éboulis garnissant le flanc de la Pointe de la Bornée.

CONFRONTATION DES RÉSULTATS DES COUPES.

Il faut remarquer que les déterminations des zones de Calpionelles donnent des résultats qui sont toujours en accord avec l'ordre de succession des niveaux lithologiques, ce qui est une remarquable confirmation de la grande valeur des résultats biostratigraphiques que le spécialiste peut obtenir avec ces organismes.
Les coupes A, B, C, et E reconstituent, mises bout à bout une série, d'âge progressivement de plus en plus jeune où n'apparaît aucune répétition de couches de même âge à des niveaux différents de la série; en particulier le Berriasien de Montagnole est plus ancien que celui du Pas de la Fosse, lui-même plus ancien que celui du sommet de la Gorgeat, contrairement à l'interprétation précédemment exposée.
Dans l'ensemble les divers termes lithologiques de cette succession se reconnaissent assez bien, (quoiqu'ils y soient plutôt moins différenciés) dans les niveaux de même âge de la coupe G. On aboutit ainsi à pouvoir subdiviser la série stratigraphique du Joigny en plusieurs ensembles lithologiques définis de la façon suivante [Fig. 8]:

Valanginien basal et Berriasien terminal = C6, G12 et E2; F6
à la partie basse ?
Berriasien supérieur = C4-5 et C10-11; F6-5 et E1.
Berriasien médio-supérieur = C1-2, D3, F1-4, G10-11.
Berriasien moyen (niveau repère des " gros bancs ") = A5 et G7.
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Berriasien médio-inférieur = A4 et G6, d'une part, A3 et G5,
d'autre part et en dessous.
Berriasien inférieur = A1-2 et G2-4.

On notera, dans les coupes C et G, la présence d'un niveau de calcaires organodétritiques grossiers, souvent très spathiques (C3, G9) qui semble toujours localisé à la partie haute du " berriasien médio-supérieur ". Je l'ai observé notamment sur l'arête Gorgeat-col du Midi, près du sommet de la Lentille (mont Pellaz des anciennes cartes) sous le passage de la Cochette et sur l'arête sud du Montfred. Toutefois il faut dire que ce niveau est partout lenticulaire, le faciès organodétritique grossier ne persistant jamais sur une distance horizontale de plus de quelques centaines de mètres. D'autre part le niveau G9 est le seul dont l'âge soit pour l'instant assez bien connu (sommet de la zone C) et il n'est donc pas encore possible de savoir si ces bancs (si aisément repérables...) sont vraiment homochrones.
Les coupes D et F nous présentent une succession de détail des faciès qui montre d'ailleurs la vanité qu'il y a à vouloir démêler la structure de cette série en utilisant des bancs-repères définis de façon seulement lithologique. Je relèverai en particulier que, contrairement à ce que j'avais tout d'abord supposé, le ressaut plus calcaire que recoupe le torrent des Favières (niveaux F2-4) n'est pas la prolongation des " gros bancs du Pas de la Fosse ", leurs âges étant différents. Il paraît assez probable, par contre, d'après le faciès et le cachet des faunes, que les bancs F6 soient à peu de chose près l'équivalent des bancs G12 (" gisement du col du Frêne ") malgré l'opposition très tranchée entre l'âge berriasien et l'âge valanginien respectifs de ces gisements, qui était admis par les précédents auteurs. Je soulignerai en outre que les coupes C, D et F nous révèlent une variation notable des épaisseurs des assises correspondants à la zone de Calpionelles D inférieure qui paraît correspondre un peu partout à des remaniements sous-marins (cf. niveau 464 de G10 ainsi que D4). Par contre, il est frappant que la zone de Calpionelles D moyenne semble englober partout une épaisseur d'assises supérieure à 200 m; ses limites ne coïncident d'ailleurs pas du tout avec les limites lithologiques.

CONCLUSIONS.

Le premier fait marquant qui se dégage de l'examen des coupes est l'absence de redoublement attesté par la stratigraphie : rien ne s'oppose nulle part à interpréter la succession lithologique comme traduisant une superposition stratigraphique normale. Au contraire, les précisions zonales apportées montrent que les niveaux berriasiens que l'on supposait répétés tectoniquement sont hétérochrones.
D'autre part, des couches biseautées ou bousculées ont été notées en divers points; on en observe également de très beaux exemples dans les falaises septentrionales de la Gorgeat. Dans tous les cas que j'ai observés, ces biseautages de couches m'ont paru d'origine stratigraphique et dus :
- soit à des ravinements précédant l'arrivée d'apports grossièrement organodétritiques,
- soit à des effilements correspondant à des terminaisons lenticulaires de bancs, généralement organodétritiques également.
En second lieu, la part attribuée jusqu'à maintenant au Valanginien paraît fortement exagérée et une grande partie des assises qui lui étaient rapportées sont en réalités berriasiennes, notamment les niveaux qui étaient interprétés comme du Valanginien intercalé tectoniquement dans le Berriasien.
Un troisième point est l'importance revêtue dans cette masse considérable de dépôts berriasiens par les sédiments " organodétritiques " depuis les calcaires spathiques à plaques d'Échinodermes qui fournissent des niveaux-repères malheureusement peu continus, jusqu'aux simples calcarénites en passant, cas le plus fréquent, par les calcaires finement grenus ou pseudo-oolithiques à Miliolidés, Bryozoaires et Algues. Il me semble que ces faciès, qui s'intriquent dans une séquence à tendance incontestablement marneuse, indiquent des influences non seulement néritiques mais même périrécifales; je mets ces faits en relation avec la proximité des faciès récifaux jurassiens qui s'observent non loin de là, plus à l'ouest, dans le chaînon du mont Grêle et même déjà dans le socle du mont Revard.
Les conditions de gisement des bancs organodétritiques les plus grossiers suggèrent souvent, par le ravinement ou les dislocations de couches qui marquent leur base, qu'il s'agissait là d'apports brutaux effectués à la faveur de courants capables d'éroder le fond sous-marin.
Un quatrième fait intéressant apporté par cette étude est l'existence, dans ce secteur, d'une séquence lithologique berriasienne dilatée, beaucoup plus importante que celles connues jusqu'alors dans tout le sud-est de la France, et apparemment à peu près dépourvue de ces lacunes assez marquées que les études récentes ont mis notamment en évidence dans les [séquences vocontiennes : la coupe G lui accorde plus de 600 m et en coordonnant les coupes A, B et C, on obtient plus de 750 m. Il est regrettable que la rareté excessive des Ammonites et même la rareté relative des Calpionelles ne permettent pas d'extraire des coupes que j'ai étudiées autant de renseignements biostratigraphiques que le développement de la série aurait pu laisser souhaiter : on aurait alors pu y définir avec profit un parastratotype de l'étage berriasien. L'intérêt biostatigraphique de ce secteur paraît en tout cas très grand pour l'étude du passage Berriasien-Valanginien.
Le tableau de la figure n° 8 résume les principaux faits stratigraphiques exposés ici et les coordonne avec ceux qui ressortent de l'étude du stratotype de Berrias (Ardèche).
Il est intéressant de replacer dans cette succession les niveaux étudiés par les auteurs antérieurs : c'est ainsi que le gisement du col du Frêne de Kilian et Reboul se trouve, comme nous l'avons vu, à la limite entre Valanginien basal et Berriasien terminal; le gisement d'Apremont, de Revil et Mazenot correspond au Berriasien supérieur ou terminal [Il se situe donc plus haut dans la série que ce que j'avais avancé dans ma note précitée (2). Ceci est dû à la présence d'une faille, qui m'avait échappé car elle est pratiquement inobservable, et à la mise en parallèle, erronée, de deux " niveaux repères " en réalité hétérochrones (F 2 et A 5). Les conclusions de la note en question ne s'en trouvent toutefois nullement modifiées] ; le gisement du Pas de la Fosse correspond à l'ensemble du Berriasien moyen; les couches à ciment exploitées sont en général dans le Berriasien inférieur (Montagnole, ruisseau du Vard), plus rarement dans le Berriasien médio-inférieur (Le Puisat, Pierre Grosse); le calcaire grossier de Montagnole présente en réalité plusieurs récurrences, deux (en général) à la partie haute du Berriasien inférieur et plusieurs autres à différents niveaux de la série (l'une particulièrement fréquente se situant à la partie haute du Berriasien médio-supérieur). Enfin, la limite Berriasien - Tithonique est toujours très nette et semble le plus souvent correspondre, comme aux environs de Grenoble, à un "hard-ground ", ce qui amène à penser que l'on ne connaît probablement pas ici non plus le vrai Berriasien basal.
En dernier lieu les relations stratigraphiques horizontales de ce secteur avec les régions avoisinantes posent encore des problèmes dont la solution est seulement entrevue. Ils ont trait aux variations de faciès et, plus encore, d'épaisseurs manifestées par les assises néocomiennes, principalement en direction du sud-est. I1 importe tout d'abord de souligner que, contrairement à ce qui a été souvent écrit, I'épaisseur du Berriasien (daté par Ammonites) ne descend jamais, même aux environs de Grenoble, au-dessous de 200 m. D'autre part, les faunes du sommet de la formation calcaire rapportée à cet étage n'ont jamais été examinées à la lumière des études récentes de biostratigraphie et l'on ignore, en fait, l'âge exact des différents niveaux de marnes dites " valanginiennes " [dont l'âge était en grande partie défini à partir des faunes du col du Frêne, dont nous avons vu qu'elles sont sans doute très basses dans cet étage].
Ces faits étant posés, il est remarquable qu'en face de la série du mont Joigny, comportant 700 m de Berriasien très calcaire et 100 m de marnes valanginiennes recouvertes par les Calcaires du Fontanil, on trouve, dès Chapareillan et le socle du Granier, 200 à 300 m seulement de Berriasien calcaire et une épaisseur de marnes (du Valanginien inférieur) qui atteint (et dépasse largement par places) 400 m. Ajoutons que la base des Calcaires du Fontanil, au lieu de se marquer d'une façon nette et brutale, présente, dès la latitude de Barraux (Sainte-Marie-du-Mont) et plus encore entre Saint-Pierre-d'Entremont et Saint-Pierre-de-Chartreuse, des couches de transition formées de calcaires marneux, souvent graveleux et généralement gris, évoquant beaucoup les niveaux du Berriasien supérieur du Joigny. La question est de savoir comment se fait le passage de l'une à l'autre des séries stratigraphiques, les intermédiaires observables étant pratiquement inexistants du fait de la large bande des éboulement des Abîmes de Myans (sur le versant est du col du Granier) et de l'abondance des éboulis au flanc ouest du Granier et de l'Alpette (sur son autre versant).
On peut imaginer en fait 4 solutions :
a) les épaisseurs des différents niveaux berriasiens s'amenuisent en même temps que celles des strates du Valanginien s'accroissent vers le sud-est;
b) le " Valanginien inférieur " marneux se gonfle vers le sud-est à la fois par épaississement des strates et par invasion du faciès marneux dans le sommet du Berriasien;
c) les marnes se gonflent en épaisseur et reposent sur un Berriasien dont le sommet manque par lacune;
d) les marnes sont incomplètes à leur sommet (par lacune) sous le Joigny, et se complètent au sud-est vers le haut tout en envahissant vers le bas le Berriasien.

Dans l'état actuel de mes recherches la dernière solution parait la plus probable (fig. 9) et ceci sur la base des arguments suivants :
1) Comme je l'ai dit, le contact des calcaires du Fontanil sur les marnes évoque au nord-ouest (Joigny) une reprise de sédimentation après lacune et, au sud-est, une continuité de sédimentation avec augmentation progressive des apports calcaires et de leur grossièreté.
2) L'étude du secteur du Joigny lui-même et les tentatives de corrélations entre les diverses coupes montrent que du nord-ouest au sud-est les lits calcaires tendent à disparaître ou à se montrer moins organodétritiques : par exemple les niveaux 3 de la coupe C ne se retrouvent pas dans la coupe D, les " gros bancs du Pas de la Fosse " que l'on trouve dans les coupes A, B, C et D ne peuvent plus se reconnaître lithologiquement avec certitude dans la coupe G et sont totalement irrepérables au sud-est du Granier, envahis comme ils le sont par des intrications plus marneuses.
3) La lithologie de la série berriasienne, de Chapareillan à Sainte-Marie-du-Mont, se caractérise essentiellement par l'existence de deux zones plus calcaires qui semblent probablement correspondre respectivement à celle du sommet du Berriasien inférieur pour la plus basse et à celle du Berriasien moyen pour la plus haute. Au-dessus, les marnes, presque démunies de toutes passées calcaires à Sainte-Marie-du-Mont, se montrent au contraire très interstratifiées de petits bancs marnocalcaires graveleux dans les pentes nord-est du Granier (arrachements de la Grande Côte) : je suis tenté de voir dans ces observations des témoignages plaidant en faveur d'une disparition, par " dissolution " dans les marnes, des bancs calcaires du Berriasien médio-supérieur et supérieur du Joigny.
4) En deux points, à Belle-Chambre (commune de Sainte-Marie-du-Mont) et aux grands Crêts de l'Emeindras (commune du Sappey, feuille Domène au 1/50 000), les assises les plus hautes des calcaires berriasiens (à pâte fine) m'ont livré Dalmasiceras punctatum. Or cette Ammonite ne s'élèverait pas au-dessus du Berriasien moyen. D'autre part, l'échantillon de l'Emeindras m'a fourni en lame mince (n° 401) des Calpionelles qui indiquent très vraisemblablement le passage de la zone C à la zone D, ce qui confirmerait que les couches terminales du Berriasien ne sont probablement pas représentées sur le bord subalpin à l'intérieur de la série sous-jacente aux marnes.
En définitive, l'échelle stratigraphique du Néocomien inférieur de la Chartreuse méritait donc une sérieuse révision. I1 s'avère que le Mont Joigny présente dans l'ensemble une série stratigraphique normale et continue, affectée tout au plus d'ondulations, de failles et peut-être de chevauchements locaux mais rares et de faible ampleur. Le Berriasien présente dans ce massif une puissance exceptionnelle, inconnue ailleurs, et se trouve probablement envahi à sa partie sommitale (sauf dans le secteur du Joigny où il subit des influences jurassiennes) par les faciès marneux dénommés antérieurement " marnes valanginiennes " (" marnes de Narbonne ", dans la région de Grenoble). C'est là un très bel exemple d'hétérochronisme, relatif à une surface de changement de faciès, mais aussi de ce que peuvent apporter, tant sur le plan stratigraphique que sur le plan tectonique, les études biostratigraphiques fines.

OUVRAGES CITÉS

[1] GIDON P.-Structure géologique du groupe " Mont de Joigny-Mont Granier " en Grande Chartreuse septentrionale (Savoie). C. R. Acad. Sci., t. CCXXXIII, p. 809-811. 1951.
[2] GIDON M.-Sur une anomalie stratigraphique remarquable, à l'extrémité septentrionale du Massif de la Chartreuse (environs de Chambéry, Savoie). C. R. Acad. Sci., t. CCLXIV, série D, pp. 548-551. 1967.
[3] REMANE J.-Les Calpionelles dans les couches de passage jurassique-crétacé de la fosse vocontienne. Trav. Lab. Géol. Grenoble, 1965;
Neubearbeitung der Gattung Calpionellopsis. N. Jb. Geol. Palaonl. abh., 122, 1, 27-49, Stuttgart. 1963.
[4] LE HEGARAT G. - Le stratotype du Berriasien, stratigraphie et macrofaune. Mém. B.R.G.M., n° 34, pp. 9-16. 1963.
[5] GIDON M. Vues nouvelles sur la géologie de la Chartreuse septentrionale et de l'extrémité sud des Bauges. Ann. Centre d'Ens. sup. de Chambéry, t. II, pp. 7-25. 1964.
[6] MAZENOT G. /- Les Palaehoplitidae tithoniques et berriasiens du sud-est de la France. Mém. Soc. géol. Fr. 1939.
[7] THIEULOY J. P.-Sur quelques exemples d'accidents de stratification dans le Néocomien du Massif de la Grande Chartreuse. C. R. Soc. géol. Fr., 1965, p. 15. 1965.
[8] KILIAN W. et REBOUL P.-Sur la faune du Valanginien moyen du Col du Frêne (Savoie). Ass. franç. Sci., Congrès de Tunis, 1913.
[9] GIDON M.-Nouvelle contribution à l'étude du Massif de la Grande Chartreuse et de ses relations avec les régions avoisinantes. Trav. Lab. Géol. Grenoble, t. XI., pp. 187-205. 1964.