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014 GIDON M. (1957). - Bulletin de la Carte Géol. de la France n°252, fasc.B, t.LV, Comptes rendus des collaborateurs pour la campagne de 1956, p. 161-164.


Notes sur le Quaternaire de la Haute Ubaye et de la Haute Maira (Feuilles Aiguilles de Chambeyron au 1/50.000° et Embrun au 1/50.000°)

par M. Maurice Gidon, Collaborateur auxiliaire.


figures


Mes explorations des saisons 1954, 1955 et 1956 dans la région briançonnaise, en France et en Italie (Haute-Ubaye et Haute-Maira), m'ont conduit à de nombreuses observations concernant les terrains quaternaires de ces régions.

J'envisagerai successivement:

a) Le Glaciaire ancien;
b) Le Glaciaire récent;
c) Les moraines de névé;
d) Les « Rock-glaciers »;
e) Les sols mouvants et les sols polaires.

Ces formations ont été inventoriées et indiquées par un figuré spécial sur mes minutes au 20.000e.

Le Glaciaire ancien. - Je désigne par ce terme des dépôts morainiques ayant perdu toute fraîcheur morphologique, et qui occupent des fonds de vallée entre 1.700 et 2.200 m environ. Il est probable qu'ils correspondent à des stades de retrait du Würm.

Ils sont très développés dans le vallon de Fouillouze, où ils déterminent, à l'ubac, un replat de prairies dominé par les pentes boisées du flysch (Bois de l'Eyssilloun).

Il en existe également deux témoins dans le vallon du Châtelet: ils y sont profondément disséqués par le torrent et laissent voir, de ce fait, la forme en V de la vallée primitive comblée par ces dépôts.

Quelques lambeaux en sont également plaqués sur les pentes de Mirandol (Le Pinet). du vallon de l'Adrech (Bérarde) et du Roc de l'Aigle, entre Saint-Paul et Serennes.

Dans la vallée de l'Ubayette, ces mêmes dépôts sont également connus de longue date et couvrent la rive droite, entre Saint-Ours et Larche, d'un manteau quasi continu.

Le Glaciaire récent.-Ce sont des dépôts dont la morphologie morainique est, en général, très bien conservée (ce qui a permis, le plus souvent, de figurer avec précision les arcs morainiques).

Les moraines, bien moins puissantes que celles du glaciaire ancien, ne débordent guère des cirques. Cependant on doit noter l'importance assez étonnante de ces moraines par rapport à ces derniers, souvent assez restreints: cela est dû, sans doute-de même que l'abondance et la puissance des cônes d'éboulis- à la nature de la roche, où dominent les calcaires triasiques.

En tous cas, l'âge de ces formations n'est guère que de l'ordre de quelques centaines d'années; une chronologie précise est, évidemment, impossible; cependant, il m'a semblé possible de distinguer trois groupes, à l'intérieur de ces dépôts, suivant leur altitude et leur degré de fraîcheur:

a) Un premier stade (Gl1), entièrement colonisé par la végétation herbacée, se montre souvent entre 2.000 et 2.500 m. La limite inférieure en est en général la rupture de pente à partir de laquelle se fait le raccordement des vallons latéraux avec la vallée principale (Ubaye, Maira) Il me semble possible d'admettre que ces stades sont à peu près contemporains. Ils correspondraient à une ancienne période de crue glaciaire n'ayant pu atteindre les fonds de vallée.

b) Un autre stade, très distinct (Gl3), s'observe seulement dans les cirques les plus élevés (2.600-2.700 m. au moins). Ces moraines, très fraîches, absolument dépourvues de végétation, sont parfois encore en cours d'édification (Glacier de Marinet (1), Glacier de Chauvet). C'est donc le Glaciaire « actuel », vieux de quelques centaines d'années. Par analogie avec le massif du Pelvoux, où il semble y avoir eu une crue assez importante vers 1700 (après le retrait du moyen âge), il ne me semble guère que l'on puisse leur attribuer plus de 2 à 3 siècles d'ancienneté.

(1) Ce glacier a été étudié par W. Kilian à diverses reprises. Certains points de ses observations ont fait l'objet, de la part de Mougin, de critiques qui me semblent tout à fait pertinentes: j'y ajouterai que les nombreux arcs que présente le front de la moraine et dans lesquels KILIAN voyait la preuve de multiples oscillations glaciaires me semblent dus à une tout autre cause, à savoir la transformation de cette partie de la moraine en un véritable Rock-glacier (voir fig. 3).

c) Enfin, je groupe ensemble (Gl2) les moraines stationnées à une altitude intermédiaire, et que la végétation a seulement commencé d'envahir (plus ou moins, suivant les points). A vrai dire, il s'agit souvent là des termes les plus récents que l'on puisse observer (au Brec, par exemple). Il est possible d'évaluer leur âge à une dizaine de siècles (très hypothétique, évidemment). Là où existe le Glaciaire « actuel », les moraines des stades Gl2, et aussi Gl1 parfois, ont été bouleversées par la crue glaciaire et ne subsistent plus qu'à titre de fragments.

Les moraines de névé. - Je ne ferai que souligner l'extrême fréquence de ces petits arcs pseudo morainiques à la base de la plupart des cônes d'éboulis. On observe fréquemment la multiplication de ces arcs (fig. 2; Haut Vallon de Mary). La cause doit en être, je pense, la solifluction. On obtient alors des formes qui constituent un véritable terme de passage avec les Rock-glaciers.

Les Rock-glaciers.-Ce sont ici également des formations de la plus grande fréquence, couvrant certainement une plus grande superficie que les moraines vraies. Comme nous venons de l'indiquer, il est souvent impossible de dire avec certitude si l'on a affaire à une multiplication de moraines de névé ou à un petit Rock-glacier. Certains Rock-glaciers ont visiblement leur origine dans le glissement de moraines de névé, tel celui qui, se constituant à la base du couloir Bujon, au Brec, comble progressivement le lac Long (fig. 2).

Il se peut, ici en particulier, que le glissement soit favorisé par la présence d'une loupe de glace fossile sous les éboulis, conformément à la théorie générale formulée par A. Faure-Muret et P. Fallot (C. R. S. Soc. Géol. Fr., 4 avril 1949). Mais une telle origine ne me semble pas pouvoir être admise pour tous les Rock-glaciers de cette région. Il me semble difficile, dans de nombreux cas, d'admettre l'existence, actuelle ou passée, d'une loupe de glace cachée, et non moins difficile de ne pas noter combien la forme des arcs les plus internes paraît liée à celle des cônes d'éboulis, exactement comme s'il s'agissait de moraines de névé. D'autre part, certains appareils, comme celui du Vallon d'Apsoï (à l'E de la Tête de Moyse), bien qu'à peu près certainement démunis de glace fossile, n'en ont pas moins, actuellement, un mouvement notable: j'ai pu y noter que le sentier muletier construit par le génie militaire italien aux alentours de 1938 se trouve en plusieurs points, au passage d'un bourrelet à l'autre, dénivelé d'environ 50 cm, comme par un miroir de faille.

Je pense donc que, au moins dans certains cas, on doit admettre que la formation de ces Rock-glaciers est due au glissement par simple solifluction (favorisée par la nivation et les eaux de fonte glaciaire) d'éboulis et de moraines. Le manque relatif de liant pourrait être la cause de cisaillements internes dans la masse en écoulement, et par suite, de l'apparition des bourrelets transversaux si caractéristiques.

Quoi qu'il en soit, il m'a paru intéressant de tenter une classification morphologique des types très variés de Rock-glaciers que j'ai pu inventorier; j'ai été amené à distinguer :

Type 1 : Bourrelets de blocs correspondant à une masse d'éboulis en mouvements; l'ensemble, de forme assez allongée, se tient en général au fond d'un vallon sans ruisseau et, souvent très dissymétrique, longe le pied d'une paroi rocheuse.

Exemples: Face SE de la Meyna (fig. 1), versant français du col de Stroppia; en Italie: face SE de la crête Spera-Mte Lauza, branche N du Vallonasso di Sautron et Valle d'Apsoï.

Type 2 : Types intermédiaires, en général peu étendus et plus larges que long, correspondant à la multiplication de moraines de névé.

Exemples: Haut vallon de Mary (fig. 2). Couloir Bujon, au Brec (fig. 2). Lacs du Roure, sommet du ravin des Vilhasses (rive gauche de l'Ubaye en aval de la Barge), face SE de la Partietta (au S du col Girardin); en Italie: vallon de Ciabriera, face NE de la Tête de Sautron, etc.

Type 3 : résulte du glissement d'appareils morainiques récents: Moraines W et E de Marinet (il est possible qu'il existe ici une loupe de glace fossile favorisant le glissement dans la partie supérieure comme celle récemment abandonnée sous le point 2823). Face N du Pic de Panestrel (l'abondance du liant argileux, ici, donne un type assez particulier, apparenté aux coulées de boue) (fig. 3 et 5).

Type 4 : ce sont les Rock-glaciers les plus beaux, formés de bourrelets dessinant de larges arcs concentriques. Le matériel est surtout, semble-t-il, du glaciaire relativement ancien (Gl1), auquel s'adjoignent des produits ébouleux en plus ou moins grande proportion.

Exemples: Plateau de Thuissier (fig. 4), face NE du Pic des Henvières (Montagnes de (Ceillac), Vallonasso di Stroppia (partie basse), Vallon de Chillol (partie basse) .

Signalons que la face E du Pic Crévoux qui s'abaisse vers le Col de Vars et vers Vars présente, outre des moraines typiques, de très beaux Rock-glaciers qui n'ont été, je crois, jamais signalés, bien que l'un d'entre eux pousse son front jusqu'à une dizaine de mètres de la route, au Col de Vars même.

Enfin je signalerai qu'il est souvent difficile de distinguer avec certitude un Rock-glacier de moraines fraîches lorsque les formes n'en sont pas typiques. L'examen de photos aériennes m'a permis de faire plus facilement la distinction dans les cas litigieux.

Les sols mouvants.-Les phénomènes de solifluction sont aussi assez fréquents .

On peut y ranger les glissements en masse, rarement importants, si l'on excepte celui qui est à l'origine du barrage de la cuvette du Lac Paroird (dans les schistes lustrés). Ils sont fréquents dans le flysch noir et les marbres en plaquettes; j'en ai noté de beaux exemples aux points suivants:

Pentes sommitales de Manoal (La Mortice I. G. N.);
Versant N du Col Girardin;
Ubac de l'Ubaye, au niveau de Serennes;
Versant N de la Tête de l'Eyssilloun (Rochers de Saint-Ours);
Versant E de la Tête de l'Homme (au SW de Saint-Ours);
Pentes W du point 2726 au S du Col du Vallonnet (Flysch gréseux);
Versants W et E de l'arête Meyna-Viraysse, etc.

On observe aussi des glissements en masse dans les calcaires triasiques (au S du point 2826 qui domine les lacs supérieurs de Marinet) dans les andésites feuilletées du Plateau de Chillol. Dans tous ces cas, il est extrêmement difficile de tracer avec précision le contour des affleurements sains.

Les glissements de terrain sont fréquents dans les dépôts quaternaires, où ils prennent une importance variable.
De nombreuses et importantes niches de solifluction, avec bourrelets en aval, se remarquent sur les pentes douces (glaciaire « ancien ») de la rive droite de l'Ubayette, entre Meyronnes et Larche.
Une importante masse d'éboulis a « flué », formant une énorme loupe de près de 1 km de diamètre, au pied des abrupts sud-occidentaux de la Viraysse; elle contient, d'ailleurs, des paquets entiers de marbres en plaquettes, qui ont dû s'arracher en masse, au cours d'un important éboulement .
A la surface de nombreux cônes d'éboulis on note de petites loupes de glissement (qui ont été indiquées par une surcharge spéciale). Parfois c'est toute la masse de l'éboulis qui flue et il peut alors se dessiner des arcs au front de la loupe. J'ai indiqué que ce phénomène, en plus accentué, pouvait être à l'origine de certains Rock-glaciers. Je citerai les exemples suivants:

Pentes N de la Tête de Miéjour, au-dessus de Maurin;
Pentes inférieures de la Riche (Montagnes de Ceillac) au niveau de la bergerie du Vallon de Tronchet;
Bas Vallon des Vilhasses et Bas Vallon de Chillol;
Vallon de la Montagne de la Salette (ébauche de Rock-glacier);
Pentes NW de la Gélinasse (en face de la Barge) avec quelques arcs pseudo-morainiques.

En Italie. le phénomène prend une belle ampleur dans les pentes inférieures du Vallonasso di Sautron, au droit de Saretto. Il se manifeste également au Pilone Bastier (au niveau de Chiappera et, en rive droite de la Maira, au niveau des Sorgenti della Maira).

Les sols polygonaux ne sont pas des raretés; certains ont déjà été signalés et étudiés (Bibliographie dans: J. DEMANGEOT, Revue de Géographie alpine, fasc. 3, 1944, p. 505); on en trouve sur les moindres replats, pourvu que l'on dépasse l'altitude de 2.600 m. Si la pente s'accentue quelque peu, ils passent aux sols striés, d'une façon progressive. J'ai fait l'inventaire des cas les plus typiques que j'ai eu l'occasion d'observer, les replats favorables n'étant point si fréquents, je ne pense pas avoir pu en omettre beaucoup. En voici le relevé (repérage par coordonnées Lambert III, zone S):

Feuille Embrun 4:

z =

952,5
951,2
951,9
952
952
952

y =

264 (3 sites)
262,3
262,7
262,4
262,3
261,8

Feuille Embrun 8: néant.

Feuille Aiguille de Chambeyron 1:

 z =

958,9
959,3
962,3

 y =

260,5
261,3
261,4


Environs du col de Marinet et du Col de
Ciabriera .

Feuille Aiguille de Chambeyron 5:

 x =

958,2
959,1
957,7
959,5
959,7
960,6
962,3
961,6

 y =

257,5
258,4
258,3
258,3
257,8
254,2
255,5
257,7



FIGURES

 Fig. 1. - Rock-glacier de la face est de la Meyna.

Légende
commune aux figures 1, 2, 3, 4 et 5.

Gl1 Gl2 Gl3, Glaciaire vrai, récent.
GlA, Rock-glaciers.
Am, Moraines de névé.
A, Éboulis.
tq, Quartzites triasiques.
tc, Calcaires triasiques.
a, Andésites.

 

Fig. 2. -Multiplication de moraines de névé:
Couloir Bujon au Brec (A); Haut vallon de Mary (B).

Fig. 3. - Moraines
du Glacier W de Marinet.

Fig. 4. - Rock-glacier S du plateau
de Thuissier (Vallon de Mary).

Fig. 5.-Rock-glacier de la face N
du Pie de Panestrel.