La faille du col d'Ornon : commentaires anecdotiques

(texte inédit, accompagné de clichés souvenirs, par M.GIDON, juin 2000
; légèrement retouché dans sa forme en février 2005, avec addendum en janvier 2013)


La visite des affleurements qui sont situés au pied des abrupts de l'Armet, en amont du hameau de la Chalp (versant sud du col d'Ornon), est devenue une sorte d'étape obligée dans le parcours des excursions géologiques visitant les Alpes, de sorte qu'il y passe chaque année une multitude de géologues (dont le niveau des connaissances et le sens critique sont d'ailleurs fort variables).
Pour la plupart d'entre eux, notamment pour les jeunes étudiants, ce point d'arrêt dans leur excursion apparaît sans doute comme l'un de ces lieux connus de toute éternité en raison de leur exemplarité évidente. Ils n'imaginent vraisemblablement pas que ce n'est qu'à une date finalement assez proche que l'interprétation qui consiste à y voir une paléofaille fossile et un abrupt de bloc basculé a été proposée puis largement reconnue.


Vue d'ensemble des affleurements septentrionaux de La Chalp de Chantelouve
On trouvera les commentaires géologiques de cette photo à la page du site consacrée aux détails de la dépression d'Ornon (section Oisans / Bonne)


L'existence d'une grande "faille du col d'Ornon", bordant du côté est le massif Armet - Taillefer avait bien été mise en évidence par les levés effectués par Jean Claude BARFÉTY pour la rédaction de la feuille "Vizille" de la carte géologique à 1/50.000°, grâce aux datations paléontologiques de René MOUTERDE. Mais, lorsque cette découverte fut publiée en 1970, nous pensions encore que la naissance de cette cassure avait été liée à l'orogénèse alpine. En effet personne n'avait alors dans l'esprit le rôle que l'on attribue de nos jours à la paléotectonique jurassique.

C'est en 1978 que le travail de levers systématiques pour la rédaction de la feuille "La Mure" de la carte géologique à 1/50.000° conduisit J.C. BARFÉTY à examiner de près les alentours de la Chalp de Chantelouve : l'aspect "chahuté" des affleurements avait été remarqué et signalé dès 1963 par le regretté Jean VERNET, mais cet observateur méticuleux avait cherché à y voir le résultat d'une tectonique d'"expulsion vers le haut", qui s'inscrivait dans son optique de l'époque.
Les observations de J.C. BARFÉTY eurent vite fait de le convaincre que l'interprétation de J.VERNET était irrecevable et qu'il fallait voir là le résultat de phénomènes essentiellement sédimentaires. De plus les trouvailles et déterminations paléontologiques de René MOUTERDE lui permettaient de dater (du Toarcien) la matrice sédimentaire dans laquelle s'interstratifient les divers blocs de ce qu'il n'osait pas encore appeler un olistostrome.

Dans le cadre de la collaboration amicale dont nous avions pris l'agréable habitude depuis plus de 10 ans, il m'invita alors à l'accompagner pour approfondir l'examen de ce secteur, à la recherche d'une explication plus précise de ses particularités. Je dois dire que ma première visite aux affleurements septentrionaux de la Chalp me fit grosse impression parce que les analogies avec les formations olistolitiques que j'avais eu l'occasion de visiter (notamment les scisti farciti de l'Apennin) me parurent évidentes. Toutefois de telles formations n'étaient alors connues que dans un contexte de charriages. Ici, au contraire, elles apparaissaient liées au jeu d'un accident extensif, ce qui était un concept nouveau (notons toutefois que la confirmation de cette liaison ne fut obtenue qu'à la suite de nos recherches ultérieures, notamment dans le secteur plus septentrional du Sué, où s'observe le onlap de prismes détritiques fossilisant le miroir de faille).
Mais, ce jour de mai 1979, encore sous l'exaltation de la compréhension brutale de la signification de nos observations, et frappé par la relative proximité de la route que nous dominions, je me souviens avoir dit à BARFÉTY à peu près ceci : "cher ami, vous verrez que, dans quelques années les excursions défileront devant ces affleurements et que les pas des visiteurs y auront tracé des sentiers !". Je ne croyais pas, toutefois, si bien dire, car cela paraissait alors quasi paradoxal, pour nous qui étions seulement perchés dans l'une de ces pentes de pierrailles ingrates et vierges de traces humaines, où le géologue alpin traîne si souvent ses godasses ...

Nos recherches complémentaires nous montrèrent que des faits confirmant notre interprétation tectono-sédimentaire ne s'observaient pas qu'en ce point précis mais se rencontraient aussi presque tout le long de la limite orientale du massif du Taillefer - Armet. Nous avons alors convié Marcel LEMOINE, qui avait fait de ce thème l'axe des recherche du laboratoire CNRS de Grenoble (dont il était le directeur), à en visiter les lieux les plus démonstratifs. Notre convergence de points de vue sur l'interprétation de ces divers affleurements nous conduisit alors à mettre au point, avec lui, la note à l'Académie qui a fait connaître notre découverte. Ce fut le point de départ de la reconnaissance de la présence des dispositifs de blocs basculés dans les Alpes occidentales françaises, notion qui fut exprimée plus formellement dans une seconde note, en 1981.
C'est tardivement, en 1984, qu'est parue notre description précise des affleurements, car les comptes-rendus de l'Académie n'offraient pas assez de place pour cela et nous avons dû avoir recours à une revue dont les délais éditoriaux étaient beaucoup plus longs. Cette parution a d'ailleurs précédé de peu l'excursion de la Réunion extraordinaire de la Société Géologique de France, que nous y avons guidé, en septembre 1984. C'est à cette occasion que plusieurs participants, impressionnés par l'ampleur du rejet de la faille du Col d'Ornon ont envisagé que ce rejet ait été accru par des rejeux "alpins", post-jurassiques : ceci a suscité, par la suite, un travail de thèse de 3° cycle, effectué par Thierry GRAND, sur ce sujet.

Depuis, la boule de neige de la notoriété s'est enflée progressivement et les visites de ce site exemplaire se sont multipliées. Quel visiteur peut maintenant imaginer le désintérêt total que cet endroit suscitait voici à peine plus de 20 ans. Qui a conscience, en outre, que c'est un "obscur" travail de lever régulier de la carte géologique qui a été à l'origine de la mise en évidence de son grand intérêt ?.

Cette histoire me suggère en définitive deux remarques :

- Je me suis souvent fait la réflexion que ma participation à cette trouvaille ne m'a pas couté une opiniatreté en rapport avec la notoriété du résultat. Je me souvient que bien d'autres recherches, parmi celles que j'ai eu l'occasion d'entreprendre, furent plus ardues sans être récompensées pas un succès comparable : cela illustre le rôle du hasard - ou de la chance - qui vous fait passer là à un moment où les faits que vous y observez paraissent s'inscrire dans un cadre conforme à celui que privilégie l'évolution de pensée prédominante.

- J'ai beaucoup déploré l'injustice qui a voulu que, par la suite, le nom du vrai découvreur de ces données de terrain, Jean Claude BARFÉTY, ait été pratiquement gommé dans toutes les références bibliographiques concernant cette découverte fondamentale. Je trouve un peu anormal, tout de même, que la notoriété liée à la mise en contexte des données d'observation éclipse, en bout de course, celle de leur trouvaille et de leur mise en évidence. Cette constatation un peu morose n'est guère originale ; le lecteur aura compris qu'elle a cependant été l'une des raisons qui m'ont poussé à rédiger le texte ci-dessus ....


Quelques clichés souvenirs datant de l'époque de la découverte (mai 1979) :


J.C.Barféty au contact entre les schistes toarciens (sous ses pieds, à droite) et les olistolites. Le cliché est pris du nord vers le sud et le miroir de faille est à droite du couloir rempli de neige.



J.C.Barféty examinant le contact entre les schistes toarciens et des olistolites de dolomies ocres (à droite) et de spilites triasiques (à gauche), sur les schistes toarciens farcis de blocs de Lias inférieur (en bas).


J.C.Barféty assis sur des boules de spilite incluses dans les schistes toarciens.

J.-C. Barféty est décédé le 7 octobre 2011 (voir son hommage posthume).

Références des trois notes signalant, interprétant puis décrivant la faille du Col d'Ornon :

BARFÉTY J.C., GIDON M. & MOUTERDE R.(1970). - Observations stratigraphiques et structurales sur le Mésozoïque des environs de Bourg-d'Oisans (Isère). Géologie alpine, t.46, p. 23-28

BARFÉTY J.C., GIDON M., LEMOINE M. & MOUTERDE R.(1979). - Tectonique synsédimentaire liasique dans les massifs cristallins de la zone externe des Alpes occidentales françaises: la faille du Col d'Ornon. C.R.Acad.Sc. Paris, t.289 (17 déc. 1979), série D, p. 1207-1210.

BARFÉTY J.C. & GIDON M. (1984). - Un exemple de sédimentation sur un abrupt de faille fossile: Le Lias du versant est du massif du Taillefer (Zone dauphinoise, Alpes occidentales). Revue de géologie dynamique et de Géographie physique, Vol.25, fasc.4, p. 267-276.

Référence de la note "fondatrice" de la notion de blocs basculés dans les Alpes françaises :

LEMOINE M., GIDON M. & BARFÉTY J.C. (1981). - Les massifs cristallins externes des Alpes Occidentales: d'anciens bloc basculés au Lias, lors du rifting téthysien. C.R.Acad.Sc. Paris, t.292 (23 mars 1981), série II, p. 917-920.


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(section Oisans / Oisans sensu stricto / Chainons au sud-ouest de Bourg-d'Oisans )
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