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139 - Géologie alpine, t.65, 1989, p.65-74.

LA RUPTURE DES CHARNIERES ANTICLINALES PAR CISAILLEMENT DANS LES FLANCS LONGS DES PLIS : UN MODE MÉCONNU DE FORMATION DE CHEVAUCHEMENTS, OBSERVABLE DANS LES CHAINES SUBALPINES DES ALPES OCCIDENTALES FRANÇAISES.

RUPTURE OF ANTICLINE HINGES THROUGH SHEARING OF THEIR LONGER LIMB : A KIND OF THRUSTING PROCESS LITTLE RECOGNIZED, VISIBLE IN THE SUBALPINE RANGES OF THE WESTERN ALPS.

par Maurice GIDON*
* Laboratoire de Géologie Alpine associé au CNRS (URA 69), Université Joseph FOURIER, INSTITUT DOLOMIEU, 15 Rue Maurice Gignoux, 38031 GRENOBLE CEDEX, FRANCE.

 

Résumé : On présente plusieurs exemples bien observables d'un processus de formation des chevauchements auquel il est peu fait appel dans la littérature : il s'agit du cas où ils prennent naissance, à la voûte d'un pli antiforme, par décollement de la tranche supérieure du flanc long de ce dernier. Dans les cas étudiés le niveau de décollement parait souvent déterminé de façon quasi aléatoire, sans liaison avec des variations lithologiques significatives. La position de la rupture de détachement, au voisinage de la charnière, s'explique aisément et ne saurait être le fruit du hasard, notamment lorsque l'antériorité de cette dernière apparait comme certaine. C'est donc l'existence d'un anticlinal qui est ici à l'origine de la localisation du chevauchement (et non le chevauchement qui génère le pli, comme dans le schéma actuellement le plus classique).

Mots-clefs : Chevauchements, Plis, Alpes occidentales, Tectogénèse.

Summary : Some examples of anticlines are presented, the hinges of which are broken off by thrusts which originate inside the outer beds of their long limbs. This unusual disposition probably results from the fact that the fold antidated the thrust, and thus should not be considered as abnormal. Although such structures have not already been commonly observed they may develop inside many kinds of lithological formations and so be more frequent in nature than hitherto believed.

Key words : Folds, Thrusts, Western Alps, Tectonics.


I. INTRODUCTION

 

Les anciens auteurs considéraient en général que, dans les chaînes plissées, les chevauchements étaient plutôt surajoutés et subordonnés au plissement et que c'était ce dernier qui était le phénomène fondamental : tout chevauchement était censé représenter le résultat du renversement et de l'étirement du flanc court d'un pli déversé ou couché, selon le schéma classique du pli-faille.

 

De nos jours, notamment à l'occasion de la mise en oeuvre des techniques de coupes équilibrées, une tendance de plus en plus marquée se manifeste à ramener au contraire les plis au rang de structures d'ordre secondaire et à considérer qu'ils sont fondamentalement induits par les chevauchements. Cette manière d'aborder la question risque toutefois de porter à n'avoir qu'une vue trop simplifiée des situations possibles. Elle ne devrait pas cacher, notamment, que dans nombre de cas - et conformément à des résultats expérimentaux connus (Badgley, 1965, p.191 et 217) - le plissement peut être à l'origine de la formation d'un chevauchement, et non en résulter. C'est ce que confirment divers exemples observables dans les chainons subalpins, dont plusieurs aux abords mêmes de Grenoble. Ils sont présentés ici pour illustrer ce point de vue.

 

 

 

II. OBSERVATIONS

 

Les exemples présentés ici sont localisés les uns aux alentours de Grenoble (fig.1) et les autres au N de Digne (fig.2). Ils se caractérisent par l'apparition d'un chevauchement à la charnière d'un pli antiforme et par le fait que le coeur du pli n'est pas affecté par ce chevauchement. Ces exemples seront répartis en deux groupes, en fonction de la qualité des conditions d'observation :

 

A. Cas totalement observables

 

Ce premier groupe d'exemples correspond à des cas choisis pour leur absence d'ambiguité, qui découle de conditions d'observation exceptionnelles. celles-ci permettent de voir réellement et en totalité les dispositions structurales décrites et non de les déduire d'observations plus ou moins discontinues. C'est sans doute pour cette raison d'ailleurs que la taille de ces dispositifs est relativement modeste, décamétrique à hectométrique.

 

Quatre exemples sont présentés ici pour la première fois sous l'angle qui nous intéresse ; ils sont illustrés ci-après et commentés dans les légendes des figures ; ils correspondent aux plis suivants :

 

1. L'anticlinal occidental de la Chartreuse, à sa terminaison septentrionale. Le chevauchement, d'amplitude au moins hectométrique, nait au sein même de la masse inférieure de l'Urgonien, en contrebas du village des Egaux (fig.1), où il est bien visible de la rive opposée de la gorge du Guiers (fig.3).

 

2. L'anticlinal du Ratz (Chaînons jurassiens méridionaux, fig.1), où un tel chevauchement doté d'une rampe décamétrique (fig.4) s'observe immédiatement à l'E de la charnière, dans les calcaires du Jurassique supérieur à facies de plate-forme, des carrières de La Buisse.

 

3. L'anticlinal couché du Col de l'Arc (Vercors nord-oriental, fig.1). Là encore c'est au sein de la masse urgonienne inférieure du flanc normal de ce pli-faille (plongeant vers l'W) que se développe une rampe de chevauchement coupant les trates de la charnière (fig.5); la surface de chevauchement se dispose en fait dans le prolongement des strates du flanc normal.

 

4. Les plis du Mourre du Barri (rive W du Bès au N de Digne, fig.2). Ces derniers affectent la succession Tithonique-Argovien disposée ici en série à l'envers. Ils appartiennent à un système de plis mineurs, formés sur le flanc d'un anticlinal plus vaste, celui de La Maurière (fig.2), puis transgressés par le Tertaire et enfin totalement renversés avec lui pour former le flanc N du vaste synclinal d'Esclangon (appelé "le Vélodrome" par Gigot et al, 1974). Les décollements par rupture de charnière, qui y intéressent les termes élevés de la structure (fig.7) traduisent un cisaillement tangentiel qui ne peut guère être attribué qu'au passage de la nappe de Digne. Il est à remarquer qu'ici les chevauchements, étant postérieurs au renversement des couches, ne peuvent donc être dûs à des cisaillements liés à la déformation qui a créé les plis.

 

 

 

Deux autres exemples concernent des formations moins massives et de lithologie différente que les précédentes, puisque constituées, dans les deux cas, d'alternances de calcaires et de marnes lités de façon monotone. Ils ont déjà été décrits dans des publications antérieures et seront donc examinés plus sommairement. Ce sont :

 

5. Les plis du "Séquanien" du versant E du Mont Rachais (fig.6), aux abords immédiats de Grenoble, en Chartreuse sud-orientale ("anticlinal de la Pinotte", voir Gidon, 1981 : fig.9, p.101) ; le déversement et la rupture de ce pli ne sont qu'une des expressions d'un cisaillement diffus, couches sur couches qui se manifeste aussi par des failles inverses (chevauchements du Mont Jalla) dans les niveaux supérieurs, plus compétents, du Tithonique.

 

6. Les plis du Lias du Pic du Col d'Ornon, à l'extrémité nord-occidentale du massif de l'Oisans (voir Barféty & Gidon, 1983, fig.9). Les plis souples très déversés, presque couchés du versant oriental de cette montagne témoignent d'une déformation sous cisaillement horizontal intense. Ce dernier s'exprime aussi par des petits chevauchements qui prennent presque systématiquement naissance au niveau des charnières.

 

 

 

B. Cas étayés par la cartographie.

 

Dans ce deuxième groupe on ne dispose pas véritablement de coupe naturelle montrant, directement et en totalité, la structure du pli rompu en chevauchement car il s'agit de structures plus grandes, à développement plurikilométrique. Toutefois, dans les deux premiers cas présentés ci-après, au moins, la cartographie de la structure autorise la construction de coupes suffisamment contraintes pour que la part d'interprétation y soit presque négligeable.

 

1. L'écaille de Canaple, dans le massif de la Chartreuse (fig.8).

 

Cette structure, déjà décrite par ailleurs (Gidon et Mugnier, 1988, Gidon, 1982 et 1988) affecte le flanc est de l"'anticlinal médian" de la Grande Chartreuse. Le détachement de cette écaille est nettement postérieur au plissement car la lame chevauchante n'est pas affectée par les plis accusés de son autochtone relatif.

 

2. L'écaille d'Aiguebelle, dans les chaînons subalpins méridionaux, au N de Digne (fig.2 et 9).

 

Le chevauchement de cette unité tectonique prend naissance dans des couches oligocènes en succession apparemment concordante, à la voûte même d'un anticlinal (l"'anticlinal de la Maurière" [Gidon, 1982]), en rive gauche de la vallée du Bès (près d'Esclangon). L'écaille s'avance, vers le S, sur le flanc S de cet anticlinal mais ne subit pas, quant à elle, de ploiement antiforme, ce qui atteste, ici aussi, de l'antériorité du pli, par rapport à ce chevauchement.

 

3. La nappe de Digne constitue enfin un exemple de dimensions encore plus considérables. Quelle que soit la cause envisagée pour son détachement (Gidon, 1982), elle correspond certainement (Gigot et al, 1974) au décollement du flanc long, nord-oriental, de l'anticlinorium de Verdaches (fig.2) auquel la tranche charriée se rattache en continuité, dans sa région la plus radicale. Le flanc W de cette aire anticlinale est resté autochtone et se renverse sous la nappe à la Montagne de Chine. Le fait qu'il montre les mêmes facies liasiques que le front de la nappe (visible à l'W de Digne) témoigne à l'évidence de son raccordement initial avec ce front. Il a été avançé toutefois (Gigot et al, 1974) que le détachement de la nappe ne serait intervenu qu'après une érosion de la voûte du pli ayant atteint jusqu'au Trias, à la suite de laquelle le coeur du pli aurait reçu des sédiments fluviatiles. Cependant les sédiments en question ne sont vraisemblablement pas aériens et correspondraient plutôt à des dépôts de circulations karstiques (Debelmas et al, 1978, Jeanbourquin, 1988) abandonnés dans les cavités de la cargneule, postérieurement au charriage, à une époque indéterminée, peut-être quaternaire, de sorte que cette observation ne va pas à l'encontre du processus envisagé.

 

 

 

III. DISCUSSION

 

Les exemples qui ont été présentés ci-dessus ont donc en définitive les caractéristiques communes suivantes (fig.10d):

 

- Il s'agit de plis dissymétriques, déjetés ou déversés, dont le flanc long, supérieur, est assez faiblement incliné (plis en genou ou apparentés).

 

- Le chevauchement, qui se manifeste par un redoublement avec sectionnement en oblique des couches chevauchées, devient apparent à la charnière du pli mais ne s'enracine pas vers le coeur de ce dernier; bien au contraire il vient se confondre avec une limite de strate du flanc long : il passe donc nécessairement - bien que celà se fasse de façon imperceptible - à un glissement couche sur couche.

 

- Ce chevauchement reste plat et disposé parallèlement aux bancs du flanc long. La surface de détachement qui est ordinairement une "rampe", plus redressée, n'est pas ici plus inclinée que le plat dans lequel s'enracine ce chevauchement. Toutefois cette surface sectionne les couches chevauchées selon un angle équivalent à celui observable sur une rampe habituelle. Ce résultat inhabituel est dû au basculement des couches qui est introduit par l'existence de la charnière (voir notamment les fig.3, 7 et 9).

 

Ces faits appellent les commentaires suivants :

 

A. Cette géométrie n'est pas vraiment classique et n'est guère prise en considération dans les publications récentes. Elle se différencie nettement de la plupart des schémas de relations entre chevauchements et plis qui sont généralement invoqués (fig.10) et tout d'abord de ceux où les chevauchements se propagent du coeur du pli vers sa voûte (plis de rampe et plis "d'amortissement"). Elle diffère tout autant de celle des chevauchements par rupture d'un flanc inverse ("plis-failles"). En fait il faut plutôt remonter à d'anciens auteurs pour voir faire appel à des schémas qui soient proches de celui qui est ici proposé. Il est notamment assez remarquable que c'est précisément le cas de l'explication envisagée originellement (HARRIS et al, 1962) dans l'exemple historique du "Pine Mountain Thrust", de Virginie (à partir duquel se sont développés les concepts modernes de rampes et plats, dans l'analyse des chevauchements). Un autre schéma voisin est celui des Strut thrusts (chevauchements par rupture du banc directeur servant d'armature au pli : Willis et al, 1934), qui n'est pas exactement adapté aux cas examinés ici, cependant (fig.10).

 

·On pourrait facilement être tenté de comparer la géométrie de nos exemples à celle des chevauchements induits par l'érosion des voûtes de plis ("strut erosion thrusts"), mais un tel processus morphotectonique est exclu dans tous les exemples présentés ici car il est indéniable que la rupture de la voûte s'y est produite sans qu'aucune érosion n'ait pu atteindre le niveau où elle intervient. Par contre il est certain qu'une telle origine est parfaitement envisageable, voire vraisemblable, dans d'autres cas : on connait bien à cet égard les exemples classiques de la morphotectonique provençale (ce serait aussi également le cas pour la nappe de Digne dans l'hypothèse d'une érosion préalable de la voûte de l'anticlinal de Verdaches).

 

B. La cause du départ en chevauchement de la partie externe du pli est, bien sûr, un effort cisaillant plus ou moins parallèle aux couches. On sait bien que, dans les plis par flexion, un cisaillement fait glisser les bancs les plus extérieurs dans le sens adéquat, c'est à dire vers la charnière par rapport aux plus intérieurs. Mais ce phénomène est en fait assimilable à une traction s'exerçant depuis la charnière sur les flancs et ne saurait donc provoquer la rupture, en compression, de cette charnière.

 

Par contre le fait que les plis affectés soient tous déversés, avec une vergence d'ailleurs conforme à celle du chevauchement, témoigne certainement de l'influence d'une ambiance de cisaillement tangentiel généralisé. D'ailleurs le contexte pousse à envisager, dans plusieurs cas au moins, que ce cisaillement a été induit par entrainement sous l'effet d'un chevauchement supérieur : chevauchement de la Chartreuse orientale pour l'écaille de Canaple (fig.8), charriage de la nappe de Digne pour le pli du Mourre du Barri (fig.7), ainsi que (?) pour l'écaille d'Aiguebelle (fig.9). Le fait curieux est que la discontinuité créée par le cisaillement se localise ici dans le flanc le moins incliné du pli : on peut envisager que cela soit dû à la conjonction d'un pendage redressé du flanc court et d'un cisaillement très tangentiel (alors qu'un flanc court disposé moins obliquement par rapport au cisaillement doit être plus susceptible de subir la rupture par étirement qui caractérise les plis-failles).

 

C. La cause de la localisation verticale du chevauchement, à un niveau plutôt qu'à un autre de la succession, paraitrait a priori devoir être recherché dans une particularité mécanique du niveau considéré, particularité qui autoriserait une importance particulière des glissements bancs sur bancs à ce niveau précis. Or il est clair que, dans beaucoup des exemples observés, la surface stratigraphique dans laquelle s'engage le chevauchement ne présente aucune caractéristique qui puisse être considérée comme particulièrement favorable au décollement (bien que des exceptions notables soit cependant constituées d'une part par l'Ecaille de Canaple, décollée au niveau des couches marneuses à orbitolines et d'autre part par la nappe de Digne, décollée au niveau du Trias gypseux).

 

En définitive on retire même l'impression que, dans beaucoup de cas, le choix de ce niveau est presque aléatoire. Il faut sans doute en conclure qu'une cause locale, fortuite et purement accidentelle, est suffisante pour servir d'amorçe à la rupture chevauchante : Peut-être le niveau où se produit la rupture correspond-il alors, en fait, à une disposition stratigraphique particulière, telle qu'un biseau de couches, susceptible de faciliter l'amorçage d'une rampe ? (c'est ce que suggère l'exemple de La Buisse, fig.4)

 

On pourrait aussi envisager que la surface de rupture qui sectionne les couches à la charnière, soit en fait l'émergence d'une importante surface de cisaillement couche sur couche qui serait présente - bien qu'inapparente - dans tout le flanc long du pli : ce serait en somme un tronçon "plat" (un Flat pour les anglais) d'une surface de cisaillement d'origine plus profonde. Cette hypothèse se heurte principalement au fait que de telles surfaces de cisaillement sont réputées se localiser au niveau de changements notables de lithologie : on voit mal pourquoi un chevauchement important irait s'engager par exemple à mi-hauteur d'un ensemble aussi cohérent que la masse inférieure de l'Urgonien alors qu'il pourrait en suivre les limites inférieure ou supérieure.

 

D. Sur un autre plan il est à noter que les exemples à ce jour reconnus, bien qu'insuffisamment nombreux pour préter à une étude statistique, ne paraissent pas spécifiques d'un type donné de matériel rocheux. En effet ils concernent des roches trés différentes:

 

- Des roches trés compétentes et relativement massives , comme l'Urgonien (fig.3, 5 et 8), les calcaires tithoniques (fig.6) ou les calcaires périrécifaux du Jurassique supérieur jurassien (fig.4), qui ont en outre communément des bancs métriques à plurimétriques séparés par des diastèmes franches ou des lits argileux seulement millimétriques.

 

- Des roches plus favorables à un plissement de courte longueur d'onde et au plissotement (du fait de la minceur de leurs bancs et de l'épaisseur relative plus forte de leurs joints marneux), comme les calcaires "séquaniens" (fig.6 et 7) ou les grès de l'Oligocène des chaînons subalpins méridionaux (fig.9).

 

- Des roches déjà peu compétentes, admettant des aplatissements de plus de 5O%, comme les calcaires du Lias dauphinois du revers E de Belledonne (Barféty & Gidon, 1983, et Gratier et al, 1973).

 

E. Enfin le fait que la rupture se localise à la charnière ne semble pas devoir susciter l'étonnement. En effet c'est là, tout d'abord, que des bancs soumis au plissement ont tendance à être particulièrement fragilisés car ils supportent les efforts les plus importants, soit en extension (à l'extrados), soit en compression (à l'intrados). D'autre part un cisaillement à plat, couches sur couches, au sein d'un flanc normal tendrait certainement à se poursuivre sans changer de direction, si l'inflexion de la charnière ne lui interdisait de le faire sans quitter le joint stratigraphique qu'il utilisait : à la charnière il doit donc y avoir soit blocage du mouvement, soit sa poursuite au prix du sectionnement des couches basculées par celle-ci.

 

En somme c'est la présence de la charnière, s'additionnant sans doute avec la présence d'une faiblesse fortuite au niveau considéré, qui déterminerait la transformation d'un glissement à plat en un franchissement de rampe, ce qui, en créant un biseau tectonique et un redoublement rend alors le déplacement cisaillant apparent.

 

IV. CONCLUSION

 

Les faits présentés et analysés ci-dessus soulignent donc l'existence réelle d'un processus générateur de chevauchements, anciennement reconnu mais en général peu envisagé de nos jours, que l'on peut désigner du nom de Décollement par rupture de charnière anticlinale.

 

Son importance n'est sans doute pas négligeable car ce processus ne parait pas limité à des conditions bien particulières de lithologie ou de stratonomie; d'autre part, s'il est évidemment associé à l'existence d'un régime général de cisaillement (qui se traduit au moins par un certain déversement des plis) cette situation est très largement présente dans les chaînes plissées. On peut donc penser qu'il peut intervenir dans beaucoup de structures et de régions.

 

Il convient sans doute de ne pas éxagérer le rôle de ce processus, puisqu'il semble limité à des cas particuliers et plutôt à des structures de taille modeste (encore que ce soit peut-être parce que ce sont les seules susceptibles d'en fournir la démonstration évidente). Toutefois, puisque la possibilité de son intervention est bien étayée, celà porte à atténuer le point de vue selon lequel tous les chevauchements se brancheraient, systématiquement et obligatoirement, sur un nombre limité de grands niveaux de décollement, correspondant chacun à des contrastes lithologiques accusés entre les formations superposées : Il faut aussi considérer que des chevauchements peuvent prendre naissance à des niveaux variables, répartis de façon capricieuse dans la série stratigraphique, par exemple à la faveur de structures anticlinales sous-jacentes et/ou préexistantes.

 

 

 

Remerciements : L'analyse et l'interprétation des structures des environs de Digne ont grandement bénéficié du concours de J.L. PAIRIS. Les textes en anglais ont été améliorés grâce à l'aide de M.J. GIRAULT.

 

 

 

 

 

Références citées:

 

BADGLEY P.C. (1965). - Structural and tectonic principles , 521 p., Harper and Row pub.

 

BARFÉTY J.C. & GIDON M. (1983). - La stratigraphie et la structure de la couverture dauphinoise au Sud de Bourg d'Oisans. Leurs relations avec les déformations synsédimentaires jurassiques. Géologie alpine, t.59, p.5-32.

 

DEBELMAS J., GIDON M. et KERCKHOVE C. (1978). - Idées actuelles sur les cargneules alpines; in "livre jubilaire Jacques Flandrin". Docum. Lab. Géol. Fac. Sci. Lyon, H.S.4, p.195-201.

 

GIDON M. et MUGNIER J.L. (1988). - Relations entre chevauchements et plissements : l'exemple du massif de la Chartreuse (chaînes subalpines, Alpes occidentales françaises). C. R. Acad. Sci. Paris, t 307, p.185-190.

 

GIDON M. (1981). - La structure de l'extrémité méridionale du massif de la Chartreuse, aux abords de Grenoble, et son prolongement en Vercors. Géologie alpine, t.57, p.93-1O7.

 

GIDON M. (1982). - La reprise de failles anciennes par une tectonique compressive: sa mise en évidence et son rôle dans les chaînes subalpines des Alpes occidentales. Géologie alpine, t.58, p.53-68.

 

GIDON M. (1988). - L'anatomie des zones de chevauchement du Massif de la Chartreuse (chaînes subalpines septentrionales, Isère, France). Géologie alpine, t.64, p.27-48.

 

GIGOT P., GRANDJACQUET C., HACCARD D. (1974). - Evolution tectonosédimentaire de la bordure septentrionale du bassin tertiaire de Digne depuis l'Eocène. Bull. Soc. Géol. France, (7), XVI, 1974, n°2, p.128-139.

 

GRATIER J.P., LEJEUNE B. & VERGNE J.L. (1973). - Etude des déformations de la couverture et des bordures sédimentaires des massifs cristallins externes de Belledonne, des Grandes-Rousses et du Pelvoux (depuis les Aravis jusqu'à la région de Remollon). Thèse 3° cycle, Grenoble, 227 p. ronéot.

 

HARRIS L.D. & ZIET I. (1962). - Development of Cumberland overthrust Block in Vicinity of Chestnut Ridge Fenster in Southwest Virginia. Bull. Am. Assoc. Petrol. Geol., 46, p.2148-2160.

 

JEANBOURQUIN P. (1988). - Nouvelles observations sur les corgnieules en Suisse occidentale. Ecl.géol.Helv., vol. 81/2, pp. 511-538.

 

WILLIS B. & WILLIS R. (1934). - Geologic structures. 544 p., Mac Graw-Hill pub.

 


Fig.1. - Schéma de situation des localités citées (localités voisines de Grenoble).

 

Fig.1. - Location sketch map : examples around the city of Grenoble (Northern subalpine ranges).

 

 

 

Fig.2. - Schéma de situation des localités citées (localités voisines de Digne). Le déplacement de la nappe de Digne est dirigé du NNE vers le SSW.

 

Fig.2. - Location sketch map : examples north of the city of Digne (Southern subalpine ranges).

 

 

 

Fig.3. - Coupe naturelle de l'anticlinal occidental de la Chartreuse, sous le village des Egaux (localisation fig.1).

 

La flèche de chevauchement de la partie supérieure de l'Urgonien, par rapport à la voûte de l'anticlinal, ne peut pas être évaluée, du fait de l'érosion. Le niveau de décollement, inaccessible, ne montre aucune particularité notable et ne correspond qu'à une vire très modeste dans la falaise.

 

Fig.3. - Natural cross-section, at Les Egaux, along the Guiers Vif river, through the western anticline of the Chartreuse massif. The length of the overthrust cannot be evaluated. No lithological pecularities are observed along the flat thrust surface.

 

 

 

Fig.4. - Bordure nord du front de taille de la carrière de La Buisse, dans les calcaires du passage Jurassique-Crétacé ("marbres batards"). La charnière en genou de l'anticlinal du Ratz n'est qu'ébauchée dans le bord gauche de la figure mais se développe quelques dizaines de mètres plus à l'Ouest.

 

On remarque ici que l'amorçe de la rampe se fait à un endroit (repéré par un astérisque) où s'observent des biseaux stratigraphiques, ce qui peut suggérer une relation de cause à effet.

 

Fig.4. - Section observed on the western side of the great quarry of La Buisse, near the western hinge of the box fold known as "anticlinal du Ratz" (Southern Jura ranges : Jurassic shelf limestones). The thinning out of some beds can be seen at the very point (shown by a *) were the ramp of the minor thrust originates.

 

 

 

Fig.5. - Les falaises sud du Pic Saint-Michel, au NW du Col de l'Arc, montrant le pli-faille dessiné par l'Urgonien. Un chevauchement mineur se développe dans le flanc supérieur du pli-faille. On remarque son plongement vers l'W, qui est calqué sur celui des couches au sein desquelles il prend naissance, ce qui souligne le rôle du glissement couches sur couches dans sa formation.

 

a - vue d'ensemble : le cadre indique la situation du secteur représenté en détail ( en - b).

 

b - vue de détail du secteur où le chevauchement mineur créé par décollement au sein de l'Urgonien inférieur devient apparent (noter l'absence de particularités morphologiquement exprimées, dans la succession, à ce niveau ; sur place on n'y observe également aucune variation notable de la lithologie).

 

Fig.5. - The southern cliffs of the Pic Saint-Michel, north of the Col de l'Arc, showing a major stretch thrust. Its hinge is partly cut by a secondary thrust, starting inside the upper limb. This thrust dips westward as do the beds inside which it is initiated.

 

a - General view ; b - detail of the secondary thrust.

 

 

 

Fig.6. - Un chevauchement mineur dans le versant E du Mont Rachais. L'accident chevauchant visible ici se branche sur un pli mineur hectométrique situé à l'E (l"'anticlinal de la Pinotte", Gidon, 1981). Il n'y a aucune particularité perceptible qui justifie la localisation du décollement au niveau où il apparait dans la succession monotone de couches décimétriques à métriques du "Séquanien".

 

Fig.6. - A minor thrust in the eastern slopes of the Mont Rachais mountain. At the hinge of the anticline, where the thrust is initiated, no lithological pecularity is shown by the "Séquanian" monotonous beds.

 

 

 

Fig.7. - Les chevauchements du Mourre du Barri. Ces accidents, notés O2, se greffent sur des antiformes de série inverse (notés P1), d'axe N70. Ils sont en outre dotés d'une vergence S, avec des crochons N120. Les plis P1 sont affectés d'une déformation qui tord leur plan axial et qui aboutit, dans leurs parties hautes à la rupture de charnière. Outre que cette déformation s'applique à une série déjà renversée, la direction de cisaillement indiquée par les axes des crochons correspond exactement à celle du déplacement de la nappe de Digne qui a dû passer peu au dessus de l'actuelle surface topographique. Il est donc clair, ici, que ce n'est pas au cours du plissement, mais par l'effet d'un cisaillement tardif, surimposé, que s'est effectué le décollement dans les flancs longs.:

 

Fig.7. - The Mourre du Barri minor thrusts (location on fig.2). The N75 trending P1 folds have been overturned after deposition of the Tertiary. It is obvious that the O2 minor thrusts formed later. They have probably been induced by the motion of the Digne major thrust, since they are localized at the upper part of the structure and accompanied by S-verging minor folds whose axes trend N120, as can be expected from such a drag effect.

 

 

 

Fig.8. - L'écaille de Canaple (coupe synthétique). Le décollement se fait, au sein de l'Urgonien, à la faveur des niveaux marneux des "couches à orbitolines". Il prend naissance peu à l'W de la voûte même du pli principal, à proximité du sommet du Charmant-Som, et s'amplifie vers le S jusqu'à atteindre une flèche kilométrique. Il sectionne alors un repli plus occidental du même système de plis, ce qui montre que le chevauchement s'est formé aux dépens de plis prééxistants.

 

Fig.8. - A local "horse" under the major thrust of the eastern Chartreuse massif, the so-called Ecaille de Canaple. The basal thrust of this unit cuts off through the antidated minor folds of the major "anticlinal de la Chartreuse médiane". Thus it is obvious that it occured later than folding. The Canaple thrust results from a decollement of the upper beds of the Urgonian limestone along a "flat" located inside the marly "Couches à orbitolines".

 

 

 

Fig.9. - Coupe synthétique schématique de l'Ecaille d'Aiguebelle, aux environs d'Esclangon (N. de Digne).

 

Cette coupe tient compte des observations effectuées sur les versants N et S du Collet d'Esclangon, c'est à dire sur plusieurs transversales (de sorte qu'elle n'est vraiment à l'échelle en aucun point). Elle met en évidence l'origine de l'écaille d'Aiguebelle, par décollement à l'intérieur de la Molasse rouge et à la voûte même de l'anticlinal de La Maurière. Dans les ravins du Rousset le chevauchement revèt l'aspect d'une simple surface de faille inverse qui sectionne et redouble les bancs de la Molasse rouge oligocène. Le cisaillement subparallèle aux couches qui en est responsable se manifeste à d'autres niveaux, plus bas par des failles inverses mineures et plus haut par le détachement d'une écaille secondaire (Crète de Beilet).

 

La mise en place de l'écaille d'Aiguebelle est synsédimentaire des molasses marines du Miocène inférieur. En effet le front de l'écaille est cacheté par les couches inférieures de la formation de Valensole (dans lesquelles elle se dilacère en olistolites et, d'autre part le rebroussement du flanc E du synclinal d'Esclangon, dont l'avançée de cette écaille est visiblement la cause, s'accompagne de biseaux de discordance progressive dans ces molasses marines.

 

Dans la Molasse rouge, l'avançée de cette écaille est, par ailleurs, responsable de la formation de crochons accusés (surtout visibles dans le ravin d'Aiguebelle, vers la cote 950), et de plis hectométriques localisés sous le chevauchement. Ces plis, observables aussi bien au N dans le ravin du Vèze qu'au S dans celui d'Aiguebelle, ont été basculés vers le S, de sorte que leur schistosité est ainsi devenue subhorizontale dans les flancs redressés jusqu'à la verticale. Ils s'amortissent vers le haut de la série au sein des molasses grises (ce qui a pu être interprété comme le cachetage d'une phase aquitanienne [Gigot et al, 1974]).

 

Fig.9. - a synthetic cross section of the Écaille d'Aiguebelle, in the vicinity of Esclangon hamlet (east of the Bès river : see location on fig.2). The Écaille d'Aiguebelle thrust is of Miocene age and functionned synsedimentarily during the deposition of the "Molasses marines". This conclusion is supported by (1) the presence of progressive unconformities in these beds, (2) their overturning under the thrust at Le Serre mountain, and (3) the fact that, slightly to the SW, the tip edge of this tectonic unit was reworked into olistolites at the beginning of the deposition of the continental Mio-Pliocene Valensole Formation. The thrust starts inside the "Molasse rouge" marls and sandstone, at the top of a preexisting anticline (The latter was covered by the Oligocene beds before being accented during Miocene times)

 

 

 

Fig.10. - Schémas théoriques, montrant les différences entre 5 cas de relations qui peuvent être envisagées entre plis et chevauchement :

 

a - pli de rampe ; b - pli d'amortissement ; c - pli-faille ; d - chevauchement par décollement dans le flanc long d'un pli (processus examiné dans cette note) ; e - chevauchement par rupture d'un banc "d'armature" (Strut thrust, selon Willis et al, 1934). Dans ce dernier schéma l'apparition du chevauchement était attribuée à la compétence plus forte des couches de la voûte vis à vis de celles du coeur du pli, replissées en accordéon. Or dans aucun des cas présentés ici un tel facteur ne peut être mis en cause car la rupture se produit au sein même de formations relativement homogènes et non pas à leur limite.

 

Fig.10. - Five kinds of possible interrelations between a thrust and an anticline: a - the ramp fold ; b - the fault-propagation fold ; c - the kind of thrusting here described ; e - the strut thrust (after Willis et al, 1934)