Liste des autres publications de l'auteur de ce site


088 - Bulletin du B.R.G.M. (deuxième série) Section I, n° 1, 1980-1981, pp. 22-33, 8 fig.

LE RÔLE DE LA PALÉOTECTONIQUE JURASSIQUE DANS LA STRUCTURE DES MONTAGNES DU BEAUMONT (ZONE DAUPHINOISE AU SUD-EST DE GRENOBLE)


Maurice GIDON (*) & Jean APRAHAMIAN (*)
(*) Laboratoire de Géologie alpine n° 69. associé au C.N.R.S., Université scientifique et médicale. Institut Dolomieu, rue Maurice-Gignoux, 38031 Grenoble Cedex.

Manuscrit déposé le 20.12.79.

MOTS-CLÉS: Tectonique cassante, Tectonique socle, Jurassique, Graben (Paléograben), Synclinal Isère (Massif Beaumont)

Résumé

Un réseau de failles distensives jurassiques donnant lieu à des discordances et des éboulements synsédimentaires constitue la structure initiale et fondamentale des montagnes du Beaumont; elle n'a été que peu déformée, en fin de compte, par les serrages alpins qui en ont plissé les compartiments intercalaires. La dépression synclinale de la Salette - Fallavaux correspond notamment à un paléograben, allongé selon une direction méridienne, qui prolongeait vers le sud celui du col d'Ornon et se fermait sur le horst N.NE-S.SW du linéament d'Aspres.

Abstract

A network of distensive Jurassic faults giving rise to synsedimentary unconformities and rockfalls makes up the initial and basic structure of the Beaumont mountains. Everything considered it was little distorted by the alpine tightening which folded the intermediate compartiments. The La Salette-Fallavaux synclinal area was a rift with a meridian elongation which continued southward the col d'Ornon fault and ended at the N.NE-S.SW horst of the Aspres lineament.

Figures


A. INTRODUCTION

Le massif du Beaumont, situé au nord de Corps (fig. 1), entre la marge occidentale des affleurements cristallins du massif du Pelvoux et la vallée du Drac, montre un beau développement des terrains du Lias et du Dogger. On sait [J.APRAHAMIAN, 1968] que sa structure est dominée par l'existence de plis d'orientations variées, les uns subméridiens (N 130 à N 160), les autres plus E-W (N 40 à N 70) (fig. 1). Dans la dépression de la Salette - Fallavaux, l'entrecroisement de ces structures définit une cuvette synclinale complexe remplie principalement de " Lias schisteux " avec un coeur de Dogger. En outre, les marges de cette cuvette sont affectées par trois lignes de fractures qui sont :
- la faille du Chamoux [J. APRAHAMIAN, 1965], côté NE;
- la zone de fractures (" linéament ") d'Aspres-les-Corps [M. GIDON, J.-L. PAIRIS et J. APRAHAMIAN, 1976], côté SE;
- la faille du col d Hurtières [J. APRAHAMIAN, 1968, p. 95], côté NW.

Nos recherches récentes, dans le cadre des levés pour la feuille La Mure à 1/50 000, nous ont amenés à préciser les caractères de l'évolution tectonique de ce massif. Nous avons, pour cela, amélioré au maximum la finesse des distinctions stratigraphiques utilisées pour la cartographie; c'est ainsi que nous avons pu, comme précédemment plus au sud, en Champsaur [M. GIDON, 1980], séparer les niveaux suivants dans les termes supérieurs au Lias calcaire:
- calcaires très argileux, mal lités : Bathonien ( ?) - Bajocien supérieur
- calcaires argileux en bancs décimétriques à métriques, à joints marneux : Bajocien
- marnes noires feuilletées : Aalénien supérieur
- calcaires argileux gris en bancs métriques mal délimités : Aalénien inférieur (Z. à Opalinum)
- marnes noires : Toarcien supérieur
- calcschistes gris à patine ocracée : Toarcien moyen (Z. à Bifrons) débutant par des calcaires argileux noirs à patine rousse (Z. à Falciferum)
- schistes argileux noirs micacés : Toarcien basal- Domérien supérieur
- marno-calcaires calcarénitiques micacés : Domérien inférieur.

La cartographie précise de ces niveaux nous a permis de mettre en évidence des variations et des anomalies locales de la succession stratigraphique, dont l'ordonnance paraît liée à celle de fractures parmi lesquelles celles citées ci-dessus: ceci tend à confirmer, ainsi qu'il avait été déjà envisagé [J. APRAHAMIAN, 1965, 1968] pour certaines d'entre elles, que plusieurs de ces fractures sont anciennes et préexistaient aux serrages alpins.

B. DONNÉES SUR L'ACTIVITÉ TECTONIQUE JURASSIQUE

Nos observations, étayant l'interprétation selon laquelle cette région aurait été sujette à une activité paléo-tectonique, ont été faites dans quatre secteurs distincts (figure 2) qui seront étudiés ci-après à tour de rôle.

1. Secteur situé à l'est du sanctuaire de la Salette

Ce secteur correspond essentiellement au chaînon qui court du sommet du Chamoux à la Croix de Rougny.

a) Le sommet du Chamoux montre une succession relativement réduite de Lias calcaire où manquent notamment les termes inférieurs (Hettangien et Sinémurien inférieur) au contact des formations paléozoïques (grès et schistes houillers recouvrant les schistes cristallins); d'autre part, il est clair que les assises liasiques, en moyenne fortement redressées, ont une direction telle que chaque banc, à tour de rôle, doit être recoupé par le contact les séparant du Paléozoïque, en un long biseau. Ce sont ces faits qui étayent, en ce point, l'existence d'une " faille du Chamoux " [J. APRAHAMIAN, 1965].
Cependant, l'examen des rares endroits où la surface limite cristallin-Houiller Lias est réellement observable révèle une disposition accordante des bancs du Lias au-dessus de cette limite. Il semble même, en un point et sur 0,3 m de long, que les grès houillers aient été remaniés au sein du banc basal du Lias. En d'autres termes, on peut se demander si les couches liasiques ne se rebroussent pas pour venir s'appuyer sur le cristallin et si cette disposition n'est pas d'origine sédimentaire.
La tectonisation du contact entre les deux formations, qui est indiquée par l'abondance des filonnets de calcite, sur quelques mètres d'épaisseur, à son voisinage, ne peut effectivement constituer un argument suffisant pour démontrer l'origine purement tectonique et post-liasique de ce contact: en effet, il est hautement probable, a priori, qu'à la limite entre deux ensembles lithologiquement aussi dissemblables les efforts alpins ont dû, par des mouvements différentiels, provoquer la tectonisation des contacts originellement stratigraphiques.
En définitive, bien que nous n'en ayons pas la preuve formelle, il apparaît vraisemblable que la faille du Chamoux correspond dès le Lias, en fait, à un abrupt du socle cristallin contre lequel ont dû venir s'appuyer lors de leur dépôt les couches de cette époque: elle représente donc plus probablement une ancienne faille normale, ultérieurement redressée et même renversée vers l'ouest, qu'une véritable faille inverse (fig. 3). En fait, la réalité d'un soulèvement synsédimentaire du bloc cristallin du Chamoux paraît démontrée par l'étude des termes supérieurs de la série stratigraphique au voisinage de ce sommet, comme nous allons le voir.

b) En effet, les ravins qui descendent vers le SW de la crête Chamoux-Croix de Rougny et vers le sud du sanctuaire de la Salette permettent de constater que, d'ouest en est (en se rapprochant de la faille du Chamoux), les assises du Lias supérieur subissent une nette réduction d'épaisseur (fig. 3). Cet amincissement est spécialement frappant en ce qui concerne le Toarcien qui, dans les pentes à l'est du ravin des Baisses, s'effile en biseau sous les couches de l'Aalénien inférieur. Sur la crête montant du col de l'Eterpat au Chamoux ce n'est qu'après un examen très attentif que l'on parvient à distinguer la présence, à la base apparente de la barre aalénienne fossilifère, de calcaires d'âge toarcien moyen (zone à Bifrons), paléontologiquement datés. En fait, cette coalescence des deux barres calcaires (toarcienne et aalénienne) est caractéristique de tout le secteur situé en rive gauche du ravin des Baisses. Elle apparaît progressivement, mais rapidement, à l'est d'une ligne NW-SE grossièrement parallèle à la faille de Chamoux. De plus, en certains points, par exemple vers 1 750 m d'altitude dans la branche occidentale du ravin des Baisses, on constate une discordance angulaire de l'Aalénien par rapport au Toarcien qui décrit une inflexion synclinale d'axe NW-SE. Plus bas, vers 1 650 m le même Aalénien vient sceller une cassure E-W à rejet de faille normale (compartiment nord abaissé) qui affecte le Lias calcaire et le Domérien dans le versant sud du Gargas (*).
(*) En fait, cette faille appartient à une famille représentée par plusieurs autres exemples au versant sud du Gargas et dans le chaînon Chamoux-Croix-de-Rougny.

c) En fin de compte le secteur situé à l'est du sanctuaire de la Salette montre donc les traces d'une activité tectonique déployée à plusieurs époques et se manifestant de façons diverses: Failles subméridiennes (faille du Chamoux), fracturation E-W (failles du Gargas) et mêmes flexions de couches. Il n'est pas possible toutefois de proposer une interprétation plus précise des rapports génétiques et chronologiques existant entre ces divers accidents.

2. Secteur situé à l'ouest du sanctuaire de la Salette

Il correspond principalement au grand vallon qui descend du col d'Hurtières à Fallavaux en passant par la Tête de l'Homme.

a) La Tête de l'Homme (fig. 3)

Cette éminence est constituée par du Lias calcaire ployé en un anticlinal N-S déversé vers l'ouest; elle apparaît isolée, au milieu dus Lias schisteux qui remplit le synclinal de Fallavaux, car les schistes domériens entourent de toutes parts le Lias calcaire et affleurent en particulier au pied de l'abrupt méridional qui coupe ce dernier. Une étude attentive des contacts entre ces deux formations montre les faits suivants:

1) Dans le versant sud, la surface basale des schistes domériens recoupe obliquement, à tour de rôle, les assises successives des deux flancs de l'anticlinal dessiné par le Lias calcaire. Cette surface ne s'enfonce jamais sous le Lias calcaire (qui ne peut donc constituer une klippe) mais plonge fortement vers le sud tout en décrivant dans son ensemble une voûte antiforme de même plan axial que l'anticlinal du Lias calcaire qu'elle enveloppe du côté méridional .
L'examen détaillé, point par point, des contacts visibles révèle qu'il s'agit d'une surface de transgression caractérisée par des ravinements capricieux, avec corrosion de la surface des bancs où s'insinuent les schistes, et des encroûtements plus ou moins calcarénitiques ou parfois silicifiés, épais de quelques centimètres à un mètre, dont le sommet se dilue dans les schistes.
Il s'agit donc d'une surface qui tranche des couches antérieurement déposées et qui a été fossilisée au Domérien par la sédimentation marine. Elle n'a pu être créée que par le jeu d'une faille à pendage sud, de type faille normale à compartiment méridional abaissé; cette disposition n'est d'ailleurs pas sans évoquer celle des failles E-W du versant sud du Gargas, dont le pendage et le rejet sont toutefois opposés, de sorte que les unes et les autres appartiennent peut-être à un même système de failles conjuguées. C'est postérieurement à la fossilisation du miroir de faille que ce dernier a subi, très vraisemblablement, le même ploiement antiforme qui affecte le Lias calcaire.
2)Du côté septentrional, le Lias calcaire de la Tête de l'Homme s'enfonce normalement sous le Lias schisteux qui affleure le long de la route du sanctuaire. Toutefois, alors qu'au flanc SW du Gargas se rencontrent (fig. 3A) successivement tous les termes stratigraphiques entre le Carixien et le Toarcien moyen, ce dernier niveau, après avoir décrit (au col de l'Homme) un mouvement synclinal brutal, vient reposer directement sur les marno-calcaires du Domérien inférieur. La lacune du Domérien supérieur est soulignée par la présence, à sa place, d'un niveau décimétrique de brèche à éléments de dolomie triasique. La brutalité de la disparition, en ce point, du puissant niveau des schistes domériens ne peut, dans ces conditions, s'expliquer que par l'existence synsédimentaire d'un relief brutalement créé entre le Domérien inférieur et le Toarcien.
Toutes les observations conduisent donc à la conclusion que la structure de la Tête de l'Homme est due avant tout à son soulèvement par le jeu de failles au cours du Lias moyen: il s'est créé une sorte de horst qui a été recouvert par la sédimentation au cours du Domérien supérieur et scellé par les dépôts toarciens (fig. 3B). Ultérieurement, ce " paléohorst " liasique, repris au coeur du synclinal de Fallavaux par les plissements alpins a été ployé en antiforme, de même que les failles qui le limitaient.

b) Le flanc ouest du synclinal de Fallavaux (fig. 2).

Le versant ouest du vallonnement qui descend du col d'Hurtières vers la Salette-Fallavaux est parcouru par le tracé de la faille d'Hurtières qui y constitue la limite entre Lias schisteux et Lias calcaire.

1) Au col d'Hurtières, plus exactement peu au nord, dans les falaises que traverse le " sentier des Pères ", les affleurements sont excellents et permettent de relever la disposition représentée par la figure 4, on constate que:
- le Sinémurien inférieur s'appuie, par l'intermédiaire de schistes argilitiques à galets de spilites, sur une surface oblique, selon un angle supérieur à 50°, aux coulées de spilites et aux lits d'argilites interstratifiés;
- les bancs du Sinémurien sont eux-mêmes obliques à cette surface car moins inclinés qu'elle; ces couches représentent en outre, à elles seules, le Lias calcaire, épais de 0 à 10 mètres;
- ces assises sont à leur tour recouvertes directement par des schistes domériens dont la base s'insinue entre certains bancs calcaires et montre, par places, des galets isolés ou même un enduit, centimétrique à décimétrique, de micro-conglomérat à galets calcaires arrondis centimétriques.
Il est évident que cette disposition ne peut résulter du seul jeu d'une faille (encore qu'un léger glissement le long des contacts soit indiqué par la présence de filonnets de calcite portant des stries de friction): elle implique la formation d'un abrupt sous-marin fossilisé au Sinémurien puis ravivé avec le Domérien sup-érieur qui l'a complètement enseveli sous la sédimentation; cela ne peut être dû qu'au jeu d'une faille normale au cours du Lias inférieur- moyen.

2) Le ravin de Combe Male, situé 1,5 km plus au sud recoupe de nouveau la faille vers l'altitude de 1 600 m (où il est également traversé par la route D 212c menant au sanctuaire de la Salette). Entre les bancs, sectionnés très obliquement, du Lotharingien de la lèvre occidentale et le Domérien de la lèvre orientale s'intercale une lame de Carixien qui s'appuie en biseau sur le plan de faille garni de microbrèche et se biseaute à son tour au contact du Domérien. Ces observations sont trop ambiguës pour confirmer ici l'âge liasique de l'activité de la faille (que semble pourtant indiquer la présence, peu au NE de ce point, de blocs décimétriques de calcaires liasiques inclus dans les schistes domériens).

3) Plus au sud encore, peu avant d'atteindre le lacet d'altitude 1 300 de la D 212c, I'ancien chemin du sanctuaire recoupe, avec une faible obliquité azimutale, un tronçon de faille, apparemment détaché vers le S.SW (en direction du hameau de Saint-Julien) de la branche principale N.NW-S.SE de la faille d'Hurtières. Vers l'altitude de 1 370 m le long de ce chemin (emplacement du L du mot " La Salette " sur la figure 2) le contact du Domérien du compartiment est avec le Lotharingien du compartiment ouest, très oblique aux bancs de ce dernier, dessine sur quelques mètres un rentrant en forme de poche allongée vers l'ouest. Ce contact, marqué par un mince enduit ferrugineux, s'insinue même dans des rentrants correspondant aux interbancs plus marneux du Lotharingien. Le remplissage de cette poche, formé de schistes argileux domériens, montre, de-ci de-là, des fragments isolés, centimétriques à décimétriques, de calcaires liasiques: il ne saurait donc faire de doute que le miroir de faille a été, ici aussi, l'objet d'une érosion avec ravinement avant d'être noyé sous la sédimentation domérienne.

4) Il n'est donc pas surprenant qu'au sud de ce point, dans les pentes faisant face au village de la Salette, on ne puisse mettre en évidence le passage de la cassure au sein des couches domériennes qui ont dû la " sceller " après arrêt de son fonctionnement. Toutefois la preuve de sa continuation vers le S.SE est donnée par l'entaille du ruisseau de la Salette qui atteint de nouveau, à l'ouest du hameau des Payas les couches antédomériennes: on constate alors, aux abords du point côté 1 130 notamment, que les strates du Lotharingien et du Carixien qui affleurent en ce point sont coupées très obliquement, du côté est, par le contact avec le Domérien inférieur. Au sud de ce point, la prolongation probable du tracé de la cassure se dirige derechef dans un secteur où affleurent le Domérien et le Toarcien, de sorte qu'il redevient inapparent.

Au total on est amené à constater que la faille d'Hurtières orientée N 160 émettait des branches orientées N 20 qui, comme elle, ont fonctionné avant le Domérien; en outre il apparaît que la valeur de son rejet décroît vers le Sud depuis le col d'Hurtières pour atteindre des valeurs ne dépassant pas la centaine de mètres à la latitude de la Salette.
Le prolongement de la faille du col d'Hurtières au nord du col de ce nom mérite d'être examiné ici: il est jalonné par le contact entre le Trias, soulevé du côté ouest, et les différents niveaux du Lias, abaissés du côté est, jusqu'à la vallée de la Bonne. Au-delà, en rive droite, nous avons observé dans son prolongement exact, 100 m à l'ouest du pont aval de Gragnolet et au sein du cristallin, une fracture à stries horizontales sénestres dont la direction N 160 convient bien pour y voir la continuation de notre faille d'Hurtières. Cette cassure peut être suivie dans l'éperon séparant la vallée de la Bonne de celle de la Malsanne puis en rive droite de cette dernière (où elle est jalonnée par une pincée de Lias) jusqu'à la limite entre le cristallin et le sédimentaire de la dépression du col d'Ornon, à l'ouest du Périer. Elle se raccorde donc ainsi au grand accident paléotectonique du col d'Ornon [J.-C. BARFETY, M. GIDON et R. MOUTERDE, 1970; J.C. BARFETY, M. GIDON, M. LEMOINE et R. MOUTERDE, 1979] qui limite cette dépression du côté ouest et qui a été scellé par la sédimentation au Lias supérieur (c'est-à-dire sensiblement à la même époque que le fut la faille d'Hurtières).
La faille d'Hurtières représente donc, très vraisemblablement, le prolongement méridional de la grande faille du col d'Ornon; cependant le rejet de cet accident devient moins important vers le sud, en même temps que l'époque de son scellement par la sédimentation devient de plus en plus précoce: cela implique probablement l'intervention d'une sorte de jeu en ciseaux à ouverture vers le nord.

3. Bordure sud-est de la dépression de Fallavaux

Ce secteur correspond au passage de la grande zone de fractures du << linéament d'Aspres-les-Corps " [M . GIDON, J.-L. PAIRIS, J. APRAHAMIAN, 1976]. L'influence et les rapports de cet accident avec les terrains du synclinal de Fallavaux ont également fait l'objet d'observations nouvelles et significatives.
La cuvette synclinale de Fallavaux est dessinée ici par les calcaires, datés paléontologiquement, du Bajocien; son coeur est marqué par un banc épais de 1 à 2 m de grès calcareux à patine brune, d'âge inconnu. L'axe synclinal, à peu près N-S (comme l'indique la schistosité de plan axial orientée N 150-N 160), se dirige de façon à rencontrer les cassures du linéament d'Aspres dans le versant ouest du Laton (fig. 2) où ces dernières parcourent le flanc de versant suivant une direction N 20, franchement oblique. Nous avons examiné ce contact le long de ce versant et nous en décrirons les affleurements du sud au nord:

a) Au sud du vallon des Clos (crête de Roche Rattier) le flanc est du synclinal se renverse selon une orientation N 20, parallèle donc à celle des cassures du linéament d'Aspres, à partir d'une ligne située 300 m à l'est de Roche Rattier (fig. 2). Ceci doit évidemment être interprété comme l'effet d'un rebroussement contre le plan de cassure, lors des serrages E-W responsables de la formation du synclinal, et atteste donc de nouveau de l'antériorité de la fracturation. D'autre part, la puissance des calvaires bajociens se réduit ici par disparition des bancs inférieurs: les quelques bancs supérieurs subsistants reposent alors (fig. 5A), au point coté 1 732 et dans son versant sud (constituant la rive droite de la Combe Merdière), en parfaite accordance et sans trace de tectonisation du contact, sur les calcaires liasiques. Ces calcaires, qui sont également ployés par le mouvement synclinal, ont une polarité inverse de celle des assises bajociennes; leur sommet, carixien (passant aux marno-calcaires domériens) se rencontre, en effet, en se dirigeant vers le SW, en rive gauche de la Combe Merdière. Pourtant, en poursuivant la coupe en direction du col d'Aspres, on traverse la suite d'une succession descendante complète, depuis les schistes de l'Aalenien supérieur jusqu'au Lias calcaire a l'endroit.
Cette disposition paradoxale ne peut s'expliquer dans l'état actuel des données que par l'interstratification d'un panneau, basculé à l'envers, de Lias calcaire, dans la sédimentation de la fin de l'Aalénien et du début du Bajocien (fig. 5B). Or ce panneau s'effile vers le NW dans le bois de Rattier tandis que, du côté est, il vient se terminer contre le Trias (à l'endroit) remonté par la faille occidentale d'Aspres. L'origine de ce bloc de Lias, de plusieurs centaines de mètres de côté, n'a donc pas à être recherchée bien loin: elle est probablement dans la lèvre supérieure de cette faille dont une tranche a dû se détacher et culbuter dans la dépression ouverte par l'affaissement de la lèvre occidentale à l'Aalénien.

b) Le Serre des Bergers (pt. 1724, fig. 2), au nord du vallon des Clos, montre des faits très analogues (fig. 6): en contrebas du cristallin soulevé par la faille occidentale d'Aspres affleure (à partir de la cote 1 750) le Domérien marno-calcaire; à partir du point 1724 celui-ci fait place à du Carixien dont les bancs sont orientés N-S; en descendant encore, ce dernier s'interrompt brusquement selon une ligne NE-SW pour laisser affleurer, en dessous de la cote 1 650,1'Aalénien inférieur dont les bancs s'appuient à tour de rôle sur la surface de séparation (celle-ci est d'ailleurs inobservable dans le détail).
Ici encore, il s'agit probablement d'un repos stratigraphique des couches aaléniennes sur un panneau liasique effondré le long du plan de faille. Cette interprétation est appuyée par la présence, dans les schistes de l'Aalénien supérieur qui affleurent plus à l'ouest, de blocs décimétriques de calcaire liasique, très vraisemblablement éboulés dans la sédimentation de cette époque: la mise en place de cet olistholite remonterait donc au Toarcien au moins et se serait poursuivie par des émissions de débris plus modestes jusqu'à l'Aalénien supérieur.

c) Les rochers de Journet (fig. 7), en rive sud du ruisseau des Sannes présentent une structure en pli couché, ouvert à l'est au niveau du Bajocien, dont on ne connaît aucun équivalent dans toute la région. Il est bien possible que ce soit le résultat d'un collapse lié au soulèvement du bloc cristallin contre lequel s'appuient actuellement les calcaires bajociens. Toutefois, I'absence d'assises plus récentes ne permet pas de dater cette déformation.

d) La butte 1820 (fig. 8), au nord du Ruisseau des Sannes montre également des faits interprétables dans ce contexte tectono-sédimentaire :
1) à l'ouest de la faille (appartenant au faisceau d'Aspres) qui passe presque au point 1820 le Lias calcaire est disposé verticalement avec sa base à l'est; il admet une intercalation de grès et de pélites du Houiller dont l'épaisseur est d'environ 10 mètres. On ne peut exclure que cette lame houillère ait été introduite ici par les glissements le long des plans de faille et ait une origine purement tectonique, mais son interprétation comme un olistholite est pour le moins aussi vraisemblable en l'absence d'autres arguments.
2) à l'est de la faille une lame de Lias calcaire, flanquée du côté est par un peu de dolomies triasiques, s'appuie, plus à l'est encore, contre l'Aalénien inférieur de la lèvre orientale. Là aussi une mise en place purement tectonique n'est pas exclue mais explique mal la polarité des couches: un glissement synsédimentaire expliquerait mieux la position de ce lambeau.
En définitive, la bordure sud-orientale de la dépression de la Salette montre divers indices, dont certains fort probants, d'une activité synsédimentaire, du Lias au Bajocien au moins, de la zone de fractures du linéament d'Aspres-les-Corps. Cette activité semble responsable en particulier d'effondrements de blocs gigantesques dans le matériel en cours de sédimentation .

C. CONCLUSIONS

1. La structure en ombilic synclinal de la dépression de la Salette est donc due en grande partie à des dispositions paléo-tectoniques acquises dès le Lias inférieur et dont l'activité s'est maintenue plus ou moins longuement, parfois jusqu'au cours du Dogger. En effet, I'actuel synclinal N-S s'inscrit dans un paléograben délimité à l'est par la faille du Chamoux et à l'ouest par celle d'Hurtières. Ce graben se fermait vers le nord par la convergence de ces deux failles (fig. 1) et s'effaçait vers le sud, par amortissement de leur rejet, avant d'atteindre le horst surélevé que constituait le linéament d'Aspres-les-Corps.
Cette organisation des paléo-topographies sous-marines résulte de la rencontre dans ce secteur de deux paléo-accidents majeurs de direction différente, le linéament d'Aspres-les-Corps et celui du col d'Ornon: on voit qu'une certaine complexité, encore très partiellement connue d'ailleurs, caractérise ces zones de raccord entre linéaments majeurs. On notera en particulier le tracé en baïonnette (fig. 1 et 2) de la faille d'Hurtières, dont les tronçons N-S, orientés comme la faille du col d'Ornon, se raccordent entre eux par des n bretelles n NE-SW, dirigées comme le linéament d'Aspres. Cela suggère que ces deux directions différentes ont pu être, à l'origine, celles d'accidents conjugués (à rejet comportant donc une composante de coulissement horizontal). Sans doute ne faut-il pas sous-estimer non plus le rôle des failles normales E-W, mises en évidence notamment au Gargas et à la Tête de l'Homme, dans la mosaïque des fractures jurassiques .
Quoi qu'il en soit les structures alpines compressives de directions et d'âges variés ont été apparemment assez largement dirigées par le CaneraS des structures extensives formées au Jurassique.

2. On doit se demander, dés lors, s'il n'en est pas de même pour les régions voisines et notamment pour le Beaumont occidental. Ici le trait structural majeur est l'existence, entre Corps et Valbonnais, de longues bandes anticlinales méridiennes délimitées par des failles N-S (fig. 1). Or l'étude plus approfondie de ce secteur révèle quelques traits structuraux assez particuliers:

a) Les failles délimitant les compartiments plissés n'ont aucun caractère chevauchant (il ne s'agit donc pas de plis-failles); au contraire ce sont des failles normales à compartiment oriental abaissé. Le fait que leur plan de fracture soit très redressé est une particularité qui trahit sans doute un basculement sous l'effet de serrages tardifs: elles seraient donc plutôt apparues avant les plis.

b) Ces failles présentent tous les caractères de direction et de sens de rejet reconnus pour la faille d'Hurtières: il est probable qu'elles appartiennent à une même famille et qu'elles sont donc de même origine paléotectonique (*). Il s'agit probablement d'un faisceau d'accidents prolongeant vers le sud celui du col d'Ornon (selon des tracés encore très hypothétiques cependant : voir la figure l).
(*) A l'est de Saint-Michel-en-Beaumont le tracé des deux failles les plus occidentales se perd dans la traversée des affleurements de Toarcien-Aalénien du col de Parquetout: cela indique vraisemblablement (mais non avec certitude...) que ces failles sont ici scellées par la sédimentation dès le Lias supérieur.

c) Les rapports entre ces failles et les plis de diverses directions sont interprétables sans difficultés en admettant l'antériorité des failles:
1) Les plis anté-sénoniens qui pénètrent dans le Beaumont occidental depuis le SW. avec une direction axiale SW-NE, ne traversent pas le faisceau de failles: la préexistence de ces dernières justifie une désolidarisation des compartiments lors du plissement et, par conséquent, l'arrêt de la propagation de ce dernier.
2) Les plis NW-SE qui se développent dans ce secteur sont une particularité notable que l'on ne connaît pas à l'ouest du faisceau de ces failles. De plus ces plis, bien que sensiblement obliques aux failles ne sont pas tranchés par celles-ci: les couches de leurs flancs prennent, en effet, une direction de plus en plus méridienne aux approches des cassures: cette disposition est normale si les plis ont été développés, aux dépens de compartiments prédécoupés, par un serrage quelque peu oblique aux limites de ces compartiments. Les plis NW-SE semblent se raccorder longitudinalement de façon progressive aux plis plus méridiens (N 160) qui ont été formés dans ces régions par les serrages récents: aussi est-il probable que leur azimut axial particulier résulte de déviations locales par cisaillements horizontaux le long de paléo-fractures.
En définitive, le caractère précoce, antérieur aux serrages et lié à des distensions jurassiques, des fractures de la région de la Salette semble devoir être étendu également aux failles subméridiennes du Beaumont occidental.
3. En ce qui concerne le contexte régional les données recueillies dans le massif du Beaumont s'inscrivent harmonieusement dans un schéma d'organisation de la tectonique distensive jurassique de la zone dauphinoise qui commence à se dessiner par touches successives [H. ARNAUD, J.C. BARFETY, M. GIDON et J.-L. PAIRIS, 1978: J.-C. BARFETY, M. GIDON, M. LEMOINE et R. MOUTERDE, 1979; J.C. BARFETY et M. GIDON, 1980]. Les nouvelles données de terrain convergent pour autoriser désormais à envisager qu'une structure en blocs prédécoupés au Jurassique (et peut-être antérieurement) a pu jouer, lors des serrages alpins, un rôle directeur fondamental ( *).
(*) Cette dernière conclusion est en bon accord avec les vues plus théoriques exprimées récemment sur des bases surtout microtectoniques par divers auteurs [J. BOUDON, J.-F. GAMOND, J.P. GRATIER, J.-P. ROBERT, J.-P. DEPARDON, M. GAY, M. RUHLAND et P. VIALON,1976]. On doit observer que le cachetage des cassures du socle, par les assises jurassiques, s'oppose, dans beaucoup de cas à envisager leur rejeu récent en failles de coulissement au niveau de la couverture: cela n'empêche en rien toutefois que les rejeux des accidents de socle induisent dans la couverture des accidents souples, dirigés indirectement par les paléo-fractures.
-----------------------------------

Remerciements
Les recherches de terrain ont été effectuées en partie avec la compagnie de MM. J.-C. BARFETY (extrémité nord du Beaumont) et J.-L. PAIRIS (région du linéament d'Aspres) ; M. J.-C. BARFETY nous a en outre communiqué ses résultats et ses levés inédits concernant les régions jouxtant au nord celle étudiée ici.
MM. J. DEBELMAS et M. LEMOINE ont bien voulu lire notre manuscrit et nous ont fait part de remarques constructives sur le fond et la forme.
A tous, nous adressons nos remerciements.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

APRAHAMIAN J. (1965). - Le style tectonique de la bordure nord-est des montagnes de la Salette (secteur sud-ouest du massif du Pelvoux). C.R. Acad. Sci. Fr., 260, pp. 243-246.
APRAHAMIAN J. (1968). - Etude géologique des montagnes du Beaumont et de la Salette. Thèse de 3ème cycle, polycopié, Grenoble.
ARNAUD H., BARFETY J.-C., GIDON M., PAIRIS J.-L. (1978). -A propos du rhegmatisme des zones externes alpines au sud de Grenoble. C.R. Acad. Sci., Fr., 286, pp. 1335-1338.
BARFETY J.-C., GIDON M., HAUDOUR J., SARROT-REYNAULD J. (1970). - Nouvelles observations sur les conditions de sédimentation du Trias et du Lias du Dôme de la Mure et de la chaîne de Belle-donne méridionale. Géologie alpine. 46, pp. 5-16.
BARFETY J.-C., GIDON M., LEMOINE M.. MOUTERDE R. (1979). - Tectonique synsédimentaire liasique dans les massifs cristallins de la zone externe des Alpes occidentales françaises: la faille du col d'Ornon. C.R. Acad. Sci., Fr., séance du 12.11.79 (sous presse).
BARFETY J.-C., GIDON M. (1980). - Fonctionnement synsédimentaire liasique d'accidents du socle dans la partie occidentale du massif du Pelvoux (région de Venosc, Isère). Géologie de la France; Bull. B.R.G.M, Fr. Section 1, n° 1, 1980.
BOUDON J., GAMOND J.-F., GRATIER J.-P., ROBERT J.-P., DEPARDON J.-P., GAY M., RUHLAND M., VIALON P. (1976). - L'arc alpin occidental : réorientation de structures primitivement E-W par glissement et étirement dans un système de compression global N-S ? Eclogae Géol. Helv. 69/2, pp. 509-519.
GIDON M. (1980).-Feuille Saint-Bonnet. carte géologique de la France à 1/50000.
GIDON M., PAIRIS J.-L., APRAHAMIAN J. (1976). - Le linéament d'Aspres-les-Corps: sa signification dans le cadre de l'évolution structurale des Alpes occidentales externes. C.R. Acad. Sci. Fr. 282, pp. 271-274.
---------------------


FIG. 1.- Carte schématique montrant la position du Beaumont dans son cadre structural régional. Les principaux traits du schéma structural du Beaumont (failles et plis) ont seuls été indiqués. Le cadre délimite la région couverte par la carte de la figure 2.

FIG. 2.-Carte de la dépression structurale de la Salette (quaternaire non représenté). X...X': tracé approximatif de la coupe de la figure 3a. Le synclinal de Fallavaux est délimité à l'ouest par le Lias calvaire de Cote Belle et, à l'est, par celui de la Croix de Rougny; il est accidenté, à Fallavaux même par une faille inverse redoublant le Toarcien et l'Aalénien. Plus au Nord, au Gargas il est compliqué par des replis, d'axe N 120-N 140, dont les charnières ont été indiquées. On a figuré de même les charnières du chaînon de Côte Belle.

FIG. 3.-Coupes transversales au synclinal de Fallavaux. 3a: état actuel, un peu schématise. 3b: essai de reconstitution de l'état à l'Aalénien: les terrains n'ont été représentés que là ou l'on dispose de renseignements suffisants sur leurs relations initiales. F.H. = faille d'Hurtières; F.C. = faille du Chamoux; la représentation des failles de la Tête de l'Homme était. en toute rigueur, difficile sur une coupe orientée presque parallèlement à leur tracé initial probable : nous en avons donc donné une représentation correspondant à une coupe plus méridienne.

FIG. 4. - Coupe de détail relevée au nord du col d'Hurtières montrant les rapports des assises le long de la paléo-fracture d Hurtières.

FIG. 5.-Coupe montrant les rapports des assises au versant ouest du Laton, le long de l'arête de Roche Rattier: 5a: disposition actuelle, schématisée. 5b: disposition initiale déduite, avant le plissement par ancrage contre la faille occidentale d'Aspres (F).

FIG. 6 Coupe schématique des rapports des terrains au Serre des Bergers Noter la discordance entre Aalénien et Carixien (celle-ci est plutôt marquée au niveau des azimuts, les couches ayant un pendage très fort) et la polarité inverse des deux successions de part et d'autre de cette discordance. F = faille occidentale d'Aspres.

FIG. 7 - Coupe le long de l'arête des Rochers de Journet (dessin d'après une photographie). On voit le rebroussement, en crochon, du Bajocien le long de la faille (F') appartenant au faisceau d'Aspres et son renversement complet vers l'Est (qui ne peut pas être attribué à un effet chevauchant du cristallin). Cette disposition évoque vivement (à l'orientation près) celle du Lias calcaire renversé de Roche Rattier (fig 5).

FIG. 8 - Coupe en rive droite du ravin des Sannes montrant la présence (" Ol ? ") de deux olistholites présumés Noter le basculement vers l'ouest qui affecte de la même façon les couches et les plans de failles F et F' (F = faille occidentale d'Aspres, F' = faille des rochers de Journet, cf fig. 7): il s agit d'une déformation tardive liée aux serrages E-W. De la même façon, la série renversée de la Tête de la Réméouse et du point 1820 appartient au flanc est d'un synclinal de cette phase (fig. 2) et se raccorde synclinalement à celle, à l'endroit, du Cucuron (fig. 7). Le pendage des couches aaléniennes étant très fort c'est surtout en azimut que se manifeste l'obliquité par rapport au plan de faille (qui a été représentée dans un plan vertical sur la coupe).